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[RP] Adoubement, what Else ?

Finn
Taverne quelconque du bout du monde – Brest –.

- « Oh, c'est vous. », lui lance Marzina en regardant subitement ses mains.
- « Évidemment que c'est moi. Vous attendiez quelqu'un d'autre ? », demande l'Irlandais en refermant la porte d'un air bougon.
- « Qui voulez-vous que j'attende d'autre ? », la mine boudeuse.
- « Pourquoi pas un de vos prétendants. », rétorque-t-il, n'ayant toujours pas digéré la conversation de la veille.
- « Soyez pas idiot, votre présence les fait fuir. », grogne la Montfort.
- « Je peux repartir d'où je viens si ça gêne ! J'ai une nuit à finir. »
- « Qui a dit que c'était gênant ? », le regard noir, « Et pourquoi "une nuit à finir" ? »

Il se laisse finalement choir sur une chaise et lâche entre ses dents :

- « J'en ai passé une bonne partie à tenter de convaincre la Kermorial. »
- « N'avez-vous pas encore compris que ça fait bien longtemps qu'elle nous a lâchés ?! Elle l'a fait le jour où elle a soutenu Cholet dans notre mise à la porte. »

Retour sur l'épisode vannetais que la seule évocation de cette femme-là suffit à faire remonter à la surface, accompagné du grognement de la Princesse. Finn écarte le souvenir de la main tandis qu'il hèle le tavernier de l'autre, marmonnant :

- « C'est rien ça. Soyez pas si rancunière. »
- « Être rancunier c'est être prudent, ça aide à rester en vie. », signale la Blonde en fronçant le nez.

Attendant qu'on ait finit de remplir leurs godets pour reprendre la parole, le Gaélique grimace à la vue du chouchen.

- « On vous a mise à la porte d'un bouge, votre vie n'est pas en péril. Non, le plus grave c'est qu'elle me refuse cet adoubement. Elle est plus têtue qu'une mule écossaise. »

L'épais tas de missives dans sa besace en témoigne. Des jours qu'il essaie d'obtenir le consentement de la diaconesse à participer à cette foutue cérémonie.

- « La mise à la porte je m'en fous, ce que je n'aime pas c'est la trahison, voilà tout. Et cet adoubement, j'ai essayé de l'en convaincre, vous avez essayé, on a fait ce qu'on a pu, on ne peut pas l'y obliger ! »
- « Même vous, vous avez été moins difficile à convaincre de l'accepter en tant qu'officiante. J'vais quand même pas coucher avec. », balance-t-il en faisant tourner le breuvage dans son verre, réfléchissant à voix haute.

Le verre de sa voisine, férocement attrapé un peu plus tôt, claque sur la table.

- « Mais allez-y tant que vous y êtes, rien ne vous arrête vous, saloperie d'Irlandais ! »

C'est vrai ça, l'enflure de première est bien obligée de le reconnaître : abandonner serait faire injure à sa ténacité naturelle. Une idée germe alors, suivie d'un malentendu se réglant sur une gifle by Montfort.

- « Couchez avec tout ce qui bouge si ça vous chante, avec la diaconesse même si c'est votre type, mais je veux pas de ce genre d'homme pour vassal ! »
- « Soyez pas ridicule, je ne parlais que de la contraindre ! Enlevons-la. », grogne-t-il, indigné, une main flanquée sur la joue.
- « Faites bien ce que vous voulez, tant que vous couchez pas avec ! »

« Attendez...j'ai rêvé ou vous avez parlé de l'enlever à l'instant ?! », se renseigne-t-elle avec de grands yeux ronds.
- « Bien sûr, ça peut poser quelques soucis. Sans parler du fait qu'elle risque de ne pas être d'accord. », poursuit-il sa réflexion, sans vraiment l'écouter.
- « On va se retrouver en geôle oui ! Tout ça parce que vous ne voyez que par elle pour votre adoubement ! »
- « Le principe veut que ce soit elle qu'on enferme. Vous écoutez ce que je dis, un peu ? » rappelle-t-il, perplexe, tandis que sa complice ressent le besoin de descendre son verre d'une traite.

Ayant déjà intégré le fait qu'ils allaient commettre un rapt, l'Altesse entrevoit les retombées du délit. Quel sort réserver à la captive une fois son office accompli ? La relâcher dans la nature comme le propose le Gaélique pourrait leur valoir de sérieux ennuis si la diaconesse se montrait bavarde. L'assommer pour gagner du temps ? Objection : l'éducation religieuse de l'Insulaire lui interdit toute action physiquement hostile envers le clergé.

- « Alors c'est vous et moi qui aurons mal, quand les miliciens viendront nous cueillir pour enlèvement. »
- « Haha, souhaitez-leur bon courage pour réussir à prendre d'assaut Quiberon avec les améliorations que j'envisage d'apporter à votre forteresse ! »
- « Dégradez pas le paysage, sinon je fais tout démonter ! »
- « Faut savoir ce qu'on veut. Une défense fiable a un prix. Puis vous allez devoir recruter si on doit la séquestrer dans vos murs. »
- « N'essayez pas de me ruiner, vous savez que j'en suis déjà pas loin. »
- « Rah chipotez pas sur la dépense, on la rançonnera pour vous rembourser s'il le faut. »
- « Vous êtes un grand malade vous ! »

Et l'index menaçant :

« Un adoubement coûte déjà assez cher sans ces contraintes là, il est hors de question que je fasse autant de dépenses, démerdez vous ! »
- « Bien, commençons par l'enlever. Ensuite, on avisera. », conclut-il avec un début de sourire alors qu'une moue hésitante se dessine sur sa future compagne de cellule.
- « Bon, d'accord, faisons comme ça. »

Le sourire de s'élargir alors méchamment.

- « Vous avez de quoi écrire ? »
- « Je vous rappelle que vous m'avez pété ma plume ! »
- « Prenez celle d'Alix-Ann, j'ai une idée. »

Encore une, et toute aussi immorale.
_________________
Marzina
Le lendemain, même endroit

Et encore une nuit sans dormir. C’était toujours comme ça quand ils avaient un désaccord ou une dispute, ils ne dormaient pas ensemble, et elle avait du mal à fermer l’œil la nuit. En quelques semaines elle s’était habituée à sa présence à ses côtés. Alors dormir sans lui semblait bizarre, le lit avait l’air trop grand d’un coup. Elle n’était pas habituée à ça. Le seul dont elle ait été si proche était Ailvin, mais ils ne passaient tous les deux que de rares moments volés entre deux champs de bataille, il n’y avait jamais eu entre eux cette intimité sournoise qui s’installe au fil des jours sans qu’on y prenne garde.
Elle avait donc passé une mauvaise nuit. Tout ça à cause d’un ecclésiastique encore, à croire qu’ils n’étaient là que pour pourrir la vie de leurs pauvres congénères !

« Si tu ne peux pas l’épouser, tu dois oublier toute affection que tu as pour lui, parce que tu ne réussiras qu’à te faire du mal. »

Les mots rebondissaient sur son crâne depuis trois jours déjà, et elle tentait de les noyer dans le chouchen.
L’enflure de cousin !
Ça fait déjà mal. De l’entendre dire. De le savoir. De fermer délibérément les yeux là-dessus.
Mais elle réitère, elle ferme les yeux.
Organiser l’adoubement, voilà ce qui est important pour l’instant. Le reste…et bien on verra plus tard. Simple officialisation d’un serment réciproque déjà en vigueur. Et pour ça, il fallait qu’elle écrive une lettre. Maintenant qu’ils s’étaient décidés à faire venir la diaconesse à leur cérémonie de gré ou de force, il s’agissait d’attirer Elisabeth dans le piège. Bah oui, le gré n’ayant pas fonctionné sous la forme de nombreux échanges de lettres, ils passaient à la force. Pommières lui ayant bousillé sa belle plume, l’Altesse se rabat sur une vulgaire plume d’oie en dépannage. Ça l’emmerde parce que la plume n’est pas encore faite à son écriture, ça demande plus de force dans le poignet. Elle décide donc de faire concis, et puis moins elle en dit et moins elle risquera d’attiser la méfiance de la diaconesse. De toute façon, Marzina lui a déjà dit qu’elle la détestait, tout avait été dit entre elles.
De son avis à elle du moins.




Son Altesse Marzina de Montfort-Penthièvre
A Elisabeth de Kermorial,

Demat,

Alix-Ann est souffrante.
J’ai les choses parfaitement en main, je n’ai pas besoin de votre aide.
Mais la petite vous a réclamé.
Si vous voulez venir la voir, les portes de Kiberen vous seront ouvertes.

SA Marzina de M-P


Elle relut la lettre. Ça lui paraissait bien…On ne pouvait pas dire qu’elle lui mentait en plus. Un sourire se dessina sur les lèvres princières. Alix Ann était toujours souffrante, c’était dans sa nature comme dans celle de sa marraine. Et puis elle réclamait à intervalles réguliers la Kermorial. C’est bien ce qu’elle disait dans cette lettre non ? Si Elisabeth y comprenait autre chose, ce ne serait pas sa faute. Il fallait désormais qu’elle prépare son arrivée : éloigner la petite filleule et organiser la cérémonie. Il fallait donc retourner à Quiberon.
Elle redresse son nez altier et annonce:


"Fiiiiiiinn? C'est bon, j'ai fini la lettre! On peut y aller!"
_________________
Else
Vannes, quelques heures plus tard. Elisabeth descend quatre à quatre les marches du logis de la venelle. Tout au plus a-t-elle eu la présence d’esprit de laisser un message à l’attention de Chimera, télégraphique : Alix Ann souffrante, elle réclame, suis à Quiberon. Le reste, le regard de Nolwenn perçant le masque de plomb, la monture rétive aux gestes anormalement fermes, les passants qui s’écartent en maugréant – quelle mouche qui l’a piquée, la diaconesse ? elle fait point tant la tronche, d’habitude ! … si si, elle peut. Ah ? quand même pas ! si si, ça y arrive. Au point d’risquer d’renverser l’monde ? Tiens, non… Tout cela se noie dans un halo d’angoisse. Oh, la perdre…

Marie était souffrante. Lys était souffrante. Alix…


« J’ai les choses parfaitement en main, je n’ai pas besoin de votre aide. »
- Mon œil.
- Pourrait être vrai. Concession… Après l’affaire Sørensen, elle se sent peut-être obligée…
- Pourrait être faux. Un appel à l’aide drapé dans son arrogance de tête de pioche.
- Et c’est toi qui dis ça ?
- La ferme.

Les sabots martèlent les derniers pavés, laissant Vannes à l’horizon. Sur les eaux calmes, puis à travers la feuillée, le soleil fait de l’œil aux spectateurs éventuels, mais Kermorial n’est guère en état. « A chaque instant, tout est infiniment donné », hein ? On lui dira. En attendant, elle s’engouffre sur les chemins de terre, direction la presqu’île.


« La petite vous a réclamée. »
- Tu crois que Marie t’a réclamée ?
- Elle a préféré un autre témoin.
- Si tu savais…
- Quoi ?
- Rien, rien. Tu crois que Lys t’a réclamée ?
- Est-elle morte, seulement ? Ou pire ?
- Tu crois qu’Alix…

Il y a des années, une autre cavalcade suivit la piste d’une autre enfant à travers la France. Elle la perdit. Aujourd’hui… Quarante bornes, c’est pas la mer à boire – tout juste le golfe, et la baie. Une goutte d’eau. Et au moins, elle sait où elle va. Vraiment ? Tandis que chaque claquement de sabot la rapproche de Marzina de Montfort, Lisa est à mille lieues de s’imaginer.


« Si vous voulez venir à voir… »
A ton avis ?
« … les portes de Kiberen vous seront ouvertes. »

Deux bonnes heures ont encore passé lorsque Kermorial s’y présente, pour vérifier le fait, sans imaginer une seconde qu’elles se refermeront non pas devant… mais derrière elle. L’adoubement ? Oublié, lavé par le silence qui a suivi la dernière lettre de Pommières. Elle pense avoir convaincu. Ou à défaut : irrités. Ou elle n’y pense carrément plus, sûre qu’elle est que l’idée est mauvaise, et qu’elle ne veut plus, hors de question, jamais, tremper dans leur histoire.

- Elisabeth Kermorial, lance-t-elle à la garde, sans plus d’explication, et sans encore démonter.
Marzina
L’attente. Elle n’est même pas sûre que la diaconesse viendra suite à sa lettre. Oh, elle se doute que si, puisque ça concerne Alix Ann. Elle n’a pas voulu trop l’inquiéter, juste lui donner la sensation qu’il fallait qu’elle vienne à ses côtés. La blonde était loin de s’imaginer ce qui pouvait se passer à ce moment-là dans la tête de la Kermorial, elle avait ses propres émotions à gérer, et ce n’était pas une mince affaire. Les choses se complexifiaient encore dernièrement, il fallait évacuer ce qui devait être fait, et l’adoubement en faisait partie. Une chose à la fois, et si la diaconesse faisait trainer les choses en longueur, les deux autres n’étaient pas du genre à attendre patiemment que le temps lui fasse changer d’avis. L’Altesse avait longuement réfléchi à ce qu’elle ferait si Elisabeth venait, comment elle devrait l’accueillir, comment l’amener à faire ce qui devait être fait. Et plus elle réfléchissait à ça, et plus elle se rendait compte de ce qu’elle était sur le point de faire. La communication avec l’Irlandais n’étant pas au beau fixe, les idées ne faisaient que rebondir sous les boucles blondes sans être exprimées. Les craintes aussi. Cet amas confus de culpabilité, de remord et autres pensées sombres grossissait et rongeait petit à petit le reste, faisant renouer la blonde avec sa mélancolie naturelle qui l’avait épargnée quelques semaines. Fini la volubilité de l’humeur enjouée et les taquineries puériles, l’Altesse embrassait à nouveau ses démons, se faisant peu loquace et songeuse, arborant un air sombre. L’humeur grise et sur le déclin, elle passait son temps dans sa bibliothèque, assise en tailleur sur le sol, plongée dans des livres tantôt de médecine tantôt de navigation éparpillés sur le sol autour d’elle. Même le cheval adoré était laissé de côté, s’agitant dans l’écurie, peu habitué à être boudé de la sorte.

Pour ce projet, elle avait même renoncé à la présence apaisante et réconfortante d’Alix Ann qu’elle avait envoyé aux bons soins de son oncle et suzerain, chose qu’elle évitait habituellement. Elle avait beau aimer son frère, elle ne lui faisait pas confiance en ce qui concernait sa filleule. Alors elle avait envoyé sa propre chambrière qui lui tenait presque lieu de confidente depuis que Marie et Naelhy étaient mortes, pour qu’elle la veille et qu’il ne lui arrive rien. Elle s’était plus isolée que jamais, sans s’en rendre compte. Dans la solitude et la souffrance, les anciennes blessures remontaient à la surface et les cicatrices invisibles resurgissaient en rancœurs diverses.
Plongée dans ses livres donc, les jambes repliées sous elle bien cachées sous les jupons, le bras droit en écharpe et la bougie posée en équilibre sur l’étagère d’une bibliothèque, l’Altesse relève le nez à l’arrivée d’un garde.


« Elisabeth Kermorial. On l’a laissée entrer comme vous aviez demandé, et on l’escorte jusqu’ici. Je suis venu vous prévenir comme convenu, Altesse. »

Les derniers doutes qu’elle avait pu avoir sur le projet avaient été dévorés par ses douloureux songes, n’en laissant que des miettes isolées. La blonde se relève donc maladroitement, les jambes ankylosées par l’inactivité, l’équilibre handicapé par le bras en écharpe qu’elle s’habitue à ne plus utiliser pour le soulager.

« Prévenez le chevalier que son officiante est arrivée. »

Et puis elle s’apprête à faire face à celle qui a l’apparence de l’être aimé, qui prit l’aspect de la trahison, et qui à ses yeux dès lors n’est plus qu’instrument déshumanisé. La robe est défroissée, les cheveux abandonnés disciplinés du bout des doigts, elle enfile une cape qui vient dissimuler le bras en souffrance et elle sort du château pour venir accueillir la diaconesse qu’un garde amène à bon port. La blonde observe un instant les nuages gris qui s’amoncellent dans le ciel, songeuse, avant de poser les yeux noirs insondables sur son hôte, bientôt malgré elle. Elle lui adresse un sourire de façade, de celui qu’elle a enseigné à Alix Ann et qu’elle appelle son « sourire diplomatique », celui qui ne reflète rien mais cache parfaitement toute trace d’autre sentiment.

« On m’a annoncé votre arrivée. »

Pas de bonjour non, c’eût été hypocrisie que de souhaiter une bonne journée à celle que l’on s’apprête à priver de liberté pour un temps indéfini. Elle attend qu’elle mette pied à terre, puis annonce :

« Je vous amène à l’objet de votre venue. »

Pas de mot superflu, juste un regard froid et elle se dirige vers l’intérieur du château, dirigeant ses pas vers non pas Alix Ann, mais la grande salle dans laquelle elle pénètre, attendant la réaction de son invitée.
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Else
Quand bien même Kermorial chercherait-elle, rien n’apparaîtrait, sans doute. Ni le bras abîmé, camouflé sous l’étoffe. Ni les courants amers ensevelis sous la façade. Encore moins le dessein fomenté, escamoté sous des brumes que l’invocatrice ne devine même pas. Comment pourrait-elle ? Ce qu’on provoque dans les gens, tout de même… Le sourire trompe-l’œil devrait seul l’alarmer, et encore : chacun son masque. Quoi qu’il en soit, dans le brouillard de l’inquiétude, les maigres conclusions qu’elle pourrait tirer s’effilochent comme un œuf dans l’eau. Pire : le vernis qui se craquèle, c’est le sien. Et pour quelques secondes encore, elle s’en fout… princièrement.

Elisabeth démonte, mine inquiète, et confie les rênes de sa bête au garde qui l’a menée. Son pas heurté se calque sur celui de l’hôtesse, pressé de la porter vers l’objet qu’elle croit ; et quand une porte s’ouvre sur la grande salle, et qu’on ne la guide pas plus avant, elle ne comprend encore pas, et roule des prunelles déconcertées sur les murs lugubres. Qu’est-ce que…

Un temps. Un doute plane, dont elle ne parvient pas à déterminer la forme ni les couleurs.

Il y a encore une question fébrile dans les yeux qu’elle tourne (enfin !) vers Marzina. Alors seulement, elle la voit. Trop fermée pour ne rien renfermer. Indéchiffrable. Il fut un temps où elle crut sentir la détresse affleurant sous cette bouille là, ou la deviner au moins, par comparaison. Ou n’était-ce qu’un fantôme entraperçu, fantôme au carré, spectre des démons d'une sœur ? Elle ne sait plus très bien. En l’instant, elle sait juste qu’elle craint le monstre fragile qui lui sourit.
Qui ne devrait pas sourire.
Pas seulement parce que ça ne sert à rien.
Parce qu’Alix va mal.
Elle ne sourirait pas, si Alix allait mal.
N’est-ce pas ?
De l’angoisse à l’incompréhension, de l’incompréhension à la défiance, de la défiance à l’hostilité, le masque se reforme, plus dur que jamais d’avoir failli tomber.

Brusquement, les tout derniers mots qu’elle lui a adressés lui reviennent en mémoire, la toute fin de la toute dernière lettre :
« Je ne vous déteste pas encore. » Pas un de plus n’a été décroché depuis. Et pour une raison obscure, Elsa veut persister, tant que les yeux suffiront. C’est quoi ce cirque, petite princesse ?
Finn
Chevalier... Le vieux briscard n'arrive pas à se faire au titre qu'on utilise abusivement à Quiberon. Si ce n'est aux yeux de l'Altesse souveraine des lieux, il ne l'est pas encore et met quelques secondes à se tourner dans la pénombre des caves du domaine pour répondre à la sentinelle, et l'informer des consignes à présent en vigueur. À savoir : le renforcement de la garde aux accès donnant sur l'extérieur, ainsi que le contrôle scrupuleux des entrées et sorties.

Accompagné de l'homme de confiance, le Gaélique remonte à la surface et roule un de ces fûts de whiskey jusqu'à la salle réunissant les deux femmes. Il est temps de voir ce que ses rets ont capturé aujourd'hui : sans surprise, une Archidiaconesse de Nantes. Elle se tient là, à quelques pas, bordée par la complice, tandis que le garde lui fausse compagnie pour mettre en application les nouvelles règles de la maison. La porte se referme sur ce dernier tandis que le Gaélique brise le silence de plomb instauré en son absence :


- « Ah, Diaconesse ! Vous avez pu vous libérer. »

Ironise-t-il, un sourire débonnaire flottant sur sa face hémiplégique. Lourdement, le fût est ramené à la verticale, lui permettant de saluer comme il se doit l'hôte du jour. Il s'incline.

- « Je vous attendais pour ouvrir cette petite merveille. »
et reportant son regard sur la Montfort : « Votre invitée accepterait-elle de se joindre à nous ? »

Le couvercle cède sous les coups de marteau de son heureux propriétaire, lequel abandonne le service à un laquais avant de tirer une chaise pour inviter la Kermorial à y prendre place.

- « Le dîner ne devrait plus tarder et j'ai entendu dire que la pêche avait été bonne aujourd'hui. »

Oh oui.
_________________
Marzina
C’est l’incompréhension qu’elle croit lire sur les traits d’Elisabeth. L’inverse eût été étonnant, quoiqu’elle aurait pu comprendre aussi les sombres desseins, voir apparaitre un nouveau projet par la déviation du schéma premier. Aucun mot ne vient sur les lèvres de l’Altesse, elle ne voit rien à dire, trop paumée dans les méandres de son esprit pour réussir à communiquer correctement. A trop s’éloigner de la société, on finit par ne plus savoir s’y adapter, et ça faisait plusieurs jours déjà qu’elle s’en était coupée. Elle en connait tous les codes, et pourtant dans ces moments-là elle ne sait plus les appliquer. Alors les yeux noirs glacials ne font que rester fixés sur le visage de la diaconesse pour venir chercher chaque détail, les comparer aux souvenirs de la décédée en se demandant si elle aurait vieilli de la même façon, si ses traits auraient été semblables à cet instant. Elle s’était plusieurs fois demandé si elle aurait pu réussir à lui redonner le sourire, si elle n’avait pas été malade. Si elle aurait réussi à l’arracher à ses démons comme elle-même parvient à se tenir à l’écart des siens avec de la volonté.

Les yeux se détournent à l’arrivée du bourreau et de son fût. La blonde lève un sourcil perplexe à la vue du whiskey en boite qui roule à travers sa grande salle. Y’a pas à dire, quand l’Irlandais envahit son domaine, son territoire, son espace, ça lui fait toujours aussi étrange. Une réaction épidermique, un tressaillement qui la secoue et trahit le dilemme interne, plaisir et déplaisir qui s’affrontent. Le déplaisir de le sentir s’approprier ce qui est à elle, prendre possession d’une partie de cette intimité qu’elle a à Quiberon et qu’habituellement elle ne partage pas parce que ce serait exposer la vulnérabilité derrière les murailles qui se dressent devant les flots impétueux, laisser sans protection des cicatrices trop profondes pour être refermées. Et le plaisir de laisser pour la première fois quelqu’un s’approcher de si près, de partager une intimité autre que celle des corps. Une nouvelle liberté si grande qu’elle empeste le danger et fait se dresser les défenses, créant entre eux un mur que tour à tour ils tentent de détruire puis reconstruisent.
Les portes se referment, ramènent la blonde à la réalité des choses, comme sortant d’un rêve. Les issues sont closes. Il n’y aurait eu qu’elle, elle aurait directement enfermé Elisabeth. Sa patience pour cette négociation était épuisée, mais l’Irlandais semblait en avoir encore en réserve. Il voulait une nouvelle fois tenter de convaincre. Qu’il tente alors, l’Altesse elle, prépare déjà la solution plus expéditive. Elle ne connait pas les nuances. Lui entame le dialogue et elle pose les yeux sur lui, l’observant saluer. Penchant la tête, elle se demande comment il compte procéder. Veut-il alcooliser l’ecclésiastique pour la rendre plus malléable ? Les lèvres s’entrouvrent finalement pour répondre à la question, lâchant d’une voix détachée :


« Ouian ket*. »

La chaise est tirée, la blonde s’installe sur une autre, à l’extrême opposé. Cette partie du projet, c’est son idée à lui, et elle montre bien qu’elle n’y adhère pas. Parlementer ne l’intéresse plus, tout avait été dit. A l’annonce du dîner, elle poussa un grognement contrarié. Fallait qu’ils se la coltinent pour le repas en plus…Ça lui couperait presque l’appétit. Presque. Parce qu’elle a du poids à reprendre depuis les frugaux repas du deuil. Alors elle mangera quand même, elle se forcera. Elle fit signe à un valet de lui amener un verre.

« Chouchen. »

Fallait pas pousser quand même, elle supportait Elisabeth, elle allait pas en plus devoir supporter le whisky !
Une contrariété à la fois.
Et elle retire la cape soigneusement, dégageant le bras en écharpe tandis qu'on vient la débarrasser du tissu.


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*je ne sais pas
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Else
A question non posée répond un silence hostile. Mieux : un masque gelé, derrière lequel s’étendent des routes désormais impraticables. Le furent-elles jamais ? Et Elisabeth voulut-elle, vraiment, s’y aventurer ? Elle y était prête, pourtant, pour la mémoire de celle qu’elle porte autant sur la figure que dans le cœur, pour l’amour de celle qui lui reste… mais maintenant…
Maintenant, Pommières rapplique pour briser la glace, et la somme est vite faite.

Les dents serrées sur un cri de rage, Elisabeth contemple le manège honni des tourtereaux tarés. Naguère, elle supportait difficilement leurs chicanes sentimentales, mais elle était encore chez elle. Sur son terrain. Ca, c’est bien pire. Un piège. Quelle ironie… Elle se souvient avoir caressé le mot, il n’y a pas si longtemps, pour qualifier la cérémonie que ces deux là ont réclamé d’elle, soulagée presque d’avoir su voir à temps. Et maintenant... Leurrée par les mots traitres, elle s’y trouve, en plein dedans. Et si elle essaie de tourner les talons, elle sait, elle sent qu’elle ne sortira pas si facilement.

Piégée. Oh, la colère. Les prunelles voyagent de l’un à l’autre, furibondes au carré de ne pas pouvoir porter les coups qu’elle voudrait. Qui en premier ? L’hostilité princière, traitresse mesquine ? Ou le faux hôte cajoleur, faux à deux titre ? Encore que. Les serments à peine déguisés, peut-être, lui donnent des droits sur la maison. Ou donneront. En somme, il se bat pour être chez lui, quoi, songe Kermorial, le sarcasme aux lèvres, et moins que jamais encline à le brider.

A la chaise offerte, elle ne daigne pas même accorder un regard. Pas question de prendre part à la mascarade. Ironie du sort… Malgré tout, les blondes sur un point se rejoignent tout à fait : il n’y a vraiment pas de quoi jouer la comédie. Pour un peu, tiens, la revêche jumelle garderait même un silence obstiné, puisqu’il n’y a plus de questions. Elle sait tout. Mais sur le dernier détail reste une déplaisante alternative : alors elle demande tout de même, sur un ton déjà accusateur :


- Où est Alix ?

Dans la gueule de ton monstre de frère, Montfort ? Ou bien tu oses la garder ici ? Annonce le poison…
Marzina
Elle boit son verre, silencieusement. La Montfort-Penthièvre n’est pas loquace, s’exprime peu, moins encore lorsqu’elle n’y est pas obligée, et pas du tout lorsqu’elle est contrariée. La tension monte dans la pièce, mais ne l’atteint pas. La blonde reste impassible, revêt le costume de la princesse de glace que rien ne peut atteindre. Alors elle déguste son verre comme si elle était seule, et ses yeux s’attardent sur les aspérités du bois, les regardant attentivement. Regardez comme ils sont mignons ces petits trous...On dirait des canyons…Elle se dit que si elle se mettait à rapetisser, il faudrait faire attention à ne pas tomber dedans. Petit ricanement. Et puis elle s’entend, et relève la tête, remarque la présence des autres.
Qu’est-ce qu’elle fait là déjà ?
C'est là qu'elle se rend brusquement compte que sa médication commence à faire effet. Les neurones paralysés tentent de se reconnecter. Les tisanes ramenées par Finn n’avaient rien donné de probant pour effacer la douleur de son bras, alors elle avait testé autre chose. Ça marchait beaucoup mieux ! Même si ça comptait quelques effets secondaires…Quelques déconnexions intempestives par exemple. Et des délires solitaires, aussi.
Elle sent des yeux furieux se poser sur elle, se remet en mémoire les raisons pour lesquelles Marie est là. Non…Elisabeth. C’est ça. Piégée.
Ah oui. Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même ! Et à Finn, parce que c’est son idée, mais ça, elle ne le sait pas.
Hinhinhin.


« Où est Alix ? »

Léger sourire qui flotte sur les lèvres de Marzina. Alix Ann…La petite, le trésor. C’est vrai ça, où est Alix ?
Marzina regarde rapidement autour d'elle.
Ah oui, partie. Pour quelques jours, peut-être plus. Ca dépend de cette blonde-là. Et puis elle penche la tête, regarde attentivement son "invitée".


« A Buzay, avec ses suivantes, et la mienne. Taliesyn est en voyage. Sur son bateau. Avec Nao. »

Grand sourire lorsqu’elle prononce le nom du presque-fiston. Avant que les yeux reviennent vers le verre, vide…Le désappointement se lit sur son visage, et puis elle réclame un nouveau verre. Elle regarde la boisson remplir petit à petit le verre avec fascination, le sourire renait sur ses lèvres, et elle se tourne à nouveau vers la diaconesse.

« Vous allez officier, ou vous allez encore faire des histoires ? »

Et puis elle lève son verre, fronce le nez.

« Ca me ferait chier d’avoir à vous supporter à Quiberon longtemps. »

Un peu de chouchen et d'un truc laissé par Naelhy dans ses affaires lors du dernier voyage en Anjou, le tout mélangé à l’habituelle franchise de l’Altesse, ajoutez à cela une patience à bout, et voilà qu’elle déballe le plan tout de go.
Et hop, un autre verre de chouchen avalé cul sec !

_________________
Finn
L'Irlandais ne bouge pas plus qu'une souche. Les évènements s'enchaînent sans lui, pour finalement le voir prendre place à celle dédaignée par Elisabeth. Alors il arrose sa contrariété de whiskey, voyant l'occasion de racheter la conduite de l'Altesse en goûtant l'un de ses rares présents. Ne vient-elle pas de lui gâcher son plaisir à tout déballer ainsi à l'hôte forcée, brut de décoffrage ? D'un regard désœuvré, il l'observe sourire sans raison, désespéré de la lui faire retrouver en la présence de la Kermorial. Il est de toute façon trop tard, récoltons ce que la « diplomate » a semé.

- « Mmh cette enfant manque cruellement à ce lieu. »

Fait remarquer Finn à la suite de l'Altesse, laissant traîner ses yeux à l'éclat ravivé par l'alcool sur les murs de la pièce, avant de les poser sur l'autre blonde, la mutique.

- « Dommage qu'elle ne puisse assister à l'adoubement... »

Il s'attarde, tente de jauger les répercussions de leurs dires conjugués sur l'inflexibilité faite-femme.

- « Mais avec un peu de chance et de bonne volonté, vous pourriez la croiser une fois votre office achevé. »

Propose-t-il sur un ton plus enjoué, entamant un sourire qu'il termine au fond de son godet, le descendant tout en guettant une réaction.
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Else
Parfait. Vraiment parfait. La Montfort marie alcool et médocs, Pommières s’ingénie à pommader l’outrage, et Alix paie les pots cassés, consignée loin de tout – loin du Petit Prince, déjà ! la toxico du jour a perdu les pédales, mais pas complètement la tête, au moins. Ou bien elle ment. Ah ! Non ! « La seule personne que je connaisse qui ne mente jamais » a dit cet Irlandais-là. Qui fait partie des autres, fatalement. Un petit paradoxe du menteur, en apéritif ?

Mais Liz n’est pas d’humeur à jouer de belles lettres.

« Alix est souffrante », c’était pas un mensonge, peut-être ? Quoique non. A côtoyer la perchée – très, très perchée, ce soir – et son bonimenteur de chevalier servant, il y a des chances qu’elle souffre, quoiqu’elle n’en sache rien. Pas encore. Mais ils la forment, ils la façonnent, modèlent son âme de petite fille si désespérément influençable… Alix, Alix, fille de ta mère, va ! Veux-tu finir à leur image ?

Voici comment, cahin caha, le petit bonhomme de la détestation fait son chemin sur les traces de l’angoisse. On ne repère jamais le point de non retour. On le sent arriver, à l’avance. C’est ce coin enfoncé dans le cœur, qui vous colle la nausée au point d’abandonner terrain inconsciemment trusté ; c’est ce qui vous fait freiner des deux fers, lorsque le vent tourne, et que l’odeur du piège vous chatouille les narines. Vous gardez les yeux dessus. Vous le guettez, vous l’épiez, vous pensez ralentir… et un jour, vous vous retournez.
Il est dépassé.
Pouf.
Trop tard.
C’est bête.
Mais ça ne vous fait plus ni chaud, ni froid.

Un jour, pas si lointain, Elisabeth disait à un blondin : « oui… je comprends pourquoi vous l’aimez bien ». Pommières était le sujet. Si, si. Non qu’elle l’aimât aussi, ‘faut pas pousser quand même, mais… quand on croit saisir les gens… entendre un écho… flairer une piste… pas besoin d’être fou de. On prend. Surtout quand on est diacre. On musèle les bas instincts, on combat le haut-le-cœur, pas si difficile, des années d’entraînements, la protectrice indifférence ! On vit avec, en équilibre précaire, dans l’espoir d’avoir, un jour, des trucs à se dire. Un peu. Oh ! Trois fois rien ! Pas le salut, pas un miracle ! Juste l’entente possible, pour une paix qui dépasse tout le monde.

Brisée, l’harmonie rêvée. Bien entendu, l’onctuosité spécieuse de l’Irlandais passe encore moins bien que la virulence honnête (et surtout : déchirée) de Marzina. Ironie du sort. Elle lui reprochait naguère son manque d’égard : voici qu’il lui en sert, aussi mal placés que possible. Parole, il se paie ta tête ! murmure la paranoïa en goguette, particulièrement vigoureuse depuis la révélation du coup fourré. Mais peut-être pas, au fond, surenchérit l’horreur. Peut-être qu’il se prend vraiment pour un diplomate dans son bon droit.


- Epargnez-moi vos ronds de jambe, Pommières, lâche-t-elle, écœurée. Quant à vous…

Oh, vous…
Vous, l’amie chère à la sœur chérie…
Vous, la double rivale – le reproche inavouable fut rarement tant lucide.
Vous qu’elle aimait, vous que sa fille aime…
Vous à qui elle ressemblait, vous à qui sa fille ressemble déjà…
En Marie existait un monstre fragile, qu’Elisabeth aimait, pour l’amour du reste. Pour l’amour du tout. Mais Marie n’est plus, et ce qui reste, c’est le pire. Un fantôme, coquille vide. Un bref instant, le doute clignote encore, auréole rouge autour de la tête embrumée : c’est une femme, aussi, se rappelle dame pieuse, une égoïste, mais douloureuse, une bêcheuse, mais ça s’explique… ça s’explique… Trop tard. Elle ne voit plus, ne veut plus voir. La trame désespérément intriquée se resserre, et tout à coup, ni vu ni connu, ça s’est passé si vite, quand est-ce arrivé ? le nœud est formé, inextricable, au creux du ventre Kermorial.

Il y a tant de rancœur gâchée dans les prunelles bleues…


- La durée de mon séjour à Quiberon ne dépend que de vous, en vérité. Et de votre maison.

Le regard dur balaie la pièce, giflant tous les présents, du garde en armure au dernier des larbins. Tous complices. A aucun d’entre eux, elle ne laissera oublier. Et, histoire que ce soit bien clair :

- Je n’officierai pas. Mon cheval, maintenant.
Marzina
L'Irlandais rappelle le vide créé par l'absence de la petite, ça contrarie l'Altesse. Pas la peine d'en rajouter, elle a l'impression qu'il manque un bout d'elle-même dans cette maison, depuis qu'elle a envoyé la petite loin du champ de bataille. Ça ne lui plait pas non plus, qu'il propose de la mettre dans les pattes d'Elisabeth une fois la cérémonie terminée. A quoi joue-t-il donc? Ca ne la fait pas rire, non ça ne l'amuse pas. Mais elle a envie de rire quand même, rien qu'à voir la tête qu'il fait alors qu'il dit ça. Alors le sourire se dessine quand même sur le faciès, un sourire un peu dérangé, parce que sans joie, sans raison aucune de paraitre.
Elle a mal. Parce que son âme s'attache un peu plus à cet Irlandais-là, et que l'amarre tient bon malgré les violentes tempêtes, alors elle se prend toutes les lames de fond en plein dans la face. Il aurait été plus sage de baisser les bras et de claquer la porte, mais elle a toujours été dépourvue de ce genre de sagesse. La vie est une souffrance, mais son coeur vit, elle le sent battre, à tout rompre même parfois, alors elle tient bon.

La détermination butée de la bretonne, il n'y a rien de pire, parce que rien ne la fait flancher. Les autres considérations passent après, comme rester dans les limites de la morale, ou même celles de la légalité. Alors quand elle entend que la clerc n'est pas décidée, une fois de plus, à aider, elle adhère finalement pleinement au projet de Finn. Elle se lève finalement, lui adresse un petit sourire malsain.


"Il semblerait que je vais avoir à vous supporter un moment alors."

Un petit signe de la main aux gardes, et ils viennent se placer de chaque côté de la Kermorial.

"Etablissons clairement la situation, vous avez dit que vous officierez. Peu importe que vous ayez changé d'avis, vous avez dit oui. Maintenant, nous attendrons que vous teniez votre parole. En attendant, vous restez à Quiberon, et Alix Ann sur ses terres."

Elle redresse son petit nez hautain, pendant qu'elle se demande si elle va envoyer Elisabeth dans une geôle ou dans une chambre. Si elle la traitera bien, pour qu'elle regrette, ou si elle la traitera mal, pour la forcer à céder. Elle n'a pas encore décidé.

"Vous ne quitterez pas ma demeure avant d'avoir béni l'épée. Vous avez dit adieu à notre accord, vous pouvez maintenant dire adieu à votre liberté."

Les yeux noirs se posent sur elle.

"Quelque chose à ajouter? Une envie particulière pour le repas de demain?"

Nouveau sourire malsain.
Bienvenue chez les dingues.
Fallait pas les contrarier.

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Else
Un frisson de colère dresse Kermorial de toute sa sèche hauteur. Pris dans les rets, le piaf moyen gigote et se débat : cet oiseau-ci ne fait pas exception à la règle. Seulement, l'orgueil le bride, et le mépris du tapage. De l'ordre en toute chose ! Elle a perdu la tête, déjà, pour arriver ici ; plus question de céder un pouce de terrain. Alors elle oppose front ferme aux obsidiennes ennemies, et présente les armes.

- Mais je vous en prie, siffle-t-elle, glaciale. Vous proposiez d’établir clairement la situation : ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Vous avez attiré un clerc dans vos murs sous un prétexte fallacieux. Vous vous proposez de l’y retenir contre son gré, pour assouvir le caprice d’une cérémonie inventée de toutes pièces selon vos seuls désirs maladifs. Nous n'en pouvons pas même causer : vous ne voulez rien entendre, et tout ce qui ne les sert pas vous irrite ou vous indiffère. Alix même, que vous prétendez aimer, vous la bannissez dès qu’elle vous gêne. Voilà la situation. Je ne bénirai rien.

En parlant de Bretonne butée… Elisabeth ne marchande pas. Ni sa bienveillance, ni sa liberté, ni même Alix. Au moins peut-elle se targuer d'avoir morale et légalité de son côté – la belle consolation, vraiment ! lorsqu’on se tient, rocher armé des seuls mots, au beau milieu de la mer ennemie ; et la lame peut-être s'abat en autant de coups dans l'eau.

Le suivant est porté au complice irlandais, qui écope d’un regard accusateur.


- Demandez à l’ex-diacre pourquoi une bénédiction ne saurait être forcée, si cela vous intéresse encore, et s’il s’en souvient. M'est avis que lui, vous l'écoutez.

En attendant, je vous hais. Vous. Lui. Et moi avec, un peu, de m’être jetée dans la gueule des fous. Et Marie, mon Dieu ! Marie elle-même, chère chair, qui aima le monstre que vous êtes, qui le choisit parmi tant d’autres, jumelle infâme, sœur d’élection, dangereuse…

La rancœur d’outre-tombe resserre un peu plus les entrailles Kermorial, poussant presque aux lèvres cette menaçante promesse : « Je vous hais. » C’est tout dire. Son cœur sur un plateau, et sa tête. Elle le dit presque, c’est là, glissant sur la langue… Mais l’instinct de survie se soulève, et les dents fermement font barrage. Folle ! Qu’allais-tu lui offrir, à celle qui te prend tout ? Car il faut bien se rendre à l’évidence : Blondie est en mauvaise posture, flanquée de matons armés, hôte forcée d’une princesse garce et d’un chevalier toqué. La passe d'armes polaire n'arrange pas ses affaires. Par bonheur, la première fureur la protège encore.

Au garde de dextre – allez savoir si c’est le bon choix, ou s’il y avait un bon choix, elle lance :


- C’est assez. L’Archidiaconesse de Nantes vous demande son cheval. Alors ?
Finn
Voilà qu'elle veut causer maintenant. La Princesse aussi, toujours debout après avoir énoncé les conditions de sa captivité. Lui n'en a plus très envie, penché sur son godet. Son hospitalité vient d'être foulée aux pieds. Il a pourtant essayé de l'accommoder d'un verre de son précieux malt, d'un dîner et même d'un sourire. Quelle drôle d'invitée... Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez elle pour se refuser ainsi ce qu'on lui offre gentiment ? On aurait eu tout le temps de s'accorder sur les modalités d'un séjour forcé autour d'une table remplie de mets, entre gens civilisés. Alors, pourquoi tant d'animosité ? Et surtout, pourquoi se presser ? On ne peut pas dire qu'elle sera particulièrement occupée dans les jours à venir...

Non vraiment, l'Irlandais n'accepte pas cette façon qu'ont certains de s'enfermer dans les clichés véhiculés par cette coutume qui veut que le chat tourmente la souris, sans égard pour sa captive. Hors-la-loi peut-être, mais pas n'importe quel petit truand sans éducation.

Et également :


- « Ex-novice franciscain. »

Rectifie-t-il, front plissé, rebuté à l'idée qu'on puisse l'associer au clergé séculier. Ses ambitions passées, à défaut d'avoir été récompensées par un véritable statut de moine, avaient au moins cela qu'elles excluaient toute forme de vie au sein de cette jungle peuplée de fous. Grande différence avec ces gens du siècle à la réputation parfois douteuse.

L'Altesse a beau rejoindre la combine un peu tard et ainsi partager la responsabilité de l'outrecuidance Kermorial, il n'en reste pas moins que l'insulter n'est pas sans conséquence. Faisant claquer le verre de la justice sur la table, le vieux grison s'écrie abruptement :


- « Privée de souper ! »

Fallait pas faire chier.

- « Vous aurez tout le temps de méditer sur le caractère forcé de cette bénédiction dans votre piaule. Il ne tient qu'à vous, Instrument. »

Ce qui devait arriver arriva. La diaconesse a eu raison de sa bienveillance, la voilà priée de terminer la soirée au coin. Punie. Nerveusement, les doigts font le tour du rebord de son godet, se retenant non sans peine de claquer au nez d'un garde. Le privilège de mener la maison à la baguette revient à sa maîtresse. Malgré ses prises de position audacieuses, le chevalier ne saurait l'en priver. Le choix de la cellule est sien.

Il se consolera sans doute avec un dernier coup de règle sur le majeur qu'elle leur tend effrontément.


- « Votre cheval, peut-être qu'on vous le rendra demain... Bouilli. »

Bonne nouvelle, Kermorial, le jeûne s'achève demain.
Enfin, « peut-être ».

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Marzina
Les sourcils se lèvent dubitatifs sur le minois blond aux dires de la Kermorial. Non, la Montfort ne se reconnait pas dans ces dires là, elle a l'impression que l'incompréhension demeure sur le but de la cérémonie, sur le pourquoi ils ont demandé sa présence. L'Altesse et l'Irlandais avaient toujours eu l'impression que la Diaconesse leur prêtait d'autres intentions dans cette cérémonie. Les dires d'Elisabeth semblaient confirmer cette hypothèse. Elle donne un ordre au garde qui reste stoïque. Quiberon est un vase clos, comme toutes les îles. Les gens ont toujours vécu ici, ils ne connaissent du clergé que le curé de leur église, trop petite pour tous les contenir le dimanche matin. Marzina a parfaitement dirigé son univers, leur offrant tout ce dont ils avaient besoin pour vivre une vie relativement douce à son service, sacrifiant même parfois son niveau de vie pour rénover certains bâtiments. Leur loyauté lui est acquise, ils ne posent même pas de question lorsqu'elle ordonne. Ils cultivent le mépris de l'étranger auquel l'Irlandais s'est heurté à son arrivée.

"Je ne vous ai pas demandé de venir, Elisabeth, je vous ai dit "si vous voulez venir."

...la voir, certes. Mais malheureusement, Alix Ann est déjà partie.
Fallait arriver plus tôt!


"C'est vous, qui avez voulu venir."

Le sourire malsain sur les lèvres de la Princesse s'élargit, prenant un certain plaisir sadique à prononcer ces mots.

"Je ne vous retiens pas ici contre votre gré. Vous êtes mon hôte jusqu'à la cérémonie. Prenez tout le temps qu'il vous faudra pour vous y préparer."

Et puis finalement, un sourcil se fronce légèrement à l'évocation de la cérémonie, et d'Alix Ann.

"J'ai éloigné Alix Ann pour son propre bien. Vous n'imaginez même pas combien elle serait déçue, combien elle tomberait de haut si elle savait que je vous avais demandé d'officier à une cérémonie, et que vous avez refusé. Elle tient tant sa tante en estime..."

Marzina relève le museau, elle est sûre de ses dires, elle n'a même pas besoin de mentir, bien qu'elle ait d'autres raisons d'éloigner la petite.

"Ma tata est diaconesse, qu'elle dit en parlant de vous, avec ce petit sourire qu'elle a lorsqu'elle est fière. Elle a des repères, et parmi eux il y a vous, et votre statut religieux, votre bienveillance relative à l'égard d'autrui, le fait que vous accompagniez les fidèles à travers leurs cérémonies. Je ne vous laisserai pas détruire l'un de ces repères parce que vous, par VOTRE caprice, refusez d'accompagner deux fidèles aristotéliciens pour un adoubement. Vous me détestez, peu importe, vous n'avez pas à aimer les ouailles de votre église. Mais vous avez à les accompagner. Et vous le ferez."

Et sur quelques réflexions bien senties d'un Irlandais qui perd lui aussi patience, l'Altesse de ces lieux fait signe aux gardes de se saisir de la fourbe diaconesse.

"Enfermez-la dans la chambre de sa nièce. Elle aura alors tout loisir de penser à elle, et à la déception qu'elle lui causerait, si elle savait."

Marzina avait opté pour la souffrance psychologique. Elle devinait la volonté d'Elisabeth forte, puisqu'elle était soeur de Marie. Mais Alix Ann était la faiblesse qu'elle lui connaissait, et elle comptait bien jouer cette carte pour la déstabiliser. Alix Ann avait elle-même choisi la décoration de cette chambre, et l'avait personnalisée au fil des mois qu'elle passait. Cette chambre était tapissée de sa présence, partout. Marzina ne doutait pas affaiblir la diaconesse en procédant ainsi. Elle la laissa se faire emmener dans sa belle cage dorée, et se tourna vers l'Irlandais.

"En Irlande, on mange les chevaux?"

Après avoir fait enfermer une archidiaconesse dans la chambre de sa nièce, voilà qu'elle parlait habitudes culinaires.
Rien d'étonnant, vous êtes à Quiberon.

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