Valet.bleu
Vous venez de traverser le Nivernais et ses terres, sur des lieues et des lieues. Que vous veniez de l'Est, de l'Ouest, du Sud ou bien du Nord, vous apercevez désormais les murs de la bonne cité de Nevers. En leur enceinte, vous empruntez les voies principales, sans doute percées depuis l'occupation romaine, puis pavées, entretenues par la volonté des anciens Comtes de Nevers, puis des Ducs de Bourgogne et qui, toutes, vous mènent sur la butte, où se côtoient les instances qui président à la vie des hommes. Vous vous trouvez sur la Place Ducale, désormais, et l'oeil de votre cocher peut embrasser la Cathédrale St Sylphaël, siège de Dieu, l'Hôtel de Ville, siège du Maire, et, à l'Est des deux, le Palais Ducal de Nevers, résidence des Seigneurs de ce nom depuis des siècles, jadis une forteresse, et désormais une de ces demeures modernes et imposantes, à l'architecture fraîche et à la hauteur égale à celle de son Prince.
Vous pénétrez dans la Cour du Palais, traversant une enceinte murée et gardée dont les portes vous sont toutefois ouvertes. La nuit, déjà, éclaire la façade et les tours de la bâtisse solitaire qui se présente à vous. Dans cette cour carrée, de hauts candélabres ont été disposés, et combattent le vent pour, à défaut d'illuminer suffisamment les lieux, le subliment d'étoiles descendues sur la terre pour célébrer l'Infant de France, hôte du jour.
Atypique, une tour centrale s'extirpe avec peine du corps de logis. C'est par celle-là que l'on entre. Devant, cinq valets portant livrée, bleu-roi et or se mariant autour d'un lion couronné sur le tabard. Ils accueillent car tel est leur rôle. Plus ou moins dissipés, ils arborent une mine chaleureuse, sans laquelle ils risqueraient peut-être leur vie.
Par instant, une pluie parcimonieuse vient frapper le pavé, capricieuse sous la lune.
Lorsqu'approche un carrosse, un attelage, un cortège, c'est alors une tempête bleutée qui s'abat dessus : l'on ouvre les portes, l'on se charge des malles, l'on dirige montures et voitures vers les écuries pendant que l'invité, attendu avec impatience, et mené avec grande déférence à l'intérieur du Palais, où, à peine entré, on l'enjoint à prendre l'escalier de pierre blanche, qui le monte jusqu'au premier étage.
Là, vous débouchez sur un couloir boisé, aux poutres sombres, mais à la lumière vive.
A droite, une unique double-porte, ouverte tous battants sur la Salle Jehanne de Cassagne, première Salle d'Apparat du Palais. Elle est illuminée mais vide. Au fond, un trône, et, jetés contre les murs, bancs et cathèdres. Aux tentures chaudes, la pièce est chauffée par un ardent foyer de cheminée qui observe les grandes fenêtres à carreaux, vue sur les étoiles et sur la ville. Un perroquet empaillé vous observe, derrière le siège du Duc du Nivernais, dernier souvenir de la défunte Jehanne de Cassagnes.
A gauche, en sortant de l'escalier, une salle exactement symétrique en forme à la première. Plus sombre néanmoins, elle accueille en son centre deux tables formant un T, larges et longues, couvertes d'un linge blanc, brodé par endroit d'aigles bicéphales d'or.
La tête de la tablée porte quatre couverts : tranchoirs en métal précieux, ainsi que pièces dorfèvrerie, d'or ou d'argent, serties de pierres semi-précieuses en guise de coupes et de hanaps. Autour des tranchoirs, cuillères et fourchettes fines, puis, au centre de ces quatre couverts, une nef de table : pièce d'orfèvrerie aux allures de navire, c'est une sorte de coffret au couvercle formant le pont dun bateau et dont le coffre figure la coque. La nef souvre au moyen dune clé et renferme le nécessaire du prince : un couvert individuel (une cuillère, un couteau, une serviette parfumée d'eau de rose et un cure-dent). Ainsi marque-t-elle la place dhonneur. Son tranchoir d'or, Charlemagne le recevra ensuite, assis sur sa cathèdre centrale où il trônera.
De chaque côté de la table perpendiculaire, ce spectacle se répète à intervalle régulier : un couvert, riche et fastueux, pour chaque invité. Au milieu des tables aboutées, divers objets argentés sur lesquels reposeront, plus tard, les plats nombreux et divers, ainsi que quelques chandeliers luisant.
Contre les murs, d'immenses buffets, meubles en étagère atteignant jusqu'à douze degrés, et sur lesquels reposait toute l'ostentation de l'Infant. Surmontés de dais, ils regroupent les hautes coupes sur pied, les grands rafraîchissoirs à bouteilles, les bassins et les aiguières.
Au fond, une cheminée massive aux armes du Nivernais, et, partout, dais, tentures, tapis rappelaient la puissance de la Maison Royale de Castelmaure, sous le regard de Lhise de Tapiolie.
C'est dans cette seconde pièce que chacun était invité à entrer. A défaut du Prince, se trouvait là ce valet bleu, premier valet de Son Altesse, et chargé d'accueillir ceux qui les huissiers faisaient monter et annoncer, pour les inviter à s'installer.
Au centre de la table d'honneur siégerait l'Aiglon, patriarche des familles conviées. A sa droite, Franc Claude Volpone de Castelmaure-Frayner, puis Aymé von Frayner, doyen de la famille impériale. A sa gauche, Sancte von Frayner, puis Brunehilde von Frayner, bâtards mais tout de même enfants de l'Implacable. Les autres se dissémineraient sur la longue table perpendiculaire à celle-ci, selon le rang ou les affinités : peu importait. Ils avaient tous le même sang.