Après Sun, après Gals, après Marty, le coeur d'Arthur battit encore un peu plus fort lorsque le léger claquement de bottes lui parvint aux oreilles, accompagné d'un étrange et paradoxal bruissement d'étoffe. Comme attendu, ce fut Leg que la rangée de courtisans laissa apparaître. Les bottes habituelles, celles du soldat, de la combattante, et, en une opposition qui aurait pu sembler discordante, mais qui chez elle faisait naître une harmonie presque onirique.
Le gris de son regard, celui du ciel avant la pluie, celui de l'onde d'une rivière alors que la nuit tombe, celui de ce moment si particulier lorsque le soir étend ses bras, cet instant aux couleurs indéfinissables que l'on nomme entre chien et loup, s'accrocha au sien, comme elle aurait lancé un grappin pour se rapprocher de lui. Comme ce fil noué entre eux depuis tant d'année, par ces lettres qu'ils s'envoyaient par delà la distance. Ce fil noué autour d'elle, encore, son Horizon, autour de son absence.
Arrivée au pied de Trône, Legowen dégaina son épée. La garde, de chaque côté du Trône, s'agita, et Bors, le colossal soldat de la COBA qui était le seul qu'Arthur acceptât de jour comme de nuit à ses côtés, sortit de l'ombre, derrière le Trône, et fit en pas en avant. Infime hésitation, les soldats connaissaient leur sénéchal, mais il s'agissait de protéger le Duc.
D'un geste de la main, Arthur rassura Bors et les autres soldats. Parce qu'il savait que ni cette épée ni sa porteuse ne lui ferait jamais de mal. Parce que cette épée, à peine sortie du fourreau, lui fit manquer un battement de coeur. Au coin de son oeil naquit une larme, une larme invisible pour toute la salle, sauf peut-être pour Leg, ou pour un observateur sacrément averti. Et un sourire, un sourire plein et entier, somme de deux demi-sourires et tellement plus qu'une simple somme, bref instant de plénitude retrouvée, apparut sur son visage.
Leg n'aurait pu choisir geste plus fort, plus symbolique, plus puissant à ses yeux que celui-là. Cette épée, il l'avait bien sûr reconnue, au premier coup d'oeil, à peine la lame à demi sortie du fourreau. Celle de son Horizon éteint, à jamais inatteignable, celle qu'elle avait léguée à sa filleule, à celle qu'alors il ne connaissait pas encore. Legowen.
L'épée à l'horizontale dans les mains de Leg, comme le symbole de cette absence douloureuse qui les avait rapprochés, son amie prêta allégeance. Arthur entendit à peine les mots, mais se leva, pour la première fois, avant d'avoir prononcé les siens. En quelques pas, il avait rejoint Leg, et s'agenouilla face à elle. Il posa les mains sur le plat de la lame de l'épée, paumes sur celles de Leg.
Legowen de Nivrim, Baronne de Yolet, Dame de Chaptuzat, du Soleillant et de Cheval-Rigon, Legowen la Volontaire, habitante de Nöthrim, cavalière d'Illuin, filleule d'Apolonie de Nerra, qui serait tellement fière de vous voir aujourd'hui, et surtout et avant tout mon amie, ma très chère amie, Nous, Arthur Dayne, Duc du Bourbonnais-Auvergne par la grâce des urnes et la volonté du peuple, acceptons votre allégeance, et celle du Guy du Kastel de Rhiannon. Ajoutons à nos liens déjà si solides ce provisoire lien de vassalité.
Ainsi, Nous vous garantissons en retour protection, justice et subsistance pour vous, votre famille, vos gens et vos terres, ainsi que notre amitié, qui vous est acquise pour les siècles à venir.
Les mots prononcés, il ôta ses paumes du plat de l'épée, se releva et aida Leg à faire de même. Le regard plus que jamais perdu dans le gris des yeux de Leg où vivait, il le savait, des souvenirs si semblables aux siens, et si différents pourtant... Le souvenir d'un azur éteint, de son rire, du plissement de son nez obstiné, le terrible souvenir de Varennes, aussi, mais comme étouffé, masqué par tous les autres, ces souvenirs heureux qu'ils aimaient à partager. Des souvenirs comme Leg et Arthur en avaient construit eux-même par la suite, de cette amitié chaque jour un peu plus forte, malgré leurs occupations qui les tenaient souvent éloignés l'un de l'autre, malgré le temps qui passait. La Source. Moulins. La Bête. Iliana, Emelyne, Eilwen.
Et pour la deuxième fois de cette journée, ce fut un baiser qui noua le lien vassalique. Un baiser d'amitié, sans arrière pensée, un simple baiser comme les mots qu'ils s'écrivaient: simples, sincères, s'écoulant comme l'eau d'une source. Un simple frôlement, et pourtant, tant de sentiments puissants à travers lui. Un simple frôlement qui évoquait celui du vents dans les feuilles d'automne, qui évoquait le murmure d'une rivière au matin, le ronronnement d'un chat au coin du feu, les chuchotements d'une nuit d'été, le susurrement rassurant d'une forêt endormie. Tout ce en quoi ils croyaient, tout ce qui les unissait.
Et le baiser fut suivi d'une étreinte.
Leg, merci d'avoir toujours été là, merci pour tous ces mots partagés. Merci d'avoir participé à tous les moments importants de ma vie depuis des années, et d'avoir rendu celui-ci plus fort encore. Que le murmure du vent et le bruissement de l'eau veillent sur toi, mon amie.
Etreinte desserrée, allégeance finie, et moment d'une intense émotion qui resterait longtemps gravé dans son esprit, comme tant d'autres. Et alors qu'il regagnait le Trône ducal, il jura sentir un souffle d'approbation venir lui chatouiller la nuque...
Retour sur terre. Au suivant. Il ne devait plus rester énormément d'allégeance... Il fallait aussi procéder aux anoblissements, et enfin répondre aux courriers de ceux qui n'avaient pu se déplacer...
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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."