Bossuet
Chapitre V : D'un bleu si pur qu'il en fit mal aux côtes.
J'ai dix ans et je tourne une branche nue dans un seau de bois cerclé, écrasant des pigments bleus vif dans de l'huile de lin. Un passage furtif dans l'atelier de teinturerie pour y trouver la couleur en quantité suffisante. Aucune idée d'où elle provient mais cette couleur si vive qu'elle en parait surnaturelle me fascine. Jamais la morne ville de Calais ne m'avait offert cette teinte pure, brutale, presque violente et c'est avec une excitation à peine contenue que je touille ma mixture, tapi derrière une palissade branlante.
Rajoutes un peu d'huile, c'est trop pâteux. faut qu'ça leur coule sur l'plumage... dis -je à ma complice de toujours, enveloppée dans une robe rouge passé, trop grande, et déjà tachée par la couleur pure.
Elle sourit de toute ses dents, me donnant à voir la béance laissée par la perte d'une incisive de lait. Elle repousse mécaniquement une mèche aussi brune que rebelle, l'envoyant d'un geste gracieux rejoindre sa tignasse ébouriffée. Les manches de la robe usée, déchirée par endroit même, sont retroussées au dessus des coudes. Elle avance un gros pot de terre cuite, et en verse le contenu dans mon sceau.
L'huile de lin "emprunté" un peu plus tôt dans un atelier de menuisier, dégage un odeur sirupeuse et sèche, plutôt agréable, mais prenante. Je touille la couleur, jusqu'à obtenir la consistance du lait. Je jette un il à mon assistante qui elle, observe attentivement la couleur liquide. Le bleu du mélange contraste puissamment avec le rouge de ses vêtements.
Je pose le seau, et me retourne pour guetter les environs.
-Ça à l'air bon, le vieux doit être à la messe à c't'heure là... Prête?
-Plus que jamais! me réponds t-elle, enjouée comme un pour un soir de gigue.
-Couleur ?
-Vive et bien touillée!
-Pinceaux ?
-Poilus à souhaits!
Elle se présente, fière et souriante, pieds nus dans la terre humide, un seau coulant de bleu roi vif, et dans l'autre deux bâtonnets dont à une extrémités on à ficelé peu soigneusement une poignée de crin de cheval.
Je m'engouffre derrière une planche mal fixée de la palissade et alors que j'ai un pied dedans, un pied encore dehors, je la regarde très sérieusement.
Si quelque chose tourne mal, Grayne, je veux que tu sache que... Tu auras été mon frère d'arme le plus dévoué dans cette noble cause. Lui déclare-je en plongeant mon regard affecté dans le sien.
Elle acquiesce, avec une moue d'une tristesse infinie. Je baisse les yeux, presque convaincant, puis nous éclatons tout deux de rire.
J'achève de traverser la palissade, elle me tend le seau et les "pinceaux", puis passe à son tour. Un rapide coup d'il, pour s'assurer d'avoir le champ libre. Nous voilà dans une petite basse cour attenante à l'arrière d'une maison de torchis, où caquettent frénétiquement une douzaines de poules. Nous échangeons un regard entendu, saisissant chacun un des pinceaux aussitôt trempé dans la couleur, et le sourire aux lèvres, nous nous lançons à la poursuite des volailles.
Le joyeux désordre commence. Les poules paniquent et courent en tout sens, larguant dans leur sillages de petites plumes virevoltantes. Nous courons à leur suite en tentant de les attraper.
Viens là !J'en ai une! S'écrit -elle en plaquant sa proie contre le sol, d'une main, et la tartinant de bleu de l'autre.
J'accoure, seau en main, pour lui venir en aide.
Laisse tomber les pinceaux, ça marche pas ces machins là! Lui lance-je en posant le seau à coté de la volaille en détresse.
Je saisi la bestiole par le cou et les flans, et la plonge presque entièrement dans la couleur. Quelques finitions, c'est une poule tout à fait bleue que nous relâchons, heureux comme jamais du résultat.
Je regarde celle que considère comme ma sur ou mon frère plutôt, hilare.
On continue?
Elle se précipite en riant vers d'autre proie en guise d'accord, et je fais de même. Nous chantons, crions, rions, dans ce ballet de plumes, de poules bleues au comble de la panique, nous dansons sur la symphonie des caquètement de détresse, saisissant les volailles pour les plonger toute entière dans le bleu roi. J'observe un moment le spectacle, émerveillée devant tant de désordre, riant de plus belle en voyant Grayne se débattre avec une des dernières poules intacte, elle même éclaboussée de bleu roi des bras au visage, et repart en hurlant pour effrayer un peu plus nos créations déjà terrorisées et faire voler un peu plus de plume et de volaille surnaturelle.
Quelques minutes plus tard, nous sommes assis sur le sol, essoufflés et maculés de terre et de couleurs, à contempler notre uvre retrouvant peu à peu son calme.
Grayne me regarde en souriant.
-C'est quand même dommage qu'il n'y ai que nous pour voir ça... Me dit elle, en fronçant les sourcils comme elle le fait lorsqu'elle réfléchit, ou qu'elle à une idée derrière la tête.
-Bah le vieux sera notre publique, rétorque-je en riant, et pour ça il va aimer, ça oui...
-Oui...mais ces pauv' poulettes... Elles doivent avoir envie d'aller se montrer en ville...
Son sourire en coin suffit à nous mettre d'accord. Nous nous levons en souriant malicieusement, et recommençons une chasse aux poules mais cette fois, nous donnons à chaque proie désormais bleue un aperçu de ce qu'elles ont manqué en n'apprenant jamais à voler, alors que nous les lançons de toute nos forces d'enfants par dessus la palissade.
Sur le point de partir, je ramasse un de nos pinceaux inefficaces, et le trempe dans le reste de peinture bleue.
On peut pas partir sans laisser un souvenir à c'vieux fouettard...
En quelques gestes plutôt assurés, je dessine une poule bleue grandeur nature, sur le bas de la palissade, comme si elle était tranquillement en train de picorer quelques grains sur le sol. Je ris en me reculant pour contempler le résultat, et aperçoit ma complice en train de m'imiter, avec plus ou moins de bonheur. Nous éclatons tout deux d'un fou-rire en voyant l'état de la basse cours vide, éclaboussée à tout va de bleu roi et la terre couverte de plume, labourée par nos courses poursuites effrénées.
Un bruit retenti dans la maison attenante, et nous rappelle soudainement lillégalité, bien que tout à fait exagérées, de nos actes créatifs.
Faut pas sattarder là Grayne, sinon on va passer la semaine à se frotter le croupion qule vieux aura fessé à coup dbaton! Lui dis je en la poussant vers la planche branlante de la palissade.
Je jette un dernier coup dil sur notre terrain de jeu éphémère, et je remet la planche en place, comme on baisserait le rideau dun théâtre. Et partons en courant en suivant les traces de pattes et les plumes bleues, se tenant par la main en hurlant comme seul les enfants comprennent pourquoi ils le font.
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J'ai dix ans et je tourne une branche nue dans un seau de bois cerclé, écrasant des pigments bleus vif dans de l'huile de lin. Un passage furtif dans l'atelier de teinturerie pour y trouver la couleur en quantité suffisante. Aucune idée d'où elle provient mais cette couleur si vive qu'elle en parait surnaturelle me fascine. Jamais la morne ville de Calais ne m'avait offert cette teinte pure, brutale, presque violente et c'est avec une excitation à peine contenue que je touille ma mixture, tapi derrière une palissade branlante.
Rajoutes un peu d'huile, c'est trop pâteux. faut qu'ça leur coule sur l'plumage... dis -je à ma complice de toujours, enveloppée dans une robe rouge passé, trop grande, et déjà tachée par la couleur pure.
Elle sourit de toute ses dents, me donnant à voir la béance laissée par la perte d'une incisive de lait. Elle repousse mécaniquement une mèche aussi brune que rebelle, l'envoyant d'un geste gracieux rejoindre sa tignasse ébouriffée. Les manches de la robe usée, déchirée par endroit même, sont retroussées au dessus des coudes. Elle avance un gros pot de terre cuite, et en verse le contenu dans mon sceau.
L'huile de lin "emprunté" un peu plus tôt dans un atelier de menuisier, dégage un odeur sirupeuse et sèche, plutôt agréable, mais prenante. Je touille la couleur, jusqu'à obtenir la consistance du lait. Je jette un il à mon assistante qui elle, observe attentivement la couleur liquide. Le bleu du mélange contraste puissamment avec le rouge de ses vêtements.
Je pose le seau, et me retourne pour guetter les environs.
-Ça à l'air bon, le vieux doit être à la messe à c't'heure là... Prête?
-Plus que jamais! me réponds t-elle, enjouée comme un pour un soir de gigue.
-Couleur ?
-Vive et bien touillée!
-Pinceaux ?
-Poilus à souhaits!
Elle se présente, fière et souriante, pieds nus dans la terre humide, un seau coulant de bleu roi vif, et dans l'autre deux bâtonnets dont à une extrémités on à ficelé peu soigneusement une poignée de crin de cheval.
Je m'engouffre derrière une planche mal fixée de la palissade et alors que j'ai un pied dedans, un pied encore dehors, je la regarde très sérieusement.
Si quelque chose tourne mal, Grayne, je veux que tu sache que... Tu auras été mon frère d'arme le plus dévoué dans cette noble cause. Lui déclare-je en plongeant mon regard affecté dans le sien.
Elle acquiesce, avec une moue d'une tristesse infinie. Je baisse les yeux, presque convaincant, puis nous éclatons tout deux de rire.
J'achève de traverser la palissade, elle me tend le seau et les "pinceaux", puis passe à son tour. Un rapide coup d'il, pour s'assurer d'avoir le champ libre. Nous voilà dans une petite basse cour attenante à l'arrière d'une maison de torchis, où caquettent frénétiquement une douzaines de poules. Nous échangeons un regard entendu, saisissant chacun un des pinceaux aussitôt trempé dans la couleur, et le sourire aux lèvres, nous nous lançons à la poursuite des volailles.
Le joyeux désordre commence. Les poules paniquent et courent en tout sens, larguant dans leur sillages de petites plumes virevoltantes. Nous courons à leur suite en tentant de les attraper.
Viens là !J'en ai une! S'écrit -elle en plaquant sa proie contre le sol, d'une main, et la tartinant de bleu de l'autre.
J'accoure, seau en main, pour lui venir en aide.
Laisse tomber les pinceaux, ça marche pas ces machins là! Lui lance-je en posant le seau à coté de la volaille en détresse.
Je saisi la bestiole par le cou et les flans, et la plonge presque entièrement dans la couleur. Quelques finitions, c'est une poule tout à fait bleue que nous relâchons, heureux comme jamais du résultat.
Je regarde celle que considère comme ma sur ou mon frère plutôt, hilare.
On continue?
Elle se précipite en riant vers d'autre proie en guise d'accord, et je fais de même. Nous chantons, crions, rions, dans ce ballet de plumes, de poules bleues au comble de la panique, nous dansons sur la symphonie des caquètement de détresse, saisissant les volailles pour les plonger toute entière dans le bleu roi. J'observe un moment le spectacle, émerveillée devant tant de désordre, riant de plus belle en voyant Grayne se débattre avec une des dernières poules intacte, elle même éclaboussée de bleu roi des bras au visage, et repart en hurlant pour effrayer un peu plus nos créations déjà terrorisées et faire voler un peu plus de plume et de volaille surnaturelle.
Quelques minutes plus tard, nous sommes assis sur le sol, essoufflés et maculés de terre et de couleurs, à contempler notre uvre retrouvant peu à peu son calme.
Grayne me regarde en souriant.
-C'est quand même dommage qu'il n'y ai que nous pour voir ça... Me dit elle, en fronçant les sourcils comme elle le fait lorsqu'elle réfléchit, ou qu'elle à une idée derrière la tête.
-Bah le vieux sera notre publique, rétorque-je en riant, et pour ça il va aimer, ça oui...
-Oui...mais ces pauv' poulettes... Elles doivent avoir envie d'aller se montrer en ville...
Son sourire en coin suffit à nous mettre d'accord. Nous nous levons en souriant malicieusement, et recommençons une chasse aux poules mais cette fois, nous donnons à chaque proie désormais bleue un aperçu de ce qu'elles ont manqué en n'apprenant jamais à voler, alors que nous les lançons de toute nos forces d'enfants par dessus la palissade.
Sur le point de partir, je ramasse un de nos pinceaux inefficaces, et le trempe dans le reste de peinture bleue.
On peut pas partir sans laisser un souvenir à c'vieux fouettard...
En quelques gestes plutôt assurés, je dessine une poule bleue grandeur nature, sur le bas de la palissade, comme si elle était tranquillement en train de picorer quelques grains sur le sol. Je ris en me reculant pour contempler le résultat, et aperçoit ma complice en train de m'imiter, avec plus ou moins de bonheur. Nous éclatons tout deux d'un fou-rire en voyant l'état de la basse cours vide, éclaboussée à tout va de bleu roi et la terre couverte de plume, labourée par nos courses poursuites effrénées.
Un bruit retenti dans la maison attenante, et nous rappelle soudainement lillégalité, bien que tout à fait exagérées, de nos actes créatifs.
Faut pas sattarder là Grayne, sinon on va passer la semaine à se frotter le croupion qule vieux aura fessé à coup dbaton! Lui dis je en la poussant vers la planche branlante de la palissade.
Je jette un dernier coup dil sur notre terrain de jeu éphémère, et je remet la planche en place, comme on baisserait le rideau dun théâtre. Et partons en courant en suivant les traces de pattes et les plumes bleues, se tenant par la main en hurlant comme seul les enfants comprennent pourquoi ils le font.
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