Ingeburge
[Premier jour, tôôôôôôôt le matin]
Ainsi, ils avaient découvert La Roche, en Ardenne. C'était en effet une découverte commune à Ingeburge et à Actarius, et donc à leur entourage habituel, car jamais la première ne s'était rendue sur ses terres du Luxembourg depuis que l'Impératrice Marina Adala Borgia avait validé l'échange des fiefs tenus en théorie en Provence et octroyés alors que déjà occupés par les cagoles provençales contre des fiefs mouvants du domaine royal de Lotharingie et jamais le second n'avait eu de raison de s'y déplacer, jusqu'à ses récentes noces qui avaient fait des terres de La Roche les siennes. Jusque lors, Ingeburge ne s'y était donc pas déplacée, la faute à une levée de ban côté français à laquelle elle avait été contrainte de répondre du fait de son autre marquisat entre temps reçu, la faute à des activités lui prenant beaucoup de temps quand elle ne se retrouvait pas à guerroyer, la faute aussi aux sentiments ambivalents qu'elle éprouvait à l'endroit des Impériaux, sentiments d'ailleurs réciproques; elle s'était donc contentée d'y placer un unique intendant, l'avantage étant que le marquisat de La Roche et le vicomté de Durbuy n'étaient distants que de sept lieues. Régulièrement, elle recevait des rapports et son homme de confiance qui avait géré Cologne par le passé semblait s'être bien intégré parmi ses cousins luxembourgeois; son choix d'envoyer un membre allemand de sa maisonnée s'était révélé pertinent. Un peu d'appréhension mêlée d'excitation avait ainsi présidé à son arrivée, ce qui ne l'avait pas empêchée, quand ils avaient franchi les fortifications de la cité rochoise, de faire arrêter le convoi et de montrer à son é-p-o-u-x d'un index impérieux et fier le château, glissant dans un murmure qu'elle aussi elle en possédait une de forteresse dressée sur un éperon rocheux, éperon d'ailleurs ceinturé par l'Ourthe quand le nid de Phnix du Tournel l'était par le Lot. Mais ce fut aussi une découverte limitée. Ils n'étaient en Ardenne que parce qu'ils avaient été invités à un tournoi de bretteurs à Bouillon et la marquise de La Roche avait profité de l'occasion pour pousser un peu plus au nord. Le couple avait été reçu avec tous les honneurs, autant que faire s'était pu quand l'on était prévenu au dernier moment du débarquement des seigneurs, et la Prinzessin avait promis, quand elle avait fait savoir au cours du petit repas de fête qu'à l'issue de celui-ci le marquis et elle s'enfermeraient avec l'intendant pour examiner les livres de comptes et dresser un état des lieux, qu'ils reviendraient dès que possible. De La Roche finalement, ils n'avaient vu que la ville, et encore que brièvement quand ils l'avaient traversée pour rallier le castel, et de celui-ci, essentiellement l'aula magna où ils avaient donc mangé en compagnie de quelques notables locaux, puis tenu séance avec leur officier, et enfin sacrifié à ce devoir censé leur permettre de pérenniser la lignée Euphor. Le comte du Tournel n'avait pu toucher sa femme depuis des jours, celle-ci ayant en Languedoc constaté avec dépit la manifestation carmine de la nature qui régulièrement se rappelait à son bon souvenir. Certes leur mariage était encore neuf, mais déjà, elle s'impatientait. Le temps de la souillure était passé et une fois qu'ils n'avaient été que deux dans cette grande salle, sans attendre qu'ils se fussent rendus chez eux, elle s'était rapprochée et avait fait savoir sans équivoque, avec cet air détaché qui déplaisant tant au Languedocien, ce qu'elle voulait. Et si elle s'était montrée passive, elle n'en avait pas moins fait, les yeux tournés vers le haut et naviguant du visage d'Actarius au plafond, une autre, de découverte. Elle l'avait révélée d'une voix plate cependant qu'elle se rhabillait :
Il faudra engager incontinent des travaux de réfection des solives.
L'histoire du plafond avait été réglée quand elle avait émergé de l'aula magna pour aller se coucher sans perdre de temps. La nuit serait courte, elle l'avait d'ailleurs été car ils étaient partis bien avant l'aube afin de pouvoir gagner à une bonne quinzaine de lieues au sud Bouillon au matin du début du tournoi. Ingeburge étouffa un bâillement, elle venait de s'éveiller une fois de plus après s'être assoupie. Le rythme alenti de la voiture l'avait, étonnamment, tirée de son endormissement là où les cahots et ornières n'avaient pas été en mesure de la perturber. L'habitude des voyages au long cours lui avaient forgé cette capacité à pourvoir dormir dans les endroits les plus incongrus et dans les conditions les plus exécrables. Cette allure modérée annonçait une arrivée imminente. Les yeux embués de sommeil, elle considéra un instant l'extérieur. Au dehors, son ép-o-u-x chevauchait, en compagnie de son écuyer et des gardes chargés de veiller sur son coche et sur les chariots qui suivaient. Une partie de la mesnie auxerroise avait regagné la Bourgogne emportant avec elle Mette, la petite fille d'Ingeburge, alors qu'une autre demeurait auprès de ses maîtres lors de ce voyage ardennais. La Danoise rabattit le ridelet de velours qui protégeaient les occupants du véhicule et de l'air frais et des regards des curieux. Ces occupants étaient au nombre de deux, Ingeburge donc, placée sur la banquette placée dans le sens de la marche et Naely, sa demoiselle de compagnie, installée face à elle. D'un geste frileux, la Prinzessin resserra les pans de son manteau autour de son cou, ses mains étaient nues, délestées de leurs gants et de leurs bagues, en prévision d'un assoupissement qui était survenu à trois reprises. Il n'y avait donc guère eu de conversation, si ce n'est pour elle de demander à sa compagne de lui donner une pomme ou lui passer un mouchoir et ce d'autant plus que par nature, elle n'était pas causante. Cependant, rompant avec ses habitudes mutiques, elle prévint Naely :
Ce sera bien différent du Tournel.
Ne serait-ce qu'ils étaient désormais au nord. Les paysages entraperçus quand le rideau était ouvert l'indiquaient sans doute possible. Les langues entendues au détour des discussions attrapées dans les auberges où ils avaient fait étape aussi. Mais ce serait également différent pour une autre raison.
Non, ce ne sera pas comme chez nous.
Et par ce « nous », elle voulait dire » moi », ce que n'était pas Le Tournel, en dépit de son mariage avec Actarius, cette union n'était que par trop récente.
Ce sera plus... martial. Encore que pour des joutes équestres, il faut posséder une solide connaissance du combat. C'est peut-être un exercice courtois, mais il n'en est pas moins redoutable; d'aucuns, vous avez pu le constater, peuvent se blesser ou être navrés.
Et ce ne serait pas seulement martial dans le divertissement proposé, l'ambiance serait elle aussi... différente.
Il y aura des soldats, des routiers. Il vous faudra donc rester avec moi ou avec un garde, ce n'est pas un endroit où une jeune fille peut déambuler seule.
Pas plus qu'elle ne pourrait se le permettre, Actarius n'y consentirait de toute façon pas. Ses recommandations assénées, elle répéta :
Oui, ce sera bien différent. Nul doute d'ailleurs que le duc d'Auxerre s'en montre ravi. Son Altesse aime beaucoup la guerre.
Trop. Après tout, c'était par les armes que le Phnix s'était fait, s'extirpant de sa condition paysanne à la faveur de ses engagements militaires successifs. Ce genre d'ambiance lui plaisait assurément.
Au dehors, la rumeur qui leur parvenait confirmait qu'ils touchaient au but. L'immobilisation du coche aussi. Restait à savoir où ils seraient envoyés. Si un campement satisferait monsieur, madame elle avait besoin d'un toit en dur au-dessus de sa tête et de pouvoir se rafraîchir avant d'aller s'installer dans les tribunes pour assister aux premiers duels.
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Ainsi, ils avaient découvert La Roche, en Ardenne. C'était en effet une découverte commune à Ingeburge et à Actarius, et donc à leur entourage habituel, car jamais la première ne s'était rendue sur ses terres du Luxembourg depuis que l'Impératrice Marina Adala Borgia avait validé l'échange des fiefs tenus en théorie en Provence et octroyés alors que déjà occupés par les cagoles provençales contre des fiefs mouvants du domaine royal de Lotharingie et jamais le second n'avait eu de raison de s'y déplacer, jusqu'à ses récentes noces qui avaient fait des terres de La Roche les siennes. Jusque lors, Ingeburge ne s'y était donc pas déplacée, la faute à une levée de ban côté français à laquelle elle avait été contrainte de répondre du fait de son autre marquisat entre temps reçu, la faute à des activités lui prenant beaucoup de temps quand elle ne se retrouvait pas à guerroyer, la faute aussi aux sentiments ambivalents qu'elle éprouvait à l'endroit des Impériaux, sentiments d'ailleurs réciproques; elle s'était donc contentée d'y placer un unique intendant, l'avantage étant que le marquisat de La Roche et le vicomté de Durbuy n'étaient distants que de sept lieues. Régulièrement, elle recevait des rapports et son homme de confiance qui avait géré Cologne par le passé semblait s'être bien intégré parmi ses cousins luxembourgeois; son choix d'envoyer un membre allemand de sa maisonnée s'était révélé pertinent. Un peu d'appréhension mêlée d'excitation avait ainsi présidé à son arrivée, ce qui ne l'avait pas empêchée, quand ils avaient franchi les fortifications de la cité rochoise, de faire arrêter le convoi et de montrer à son é-p-o-u-x d'un index impérieux et fier le château, glissant dans un murmure qu'elle aussi elle en possédait une de forteresse dressée sur un éperon rocheux, éperon d'ailleurs ceinturé par l'Ourthe quand le nid de Phnix du Tournel l'était par le Lot. Mais ce fut aussi une découverte limitée. Ils n'étaient en Ardenne que parce qu'ils avaient été invités à un tournoi de bretteurs à Bouillon et la marquise de La Roche avait profité de l'occasion pour pousser un peu plus au nord. Le couple avait été reçu avec tous les honneurs, autant que faire s'était pu quand l'on était prévenu au dernier moment du débarquement des seigneurs, et la Prinzessin avait promis, quand elle avait fait savoir au cours du petit repas de fête qu'à l'issue de celui-ci le marquis et elle s'enfermeraient avec l'intendant pour examiner les livres de comptes et dresser un état des lieux, qu'ils reviendraient dès que possible. De La Roche finalement, ils n'avaient vu que la ville, et encore que brièvement quand ils l'avaient traversée pour rallier le castel, et de celui-ci, essentiellement l'aula magna où ils avaient donc mangé en compagnie de quelques notables locaux, puis tenu séance avec leur officier, et enfin sacrifié à ce devoir censé leur permettre de pérenniser la lignée Euphor. Le comte du Tournel n'avait pu toucher sa femme depuis des jours, celle-ci ayant en Languedoc constaté avec dépit la manifestation carmine de la nature qui régulièrement se rappelait à son bon souvenir. Certes leur mariage était encore neuf, mais déjà, elle s'impatientait. Le temps de la souillure était passé et une fois qu'ils n'avaient été que deux dans cette grande salle, sans attendre qu'ils se fussent rendus chez eux, elle s'était rapprochée et avait fait savoir sans équivoque, avec cet air détaché qui déplaisant tant au Languedocien, ce qu'elle voulait. Et si elle s'était montrée passive, elle n'en avait pas moins fait, les yeux tournés vers le haut et naviguant du visage d'Actarius au plafond, une autre, de découverte. Elle l'avait révélée d'une voix plate cependant qu'elle se rhabillait :
Il faudra engager incontinent des travaux de réfection des solives.
L'histoire du plafond avait été réglée quand elle avait émergé de l'aula magna pour aller se coucher sans perdre de temps. La nuit serait courte, elle l'avait d'ailleurs été car ils étaient partis bien avant l'aube afin de pouvoir gagner à une bonne quinzaine de lieues au sud Bouillon au matin du début du tournoi. Ingeburge étouffa un bâillement, elle venait de s'éveiller une fois de plus après s'être assoupie. Le rythme alenti de la voiture l'avait, étonnamment, tirée de son endormissement là où les cahots et ornières n'avaient pas été en mesure de la perturber. L'habitude des voyages au long cours lui avaient forgé cette capacité à pourvoir dormir dans les endroits les plus incongrus et dans les conditions les plus exécrables. Cette allure modérée annonçait une arrivée imminente. Les yeux embués de sommeil, elle considéra un instant l'extérieur. Au dehors, son ép-o-u-x chevauchait, en compagnie de son écuyer et des gardes chargés de veiller sur son coche et sur les chariots qui suivaient. Une partie de la mesnie auxerroise avait regagné la Bourgogne emportant avec elle Mette, la petite fille d'Ingeburge, alors qu'une autre demeurait auprès de ses maîtres lors de ce voyage ardennais. La Danoise rabattit le ridelet de velours qui protégeaient les occupants du véhicule et de l'air frais et des regards des curieux. Ces occupants étaient au nombre de deux, Ingeburge donc, placée sur la banquette placée dans le sens de la marche et Naely, sa demoiselle de compagnie, installée face à elle. D'un geste frileux, la Prinzessin resserra les pans de son manteau autour de son cou, ses mains étaient nues, délestées de leurs gants et de leurs bagues, en prévision d'un assoupissement qui était survenu à trois reprises. Il n'y avait donc guère eu de conversation, si ce n'est pour elle de demander à sa compagne de lui donner une pomme ou lui passer un mouchoir et ce d'autant plus que par nature, elle n'était pas causante. Cependant, rompant avec ses habitudes mutiques, elle prévint Naely :
Ce sera bien différent du Tournel.
Ne serait-ce qu'ils étaient désormais au nord. Les paysages entraperçus quand le rideau était ouvert l'indiquaient sans doute possible. Les langues entendues au détour des discussions attrapées dans les auberges où ils avaient fait étape aussi. Mais ce serait également différent pour une autre raison.
Non, ce ne sera pas comme chez nous.
Et par ce « nous », elle voulait dire » moi », ce que n'était pas Le Tournel, en dépit de son mariage avec Actarius, cette union n'était que par trop récente.
Ce sera plus... martial. Encore que pour des joutes équestres, il faut posséder une solide connaissance du combat. C'est peut-être un exercice courtois, mais il n'en est pas moins redoutable; d'aucuns, vous avez pu le constater, peuvent se blesser ou être navrés.
Et ce ne serait pas seulement martial dans le divertissement proposé, l'ambiance serait elle aussi... différente.
Il y aura des soldats, des routiers. Il vous faudra donc rester avec moi ou avec un garde, ce n'est pas un endroit où une jeune fille peut déambuler seule.
Pas plus qu'elle ne pourrait se le permettre, Actarius n'y consentirait de toute façon pas. Ses recommandations assénées, elle répéta :
Oui, ce sera bien différent. Nul doute d'ailleurs que le duc d'Auxerre s'en montre ravi. Son Altesse aime beaucoup la guerre.
Trop. Après tout, c'était par les armes que le Phnix s'était fait, s'extirpant de sa condition paysanne à la faveur de ses engagements militaires successifs. Ce genre d'ambiance lui plaisait assurément.
Au dehors, la rumeur qui leur parvenait confirmait qu'ils touchaient au but. L'immobilisation du coche aussi. Restait à savoir où ils seraient envoyés. Si un campement satisferait monsieur, madame elle avait besoin d'un toit en dur au-dessus de sa tête et de pouvoir se rafraîchir avant d'aller s'installer dans les tribunes pour assister aux premiers duels.
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