Kheldar
La minuit était passée depuis longtemps, et seule la Lune éclairait la scène de sa timide lueur. Une nuit sans étoiles. Une triste nuit. Et le rêveur s'agitait pendant son sommeil. Le campement du rêveur avait été monté avec une efficacité dû à une longue pratique. Les quatre alarmes avaient été méthodiquement disposées et la poignée d'une large épée restait à portée de la main en cas de réveil précipité. Les braies d'un feu mourant apportait au mercenaire la chaleur nécessaire à un sommeil qui aurait dû être paisible. Mais il n'en était rien. L'on dit que les guerriers ne dorment que très peu, et c'est une vérité vraie. Les raisons sont pourtant méconnues du commun des mortels, du paysan à la vie tristement banale, s'occupant de son champs la journée et rejoignant de sympathiques amis à la taverne après le labeur avant de retrouver leur maison, honorer leur femme et recommencer le lendemain. Une vie sans saveur pour qui avait choisit le métier de la guerre. Ils avaient des appellations différentes, des motivations différentes, mais tous étaient liés par une fascination envers les armes et la violence, à un degré différent toutefois. Soldat, Chevalier, Mercenaire, Bandit, Ecorcheur. Tous avaient le même métier, et les raisons qu'ils donnaient pour le pratiquer n'étaient à ses yeux qu'une façade. Ils aimaient combattre. Tuer pour la plupart d'entre eux. Faire souffrir pour un cercle plus fermé.
Vision d'un champs de bataille au milieu duquel le rêveur se tien. La scène se passe il y a plus de cinq ans, lors d'une guerre entre duchés voisins. L'Anjou et la Tourraine. Un champs de bataille classique, monceaux de cadavres brisés et mutilés jonchant le sol d'une prairie où il faisait encore bon vivre la veille de cet assaut sanglant, où la démence des hommes et leur propension à la violence s'étaient déchainés. Les hommes s'entretuent depuis le commencement des temps, les mentalités n'évoluaient, et n'évolueraient jamais. C'était la nature humaine. Bestiale et sans pitié. Les hommes se cachaient de leur nature de diverses manières. La bienséance, la civilisation et autre appellation courtoises. Mais les chevaliers qui parlaient de romance aux dames, de paix et de protéger les opprimés, avaient la même lueur dans le regard que les rudes mercenaires sans foi ni loi lors d'un combat. La même grimace hideuse qui déformait leur visage lorsque le sang leur montait à la tête, les submergeant d'adrénaline. L'appel du sang, de la gloire et du carnage raisonnait aussi fort dans leur tête. Seule la manière de l'exprimer était différente. Il le faisait au nom des autres, voire au nom du Très Haut. Il avait bon dos, ce fameux Très Haut au nom duquel les hommes s'entretuaient tels des fanatiques avides d'honorer cette entité en répandant le sang.
Le mercenaire croyait en Azazel, Démon Majeur. Il ne s'en cachait pas, et cela lui paraissait tout aussi légitime que d'adorer le Très haut. Que cela soit au nom de l'un ou de l'autre, les hommes tuaient au nom d'une entité. Peu importe qu'elle fut bonne et maléfique, leurs séides tuaient tout autant. Kheldar était son actuel nom d'emprunt. Il en avait porté plusieurs, tout comme il s'était composé plusieurs visages. Il avait combattu au nom du Très Haut, au nom de lui même, et désormais il combattait au nom d'Azazel, répandant le sang comme tout les guerriers, à la différence qu'il ne tentait pas de se trouver une raison morale autre que la plus primaire d'entre elles. La Loi du plus fort. La plus élémentaire et immuable des lois. Les autres lois, définies par ceux qui se faisaient appeler les puissants pour apporter un semblant d'Ordre à leur communauté, n'étaient qu'une façade destinées à masquer leur soif de combats. Car il y avait plusieurs reflets dans l'âme de l'homme moyen, et certains arrivaient même à se persuader qu'ils étaient pacifiques, n'ayant jamais ressentis de pensées sanguinaires ou cédés à la violence. Mais l'homme ayant assisté à l'odieux viol de sa mère et de ses surs, alors qu'il était agenouillé et enchainé, ne pouvait que songer à la violence. Il aurait pu se destiner à la vie de prêtre, mais la vie en avait décidé autrement. Et l'homme qui se targuait d'être imperméable à la violence, avait tout simplement eu la chance de ne pas avoir été à sa place. Il était aisé de s'en vanter, mais Kheldar était persuadé, dans le secret de son âme, que les meilleurs des hommes ne l'étaient que parce que la vie les avaient épargnés.
Le visage du rêveur se tendit alors que le rêve subissait de nouveaux cahots. L'épée avait transpercé les mailles et le mercenaire pouvait encore en ressentir la froide morsure. Cela faisait pourtant cinq ans. Il avait connu maintes guerres, même avant celle ci. Mais il avait été blessé pour la première fois par une lame angevine, et c'était un souvenir qui primait sur la plupart des autres, à l'instar de son premier mort, et du viol de sa famille ayant eu lieu sous ses yeux d'homme vaincu, humilité et en proie à une haine et une souffrance inextinguible. Le mal couvait en chacun des hommes. Ceux qui avaient soufferts avaient seulement plus de mal à le contenir que les autres. Ils étaient appelés meurtriers, assassins, brigands, et étaient traqués par les lois érigées par les hommes dont le mal restait enfouit. La volonté seule de l'homme ne permettait pourtant pas de décider. Un enfant dont le village avait été rasé par des soldats en temps de guerre, sera traqué comme un criminel après avoir tenté de se venger à l'âge adulte. Et les instances qui le poursuivraient seraient persuadé de sa culpabilité, de son gout prononcé pour la violence alors qu'il l'avait lui même subit par leurs soldats étant enfant. La justice était la plus grande farce de la vie car il n'y avait pas plus injuste que ses lois.
Le craquement sec d'une branche, témoignant de l'efficacité de ses alarmes, tira le guerrier de sa rêverie. La main se tendit vers la poignée de son épée, et l'instant d'après Kheldar était debout, genoux fléchis, lame au clair, ses yeux couleur gris acier à l'affût du moindres mouvement. La paranoïa était une maladie, mais elle avait ça de bon qu'elle gardait son propriétaire sur le qui vive en toute circonstance. La vie ne l'avait pas épargné, et la survie, plus que la vie, primait sur tout le reste. Un calme froid l'envahit alors qu'il compensait la décharge d'adrénaline que procurait la perspective d'un éventuel combat. L'envie de meurtre, l'envie de briser et de mutiler la forme de vie qui avait déclenchée l'alarme. Son sang froid prit lentement le dessus, ses épaules se relâchèrent et à pas de loups il entreprit de se diriger vers les fourrés, sans baisser sa garde ni sa vigilance. La guerre était une drogue, elle le suivrait où qu'il aille, même s'il changeait constamment de nom, de visage et même parfois de personnalité. La cruauté de la vie était telle qu'elle pouvait lui infliger tout les maux sans raisons particulières. Un homme torturé par les aléas de la vie pouvait l'attendre derrière ces fourrés, une absence totale de raison dans le regard et prêt à le torturer pour le plaisir s'il en avait l'occasion. Un homme qui aurait pu être un homme de bien si la vie l'avait laissé grandir dans l'innocence. La guerre, la violence, la haine. Ils étaient légions ces mots, et plus encore ceux qu'ils avaient pervertis.
A pas lents, le mercenaire se rapprocha de l'alarme brisée. Et son cur manqua un battement lorsqu'il avisa la jeune femme dont la cheville était fermement emprisonnée par la corde.
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