Judas
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Le seigneur est attablé, visage déformé de ses plis par une main qui le barre. Le vin a déserté les cruchons qui s'entassent, vides, non loin de la lettre. Le mutisme ambiant semble avoir figé la scène comme sur un tableau italien, l'oeil est vitreux. Judas a bu. Pas de cet alcool facile qu'il taquine tous les jours, autour d'une discussion. De celui plus perfide qui démolit les certitudes et fait refaire le monde, sa vie, des ennemis. Une à une, les questions sont revenues, myriade de petits rouages mal huilés qui se heurtent les uns aux autres. Et comme à chaque fois qu'il est ivre de cet alcool là, celui de l'Anaon, le seigneur s'épanche. Il s'épanche seul, en repli sur lui même. ôtage de sa tête.
Le visage a fatalement imprimé la marque de sa main, à force de cette pression qui rougit ses joues. Et Judas n'a fatalement plus rien imprimé après le second cruchon. Il en a brisé deux autres, qui gisent au sol, l'histoire ne raconte pas comment ni pourquoi. Mais les yeux, les noirs de jais, ceux là peuvent encore parler. Parler du vide. Du vide qui les a pris. La rengaine est toujours la même. Il pense à l'inextricable bourbier dans lequel il a laissé la Roide s'engluer, et les solutions avec, à force d'avancer sans vouloir regarder derrière. Il pense à son envie de rétablir les choses, puisque c'est en son pouvoir, et selon son unique bon vouloir qu'elles le peuvent être. Il rumine. Incapable de faire un geste, alors qu'il se laisse enfoncer dans ses propres précautions.
Pas d'échanges. Pas de signe. Pourtant il y a un mois il a brisé son omerta. Et ce fut un échec cuisant. Attablé, oui là, comme une statue de sel, Judas se débat. Elle n'avait pas compris. La mèche, elle n'avait pas saisit l'ampleur du message. Pourquoi n'a t-il pas pris la peine d'être explicite? Pourquoi toujours se persuader que c'est tout ce qu'il lui faut pour comprendre. Qu'elle s'en contentera et que les choses iront dans le sens qu'il aura défini comme étant le bon. Noyade interne. Bouffée d'angoisse. Comme un spasme, la main agrippe la plume. Il est ivre, et soudain luisant de lucidité. Serait-ce du bon sens... Ou enfin... Du courage? ... Il est temps se remuer le cul avant de couler par le fond, à le regarder enfler sur sa chaise jusqu'à se faire engloutir par son orgueil.
- [Tu le verras, je te le promet. Tu le verras grandir et te ressembler, laisse moi lui donner une vie sans déshonneur...]
De Judas, à Anaon. - Le triptyque d'hyménée part III.
Le seigneur est attablé, visage déformé de ses plis par une main qui le barre. Le vin a déserté les cruchons qui s'entassent, vides, non loin de la lettre. Le mutisme ambiant semble avoir figé la scène comme sur un tableau italien, l'oeil est vitreux. Judas a bu. Pas de cet alcool facile qu'il taquine tous les jours, autour d'une discussion. De celui plus perfide qui démolit les certitudes et fait refaire le monde, sa vie, des ennemis. Une à une, les questions sont revenues, myriade de petits rouages mal huilés qui se heurtent les uns aux autres. Et comme à chaque fois qu'il est ivre de cet alcool là, celui de l'Anaon, le seigneur s'épanche. Il s'épanche seul, en repli sur lui même. ôtage de sa tête.
Le visage a fatalement imprimé la marque de sa main, à force de cette pression qui rougit ses joues. Et Judas n'a fatalement plus rien imprimé après le second cruchon. Il en a brisé deux autres, qui gisent au sol, l'histoire ne raconte pas comment ni pourquoi. Mais les yeux, les noirs de jais, ceux là peuvent encore parler. Parler du vide. Du vide qui les a pris. La rengaine est toujours la même. Il pense à l'inextricable bourbier dans lequel il a laissé la Roide s'engluer, et les solutions avec, à force d'avancer sans vouloir regarder derrière. Il pense à son envie de rétablir les choses, puisque c'est en son pouvoir, et selon son unique bon vouloir qu'elles le peuvent être. Il rumine. Incapable de faire un geste, alors qu'il se laisse enfoncer dans ses propres précautions.
Pas d'échanges. Pas de signe. Pourtant il y a un mois il a brisé son omerta. Et ce fut un échec cuisant. Attablé, oui là, comme une statue de sel, Judas se débat. Elle n'avait pas compris. La mèche, elle n'avait pas saisit l'ampleur du message. Pourquoi n'a t-il pas pris la peine d'être explicite? Pourquoi toujours se persuader que c'est tout ce qu'il lui faut pour comprendre. Qu'elle s'en contentera et que les choses iront dans le sens qu'il aura défini comme étant le bon. Noyade interne. Bouffée d'angoisse. Comme un spasme, la main agrippe la plume. Il est ivre, et soudain luisant de lucidité. Serait-ce du bon sens... Ou enfin... Du courage? ... Il est temps se remuer le cul avant de couler par le fond, à le regarder enfler sur sa chaise jusqu'à se faire engloutir par son orgueil.
Citation:
- Ann
mon Ann. Je n'ose croire qu'un coeur de porc en putréfaction et quelques poudres de chez moi peuvent à elles seules résumer ce que tu as à répondre à la mèche de cheveux brune de ton fils, celle que je t'ai fait parvenir il y a quelques temps. Je pensais qu'avoir des nouvelles de ton enfant t'apaiserait, mais je n'ai eu pour retour que le néfaste d'une colère qui a guidé ta vengeance. La vengeance, habituellement, c'est mon crédo. Je suis ce que je suis, et si jamais c'est mon image que tu cherchais à me renvoyer, abstiens-toi. Les longs mois de silence que je t'ai imposés devaient servir à bien autre chose qu'aiguiser ta rancune...
Ce devait être un temps de latence... Comme un hiver pour amorcer un printemps. Non bien entendu, je ne suis pas entrain de te dire qu'après ces mois loin de l'enfant, j'escomptais revenir, lui dans mes bras. Te le ramener, comme un présent. Comme si je n'avais pas imposé une volonté à laquelle tu ne pouvais pas, au moment M, te soustraire... Ce serait t'insulter. Mais tu as raté l'objet de mon message. Oui, tu as réagi comme je l'aurais fait, avant. Vite et sans désirer comprendre les enjeux.
J'étais venu te parler de notre fils. J'étais venu te dire qu'il se porte bien, et que ses cheveux ont poussés. Que son prénom complet est Amadeus Foulques Kenan Von Frayner, et qu'il a été baptisé par Rome. J'aurais pu ensuite, si tu m'avais laissé continuer, te dire qu'il a exactement les mêmes yeux que toi, et que ses cheveux sont raides, d'un noir ébène. Que sa peau est pâle comme l'hiver que tu affectionnes tant. Que parfois je crois y sentir ton odeur. J'ai craint seulement ton silence à mon pli, il m'aurait annoncé que tu avais renoncé. A ton fils, et à moi. Ta réaction me parle davantage. Elle m'est familière... C'est une réaction pour parler à ma façon, comme un message écrit de ma main. N'es tu pas lasse? C'est ce que je ressentais, lorsque j'agissais ainsi. Le vide de la lassitude après l'acte d'assouvissement. Depuis que je t'ai laissée à Saumur, j'ai accepté d'avoir pour compagnon ce gouffre. Je crois que j'ai vieilli. Et je crois que tu me manques. Je sais que je t'aime encore, et que ça n'est pas quelque chose que je puisse maitriser. Puisque par cet enfant nous sommes liés à jamais, je crains avoir renoncé à le maitriser. Puisque je ne t'aurais jamais comme il le faudrait et que je n'y puis rien, je crains avoir renoncé à le maitriser.
Je ne veux pas que tu me répondes. Je redoute une nouvelle méprise, qui enrayerait ce que je me donne tant de mal à te dire. T'écrire. Lassitude n'engendre pas abandon. Lassitude n'engendre pas renoncement. Et c'est ce que je redoute oui. Que tu me pousses sur des sentiers escarpés, mauvais et glissants. Là où l'homme n'est plus rien, face à la nature. A sa nature. Face à l'irréversible. Je m'épanche ... Pour des mois à rattraper ce que je sais perdu.
Le vingt et unième jour de décembre, je porterai ton fils aux bras sur le blanc manteau de la cour de Petit Bolchen. Je lui montrerai la fenêtre de la chambre qui fut la notre.
- Et je laisserai la herse ouverte.
J.
Exhalaison salvatrice. Voilà. Il était temps de retrouver la saccade douloureuse et agitée dans sa poitrine. Judas s'écroule sur la table, lentement, mais sûrement. La nuit fait et défait.
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