Shirine
- Dans une taverne,
Quelque part en Confédération Helvétique.
Il y a diverses façons d'oublier un homme.
Ne plus lui parler, boire, coucher à droite et à gauche, fuir loin de lui, en aimer un autre, faire un enfant, aller risquer sa vie au front...
Shirine les a toutes essayées. Sans succès. Un seul reste là dans son coeur, surtout dans sa tête, son esprit, envahissant la moindre parcelle de son corps. Un seul lui soulève les tripes et la laisse suffocante dans l'attente d'une de ses lettres. Un seul pour lui donner envie de se jeter dans le vide par seul manque de sa présence. Un seul qui lui demanderait de s'arracher le coeur pour le lui offrir, qu'elle le ferait sans hésiter et déposerait à côté tout le reste de son être. Et elle lui dirait : tiens, prends, prends tout, ça n'a aucune valeur sans toi, ça n'est rien, rien que cendres et sanglots. Tout ne vit que parce que tu vis, parce tu me regardes, parce que tu me parles, que parce que tu m'accordes au moins une miette d'importance.
Et elle lui dirait bien plus, si elle en avait le courage, si elle ne savait pas déjà qu'il ne voudrait jamais d'elle, si seulement il pouvait lui dire la même chose...
Ses longs doigts se resserrent autour du verre qu'elle vient de vider d'une traite avant de le poser violemment sur la table en bois, au milieu d'une dizaine d'autres. Un instant, son front s'appuie sur cette dernière et elle ferme les yeux, à peine quelques secondes. Ca tourne tellement qu'elle les rouvre avant d'avoir vraiment envie de vomir. Sa main se lève finalement avec le verre.
Un autre ! Articule-t-elle au tavernier qui se trouve face à elle derrière son comptoir.
Ce dernier la regarde d'un air dédaigneux, qu'elle ne peut pas voir, la face contre la table.
Non, t'en as eu assez pour aujourd'hui.
La main toujours en l'air, la rouquine relève la tête avec autant de rapidité que son état le lui permet.
Qu'est-ce que ça peut bien te foutre, puisque je paye !
Elle plisse ses yeux pour essayer de le regarder méchamment, se demandant lequel des deux qu'elle voit est le vrai.
Il l'ignore, préférant essuyer ses verres sans la regarder. Ce qui a le don d'énerver Shirine qui n'a jamais été ni tendre, ni patiente, même sobre.
Bordel ! Resserre-moi je t'ai dit !
Elle se lève en chancelant. Quelques personnes se retournent mais elle ne quitte pas des yeux le tavernier qui continue de faire comme si elle n'existait pas.
Le sang de la Sicaire bouillonne. Elle n'est pas d'humeur et prête à aller lui foutre son poing dans la gueule s'il n'obtempère pas. Ca la calmera.
Elle lâche un cri rageur tout en balançant son verre dans la direction de l'impudent.
Si j'ai pas mon verre tout de suite je te jure que je viens t'écraser ta sale face de m*rde sur ton comptoir de m*rde ! M'oblige pas à me déplacer ! Lui hurle-t-elle dessus à s'en arracher les poumons.
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