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[RP] Ceci est mon caillou

Johannes
Trois sous en poche, le temps peut passer autant qu'il veut, ça fournit pas son blé. Trois sous en poche Blondin, et quoi d'autre ?, un peu de pain, un peu de carne séchée pour tenir son homme debout, tes jambes et ton âge. C'est comme ça qu'on sort des longues retraites, pas plus riche mais un peu lavé du passé. Ça enlève seulement, ça apporte pas grand chose. Le bout des doigts un peu plus dur, un petit sentiment de pureté, de quoi bien se marrer deux heures plus tard quand on s'avise de comme on a été bien con.

Blondin se penche vers sa besace voir ce qu'il a gardé de sa vie, le pain, la viande, un peu d'encre chipée mais plus de papiers et tes lettres crétin, tu les as toutes jetées. Ça pèsera pas bien lourd dans la balance du dernier instant. Une pipe, un reste de feuilles, un bout de charbon, une chemise dégueulasse. Pas de quoi faire pencher les choses de ton côté, mais tu t'en tapes, t'as pas la foi – suffit juste de pas le dire et ça passera comme d'habitude. Un truc rêche dans le fond du sac, qui tient dans la paume de ta main.

C'est'un caillou, qu'est-ce qu'il fout là ? Comment qu'est-il arrivé ici ? On avait fait le ménage bordel, personne ne ramasse des cailloux depuis des mois. Tu pleures petit caillou ? T'as perdu ta mère, ton ch'min ? J'peux pas t'aider, moi j'ai perdu ma corde et la mémoire qui va avec, tu sais, quand on prend l'âge, le temps de derrière il s'emmêle, ça devient un grand bloc comme ça et les souvenirs s'alignent en rang, leurs importances s'égalisent et quand on s'en rend compte, le souvenir d'un bon vin devient aussi bandant que celui de son mariage.

Remarque, j'en sais rien, jamais j'me suis marié. Et puis on s'en fout. Blondin fixe connement le caillou dans sa paume, dans sa tête ça chauffe à blanc. Pour ne pas se perdre, se souvenir du caillou. Il reste quand même bloqué quelques minutes, c'est triste. Tout fout l'camp ma bonne dame, y'a rien à faire, faut s'résigner. Tais-toi, j'suis pas rongé jusqu'au trognon, ça m'revient. Le caillou, c'est une gamine qui m'l'a offert. Flottante, pâle et en armure. Là. En mai je l'ai reçu, le caillou de la guerrière en herbe. Quoi ? Tu vois ? J'tiens encore la route.

_________________
[...]
Luzerne
Depuis le mois de mai, le temps ne veut pas vraiment s'imprimer.
Elle se souvient de cette Genève qui lui a tant plu. Elle a préféré ne pas se demander pourquoi.
Puis un drôle de baiser, si longtemps annoncé, envisagé, espéré et bien bizarrement échangé, une chemise blanche en troc à la porte d'une chambre d'auberge en guise de doudou, un retour de chemise, une petite poitrine rapidement dévoilée, une absence, une disparition, une lettre tentant d'expliquer vaguement le tout, et finalement, ultimement, un petit caillou en guise de cadeau.
En gros, trois fois rien. Et même trois fois rien du tout. Et d'ailleurs cela faisait combien trois fois rien du tout? C'était un peu comme le nombre de lapins pour faire un saint bernard... Elle ne savait pas combien ça faisait. Mais elle savait qu'ils ne seraient pas tombés d'accord.
N'empêche que pour Luzerne, trois fois rien du tout, ça faisait du genre énorme. Elle ne faisait jamais de cadeaux. Ou plutôt, n'avait jamais fait de cadeaux. Là elle en avait fait un. Une fois dans sa vie. Le jamais n'était donc plus de mise. Geste maladroit, enfantin pour tenter d'exprimer quelque chose de l'ordre de la pensée, du manque, sans avoir à y glisser un seul mot d'explication. C'est que le caillou était à peu près aussi sauvage et hermétique que sa distributrice. Et la brindille ne causait guère...
Longtemps après son départ de Genève, elle avait espéré que son salut minéral recevrait une forme de réponse, mais rien n'était venu. La cuivrée, en digne désespérée, n'oubliait jamais rien de ce qui lui était important, mais n'insistait en rien pour autant. Sans rien exprimer de particulier, regard vert insondable, elle avait donc suivi une de ses connaissance savoyarde dans une nouvelle et autre guerre absurde. Mais après tout pourquoi pas?
Luzerne, n'a jamais détesté l'absurdité.
Johannes
« Ce petit caillou me gratte la fesse, j'arrive pas à ronfler. »

Ce petit caillou a une conscience.

« Non, ce petit caillou, c'est la petite dame en armure, c'est Luzerne, et Luzerne vois-tu, pour cette nuit, je la pose sur le sol. Elle ne m'en voudra pas. »

Il faudrait que tu arrêtes de poser les femmes par terre. Ça ne fait pas très gentilhomme.

« Je ne suis pas un gentilhomme, d'abord. J'suis même pas gentil. Et c'est pas ma faute si Luzerne me gratte la fesse ce soir. »

Combien, pour le poids d'un gros chien, faudrait-il...

« … j'aimerais dormir. Vraiment. »

Ce petit caillou mérite un peu de respect et d'attention. Je te rappelle que tu as vu mes seins.

« Q... Non. »

Si si. Souviens-toi.

« ça n'était pas forcément intentionnel. C'était à Genève, c'est comme une fois au chalet hein... Bon, soit. Je les ai vus, dans toute ma faiblesse, c'était menu, c'est gravé en tête. »

Tu m'as embrassé aussi.

« Je n'roule pas d'pelles à des cailloux. J'ai des vices très classiques. Mens en silence, j'aimerais pioncer. »

Je ne mens pas !

« Je ne t'ai pas embrassé. »

Ta mémoire fait honte à la race des hommes. Tu n'es qu'un abject...

« Je ne t'aurais jamais embrassé ! »

… une abjecte raclure, bonne à se taper des filles de joie, laides, et borgnes, et puantes...

« Je ne t'ai pas... »

Tu ne te souviens pas ?

« Non. »



« Je l'ai fait ? »



« Bah merdre alors. C'est tout flou. Parce que dans mon crâne, j't'aurais pas touché. C'comme une règle, une règle apparue avant toi. Ne pas faire le mignon avec les blondes en armure, essayé déjà, ça se termine toujours foireusement. Entends bien que c'est ma faiblesse, et puis t'étais un peu flottante. Je me rappelle de trucs, même que j'aurais bien passé quelques heures de plus à te tirer les vers du nez, à te faire causer de guerre et tout. Même que tu flottais dans cette chemise. Mais j'voulais pas te toucher, parce que les armurées, c'est toujours un peu plus fragile à l'intérieur que les filles bêtes, et moi je suis pas doué pour passer dans une vie en douce. En tout cas ça s'est vérifié. Et puis j'en aurais retiré quoi ? »

ça.

« ça quoi ? »

Un petit caillou qui te gratte la fesse.
_________________
[...]
Luzerne
Comme à son habitude, Luzerne - qui s'apprêtait à réintégrer une armée pour Dieu sait où en Bourgogne - était assise sur un lit de camp et faisait son maigre inventaire. A la fois précise dans ses gestes et ailleurs dans ses pensées, la frêle fille, à la dégaine musclée et nerveuse, se demandait où ces nouveaux pas allaient la conduire et surtout pourquoi une fois de plus elle rempilait?!
Quand on l'interrogeait sur sa "cause", un très léger sourire asymétrique flottait sur sa grande bouche pensive.
La cause, sa cause... Quelle cause? Elle ne pouvait décemment pas répondre que "Dieu" lui avait donné un corps et un souffle pour animer ce dernier et que elle, il fallait bien qu'elle fasse quelque chose de sa peau et du temps qui lui était imparti. Et pendant que les autres s'échauffaient en taverne, elle assumait ce pare-ennui militaire et suivait les discussions animées d'un regard poliment morne...
L'inventaire terminé et soigneusement rangé dans la musette de soldat, Luzerne se laissa aller en arrière sur son lit et regarda la toile de tente qui battait mollement au dessus de sa tête. La cuivrée était à 1000 lieues de se douter que son cadeau s'était réveillé dans la poche de son propriétaire et méritait maintenant le nom de Jiminy Caillou...
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