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[RP] Dessine-moi.

Alphonse_tabouret
Les pas étaient précipités, et suivaient la gitane qui les bras chargés, volait de pas en pas, presque sans toucher le sol, oiseau ensanglanté dont la course éperdue avait tout de l’urgence que requiert parfois la vie. Et lui, suivait, sans bien savoir pourquoi, peut être juste parce que le ton d’Axelle ne portait en lui aucune compromission, parce que, même inutile comme il ne manquerait pas de l’être, l’ordre était donné jusque dans la syllabe, intransigeant, désespéré.
Les directives avaient été criées jusqu’à l’autre bout de la maison, et l’effervescence avait contaminé la moindre ombre de la demeure quand Axelle et Alphonse avaient quitté les premiers le havre de pierre pour rejoindre le bouillonnement vert de la forêt avant de déboucher sur la clairière où les pigments n’avaient plus leur place quand dans la flamme rousse qui suspendait le temps de son agonie.

Rarement dans sa vie Alphonse se sentit plus inutile, insignifiant et déplacé qu’à cet instant ci.
Depuis son arrivée en Bretagne, depuis qu’il avait rejoint les murs de Cholet, le regard sévère de Chimera ne lâchait pas son ombre dès qu’elle rentrait dans son champ de vision, froide, hargneuse, chancelante. Si le chat ne s’en offusquait pas, laissant le soin aux autres de le juger sans jamais chercher le démenti, curieux des extrapolations et de l’imagination, peu habitué à ce que l’on fasse cas de ses ressentis, il avait appris à éviter la régente autant que possible sous son propre toit. Les amabilités étaient dispensées au strict minimum et il n’alimentait la mauvaise humeur de Sa Grandeur qu’au minimum par respect pour Annelyse et Axelle qui semblaient, elles, s’être entichée de la mégère.

Et pourtant, Goliath à terre, il se sentit un David de trop.

Pourquoi diable Axelle était-elle venue le chercher, et pourquoi avait-il suivi avec cet empressement imbécile, les pas précipités de la gitane jusqu’à la désagréable facétie que le hasard choisissait de lui soumette aujourd’hui…
Bruissant dans toute son âme, les fils entrecoupés du destin qui se tissaient autour de lui depuis quelques mois s'entichèrent de ce nouveau canevas et noyé dans les visions du ventre rond d'Axelle et du sourire de Maltea, il perdit pied, une seconde, le temps d'une respiration. Trop peu savant pour être médicastre, trop embourgeoisé pour avoir accouché un quelconque animal, Alphonse, comptable de vingt-quatre ans, porta le regard sur Chimera, pour la première fois détaché de tous ces masques, de toutes les poses auxquelles il l’avait soumise jusqu’alors, balayé par l’image de ce corps en souffrance d’une délivrance, comprenant jusque dans sa chair la torture à venir de la douleur qui enfantait, il avança, les sens hagards quand ses tempes prenaient le relai de leur logique la plus immédiate, jusqu’à s’agenouiller à côté d’elle.
La main fraiche du brun vint chercher le visage de la bretonne, délicate, sans la moindre sensualité, le geste pourtant enrobé d’une tendresse rassurante et chassa du front la pellicule humide qui s’y était formée, apposant au regard le sien, et demandant, calme:


-N’y a-t-il aucune chance que je puisse vous transporter jusqu’à Cholet ?
_________________
Chimera
    [On avait dit « Not Just Anybody »!]

Contre la vie fugitive la fauve a lutté, et le corps prend doucement les stigmates de l’effort en cours malgré les réticences rousses. Elle guette, depuis bientôt une éternité, le visage ami –ou pas, plus d’importance- d’une femme, mère, ovate, experte de l’expérience qu’elle ait été vécue d’un bord ou de l’autre. Azylys, Elizabeth, souvenirs de promesses d’accompagnement que la chi-mère, dans son mutisme antérieur, n’a pas communiquées. Il serait vite l’heure de les regretter.
Alors que déboule Axelle en la compagnie élue, la comtesse en souffrance s’accorde le privilège d’un bref nota bene. Il est l’heure de les regretter. Dans sa demeure, elle n’a pas trouvé plus judicieux que le dandy qui vient. Personne ne s’était donc alarmé du vacarme qu’elle avait du faire en déboulant ? Les azurines se vissent sur les pupilles d’onyx, troublées sans s’autoriser à se montrer outrées, par simple respect pour le choix qu’elles ont laissé. La comtesse n’est pas en position de se montrer hautaine. Doublement contrainte à l’humilité, elle concède une acceptation de plus à l’impulsive. Et pourtant, lui, l’homme abeille. Un coup d’œil suffit à invoquer le souvenir de cette soirée où les amicaux sentiments à l’initiale développés s’étaient évaporés. Il avait suffit d’une courbette et d‘un sourire trop appuyé à sa parente, consécutif aux œillades à Axelle, pour que la susceptible se fasse girouette et passe des sourires aux traits assassins. Alphonse l’ignore sans doute encore, mais c’est là un point qu’ils ont en commun. Il apprendra plus tard, peut être, que le dédain qui lui est témoigné est plus issu des méandres torturés de l’autocritique que d’un jugement dont elle a déjà plusieurs fois fait la désagréable expérience. Bon produit des valeurs du temps, elle se dégoute, quand elle y pense, et le spectacle d’autrui trop galant n’est qu’un ravivement de trop.

Le corps, tendu, proche de son état le plus animal, se rebiffe donc, cette fois sauvage sous le contact trop tendre bien que plus pratique qu’incliné. La combinaison est antinomique, entre la vexation qu’il n’ait pas été doux, la jalousie exclusive presque maladive appliquée à un être pourtant guère convoité, le désir d’échapper à son attention sans que rien ne motive ce sentiment. Mesure préventive, instinct impérieux, le cou raidi soustrait la tête à l’attention déplacée, quand l’idée d’un déplacement l’étant tout autant vient se proposer. Entre deux souffles, qu’elle peine à trouver autant qu’à retenir, elle grogne :


- C’est a près de 40 lieues d’ici… Comment feriez-vous ça, Atlas ?


Ca en fait, des pieds. Ceux de la comtesse, eux, ont déjà témoigné leur refus, fichés dans l’herbe grasse comme ceux du colosse à ses jetées. Les mots crus, eux, agressent. Ce qu’elle ne dit pas, la comtesse, c’est qu’elle a mis son ainé au monde dans l’inconfort d’une voiture, les reins en vrac sous les secousses du pavé. Non, malgré le gout prononcé de cette ère pour l’excentricité, elle ne donnera pas vie à dos d’homme, bien que la symbolique puisse tenter. Bref. La question révèle l’inexpérience, et les azurs embués oscillent, hésitants à réclamer d’autres bras. Jamais l’idée, cependant, n’atteindra les lippes –pour le salut d’une abeille et sous l’urgence d’une violente secousse qui pousse le dos à se cambrer.
Les lèvres s’entrouvrent pour donner place à un cri muet. La bête a son orgueil. Pour encore un moment. La chair hurle pourtant déjà, et la senestre choletaise s’est emparée de l’avant bras Tabouret, qui sera là pour souffrir à défaut d’autre chose. La trainée, ou dite comme telle, entrouvre les cuisses sur l’impulsion traitre échappant à toute négociation. Le navire aspire à sortir du port. A Alphonse, un regard aussi méfiant que défiant, peu ravi d’avoir à se fier mais contraint par la force des choses. Elle murmure -essaie de, mâchoires crispées, mauvaise sans l’assumer :


- Vous semblez vous y connaitre, en ce qui est d’ici. Si Axelle vous fait confiance pour extraire comme pour planter, alors je m’en remets à vous.


Voilà le modèle catapulté à l’actif, non sans écoper d'une salve acide au passage.

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Fanchenn
- Nag a zudi ...

Posée sur une grosse pierre, la terreuse fugueuse lançait mollement des petits cailloux sur le chemin de terre. Enfin, fugueuse… Fugue t-on vraiment à 25 printemps? Ses yeux marron-cochon vont rencontrer le ciel - pas d'aide là-haut - puis, dans un effort considérable, elle lève ses lourdes hanches. Y a pas à dire, enfanter c’est pas de tout repos pour les corps des femmes. Non seulement ça fait affreusement mal mais après on devient lourdes, fatiguées, grosses.

- Qu’est-ce que je fais maintenant?

Il y a à peine une petite semaine, Fanchenn avait donné la vie. Le petit n’avait pas vécu plus de trois jours et elle n’était pas restée plus de quatre chez sa mère. Virée, dehors on n’en parle plus, une bouche de moins à nourrir ! Vingt-cinq ans, célibataire, ayant une certaine propension à tomber amoureuse de tous les hommes qui lui content fleurette : une vraie plaie pour sa génitrice. Bonne à rien, alors que deux de ses sœurs étaient mariées et son jeune frère suait aux récoltes. Pourquoi ne pouvait-on pas être payé pour la bonté de son cœur ? Car oui, oh oui son cœur est bon. Tellement qu’elle a cru trois hommes séduits par ses formes généreuses et sa naïveté, trois hommes à qui elle s’est entièrement donnée après des déclarations faciles, trois hommes et deux bâtards au compteur, tous envolés. Mais le dernier, c’était un coup dur. Cet homme lui disait de si jolis mots, pourquoi n‘était-il pas revenu ?

Les hommes mentiraient-ils pour passer du temps auprès des femmes ?
Mais c'est affreux.

Les poings viennent se loger sur ses hanches. D’un côté la ville, de l’autre la forêt. Elle va rejoindre la ville. Elle va apprendre à lire et à écrire. Elle deviendra Duchesse de Bretagne. Non, non, pas crédible. Sa chaussure épuisée cogne contre un caillou. D’abord, on s’assoit. Rejoindre une ville d’accord, apprendre à lire et à écrire pourquoi pas. Et compter aussi, ça pourrait s’avérer utile. Puis acheter un lopin de terre ? Commencer à écrire de la poésie ?

Oh se sont des beaux plans sur la comète qui se dessinent, des jolis rêves de femme qui n’est plus si jeune mais pas si veille, et pourtant, si simplette. Mais même ses rêveries, on les interrompt.

Sur ce chemin où elle est assise, une femme passe en courant en direction de la ville. Il faut peu de temps pour qu’elle passe dans l’autre sens, accompagnée d’un homme. Des gens ? Qui courent ? Des brigands ! Le nez se fronce sur ses tâches de rousseur et la callipyge blonde suit les coureurs, trappeur de situation cocasses. Quoiqu'ils fassent, ça la sortira du désœuvrement.


- Gast !

Une femme, un homme et une autre en mauvaise posture.

- La tuez pas !

Plomplomplom, les hanches marquent la démarche pressée et douloureuse, même si elle essoufflée et vache à lait, elle ne laissera pas ces gens commettre un meurtre ! Voila une belle action qui ferrait d’elle une héroïne paysanne et qui peut-être, ramènerait le roux troubadour dont l’enfant était enterré. Mais une fois plus proche de la scène, ça n'a définitivement rien d'un meurtre.

- Ma doué, elle est trempe… Oui oui. J’connais ça. Vous voulez d'l’aide médicastre ?

Et bien oui, un homme sur un lieu d’accouchement qui ne ressemble pas à un pouilleux est forcément médicastre.
C’est une histoire de bon sens paysan.
Axelle
[C'est le malaise du moment
L'épidémie qui s'étend
La fête est finie, on descend
Les pensées qui glacent la raison
Paupières baissées, visages gris
Surgissent les fantômes de notre lit]*



Sa faute, pleine et entière. Faute à des doigts trop curieux. Faute à des lèvres trop envieuses. Et même si ce n’était pas le cas, cela resterait sa faute. Faute d’avoir invité. Faute d’avoir été quérir. Mais la leur aussi, la même, stupidement partagée, celle de l’avoir suivi. Comment ces deux êtres qui semblaient pourtant lucides avaient ils pu ne serait-ce qu’un instant s’égarer à la suivre ? Elle qui était maudite. Elle qui ne semait par trop d’inconstance que le saccage. Elle avait le beau rôle, avec ses manières frivoles, son sourire avare et ses pas dansants d’entrainer les autres dans ses dérapages. N’avait-elle pas détruit par un trop plein d’égoïsme ceux qui l’aimaient ? Si. Et si elle oscillait entre la culpabilité et la victimisation à outrance, devant la scène improbable se déroulant à ses yeux spectateurs, elle ne pouvait que s’en vouloir. Chimera au lieu d’être allongée dans l’abri de son lit mou, se trouvait allongée sur l’herbe qui ne semblait plus accueillante pour deux sous, avec un homme de toute évidence tout aussi paniqué qu’elle.

Et elle, la Bestiole, avec ses grands airs de défit, de j’ai peur de rien, de je prends tous les risques, la seule certainement dans ce trio qui aurait pu aider, se trouvait tétanisée de peur par des souvenirs finalement bien trop vifs, cachés à la va-vite sous des rires et des semblants de force frondeuse, incapable en définitive d’affronter ses démons, rejetant ses responsabilités sur les épaules d’autrui.

Inutile. Volontairement invisible, quand Alphonse cherchait à apaiser, se forçait au calme et que la fauve trouvait la force de s’en insurger quand la douleur tenaillait ses entrailles. Un jour, peut-être, à eux aussi, trouverait-elle le courage de demander pardon de les avoir plongés dans une situation si affligeante. Peut-être le ferrait-elle si tant est que cette fois elle parvienne à leur dire en face, défit que jusqu’à présent elle s’était montré incapable de relever. Peut-être que si elle avait su…

Mais le moment n’était plus à ces questionnements et ces remises en question stériles par trop de retard. Trop terrifiée qu’il ne vive pas, ou peut-être encore plus qu’il vive et que son premier cri lui lacère les tympans. Egoïste jusqu’aux bout des ongles, incapable de songer à autre chose qu’à sa propre douleur quand la fauve ployait sur son tapis d’infortune. Se faire minuscules, disparaître, se faire mobilier qui à défaut d’être salvateur serait utilitaire.

Une femme surgit. Elle ne dit mot, ne regarde même pas mais s’agenouille et relève la tête flamboyante. Lentement, sans heurs, la liane rouge se glisse sous la suppliciées sinople et laisse le dos tenaillé par l’enfantement reposer sur sa poitrine aride. Au moins le corps, à défaut des paroles, à défaut des actes pourra être réconfortant. Son corps, elle n’a que ça à donner semblerait-il.

Et la peintre, la danseuse, la prunelle, la fouine, le coquelicot, l’abeille, la gitane, la fauvette n’est plus que meuble. C’est tellement plus pratique.



*Placebo, Protège-Moi
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Alphonse_tabouret
- C’est à près de 40 lieues d’ici… Comment feriez-vous ça, Atlas ?
-En vous assommant d’un coup de pelle peut être, proposa-t-il à voix basse, le fauve montrant imperceptiblement des crocs, aussi démuni qu’exaspéré de se trouver là, les yeux perdus dans les tempêtes de Chimera, oubliant un instant la prudente nonchalance dont il était coutumier.

Handicapés l’un comme l’autre, elle par son état, ses ressentis, sa douleur, lui par l’obligation fatale de rester près d’elle, non pas pour elle, pas encore, mais pour Axelle, dont la pantomime bruyante avait cessé, saisie d’un effroi qu’il ne mesurait pas encore, tourné tout entier vers l’orgueilleuse gisante qui se permettait la bile quand on lui tendait la main. La violence du ventre se diffusa jusqu’au ravissant minois de la rousse, déformant ses traits d’une stupeur violente et muette, contrôle bien futile gardé sur sa personne quand ses cuisses, instinctives, s’ouvraient sous le poids de la désastreuse délivrance qu’elles suppliaient et que sa main, poigne de fer sans jamais avoir été de velours avec lui, lui saisit le bras.
Un instant traversé par une étincelle brutale, il laissa tomber à ses oreilles les murmures de la nymphe engrossée


- Vous semblez vous y connaitre, en ce qui est d’ici. Si Axelle vous fait confiance pour extraire comme pour planter, alors je m’en remets à vous.


-Il faudrait que vous me soyez bien chère pour que je vous accorde une once de l’attention que je dévoue à Axelle,
rétorqua-t-il lentement, crispé par la volontaire ou pas, allusion de la rousse au bâtard qui fleurissait, incertain, à des lieux de là dans le ventre de la duchesse de Brienne, balayé par ce sentiment corrosif qui lui agitait le ventre depuis qu’il avait appris la nouvelle. Aujourd’hui, c’est uniquement parce que vous lui plaisez que mes mains sont à vous…

Il chassa la main blanche de son bras quand la dextre se posait sur le genou roux et que la senestre dégageait le tissu, à la fois autoritaire et chancelant d’une terreur spontanée, le regard coulant vers l’antre béante où apparaissait, incroyable, énorme, bouleversante, l’arrondi spectaculaire d’un crane. La vue même du carnage livré aux cuisses souillées auxquelles il attachait habituellement tous les délices fut un instant occulté par cette vision incroyable de la vie pointant, acharnée, improbable…


- La tuez pas ! Le regard noir se porta surpris sur la donzelle sortant des fourrés, sorte d’angelot inattendu autant par l’apparence que par la providentielle arrivée et dont le pas décidé avait tout de la marche de la victoire à cet instant ci. Les tempes brunes entraperçurent sa propre délivrance, ou si c’était trop demandé, le partage de cette tâche ingrate d’importance devant laquelle lui-même se trouvait si proche d’exulter ses propres démons qu’il en était bouleversé, lardant ses manières de ses griffes, réduit par l’urgence à ne plus être que lui. Ma doué, elle est trempe…. J’connais ça. Vous voulez d'l’aide médicastre ?


L’aide était providentielle, mais tardive, inutile, désuète, et Alphonse, sans s’en rendre compte, joignant ses doigts à ceux de la régente sachant qu’elle les plierait jusqu’à les rompre si elle en avait l’occasion, et que l’occasion ne saurait tarder à se présenter mais ému, sans en avoir conscience, proposant par cette simple liaison la seule véritable aide qu’il pouvait apporter à la mégère, alla au plus court et pria l’angelot breton de quelques mots :

-On voit sa tête…
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Fanchenn
- On voit sa tête…

La dite providentielle blonde dirige un regard ahuri sur l’homme qu’elle pense médicastre. Bien oui, on voit la tête! Ça semble même terriblement normal, la bonne dame accouche ! Sous ses beaux atours, était-il vraiment un médicastre ? Ou peut-être était-ce le Grand Duc de Bretagne ? Cette pensée manque presque de lui laisser échapper un cri de stupeur, avant de se calmer. Comme si mère en version miniature, sur son épaule gauche, lui dictait d’arrêter d’imaginer trop de choses encore. Trop de choses comme l’amour des hommes, trop de choses comme son prétendu talent, trop de choses comme…

Un râle de la parturiente.
Quoi de mieux pour revenir à la réalité que la douleur d’une vie naissante ?

Une grande inspiration, de celles que font certainement les soldats avant d’aller à la guerre, et elle se remonte les manches. Le médicastre n'a pas bougé? Tant pis. Il est peut-être amoureux de la dame et ne sait plus que faire tellement il a peur pour elle. La blonde frotte alors ses mains sales contre sa robe sale – question d’hygiène- et elle s’accroupit. Un regard vers la femme à la peau brune.


- Vous avez eu une bonne idée Itron. Restez comme ça.


Et de poser ses yeux sur la rousse.

- Ça ne va pas être facile, mais vous allez y arriver. Toutes les femmes y arrivent, c’est la nature !

Un sourire qu’elle veut convaincant. Ma Doué, lui avouerait-elle combien elle a souffert à chaque fois ? Tout ce sang, toute cette douleur… Y a-t-il pire souffrance que l’accouchement ? Et comment se fait-on qu’on en tire après tant de joies ; pourquoi souffrir autant pour vivre ce que certains disent le plus beau jour d’une vie ?

C’est un peu de pitié qu’elle ressent pour la future mère, au final. Cette dame, elle ne lui hurlera pas dessus comme on lui a fait, à elle. On ne lui criera pas que la douleur lui reste bien, sale petite cuisse légère qui se fait grosse pour le premier homme. Elle ne lui dira pas qu’elle a mérité la mort du nouveau-né bâtard. Décidée à devenir la plus parfaite des sages-femmes et dans une prudence qu'on lui a rarement vu, la fugueuse se décide à rentrer en contact avec l’enfant en naissance.


- Itron, il va falloir un peu d’aide. Il faudrait…

Hum. Comment on explique ça ? Crier à n’en plus pouvoir ? Accepter l’idée de se sentir déchirée ?

- Pousser comme si vous vouliez envoyer l’enfant très loin. Oh non. Et souffler comme… Comme lorsqu’on reçoit les impôts du Duché !

Non. Franchement douteux. Les sourcils se froncent et la tête se crispe dans une drôle de grimace. Un regard vers ses acolytes. Pas trouvé mieux. Désolée. Un peu mal à l’aise, elle redresse le buste vers la future mère.

- Vous allez y arriver, on vous aide. Et vous avez un médicastre aussi. Et votre amie vous soutient. Vous allez y arriver et cet enfant vivra. Je m’appelle Fanchenn.

Et je vais avoir mes mains pleines de votre sang, qui tâche déjà ma robe à deux sous.
Chimera
    [Mais c'est ce que je fais, je pousse
    j'fais que ca pousser
    Mais c'est ce que je fais, j'veux plus de bébé
    Rentrons à la maison
    Mais c'est ce que j'fait, je pousse
    j'fais que ca pousser
    J'ai mal à me taper le ventre contre le mur
    J'ai changé d'avis, je veux les pîqures]*

Les piqures. Celles d'Alphonse, en toutes attentions distrayantes qu'elles sont, sont presque aussi douces et bienvenues que l'aide potentiellement charlatanesque de la dryade. On prend tout, à ce stade, tout ce qui peut tirer l’habitant de l’hôte lassée. On prend tout, à l’heure où les valeurs sont uniformes et les frontières des affinités plus que troubles. Trêve passagère le temps d’une vie. Les mirettes fauves, bien qu'embuées par la sueur et troublées par la douleur, distinguent la présence supplémentaire, et se contorsionnent, révulsées, pour chercher en vain confirmation dans les prunelles sombres. Aux mots tabourets, elle aurait pu riposter, encore, adepte des contradictions et amatrice de derniers mots, envoyer à l’hirsute effarouché que jamais il n’aurait été admis dans pareille aventure sans la main de l’Abeille, mais l’heure n’y est plus, et le blanc symbolique se hisse.

- On voit sa tête

Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Inutile de le dire, rouquine n’est pas à son avantage. Une chance, aucun de ses traits tendus n’attire vraiment l’attention des adjuvants, focalisée sur le pire à venir entre les cuisses béantes. Les reins déchaînés secouent le corps à chaque fois plus exténué par l’effort, tout en trouvant à chaque épreuve la ressource nécessaire pour assumer la suivante. La voix, elle, bénéficie de la confiance relative que Cholet accorde traditionnellement à l’inconnu. Jusqu’à ….

- Toutes les femmes y arrivent.

Voilà… Terminé. Mensonge éhonté, plus encore quant on donnerait tout pour y croire. Non… toutes les femmes n’y arrivent pas. Certaines enfantent de petits gisants, d’autres offrent leur vie à celle qu’elles expulsent, comme pour payer le prix d’un équilibre cruel, passage violent d’un monde à l’autre. Elle allait protester, chasser du haut de son autorité comtale cette intruse qui fait du Tabouret un familier presque sympathique. Lui au moins, reste cru, aux deux sens du terme, et elle se surprend à apprécier l’absence des banalités pitoyablement rassurantes. Tout, même ce qui console, insupporte, et c’est encore la statuesque Axelle qui s’en sort le mieux, échappant –sans fournir l’accroche d’un mot quelconque et en se soustrayant à la griffe furieuse. Dandy n’a pas cette chance, lui. A portée de main, il se trouve privé de la sienne, au point de se faire malgré lui siamois d’une sœur imposée. Un hurlement couvre toute plainte potentielle, alors que cèdent les chairs assujetties au Triomphe, aller simple et impérieux du petit –petit ?? Titanesque, oui !- passager. A cette heure, c'est Kermorial qu'elle invoque, dans un "Lizzie" haletant, presque sanglotant, à peine perceptible.
La naissance est un déchirement. Le sens propre, ce jour, est loin de l’être, souillant du sang choletais les menottes se proposant à la réception. Acte éminemment patriotique tout en demeurant assez individuel pour souiller la terre sans pourfendre qui que ce soit. Ca lui va, à la diplomate. Quoique. Il faut bien le reconnaître, de diplomate elle n’a rien, en cet instant. Les masques impassibles sont tombés, supplantés par celui, humide et torturé, de la douleur cruelle.


- Pousser ….. envoyer ….. loin…. souffler comme… reçoit … Duché !

L’inconnue a semble-t-il pris la conduite des opérations en main, et se peint déjà de la sève écarlate abondante –trop abondante, qui s’échappe de la mère en héraut de gueules –et gueulant- annonciateur de la naissance. En bonne fauve, elle rugit, lacère la dextre malgré elle secourable. Chaque effort lui arrache un cri, qui a depuis un certain temps déjà fait fuir la vie gazouillante des frondaisons voisines.
Bonjour, Fanchenn.
Elle saigne. Trop.
Est-ce la sueur qui trouble ainsi sa vision ?
Est-ce la douleur ?
Elle est vidée, au point de ne plus savoir si la vie l’habite encore.
Est-ce son propre cri, rendu suraigu par la douleur, qui s’échappe comme déjà hors de son corps ? La conscience bientôt fait défaut, et le repos survient avec la même violence que le tumulte précédent, brutal, sans souffle retrouvé. Les crins roux en bataille reposent en le giron écarlate des jupes de l'abeille, dormeurs du val après la bataille. La voilà déjà refusant malgré elle l'attention due à l'enfant juste né. Voilà que déjà, jouet d'une fortune vicieuse, elle faillit à celui qui n'héritera pas, parjure des premières heures.

Elle saigne. Trop.


* Anais - La plus belle chose au monde - Part II
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Alphonse_tabouret

Les anges avaient le savoir, c’était bien connu, si proches placés près du Très Haut, si lumineux et si purs dans leur sourire, et chacun de leur mot était fait pour rassurer les cœurs, choyer les âmes et caresser le front des enfants sages, car tous les enfants sont sages, sans aucune exception et tous devraient avoir le droit de dormir justement, Alphonse en était convaincu.
Alors pourquoi ne comprenait-il rien de ce que disait son angelot à lui ?
N’était-il pas apparu pour le sauver lui, pour lui ôter des mains le fardeau nouveau que Chimera avait entretenu durant neuf mois plein et qu’elle offrait, impudique, à la face du monde sans même lui demander son avis, dryade débauchée, sainte en délivrance, mère en devenir… Pourquoi ne s’arrachait il pas à la vision de ce crane sale qui pointait aux jambes écartées?

I need someone, a person to talk to
Someone who'd care to love
Could it be you
Could it be you



- Vous allez y arriver, on vous aide. Et vous avez un médicastre aussi. Et votre amie vous soutient. Vous allez y arriver et cet enfant vivra. Je m’appelle Fanchenn

Fanchen parlait, et si le sens de ses palabres lui échappait, il ne put s’empêcher de la regarder dans un mélange de crainte et de respect car le ton seul l’apaisait, sûre d’elle, menteuse comme l’indiquait l’infime hésitation à ses lèvres souriantes, et le chat se demanda, mortifié, pourquoi il percevait ce genre de détails quand il se trouvait incapable de ramener ses tempes à la glace habituelle lui permettant le jongler des uns et des autres jusqu’à l’escapade salvatrice...


Situation gets rough
Then I start to panic
It's not enough
It's just a habit
Hey kid you're sick
Darling this is it



Parce qu’on le demandait ailleurs. Là, au bout de son bras, sa main mourrait, prisonnière de celle de Chimera, agonisant en même temps que la rousse, trouvant au rythme contracté de chacun de ses heurts, un écho à son propre cœur dont il aurait cru que les battements s’affoleraient quand au contraire, ils ralentissaient, gelés par l’immensité qui le menaçait. Le sang inondait l’herbe grasse, mêlant ses grumeaux à la verdoyante pureté de la clairière, tableau spectral où l’on aurait su dire s’il s’agissait de la mort ou bien de la vie qui venait poindre à cet instant ci. La dextre fut écrasée, broyée, absorbée dans un hurlement si violent qu’il submergea le comptable d’un regain de foi, de colère, d’une toute puissance absurde. La main ne se défila pas et resta, héroïque victime, dévouée à celle qui le tenait, poigne que rien n’aurait su dessouder de la nymphe échouée, pas même elle.


You can all just kiss off into the air
Behind my back I can see them stare
They'll hurt me bad but I won't mind
They'll hurt me bad they do it all the time
Yeah yeah, they do it all the time



Elle halète, elle crie, elle tremble Chimera, elle est laide et belle à la fois, furie, harpie, fée, muse, elle a dans la voix tous les sons du monde, le grognement du fauve, le glapissement de la proie, la terreur de l’homme et le tout, va au rythme de ce ventre dont le modelé se défait étrangement, darde sa vérité sur le petit groupe auprès d’elle. La douleur du plein pour devenir vide, il est donc là le secret de l’enfantement.


I hope you know that this will go down on your permanent record
Oh yeah well don't get so distressed
Did I happen to mention that I'm impressed?


La tête sortit, ronde, sanglante, fripée, hypnotisant les onyx sur les lèvres parfaites de l’enfant qui apparait entre les mains expertes de l’angelot.

I take one one one 'cause you left me
Le cœur du chat battit d’un seul coup, à la façon d’un haut de cœur quand c’était l’âme entière du félin qui se fissurait.
And two two two for my family
Naîtrait-il comme ça, son bâtard… Hagard, le brun ne songeait même plus à nuancer la vérité. Le possible était devenu sien.
And three three three for my heartache
La nausée monta aux tempes et les balaya d’un coup avec la même virulence que ne l’avait fait la mort de Quentin, sans pourtant y joindre la même saveur
And 4 4 4 for my headaches
Le cou fluet et le début d’une épaule si menue et si monstrueuse, passèrent le col.
And 5 5 5 for my lonely
La main de Chimera lentement se desserrait sans que le chat n’y prête plus attention, comme si c’était au contraire le signe inhérent de la mère à la vie qui demande à ce que le relai soit pris, et Alphonse, desserra lui aussi la pression de ses doigts à la main blafarde.
And 6 6 6 for my sorrow
Un à un, les autres s’estompaient, jusqu’à la gitane dont la présence taiseuse et terrifiée avait été remisée mais jamais oubliée, qui un instant, vacilla à son esprit dans le bouffant d’un voilage rouge pour ne laisser que la vison du nourrisson qui s’avançait.
And 7 7 7 for no tomorrow
Lâchant sa siamoise, incisé l'un de l'autre par les événements, , la dextre et la senestre s’avancèrent, instinctives vers les cuisses ouvertes , calquant la précaution de ses gestes sur ceux de Fanchen, coupelle propre prête à prendre ce que donnerait la nymphe.
And 8 8 8 I forget what 8 was for
Le bassin glissa, livrant dans la foulée les jambes recroquevillées de l’enfant quand toute la tension mourait au creux du ventre femelle, libérée, vide, si vide.
And 9 9 9 for a lost god
Le cri terrible perça l’air sans même qu’il y eut besoin de le provoquer et déchira les bois, le coton d’une descente aux enfers longue d’une vie, jetant sur le monde une vérité à laquelle personne ne pouvait se soustraire.
And 10 10 10 for everything everything everything everything (*)


-Mon Dieu Chimera… murmura Alphonse sans regarder la mère dont l’esprit tournait, ralenti, vers des limbes moins douloureuses, moins réelles, mortuaires jusque dans le pigment qui teintait désormais les genoux du brun et les mains de l’ange… il est si beau… chuchota-t-il en le prenant des mains de Fanchen, émerveillé, stupéfait, ahuri de sentir autant de vie dans un corps aussi ténu, daignant enfin, père par procuration, reprendre un semblant d’attention sur le monde en levant le regard vers sa maitresse meuble et la rousse délestée.

Axelle clignait des yeux, mais Chimera elle, laissait tout juste son souffle pale mourir à ses lèvres.



(*Kiss Off, The violent femmes)
_________________
Axelle
« Sara, Sara, Sainte et amie,
Ecoute-moi, je t'en supplie ;
Sara, Sara, Sainte et amie,
Entends ma voix, ma voix qui prie. »*



Le meuble était aveugle. Le meuble était sourd. Mais le meuble n’était pas de bois.

A chaque secousse traumatisant le corps fauve, les fibres se contractaient en cadence, supportant, encaissant les ruades du corps qui ne savait plus que faire pour calmer l’inéluctable lacération, broyé, malmené. La statue se tendait pour encourager, s’adoucissait pour rassurer lors des répits trop courts. Bête instinctive. Refoulée, emmurée tout se blottissait en son sein quand le crane roux martelait sa poitrine de trop de peur, de trop de fatigue, de trop de douleur. Et Axelle priait. Fervente, mystique. Elle ne priait pas le vieux barbu qui, pas plus qu’aucun homme, ne comprendrait ce que la Fauve endurait. Vieux barbu trop sévère, trop lointain, qui par le regard dur des hommes qu’il avait choisi pour le représenter sur terre, la refusait. Qu’il aille au diable le vieux barbu d’être si austère. La Gitane priait Sara. Prière de femmes, encore. Vierge à la peau noire, celle qui accueille, pas celle qui refuse. Celle qui court quand on l’appelle. Celle qui se dénude et offre sa robe pour l’étendre sur les vagues, pont miraculeux. Celle qui ouvre ses bras aux naufragées d'un navire sans voile ni rame.

A chaque cri, à chaque plainte, la fervente litanie hurlait plus fort sous les lèvres closes, enveloppant son l’âme pour l’entrainer vers la mère.


« Ce n'est pas le retour sur toi que tu vas trouver aux Saintes, c'est le ventre de ta mère, le sourire de ta mère, sa bouche, ses mains, ses reins. Marche pieds nus, deux cierges à la main, va sans que tes yeux ne cessent de regarder les siens. Et quand ta bouche sera près de la sienne, tu la verras sourire et prononcer ton nom. » **

Engourdie, les cris puissants se faisaient murmures quand le temps élastique dégringolait d’un sablier capricieux, enfant turbulent jouant avec la course du soleil quand un autre bataillait pour respirer. Et ce fut un miaulement pourtant presque infime qui rugit à ses oreilles, éclatant son cœur en mille éclats acérés. Chaton mouillé, faible, vulnérable, mais déjà tant intransigeant qu’il exigeait d’être vu, entendu, reconnu. Et les amandes noires s’ouvrirent, cédant à la demande de ce petit être chétif quand elle avait rejeté toutes les supplications de l’enfançon pourtant sorti de son propre ventre. Fatale erreur quand devant ses yeux, beau comme jamais, Alphonse tenait l’enfant. Un instant bref, elle le haït de lui jeter au visage ce dont elle avait été privée. Elle aurait pu le larder de ses ongles de lui laisser espérer un instant que l’enfant puisse être le sien, à elle. Lui qui allait être père... d'un autre. Et elle cligna des yeux, pour chasser la folie qui cherchait à s’immiscer dans ses veines, remettant avec une application scientifique chaque chose à leur place, pour étouffer l’égarement des sentiments, de la colère, du soulagement qu’il vive, trouvant un refuge macabre dans le rouge maculant le sinople.

Elle saigne trop. Sa voix était monocorde tout aussi vierge d’expressions que son visage. Avec une lenteur calculée pour ne pas heurter davantage, Axelle se dégagea du corps de la Fauve qui lui semblait s’alourdir dans un abandon inquiétant. Elle a besoin de soins. La crinière rousse arrachant le vert de l’herbe, les gestes étonnamment rapides et précis, la gitane extirpa de sa besace une petite vierge de bois brut, jour peut-être, elle parviendrait à la peindre, et la glissa entre les doigts de la rousse protège la Sara. Refusant obstinément de se bruler encore à regarder Alphonse, c’est sur une femme qu’elle posa ses yeux, trop courbaturée pour se demander d’où elle sortait, et conclut sans laisser la moindre chance à quiconque de riposter, j'vais chercher de l’aide. Et dans un ressac écarlate et vif, s’enfonça dans la forêt. Courir, il lui sembla que sa vie durant, elle n’avait fait que cela, se demanda ce qui un jour pourrait arrêter sa course éperdue.

La route menant au village ne fut pas longue à lézarder devant ses yeux, et bientôt la silhouette d’une charrette s’y découpa et s’arrêta devant ses signes. Un homme et son fils qui abordait fièrement une moustache qui se résumait pourtant à un duvet brun et désordonné au dessus de sa lèvre. La discussion fut brève, efficace, et rapidement la charrette repartit dans le sens inverse, laissant une bestiole figée observer le cahotement de la voiture s’éloigner vers la clairière où jamais elle n’aurait du s’aventurer. Puis d’un pas calme, trop calme, la gitane s’engouffra dans les bois pourtant étrangers jusqu’à ce qu’un tronc l’invite à s’arrêter. Reconnaissante, elle en caressa l’écorce quand son front s’y posait. Mais la caresse finalement ingrate se fit griffure féroce. Trop d’émotion, trop de silence, trop de mensonges, trop d’aveuglement volontaire. Le lien était là, qu’elle le veuille ou non, le lien était là. Mère orpheline. Elle mordit son poing pour ne pas hurler. Bestiole déchirée. Et les larmes, trop longtemps retenues coulèrent, torrent à ses joues. Trop de soulagement, trop d’espoir. Le voile s’arrachait.

Un enfant venait de naitre du ventre de Chimera, sonnant le deuil fatal de ceux d’Axelle.





* Prière à Sainte-Sara la Kali
** Paroles Pierre le Petit, kakou en Arles (Chez les gitans, le kakou, ou l'ancien, est celui qui détient une connaissance, une sagesse particulière)

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Fanchenn
Elle avait gardé le visage fermé et les sourcils froncés, essayant de générer ce qui lui faisait le plus défaut : la concentration. Cet enfant vivra. Cet enfant vivra. Cet enfant vivra.

Pour être honnête, en l’état des choses, les mains et les avant-bras rouges sang, la grosse perle de sueur aux tempes, la mère, elle ne s’en préoccupe pas trop. La mère est bien entourée de ses amis, même si elle aurait pu choisir un médicastre un peu plus compétent. Elle, Fanchenn, fugueuse, mère d’enfants à qui elle n’avait donné de prénom pressentant une existence trop courte, se concentrait sur la vie à naître. L’enfant, lui, avait tout à faire et tout à découvrir : dès son entrée dans ce foutu monde, il devait avoir quelqu’un qui le cajole. Il n'a pas d'amis. Modestement, elle s’était donnée le rôle de cajoleuse. Et d'amie. C’est ainsi que chaque centimètre de corps qui se révèle est une épreuve gagnée, c’est ainsi qu’elle ne pipe mot et que finalement, dans de derniers gestes doux, elle porte le nourrisson dans ses bras.

Et il cria, cria. Ce cri suraigu du nourrisson, qui malmène les oreilles des personnes entourant la scène et rassure le cœur des mères concernant la vitalité de l’héritier. Pourquoi les enfants crient-ils si fort, à la naissance ? Etait-ce l’air vicié de la vie rendait ce cri si fort ? Les enfants pressentent-ils le tas d’ennuis qui les attend ? Ah, on n’est jamais plus au calme que dans le ventre de sa mère. Sortez-en, vous verrez un peu ce qui vous attend. On a dit qu’on se concentre ! N’oublie, paysanne, que l’enfant n’est pas à toi. Son regard se détache difficilement du petit être bleuté-frippé, et c’est au médicastre de le prendre. Elle, reste assise à genoux, les mains ensanglantées mollement posées sur ses jambes : elle est épuisée. Elle s’était tellement concentrée, elle, la tête de linotte ! Pour sur, son cerveau ne devenait plus utilisable pour quelques jours. Grève. Alors elle ne dit rien, rien du tout, et reste dans cette léthargie auréolée de joie d’avoir aidé à donner la vie. Pas mal, pour une fugueuse qui s’ennuyait.


Elle saigne trop.

Les paupières clignent. Plusieurs fois, et vite. Elle est de retour. Un peu hagarde, elle regarde la femme à la peau brune sans trop comprendre. Elle la voit s’activer, se lever, détaler. Interdite, elle questionne d’un air benêt-n’a-pas-compris le médicastre, avant de poser les yeux sur l’accouchée. Ah elle est là, l’avait presque oubliée. Et de baisser son regard. Ma doué ! Tout ce sang ! Avait-elle saigné autant, elle ?

- Faut couvrir le bébé. Elle a raison la dame, ça va pas.

Et d’ausculter, avec un peu plus d’attention.

- Ça va pas du tout.

Elle essuie vaguement ses mains pleines de sang sur sa robe boueuse –hygiène de base – puis arrange le corps de l’accouchée le plus confortablement possible. Puis elle se lève et s’assoit à son tour, à genoux au niveau de la tête rousse. Tête qui se retrouve reposée sur jambes, rousseur emmêlée et humide en coussin.

- Faut pas partir.

Alors je vais te dire des bêtises.

- Un jour on m’a dit que nous sommes de petites étincelles issues d'une grande flamme. Elle se tait un instant, essuyant le front humide. Je sais pas ce que ça veut dire. Je ne suis pas très cultivée vous savez. Mais ça me fait penser à vous, vous êtes une sacrée flamme avec vos cheveux.

Mais arrête de vouloir faire de la poésie. Tu crois que ça va arrêter le sang?

- Vous êtes la grande flamme, vous êtes à l’origine de cette vie, l’étincelle. Et si vous mourrez et bien l’étincelle s’éteindra. Votre fils mourra. Et c’est pas un petit coup de vent qui doit vous éteindre. Franchement, on a vu pire en Bretagne.

Son regard se lève vers l’entrée de la forêt. Puis se pose, inquiet, sur le médicastre. Gast, qu’est-ce qu’ils foutent ?
Beilhal, incarné par Else


Des portes qui claquent, des pas pressés. C'est trop de tapage pour un cambriolage. Que fait donc l'hôte gitane de la comtesse avec des draps plein les mains ? Et Tabouret, en sus, qui lui emboite le pas ? En bon veilleur, je vais, pour interroger les pressés, courtoisie oblige, mais les voilà qui se soustraient à toute tentative en claquant derrière eux la porte de la demeure. Interloqué, plus qu'alarmé, je finis par faire l'inventaire des portentielles explications, jusqu'à ce que qu'inquiétude l'emporte sur stupéfaction. Et si... Un instant figé, je finis par me secouer et par traverser la cour jusqu'aux appartements de la dame Kermorial.

- Dame Elisabeth... (Alias Houston) ... je crois que nous avons un problème.

Le mot a porté. La cible se dresse aussitôt, abandonnant un ouvrage de broderie sur lequel je ne m’attarde guère, et en un instant, la voici à la porte. La cour, qu’elle fouille du regard, est désormais vide – gitane et son appui n’ont pas perdu de temps – mais la dame de cette aile-ci ne s’en trouve guère apaisée. Dans ses yeux qu’elle tourne vers moi, je lis mon inquiétude réverbérée. « Faites que ce ne soit pas… »

- Je le crains, avoué-je...

Et Beilhal ne craint habituellement pas grand-chose. Elle sait, Kermorial, qui prend cette lame-ci droit au cœur. Elle agrippe un pan de jupe, et vers le corps du logis – ou vers l’autre, mais qui ne s’y trouve pas – elle court, livide et palpitante. Papillonnesque agitation. Je connais, pour l'avoir vécu un instant auparavant. Je suis, en longues enjambées, pour rappeler :


- La gitane est sortie en courant, les bras chargés de linges, le sieur Alphonse sur ses talons…

La main pressait déjà la poignée, le vantail s’ouvrait déjà, et elle vacille devant le vide. Je la sens presque remuer l’air à la recherche de quelque chose où agripper son esprit, mais le tumulte d’un instant n’a rien laissé dans son sillage.

- De linges, tente-t-elle, dirigeant les yeux vers l’entrée de la cour, comme pour reconstituer le problème qui a pris la poudre d’escampette. Où ? N'ont-ils rien dit ?

Archéologue de souvenirs difficiles à invoquer, comme lorsqu'on cherche le contenu d'un repas pour chasser un agaçant hoquet, je fais l'analyse en quête d'un indice.

- Elles ont quitté la ville, plus tôt, pour Kerozer, le dessin.

Le fruit de la recherche est livré en bloc, charge à l'autre d'assurer le tri. Il est vite fait. La lueur dans son œil ne trompe guère.

- Kerozer... Vous connaissez bien Kerozer.
- Je connais Kerozer...

Un temps.

- Je connais...

Réitération, pour m'en persuader, distinguer entre question et assertion, savoir où, dans ce fourbi de troncs, les deux artistes auraient bien pu aller se perdre. Elle, ne doute pas. N’a-t-elle pas soufflé la réponse désirée ? quoique l’angoisse altère le ton, bémol affectant encore l’ordre de départ.

- Dépêchez. Il est peut-être temps encore de les rattraper.

Et de s'élancer vers la porte cochère, et au-delà. L'équipée fuyante devient proie. Le défi est accepté, par la force de blonde volonté, soutien tyrannique à l'urgence éprouvée. Je chasse, parfois, même si j'enquête peu. Appliquer à l'affaire les caractéristiques de la traque en ôte presque le trac, il se trouve. Bénissant cette grâce pragmatique, je fais l'inventaire des lieux de prédilection des errances rousses, sans m'apercevoir vraiment que mes jambes, déjà, filent vers Kerozer, suivies de près par la foulée Kermorial. Les mirettes, quadruples donc, scrutent l'ici et le là, dans l'espoir d'accrocher les adjuvants de fortune – aux deux sens du terme – faute de savoir où vraiment les rejoindre. Optimisme est de mise, on dit bien que toutes les routes mènent à Rome.

Rome dont elle est fille, elle, plutôt que de la forêt, me souviens-je fugitivement lorsqu’elle manque trébucher sous la ramée atteinte. Mais elle fait signe de continuer. Urgence aggravée : je dois trouver l’une sans perdre l’autre. Mais j’oublie vite. Les souffles ne sont pas soupirs encore, teintés de vive urgence, ils sont retenus parfois, quand les écoutilles se tendent à la recherche d'indices, en télescopes des océans sylvestres. Les bois ont ceci de traître que les sons semblent provenir de nulle part et de partout. Ni l'une ni l'autre de ces origines, pourtant, n’est acceptable. Mes pas, égoïstes, accoutumés tout bonnement, filent vers la clairière où la dame Lastree a sa demeure. Qui sait, si jamais Cholet avait voulu présenter la sœur à l'abeille. Qui sait, si jamais avertie de la venue, elle avait pu se hisser vers l'abri de bois…

Là. Entre deux goulées d'air, jambes à l'arrêt enfin libres d'exprimer leur contrariété tendue, je lève le nez vers l'alcôve sylvestre et me maudis presque instantanément de ma méprise. Comment aurait-elle pu s'élever là dans son état ? Je m'accuse, pour ne pas blâmer l'absente, et tourne des yeux qui se passeront du constat des mots vers la blonde. Je vois bien : le même constat lui traverse le regard, fulgurance incrédule, comme elle porte la main à une poitrine volée de son air.


- Un autre ? exhale-t-elle tout de même. Endroit, bien sûr. Un dessin, non ? Elles peignent. Un bel endroit. La lumière, les couleurs, les formes... quelque chose de particulier.

J'ai les joues rouges, pas sous l'effort, mais de lire dans les azurs kermoriaux l'égarement provoqué par mes hésitations, entre deux aiguillons qui éperonnent l’imagination. Elle saisira la première réponse.

- Là où elle fait la cérémonie des eaux...
- Où ?

Je reprends ma course, sans dire, elle sur mes talons, qui se moque d’entendre tant que je la mène. La source serait-elle l'aboutissement, cette fois ? Quelques instants plus tard, force est de constater que non, et que dame Kermorial a pâli sous l’effort. Endurance et vitesse ne font pas bon ménage. Elle demande à repartir, je la retiens : je dois réfléchir, et elle recouvrer le souffle sans lequel elle n’aidera plus personne. Elle s’effondre, j’en suis proche. Un bel endroit : ce peut-être n’importe où, pour peu que la comtesse ait voleté au gré des envies en compagnie abeillère.

Combien de temps ? Les images défilent derrière mes yeux, tandis que ma suiveuse boit tremblante l’eau de la source. Dans la cavalcade, les quatre épingles auxquelles elle est de coutume tirée se sont perdues ; mais il n’y a rien là qui puisse m’étonner. Je l’ai rencontrée comme ça. Perdue. Mais cette fois, je n’ai pas de monture à proposer, et elle, ne craint pas pour sa propre vie. Elle relève les yeux, dans l’attente. Un instant plus tard, nous sommes repartis, courant de lieux en lieux sur la piste absente de qui ne bouge pas.

Je me fige soudain, persuadé d'avoir saisi l'écho d'un cri. C'est elle. C'est elle parce que je veux que ce soit elle. Me voilà presque heureux de saisir ce que je souhaite être une exclamation de souffrance, bénie dans ce qu'elle a d'exclamation, tant pis pour la souffrance. Je jette un œil à ma compagne de traque, dont le visage s’est éclairé, et je retrouve soudain l'énergie qui commençait à manquer. Je coupe à travers bois, sans me soucier des branches et autres ronces qui lacèrent les jambes.

Déboulant sur un sentier, je manque d'entrer en collision avec l'objet de mon ultime méprise. Double. Tous deux arcboutés sur une charrette, à pester contre l'animal de bât qui peine à sortir son fardeau de l'ornière. Quoique, la panique d'avoir été surpris par deux chasseurs à bout de souffle aurait presque aidé. La bête, d’un coup puissant de l’échine, ramène la voiture sur le chemin, éparpillant père et fils au passage. La dame Kermorial ne leur laisse pas le temps de souffler – ni à elle-même :


- Besoin de votre aide…
- C’est qu’on est pressés… Y’a une dame qu’a enfanté, par là, et même qu’y parait qu’ça s’passe pas trop bien…

Je pâlis probablement autant que la blonde jaillie des fourrés. Deux mots plus tard, les traqueurs se font éclaireurs, partis en avant du charriot branlant, espérant à la fureur les cris d’enfant qui bientôt – enfin ! les guident et les attirent. C’est là. Je n’aurais su deviner l’endroit où, finalement, nous débusquons la petite formation : Tabouret en admiration devant l’enfant nouveau-né, une femme alarmée aux mains baignées de sang… et allongée, les yeux mi-clos, ma dame aux jupes rougies, sur laquelle fond la blonde. Ambiance débarquement. Un bras ferme cueille l’accouchée, et dextre impérieuse comprime le bas-ventre en souffrance.

- Un charriot arrive, claque la voix blanche. Laissez-lui de l’air. Beilhal, vous m’aiderez.

Ce que Kermorial veut... L’équipage arrive, du reste, sur lequel hisser le précieux chargement.

[écrit à quatre mains]
Alphonse_tabouret
Les voix s’effilochaient aux oreilles du comptable dont l’attention était incapable de se porter assez sur le monde environnant quand il tenait le secret de l’univers au creux de ses bras, boule de vie incandescente, poison au ventre de sa mère, aux tempes d’Axelle, aux souvenirs de Fanchen et à la solitude du chat. L’égoïsme, valeur si chèrement défendue chez le félin diffusa son parfum entêtant à une rapidité qui n’eut pas le temps de le laisser pantois, abandonnant l’expression de sa maitresse coquelicot au néant, snobant, cruel, toute la douleur de son regard, toute la haine des souvenirs venant enfiévrer ses prunelles sombres. Le ventre rond d’Axelle quelques semaines plus tôt n’existait plus, pas plus que celui de Maltea, car à cet instant, tous avaient désenflé en même temps que celui de la nymphe acerbe, noyant Alphonse dans un délire éthéré de béatitude.
La solitude lézardée aux sons hoquetant du précieux trésor dans ses bras, l’aveugla avec une telle facilité qu’il accueillit les directives des femmes avec une indifférence royale, portant sur le spectacle qui se déroulait, une attention lointaine, diffuse, filtré par une importance toute autre.
Chimera saignait.
Et alors ?
Axelle s’enfuyait.
Et alors ?
Fanchen s’angoissait.
Et alors ?

Et alors, ça te fait quoi, toi ?
Le doigt du flamand passa sur les lèvres bombées de l’enfant, minuscule bouche qui avait poussé ce cri à ce point tonitruant qu’il avait écorché la vie jusqu’à le briser lui, l’inaltérable pion, l’éternel taiseux dont le sourire se commandait, systématique à son interlocuteur
Toi tu t’en fiches, tu as déjà vaincu. Tu es né.
Le sourire d’Alphonse déborda une seconde de son carcan pour fleurir en regardant le nouveau-né, ouvrir et refermer sa bouche baveuse, rose, gouffre sans dents, tunnel infernal qui pouvait faire vibrer le monde d’un seul vagissement.


Des sons, des pas, le tumulte, aucune importance puisque le monde avait explosé au même rythme que le ventre roux de Chimera, délivrant dans sa mélodie cacophonique , l’enfer et le paradis en même temps, jumelant un instant la lune et le soleil pour ne laisser que l’éclipse dans laquelle s’enfonçait le jeune homme.
Ce fut bizarrement le bruit du chariot qui l’arracha à sa contemplation, honorant enfin les alentours d’un semblant d’attention quand la brulure du corps minuscule agrippait son âme toute entière et il resta réellement interdit en posant ses onyx sur la haute stature de l’homme à ses côtés, chargé d’une ombre pale, d’une flamme vacillante portée à bout de bras..

Dans ses bras, c’est ta mère.

L’enfant gigota, tendit un bras aveugle qu’il replia quasiment immédiatement quand Alphonse percevait enfin la silhouette de la Kermorial.


-C’est un garçon, dit-il finalement, comme si cela expliquait tout, comme si la vie, quelle qu’elle soit, ne primait pas toujours sur la mort et ses complications, comme si le fils de Cholet tenait à lui seul, les secrets et les droits de ce carnage dont il ne restait à présent que le vide béant, que le sang oxydé et quelques effets à dessins.
Et de fait, il les avait.

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