Aymon
Z'en prie, ma dame, rien qu'un quignon, même rassis...la charité, bonne dame...
A force de répéter sa supplique, sa voix était devenue rauque, et la pluie drue qui tombait depuis le matin n'arrangeait rien à l'affaire. Tremblant dans son surcot troué, Aymon essuya un refus de plus de la part de la tenancière de l'échoppe, abritée sous une grosse toile enduite qui protégeait son éventaire.
Elle se retourna sans plus lui prêter attention, il n'était qu'un gueux parmi tant d'autres venu lui quémander pitance. La bouche plissée d'amertume, il fut tenté de se remémorer son passé de tire-laine et vagabond et d'escamoter une des miches.
Mais il n'était plus Aymon le fait-néant, chassé de la chaumière familiale à coup de pieds au train par son père. Il était l'écuyer d'Aimbaud de Josselinière, et l'acte de voler lui répugnait désormais.
En s'éloignant, il se fustigea mentalement pour sa morale ridicule. L'écuyer de Josselinière ! Peut-être l'avait-il été, un jour. Mais il était parti pour l'Italie, et son marquis de maître avait dû, de long temps, lui trouver remplaçant plus adéquat. On le croyait mort, probablement. Et si les choses continuaient de la sorte, encore quelques semaines et on aurait raison.
Voilà deux ans que Nemours l'avait envoyé quérir, sur les marchés Vénitiens, des denrées rares supposées l'aider à assurer sa marquisale descendance. Les choses avaient au départ plutôt bien tourné : largement pourvu en or par son maître, il avait rejoint une caravane marchande et sympathisé avec les autres voyageurs, tous négociants et aguerris au commerce, qui lui avaient appris des rudiments d'Italien et l'avaient initié aux secrets de la finance et des marchés. Il avait pris son temps, s'était établi un moment dans la cité des doges, assemblant patiemment sa pharmacopée insolite, et au bout d'une dizaine de mois d'absence, il écrivait à son maître l'imminence de son retour.
Les choses s'étaient gâtées alors. Aux alentours de Milan, leur vulnérable équipée marchande avait été la proie d'un groupe d'écorcheurs, pillards boit-sans-soif et malandrins sans scrupules. Malgré la hargne avec laquelle il défendit ses compaings, les brigands eurent tôt fait d'occire les hommes et de s'emparer des bêtes et du bien. Assommé, blessé et laissé pour mort, il fut également délesté de sa bourse et de tout ce qui pouvait sembler de quelque valeur. Lorsqu'il reprit conscience, il régnait alentour une puanteur de charnier, et mouches et corbeaux avait commencé, sur les bedaines désormais blêmes des négociants, leur macabre festin.
Il récupéra les vêtements qu'il put sur le dos des cadavres qui n'avaient pas été dépouillés - sa livrée de velours à lui avait évidemment disparu - et tenta de sauver ce qui n'avait pas été la proie des pillards, mais bien peu avait réchappé au carnage. Ses compagnons survivants, s'il en était, avaient dû fuir depuis plusieurs heures.
Marchant au hasard, il retrouva non loin la sacoche où il conservait précieusement les potions destinées à Josselinière. Quelques épices rares et des pierres et cristaux précieux avaient disparu, mais les pillards avaient laissé les plantes et racines séchées, ainsi que les flacons douteux. L'ironie lui arracha un rire amer.
Depuis, il avait erré sur les routes, tentant tant bien que mal de trouver du travail et réunir quelques écus, mais il s'acharnait bien souvent pour une maigre paye qui ne lui permettait que de voyager quelques jours durant. Il avait tenté d'écrire à Aimbaud, mais ses messages avaient tous été, semblait-il, égarés en route. Par la suite, il ne trouva plus parchemin ni encre.
Il ne sut combien de temps il vagabonda ainsi, sachant à peine s'il allait dans la bonne direction, chaque jour un peu plus désespéré de revoir jamais Nemours et son maître. Mais voilà qu'il se retrouvait, il ne savait comment, à Toulouse, ayant de toute évidence trop dérivé à l'Ouest. Il avait tenté de trouver refuge chez les religieux, mais l'Eglise avait, semblait-il, trop de bouches à nourrir et de chats à fouetter. Aussi mendiait-il sur les marchés, la faim au ventre et le moral plus bas que terre.
Epuisé et engourdi de froid et d'humidité, il s'alla réfugier sous un porche, dans une petite ruelle. Fixant d'un air dépité la pluie qui n'en finissait pas, il torcha son nez d'un revers de manche. La vie de valet, puis d'écuyer, l'avait trop changé pour qu'il ne se fît à nouveau à ce genre d'existence. Il allait probablement mourir de faim, ou bien attraper quelque fièvre qui aurait tôt fait de l'emporter...Toulouse ! C'était trop loin. Il n'y connaissait personne. Et qui du reste se soucierait d'un valet égaré ?
Las, il s'appuya au montant du porche et ferma les yeux, souhaitant n'avoir jamais à les rouvrir.
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A force de répéter sa supplique, sa voix était devenue rauque, et la pluie drue qui tombait depuis le matin n'arrangeait rien à l'affaire. Tremblant dans son surcot troué, Aymon essuya un refus de plus de la part de la tenancière de l'échoppe, abritée sous une grosse toile enduite qui protégeait son éventaire.
Elle se retourna sans plus lui prêter attention, il n'était qu'un gueux parmi tant d'autres venu lui quémander pitance. La bouche plissée d'amertume, il fut tenté de se remémorer son passé de tire-laine et vagabond et d'escamoter une des miches.
Mais il n'était plus Aymon le fait-néant, chassé de la chaumière familiale à coup de pieds au train par son père. Il était l'écuyer d'Aimbaud de Josselinière, et l'acte de voler lui répugnait désormais.
En s'éloignant, il se fustigea mentalement pour sa morale ridicule. L'écuyer de Josselinière ! Peut-être l'avait-il été, un jour. Mais il était parti pour l'Italie, et son marquis de maître avait dû, de long temps, lui trouver remplaçant plus adéquat. On le croyait mort, probablement. Et si les choses continuaient de la sorte, encore quelques semaines et on aurait raison.
Voilà deux ans que Nemours l'avait envoyé quérir, sur les marchés Vénitiens, des denrées rares supposées l'aider à assurer sa marquisale descendance. Les choses avaient au départ plutôt bien tourné : largement pourvu en or par son maître, il avait rejoint une caravane marchande et sympathisé avec les autres voyageurs, tous négociants et aguerris au commerce, qui lui avaient appris des rudiments d'Italien et l'avaient initié aux secrets de la finance et des marchés. Il avait pris son temps, s'était établi un moment dans la cité des doges, assemblant patiemment sa pharmacopée insolite, et au bout d'une dizaine de mois d'absence, il écrivait à son maître l'imminence de son retour.
Les choses s'étaient gâtées alors. Aux alentours de Milan, leur vulnérable équipée marchande avait été la proie d'un groupe d'écorcheurs, pillards boit-sans-soif et malandrins sans scrupules. Malgré la hargne avec laquelle il défendit ses compaings, les brigands eurent tôt fait d'occire les hommes et de s'emparer des bêtes et du bien. Assommé, blessé et laissé pour mort, il fut également délesté de sa bourse et de tout ce qui pouvait sembler de quelque valeur. Lorsqu'il reprit conscience, il régnait alentour une puanteur de charnier, et mouches et corbeaux avait commencé, sur les bedaines désormais blêmes des négociants, leur macabre festin.
Il récupéra les vêtements qu'il put sur le dos des cadavres qui n'avaient pas été dépouillés - sa livrée de velours à lui avait évidemment disparu - et tenta de sauver ce qui n'avait pas été la proie des pillards, mais bien peu avait réchappé au carnage. Ses compagnons survivants, s'il en était, avaient dû fuir depuis plusieurs heures.
Marchant au hasard, il retrouva non loin la sacoche où il conservait précieusement les potions destinées à Josselinière. Quelques épices rares et des pierres et cristaux précieux avaient disparu, mais les pillards avaient laissé les plantes et racines séchées, ainsi que les flacons douteux. L'ironie lui arracha un rire amer.
Depuis, il avait erré sur les routes, tentant tant bien que mal de trouver du travail et réunir quelques écus, mais il s'acharnait bien souvent pour une maigre paye qui ne lui permettait que de voyager quelques jours durant. Il avait tenté d'écrire à Aimbaud, mais ses messages avaient tous été, semblait-il, égarés en route. Par la suite, il ne trouva plus parchemin ni encre.
Il ne sut combien de temps il vagabonda ainsi, sachant à peine s'il allait dans la bonne direction, chaque jour un peu plus désespéré de revoir jamais Nemours et son maître. Mais voilà qu'il se retrouvait, il ne savait comment, à Toulouse, ayant de toute évidence trop dérivé à l'Ouest. Il avait tenté de trouver refuge chez les religieux, mais l'Eglise avait, semblait-il, trop de bouches à nourrir et de chats à fouetter. Aussi mendiait-il sur les marchés, la faim au ventre et le moral plus bas que terre.
Epuisé et engourdi de froid et d'humidité, il s'alla réfugier sous un porche, dans une petite ruelle. Fixant d'un air dépité la pluie qui n'en finissait pas, il torcha son nez d'un revers de manche. La vie de valet, puis d'écuyer, l'avait trop changé pour qu'il ne se fît à nouveau à ce genre d'existence. Il allait probablement mourir de faim, ou bien attraper quelque fièvre qui aurait tôt fait de l'emporter...Toulouse ! C'était trop loin. Il n'y connaissait personne. Et qui du reste se soucierait d'un valet égaré ?
Las, il s'appuya au montant du porche et ferma les yeux, souhaitant n'avoir jamais à les rouvrir.
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