[Cortège venu d'Auxerre]
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Mais que fichait le Toulousain avec eux ? La question avait fini par s'imposer à lui, rappelant un trait de caractère que son épouse, prévenante et aimante, avait le don de ménager la plupart du temps. Sauf en la circonstance. Depuis Donzy et la fusion, de nombreuses hypothèses avaient été façonnées derrière un visage fermé et sévère, dans le silence étrange que se refusait de rompre un Euphor pourtant reconnu pour sa loquacité. Aucune de ses possibilités n'était envisagée sans un soupçon de méfiance, même les plus anodines, et comme très souvent les plus plausibles. La jalousie avait cependant cette terrible caractéristique de rendre crédible l'impossible et de faire passer l'impensable au stade de l'envisageable et du cohérent. Bref, le colosse languedocien se perdait et demeurait donc mutique, signe tangible pour quiconque le fréquentait, à l'image de son écuyer montpelliérain qui chevauchait à ses côtés, que quelque chose ne tournait pas rond.
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Comme si cela ne suffisait pas, ce bougre de voisin occitan avait décidé de mettre le rose à l'honneur. Un élément qui aurait pu rassurer Actarius, car un tel mauvais goût, une telle exubérance ne pouvait décemment plaire à son épouse. Toutefois, nulle trace de sérénité, hormis sur son visage impassible, mais au contraire un agacement profond. Non seulement, il devait composer avec la présence d'un intrus, mais il fallait en plus que celui-ci arborât une couleur maudite. Car oui, qui disait rose, disait armure rose. Et qui disait armure rose, disait non seulement poney rose (berk !), mais aussi et surtout Erwelyn Corleone. Et qui disait Erwelyn Corleone disait à la fois Nicolas (reberk !) et à la fois deux éliminations prématurées au tournoi d'Amboise en janvier et à celui d'Etampes sur Marne en février. En résumé, le Jeannot toulousain avait fait tout faux et l'élan de sympathie de l'Euphor à son égard n'était plus qu'une façade qui dissimulait agacement et contrariété.
Grrrrr...
Oui, encore une raison de râler. Car le convoi finit bel et bien par arriver, car juché sur sa monture le Magnifique avait tout lieu de balayer l'agitation et les visages déjà présents, car son regard finit par tomber sur la troupe genevoise. Autant écrire que "dedjeu dedjeu"* l'humeur d'Actarius se serait parfaitement faite représentée par un nuage noir avec des éclairs quelques siècles plus tard et quelques secondes après le journal télévisé. Contre cette mauvaise fortune, il fit toutefois bon coeur en allant annoncer leur venue, y compris celle du Comte de Toulouse, et saluer leur hôte, celle-là même qui, ironie du sort, achèverait la trame diabolique de ce cauchemar-traquenard.
Dame de Lusigny ! Je vous présente mes hommages, ainsi que ceux de mon épouse, du... grrrrr... Comte de Toulouse et de notre suite.
Il ne s'attarda guère plus en mondanité, la faute à ses mauvaises dispositions, qui ne l'avaient pas empêché de sourire malgré tout, et se fit mener jusqu'à un emplacement convenable pour le campement, où il caressait le fol espoir de ne pas voir fleurir une tente rose. Le cortège avait donc poursuivi sa route quelques instants avant de s'arrêter définitivement. Les premières consignes fusèrent et bientôt une main puissante ouvrit la porte du coche et se tendit pour aider au retour de ces dames sur la terre ferme.
*expression local qui correspond à "nom de dieu, nom de dieu", utilisée par les locaux pour accentuer un propos.
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