--Dove.
La mort rôde.
Je la sens. Et elle pue, la mort.
J'ai besoin d'écrire.
Et cette reliure au cuir usé me fait de l'oeil depuis un moment, alors c'est ce soir que j'ai decidé d'y laisser mon empreinte, pas vraiment comme un appel à l'aide, seulement pour m'aider à avancer.
Avancer en parlant du passé... J'ai toujours été dérangée.
J'ai besoin d'écrire.
Non pas pour les autres, nos amis, notre famille ou les enfants que nous n'auront plus mais bien pour moi. Pour toi peut être, un peu.
J'ai besoin d'écrire.
Et ce livre sera sûrement le plus ennuyeux jamais écrit. Il va déranger, bousculer. Il mettra mal à l'aise. Il sera jugé, comme je le serais. Mais il est un exutoire. Mon exutoire.
L'horizon est la fin d'un monde, mais il est forcément le début d'un autre.
Si un jour tes yeux venaient se perdent ici, tu dirais que je suis folle, que je rêve, peut être même que ta mauvaise foie s'en mêlerait et que tu clôturerais ton discours par un "tu me pousses toi même dans la tombe".
Mais tu n'es pas moi, tu ne sais pas ce que je ressens. Personne ne le peut, à part peut être les rares personnes ayant déjà vécu ce genre de chose. Je ne le souhaite à personne, pas même au jardin, mon pire ennemi. Ou si, peut être à lui, mais juste lui.
Si jamais ce que tu lis te dérange, il ne tient qu'à toi de le refermer et de le reposer.
--Dove.
Donc vous voyagez seule?
Oui
Mais vous êtes mariée
Oui
Mais tout va bien entre vous deux
Oui
Et il vous laisse voyager seule ?
Oui...
Mais il vous manque
Oui...
Et vous ne voulez pas parler de lui
Oui
Vous l'aimez ?
Oui
Mais vous le détestez aussi?
Oui.
Les femmes sont compliquées.
Oui.
Tu vois, je ne suis pas seule.
Mais ils ne comprennent pas.
Pour eux tout va bien, je voyage pendant que tu t'occupes de nos champs. Je vois du pays, je dis bonjour à de vieilles connaissances. Je demande des laisser passer, j'en reçois. J'écris à la famille, leur annonce mon arrivée prochaine.
La liberté que tu aimes tant!
Où voient-ils de la liberté?
Dans un corps qui ère sans but?
Dans mes grands yeux vides?
Oui, je sais, ils ne voient que ce que je montre, et je ne peux pas leur en vouloir, ils ne savent pas.
--Dove.
Je te hais parfois. Et bizarrement ce n'est pas ton abandon que j'éxècre, c'est l'amour que tu m'as donné. Quel intérêt aujourd'hui d'avoir eu autant d'amour ? Souffrir plus?
Ton amour inconditionnel m'a rendu dépendante. Et comme une droguée j'ai cherché ma came dans les bas-fonds. J'aurais pû trouver d'autres bras, d'autres lèvres ou d'autres couches. T'exposer en long et en large ma nouvelle passion pour un autre, brun, blond, peut être même un roux. Clamer et haut et fort ma liberté retrouvée. Juste pour te faire du mal.
Ecrire encore et toujours ce sentiment de toute puissance qui m'envahi lorsque l'amour fait battre mon coeur. Raconter nos baisers, nos ébats. Déposer sous tes yeux nos échanges, les papillons qui nous traversent le ventre, l'émoi des premiers instants, l'impatience de se retrouver.
Pour qu'en fermant les yeux tu ne vois que l'opalescence de mes jambes sur des reins qui ne sont pas les tiens. Pour que mes cris de jouissance perturbent ton sommeil, pour que toi aussi, tu souffres. Et que cette putain de souffrance vienne te chercher la peau des fesses pour te ramener à la vie.
Mais vois-tu j'en suis incapable.
Alors mon produit de substitution est ailleurs. Le faux-semblant. Peut-être est-ce lâche, mais bien moins que de disparaître. Moi, au moins, je me bats.
Au début je me battais pour toi.
Je laissais au hasard de mes visites, de petits mots, vestige de notre amour, souvenirs heureux, encouragement. Et puis j'en ai perdu le courage. Je n'ai plus eu envie.
Je crois que c'est à cet instant que j'ai eu le plus de mal à continuer. Rien n'avait changé en soi. Je n'avais pas plus de nouvelles de toi, je ne t'en donnais pas non plus. Je ne sortais pas et ce ne sont donc pas les gens croisés qui m'ont fait cet effet. Non, c'est bien moi.
Ne va pas croire que je ne crois plus en nous. Ne va pas croire que quelqu'un te remplace car personne ne pourra jamais. Seulement...
Je n'ai plus eu envie de faire semblant.
J'ai décidé de dire que l'Ombre qui me suivait n'était pas la tienne. Hurler au monde que oui, mon amour était intact mais que j'avais pris la route, sans toi. Suffoquer combien tu me manquais et crier que j'y croyais encore.
J'aurais du t'en parler.
J'aurais du.
Et si je ne l'ai pas fait, c'est simplement car j'avais peur que tu commettes l'irréparable.
--Dove.
Mais lirréparable, finalement c'est peut être plus doux à supporter. Lorsque quelqu'un meurt, son corps s'élève, libérant son âme ou que sais-je encore. Tout le monde est triste, soit. Mais les gens peuvent se reconstruire. Les gens peuvent avancer. Les gens peuvent pleurer pour quelque chose de concret. Les gens peuvent tourner la page.
Je ne peux pas te pleurer. Tu n'es pas mort, tu es là, quelque part.
Je ne peux pas tourner la page. J'attends ton retour, inexorablement.
Je ne veux pas avancer. Je veux qu'on me laisse y croire encore et plus que tout, qu'on me dise que j'ai raison.
Mais, moi, j'ai le coeur entre deux eaux et cette vérité m'a été balancée en pleine face par un inconnu.
Ses lèvres ont touché les miennes. Ce n'était pas voulu, je n'ai rien vu venir. Je l'ai détesté. Je crois même l'avoir frappé. Ton prénom a franchi mes lèvres. Et les larmes mes yeux. Et puis il m'a serré. Il m'a serré si fort que j'ai eu mal. Il a fallu parler de toi. Il a fallu expliquer, un peu, sans trop en dire, pourquoi plus jamais il ne devait me toucher. Pourquoi plus jamais un homme ne me verrait nue. Pourquoi désormais, mon coeur était vide et mon corps chaste.
Tu préfères rester fidèle à un mort que d'ouvrir les yeux.
Tu veux savoir ?
Plus que ses mains écrasant mon visage, ses bras serrant mon corps et les sanglots qui m'empêchait de respirer, c'est cette phrase qui m'a tuée.
Je ne suis plus fidèle à ma moitié. Je suis fidèle à un mort aux yeux des autres.
J'ai beau expliquer que jusqu'à ce que je vois ton corps de mes propres yeux, je ne pourrais avancer, eux se plient en quatre pour me faire ouvrir les yeux.
Tu es mort pour eux.
Alors pourquoi tu vis pour moi.
--Dove.
J'ai rêvé mille fois ton retour. Espéré dix fois plus. Tantôt attendu, tantôt redouté mais toujours désiré.
Et j'espérais de tout mon être qu'il en soit de même pour toi.
Je ne pouvais me résoudre à t'écrire en premier. Ton silence me pesait et me parlait et je ne voulais pas intervenir dans ta vie. Dans ta vie, qui, loin de moi, n'a rien avoir avec la notre.
Les mots de toute façon n'auraient pas glissés tout seuls sur le vélin. Il m'aurait fallu retenir mes questions gênantes, te montrer que je m'inquiète, t'avouer que tu m'es indispensable, en te cachant ma tristesse. Il me semble que je n'aurais pas su trouver le juste milieu entre le manque de toi et l'envie de te montrer que j'y arrive.
La question parfois se posait, car je n'aurais pas écrit naturellement. Je me demandais ce que tu aurais voulu lire, j'aurais voulu avoir les mots justes. Ceux qui disent tout. J'aurais voulu te montrer que quoiqu'il arrive la vie continuait et te dépeindre une femme forte, comme tu l'aurais aimé. Sans te montrer la détresse qui m'habitait lorsque tu n'es plus à mes côtés.
Si j'étais restée sous tes yeux... Si chaque matin tu avais pu embrasser mon épaule, si chaque soir en rentrant tu avais croisé mon regard rougi de larmes. Si tu avais senti dans chacun de mes baisers l'envie de te garder tout près, si... Est ce que les choses auraient été différentes?
Et il me faut vivre avec ce poids. Le poids d'avoir fait des choix. De t'avoir écouté alors que j'aurais pu te tenir tête, si tu savais comme j'aimerais savoir ce qu'aurait été notre vie si j'avais pris d'autres directions.
Alors je rêve encore un peu. Lorsque les autres me laissent un peu de répits, lorsque ma culpabilité me laisse tranquille, lorsque je me retrouve seule puisque je suis désormais seule dans la barque... Je rêve de ton retour.
Tes sentiments auront-ils changer, ou les miens?
Retrouverions-nous cette complicité qui avait fait notre force?
Et nos regards... Auraient-ils toujours cette petite étincelle ?
Je veux encore y croire malgré ton silence,
Mais je ne peux pas me battre pour deux,
Alors c'est à toi de me dire : le veux-tu seulement ?
--Dove.
Ouvre les yeux. Comprend. Accepte. Et pardonne.
Trois mois.
C'est long et c'est court à la fois, je m'en étais déjà fait la remarque lorsque nous nous étions rencontré.
Lorsque l'amour se pointe aussi radicalement, nous enveloppe aussi violemment, viole nos convictions, notre foi, efface notre passé, dessine un avenir loin de tout ce que nous avions ne serait-ce qu'imaginé, parfait nos idéaux et impose l'évidence, le temps ne s'égraine pas de la même manière.
J'aurais pu vivre ma vie avec toi. J'aurais pu me lever chaque matin à tes côtés, t'écouter, j'aurais pu t'obéir, m'assujettir à tes pensées, tes actes et tes ordres. J'aurais pu façonner une autre part de ma personnalité et le faire naturellement, pour toi.
Trois mois c'est le temps qu'il nous a fallu pour toucher les étoiles. Pour atteindre le summum de l'histoire amoureuse, pour emmerder les envieux et reconstruire en plus beau tout ce que nous avions pu vivre jusqu'à maintenant.
Trois mois, c'est ce qu'il m'a fallu pour comprendre que plus jamais je ne pourrais vivre sans toi. M'encrer cette idée si profondément dans l'esprit qu'il en restera marqué à jamais.
On dit qu'il faut une vie pour défaire un amour comme le nôtre, et je pense qu'ils ont raison. Je pense que peu importe l'endroit où se pose mon regard, il y trouvera toujours un lien avec toi. Ce pain que nous partagions, ce drap que nous froissions, cet enfant que nous espérions, et cet anneau... Cet anneau qui reste désespérément soudé à mon doigt. Quand tout devient douloureux que reste-il ?
Quand le retour de l'autre devient une obsession, qu'il empêche d'avancer, que peut-on espérer sinon vivre encore, en suspend, dans l'attente ?
Trois mois. D'espoir. D'attentes. De rêves inavoués. De promesses tenues.
Trois mois, pour finalement trois mois de désespoir.
Trois mois, c'est le temps qu'il m'a fallu pour m'ouvrir à nouveau. Oser un regard. Affirmer ma présence. Réapprendre à parler, à découvrir. A m'écouter, de nouveau. Savoir ce que je voulais faire, par moi même. Moi qui n'avais jamais voulu dépendre des autres, j'étais finalement dépendante de toi et seule, oui, je l'avoue, je ne savais plus.
Et ils se sont imposés à moi.
J'y ai pris ma place, doucement. M'imiscant dans leur quotidien, tantôt discrète, tantôt explosive, réminiscences du passé reprenant doucement ses droits.
Tu te doutes qu'en trois mois, beaucoup de choses se sont passées. Que si l'on peut construire le plus beau des bonheurs, on peut aussi défaire beaucoup de choses, en piétiner certaines et en construire d'autres. Tu dois savoir.
Tu dois savoir que mes actes ont parfois dépassées mes pensées. Que je t'ai maudit. Salit aussi. Mais que jamais je n'ai aimé un autre que toi.
Tu dois savoir que j'ai volé. Tenu tête. Craché. Que celle dont on t'avait dépeint le portrait avant que Cupidon ne se joue de nous était revenue. Plus têtue, indomptable et fière que jamais. Que ta perte m'a rendue faible et que j'en ai fait une force.
Tu dois savoir qu'il va me falloir du temps pour reprendre notre vie, car c'est là qu'est ma place.
Mais qu'avec un peu de chance, de pardon et beaucoup de temps, nous y arriverons.