Priam
Un coursier venait de déposer au tribunal un coffret de bois, à l'attention de la juge.
Un huissier s'empressa de lui porter dans son bureau.
Dans le coffret, un message et un marteau habilement sculpté, mais à priori solide, prêt à marteler les tables et à résonner dans les salles d'audience.
Le message était concis :
Citation:
Pour que la justice résonne encore !
Priam
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Esyllt_catarina
Esyllt était assise à son bureau, muette et concentrée. L'affaire ne lui plaisait pas. Elle avait décidé de prendre son temps, de juger le pour et le contre puisque c'était la seule affaire en cours. Hors depuis la veille, trois autres avaient été ouverts. Il fallait donc agir et conclure. Argh, conclure, l'horreur. Seulement voilà, deux distractions vinrent à elle.
Il y avait bien sur le courrier de sa soeur qui répondit sur bien des points à ses interrogations. Elle était sauve et plutôt ennuyée en Normandie, son époux semblait amoureux, l'arbre généalogique de la famille était un bordel sans nom donnant une céphalée au premier regard. C'est pourquoi la seule réponse inintéressante n'était pas là. Qui était-il ? Pas le temps d'y songer trop, sa cervelle était assez torturée par le procès de Gmat alors il y avait la solution proposée dans le courrier. Se rendre à Paris avec lui. Ou l'envoyer à Paris et s'excuser.
L'autre courrier n'était autre que celui de cet inconnu qu'elle voulait connaitre. Un vélin et un petit coffret qui ravi la comtesse à l'instant même où elle l'ouvrit. Le mot l'accompagnant était simple mais qu'importe, son appel avait enfin était récompensé. Elle n'avait pas parlé pas dans l'oreille d'un sourd -puisqu'elle avait écrit peut-être pourrait-on dire "Elle n'avait pas écrit pour un aveugle", à peu près- et voilà la surprise. Sa surprise. Son jouet ! Ah ça, pour sur que la justice allait résonner et se faire entendre. C'était le marteau de la victoire, de la consécration. Ragaillardie, elle entreprit d'écrire.
Citation:
Il y a les surprises qui surprennent et les surprises qui font plaisir. La votre aura satisfait les deux conclusions. Je suis ravie ! Je ne savais pas que vous aviez de pareils talents de sculpture et d'ornementations, sinon je l'aurais dit plus tôt. Que de temps perdu !
J'espère que depuis notre dernière rencontre vous avez gardé la forme qui vous caractérisez alors. J'ai pour ma part reçu un courrier, une réponse, qui vous concerne, peut-être. Vous vous souvenez sans doute de mes questions insistantes sur vos racines, et bien sachez que je m'en suis ouverte à mon ainée qui souhaite nous recevoir pour tirer les conclusions de mes possibles allégations. Seulement voilà, je suis actuellement dans les rangs pour défendre nos comtés de la mauvaise engeance, aussi je ne peux partir. Retarder le voyage me direz-vous alors. Ce n'est pas envisageable. Ma sur, la Princesse de Montlhery, est sur le point d'accoucher et je ne souhaite pas que nous arrivions une fois que cela soit fait. A ce moment, elle aura besoin de repos et de temps pour découvrir cette chose qu'est la maternité. Le premier n'est jamais facile, croyez moi.
Ainsi je vous propose de vous rendre aussi vite que possible à lhôtel de Cluny, sa résidence. Le temps que vous empaquetiez de quoi faire le trajet et de voyager, elle sera probablement arrivée. Dans le cas contraire, vous trouverez refuge dans lhôtel familial que m'a légué ma mère, il n'est pas aussi bien entretenu mais son prestige reste indéniable. Vous l'y attendrez, un ou plusieurs jours, et ensuite aura lieu la rencontre.
Je ne vous oblige à rien, cela va de soi, je vous propose juste d'estomper mes doutes.
La cire, marquée de ma matrice, servira à vous identifier, ne la perdez donc pas. La bourse qui vous a été remise avec ce courrier contient quelques écus d'or, de quoi faire un voyage paisible et confortable, de changer de chevaux à chaque relais sur la route, et de rafraichir vos braies. N'oubliez pas cette dernière étape.
Bon voyage.
A Limoges, trois jours avant la célébration de Saint Nicolas-V.
Au final, le ton ne semblait pas donner le choix. Ce "bon voyage" résonnait comme un ordre. Esyllt avait retrouvé son marteau de juge et toute l'autorité péremptoire qui allait avec. Elle revivait.
Le courrier fut confié au petit page habituel, ainsi que la bourse. Le juge espérait que celui-ci ne dévalise pas une ou deux boulangeries sur le chemin, sa gourmandise était bien connue.
La distraction étant finie, il était temps de se replonger dans l'affaire qui l'occupait._________________
Priam
Un courrier, il avait reçu un courrier. Il l'attendait à l'auberge. Il s'empressa d'aller dans sa chambre pour l'ouvrir. Nul besoin d'oeil qui s'égare, dindiscrètes questions. La tavernière avait le défaut de toute les femmes : la curiosité.
Un courrier de la belle juge. Elle avait du apprécier son cadeau, il ne pensait plus qu'elle en voulait à sa liberté, ou du moins qu'elle cherchait à l'enfermer.
Ce courrier le laissa perplexe. Elle sintéressait vraiment à lui, pauvre bougre, que les gens bien nés ne daignaient pas regarder et quand ils le faisaient c'était pour exiger de lui.
Que pouvait-elle lui vouloir ? Elle l'invitait à rencontrer sa soeur, une princesse ? L'inviter à loger dans son hôtel particulier à Paris ? Finalement, elle en voulait peut-être bien à sa liberté. Il n'avait rien d'un prince charmant pourtant !
Pour expliquer cet engouement envers sa personne, de la part des deux surs, quelques hypothèses lui vinrent qui tournaient toutes autour d'un même axiome : ces dames aimaient les hommes de rien, qu'elles enfermaient pour les conserver à leur discrétion, comme des outils pour leur bon plaisir.
Il s'emballait... redescend sur terre et garde la tête froide, mon vieux. L'invitation sonnait comme un ordre. Se rendre à Paris sans délai. Elle avait même avancé les frais généreusement.
L'invitation était trop mystérieuse, trop tentante. Il voulait connaître la raison de tout ceci. Qu'avait-il de mieux à faire de toute façon ? Un court séjour sur la capitale avait ses avantages aussi, tous frais payés en plus.
Rafraichir ses braies ! Mais pour qui elle le prenait, évidemment ! Il les nettoyait régulièrement, au moins une fois par quinzaine, souvent plus, quand sa compagne du soir l'invitait dans son bain. Il s'arrangeait pour y glisser ses braies ensuite et les laisser sécher. Il emmènerait sa belle tenue qui lui avait permis de gagner son pari et d 'y perdre sa bourse...
Il rassembla ses biens rapidement, informa de son départ et commanda un cheval rapide et endurant. Il prit le temps de répondre à sa bienfaitrice.
Citation:Votre Grandeur,
A surprise, surpris et demi ! Contre un marteau, vous m'offrez un voyage et un séjour sur la capitale et même le plaisir de la compagnie de votre sur. Aucun marteau n'a valu autant.
Je ne peux m'expliquer cet intérêt soudain pour ma personne. J'hésite même à m'en réjouir. Je vais cependant obéir à votre invitation inexplicable, inespérée même, et me rendre à Paris, dans votre Hôtel de Cluny.
Votre compagnie au cours de ce voyage me manquera, j'en veux aux faquins, aux mécréants de m'en priver. Ne les abimez pas trop que je puisse, à mon retour, leur faire part de mon profond dépit.
Bonne défense, que le Très-Haut vous garde de la mauvaise engeance et vous guide dans vos uvres de justice.
Priam, dévoué et perplexe.
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