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[RP Corbigny] Sonnez cors et binious.

Finn
Sur la route, au beau milieu des pâturages gelés et plongés dans l'inertie hivernale, le coursier napolitain piaffe d'impatience face à l'allure tranquille imposée par son cavalier dans le cadre de recommandations d'usages :

- « Vous avez bien compris ?... »

S'enquiert le Gaélique auprès de l'Altesse voisine et suzeraine, conscient qu'elle dût prendre sur elle pour accepter de l'accompagner sur les terres de ce Marquis-là.

- « Je vous demande d'être gentille aujourd'hui, on ne crie pas sur Nemours. Je sais que ça ne vous plaît pas, mais dites-vous.. dites-vous qu'on est en mission diplomatique : souriez. Et si jamais l'envie vous prend de lancer un truc, souriez un peu plus fort. Bref, pas d'esclandre. »

Impulsive est la Bretonne, chatouilleuse aussi, et il semblerait que le Marquis se soit par le passé illustré en éprouvant un peu trop vaillamment cette nature sensible. Quant à l'Irlandais, son appréciation du jeune homme varie. La franche aversion née du premier conflit angevin laissa place à une toute aussi sincère camaraderie à compter du second. Il était alors question de se mettre au service du Josselinière mais, entre temps, le vieux grison eut l'idée saugrenue de calancher. Ou, tout du moins, de faire comme si. Muet comme une tombe durant les préparatifs liés à sa mascarade, il finit néanmoins par concéder un peu d'encre à l'explication de son silence :

    « 'Mes plus plates excuses pour ce retard, mais j'avais affaire avec la Mort.' C'est sans doute que ce que Finn d'Pommières vous répondrait. »

A-t-il écrit.
Signé :


- « Rodrigo de Villandrando... Et son épouse. »

Le garde à l'entrée du château consulte son compère, aussi peu troublé que lui par la nouvelle. Devant l'absence de réaction, le Chevalier précise :

- « C'est en Castille... »

Non, ça veut pas. Essaye encore.

- « Finn ? Pommières ? Cinquante écus ?... »

Impossible de savoir lequel fut le mot de passe, mais il n'en reste pas moins qu'une lueur éclaire soudain la paire d'yeux sous le camail et que les portes s'ouvrent sans avoir à débourser un sou. Une première victoire dont le frisé se félicite en frottant ses pognes l'une contre l'autre, une fois les rênes de sa monture abandonnées à un quelconque garçon d'écurie. Il fait faim et le voyage depuis la Bretagne a sérieusement manqué de confort. Il lui tarde de prendre ses quartiers. Son regard escalade la façade en pierre jaunâtre pour atteindre les fenêtres les plus élevées du château, s'imaginant déjà pouvoir se décrasser dans une énorme cuve d'eau chaude et se prélasser dans des draps propres, comme annoncé à la Montfort pour la convaincre. Et lui donnant son bras, il se laisse volontiers guider à l'intérieur. Mais l'Irlandais déchante rapidement. La chambrée allouée à son séjour, d'allure modeste, tient davantage du placard et ne comporte pour seul mobilier qu'un vulgaire lit de paille. Interdit, Finn se retourne sur le page affrontant stoïquement les courants d'air du couloir, lequel soutient son regard sans sembler feindre la moindre farce. Non, c'est pas une blague. En témoigne la grimace qui déforme le faciès de l'invité, les doigts posés sur son avant-bras s'étant mués en griffes lui lacérant la manche. Aïe...

Plus tard, aux cuisines, devant la triste bouillie servie :

- « Mmh... Au moins, le repas est chaud. J'vous avais dit que ce serait marrant de jouer les pégus ! »

Faut avouer que ça dépayse.
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Marzina
A l'annonce du voyage en France, les premières réactions de l'Altesse avaient été plutôt positives, chose rare. "Aha! A l'aventure!" "Oooh, nous pourrons jouer les jeunes mariés?" "Y'aura plus les vannetais pour nous emmerder?". Bref, elle avait vu son intérêt dans ce voyage tous les deux au milieu de nulle part, ils avaient tendance à s'entendre beaucoup mieux lorsqu'il n'y avait personne pour créer un désaccord.

La réalité avait été beaucoup moins sympathique. Le dernier voyage qu'ils avaient effectué tous deux sur les routes, le fameux Tro Breizh, s'était accompli à la fin de l'été, lorsque le climat breton était encore doux et propice aux nuits au clair de lune. Et puis il n'y avait eu qu'une nuit au milieu de la cambrousse, les autres nuits avaient été passées en auberges. Cette fois, l'hiver pointait son nez, les nuits au dehors étaient nombreuses, et l'Altesse n'avait pas l'habitude de passer des jours aussi froids des journées entières au dehors. Elle grognait, comme à l'habitude, se plaignait un peu aussi, mais déprimait surtout des conditions de vie beaucoup plus dures que celles auxquelles elle avait été habituée.

Quand Finn lui avait parlé de passer chez le Marquis, elle lui avait répondu par un "Nann" sec assorti d'un regard noir. Elle avait encore en tête les mots du jeune Aymeric qui avait été son fils adoptif durant quelques mois, et ils n'étaient certes pas en faveur d'Aimbaud. Et il était d'autant plus difficile de lui faire changer d'avis qu'elle était bretonne, ces gens-là changent difficilement d'avis voyez-vous. A force de patience, et les jours se faisant plus froids à mesure que le temps passait, l'Irlandais avait réussi à avoir gain de cause, mais l'autorisation princière avait été donnée avec prudence. Elle n'était toujours pas bien sûre que ce soit une bonne idée, mais avait fini par céder pour faire plaisir à son compagnon de route, rendue faiblarde par le froid qui rongeait sa peau délicate habituée au doux climat insulaire de Quiberon.

Recroquevillée dans sa cape noire doublée d'hermine, l'Altesse n'est plus qu'un paquet de chiffons duquel pointe timidement le bout d'un nez rougi. Pas un carré de peau n'est exposé aux courants d'air glacials, et les mains se cachent dans les manches pour tenir les rênes. Des reniflements agacés répondent aux recommandations: de toute façon, elle sait parfaitement être agréable, et si elle n'en a pas envie elle ne le sera pas, voilà tout. Aujourd'hui elle n'est pas la diplomate, elle n'est pas la Chambellan bretonne, elle est LA Montfort-Penthièvre, et celle-là peut bien piquer des crises si ça lui chante! Les yeux roulent dans leurs orbites alors que se fait entendre un soupir agacé, et resserrant les jambes elle indiqua à son cheval d'accélérer l'allure pour mettre fin aux sermons interminables dont elle n'avait cure.
Enfin le château se dessine, et un peu d'espoir renaît. La perspective d'être à l'abri des vents adoucit l'humeur maussade, et celle d'une couette et d'un feu crépitant la rendrait presque encline à se montrer agréable et souriante. Les portes s'affichent et elle laisse Finn les annoncer, elle-même se sent trop diminuée par le froid pour prononcer mot de toute façon. A l'entente des mots sous lesquels il les présente, elle émet un grognement. Encore ce mensonge qu'elle ne supporte plus...
Mais c'est son voyage à lui, alors tant qu'elle supporte elle le laisse faire. Entrant dans la cour, elle descendit lestement de cheval et réajusta les pans de sa cape en frissonnant. Le chevalier semble plutôt fier de lui, lui donnant même le bras, alors de bonne grâce elle se prête au jeu.
Mais ce n'est que temporaire.

La visite des lieux ne correspond pas à la description faite par le guide de voyage, et la Montfort a l'impression de s'être fait rouler. Le nez princier se fronce, signe annonciateur d'orage, et les yeux noirs fusillent l'Irlandais sans autre forme de procès. Les doigts fins et blanchâtres se serrent sur le bras qui lui avait été galamment tendu un peu plus tôt, comme une forme de menace.
Et en arrivant devant le repas promis, un soupir agacé ponctue la découverte. La blonde se lève d'un bond et plisse les yeux sur l'Irlandais, annonçant la couleur:


"Je refuse de jouer encore les écuyères, je vous préviens! Je savais que je n'aurais pas droit au traitement du à mon rang en partant en voyage avec vous, mais il y a des limites à ce que je peux supporter! Je préfère encore affronter à nouveau le froid le temps de trouver une auberge où le confort sera moins sommaire!"

Le nez princier se redresse, hautain, tandis qu'elle conclut:

"Déjà que je vous ai accompagné chez cet homme qui m'a insultée alors que je ne le connais guère, si c'est en plus pour supporter ces conditions, je vous le dis: Gabriela démissionne!"
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Aimbaud
Ce n'est qu'au soir que les huit cavaliers, leurs pages, et le marquis de Nemours, ayant mis un terme à leurs chasses avec la tombée du jour, repassèrent par les portes de Corbigny. Ils crachaient tous de beaux nuages de vapeur, et ramenaient avec eux deux chevreuils ficelés à de longues piques qui formaient un brancard, et qui traînait parterre en traçant des herses noires derrière les sabots des chevaux. Le tracé pris fin au milieu de la cour du château, qui était paillée. Il n'était pas tard, mais les jours étaient de plus en plus courts, aussi les escapades d'Aimbaud sur ses terres ne duraient pas plus de quelques heures. Il revenait tous les soirs gelé et heureux de regagner son foyer.

Posant pied à terre, dans un bruit d'éperons et de claquement d'étrier, le Bourguignon enjamba une traînée de sang qui paraissait gris dans la pénombre. Les mains sur les flancs, il scruta de près le gibier que ses pages détachaient de leur support, à l'aide de couteaux. L'un des serviteurs eut la prévenance d'apporter une torche pour éclairer l'ouvrage. La scène se mit à jaunir et papillonner, au gré des coups de vents dans la flamme. Quelques femmes sortirent par la porte des cuisines pour observer tout cela en battant des mains. Aimbaud hocha la tête et répondit aux appréciations des gardes qui formaient cercle autour de leurs prises. Il les complimenta, permis d'un geste que l'on emporte les bêtes au garde-manger où elles allaient faisander quelques jours, et frappa dans ses mains avec bonne humeur avant de passer la porte du logis.

Comme tous les soirs depuis à peu près vingt ans (puisqu'il en était déjà d'usage du temps de son père), il écouta — en ôtant ses gants pour tremper ses mains rougies dans une cuve d'eau chaude — les ordres du jour que l'intendant avait donnés. Il souffla dans ses poings mouillés pour se réchauffer, ouvrit les bras afin qu'on délasse son pourpoint boueux et lui passe une chemise propre (encore rêche d'avoir été battue par les lattes des lavandières), puis s'avachit sur le banc tapissé qui l'attendait près de la cheminée.


Rodrigo qui ? Demanda-t'il en chassant ses bottes par le talon. Ahh, le fameux conteur. Avec une bonne-femme ?

Près des flammes il agita ses orteils enfermés dans des chaussettes douteuses, fort noires au dessous, se terminant en pointe, (ce qui leur donnait l'allure de marionnettes grotesques qui auraient effrayé plus d'un enfant... Mais bon, après tout il n'en avait pas, d'enfant...).

Vous avez bien fait, je l'avais prié de trouver ici gîte et couvert, en cas où il passerait par la Bourgogne, afin qu'il me raconte comment ce Finn de Pommières a perdu la vie. L'irlandais qui m'a servi un moment. C'était un petit malin, un stratège, franchement péteux mais promis à un avenir. Je le voulais pour vassal. Dieu ait son âme. Enfin ! Nous saurons donc le fin mot de l'histoire. J'espère que c'est à peu près épique. Quoi qu'on puisse faire une légende avec bien des morts ridicules... Tiens, mon oncle Holaf a trépassé d'une fluxion au coeur en foutant une putain dans un bordel tourangeau, ça ne l'empêche pas d'avoir gardé une réputation héroïque en Anjou.

Tout en y repensant, le jeune marquis observait les flammes en grattant la barbe noire qui piquait son menton, enfin qui essayait vainement d'apparaître, au faîte de quelques zones de réserve naturelle qui combattaient vaillamment l'imberbitude, mais qui, tous les trois jours, se faisaient raser la gueule sans scrupule. Le regard perdu dans le feu de cheminée, absorbé dans une sorte de réflexion sur l'art de mourir proprement, il songea qu'il se faisait tard, et il frappa soudainement son accoudoir pour se réveiller.

Allons ! Dressez les tréteaux, levez la table. Prévenez ma femme si elle est disposée. Faites venir ce rigolo et mangeons. Oui, la drôlesse aussi. L'un ne va pas sans l'autre, si j'ai compris.
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Finn
La prestation d'écuyère castillane, si elle fut convaincante face à Isaure, ne tromperait sans doute pas un Marquis qui lui était, d'une manière ou d'une autre, lié par la famille. Quoique l'Irlandais apprit à ses dépends que chez les Penthièvre, l'intellect est sous-exploité. Ils n'ont pas la lumière à tous les étages, ces gens-là. Alors il lui répond que non, ce soir, elle ne serait pas son écuyère, que son orgueil bien placé serait sauf. On toque à la porte alors qu'il tente de profiter de l'intimité de la chambre dans les bras congelés de la Bretonne. S'interrompant dans un grognement, Finn abandonne la tentative de réconfort avant de se débarbouiller rapidement à l'eau froide. Le pourpoint est réajusté et le voilà qui pénètre dans la grande salle aux côtés de Marzina, où les attend la table dressée. Le fumet d'une viande qui tourne en broche le rassure sur l'hospitalité du Bourguignon. Le repas chaud l'ayant rendu pour le moins perplexe, pour le plus affamé. Il s'avance plein d'entrain à la rencontre du maître de maison, la mine habillée d'un sourire à moitié dessiné.

- « Noz vat, Marquis. C'est bon de vous revoir ! »

Et pour prouver sa bonne foi à celle qui l'accompagne, il pivote d'un quart en ouvrant son bras sur elle pour la désigner.

- « Vous connaissez déjà Son Altesse, Marzina de Montfort-Penthièvre, je crois. »

Intérieurement, il y a de quoi se fendre la poire et la trogne de l'hôte est un fort bon sujet de marrade. Peut-être la sienne l'est-elle également, depuis que ces fameuses rouflaquettes ont disparu, rasée dans l'espoir vain de se rendre méconnaissable. Mais il se retiendra, préférant s'approcher de l'âtre et y tendre les paumes le plus naturellement du monde.

- « Ahh y a pas à dire, l'Enfer n'a rien à envier à la rigueur bourguignonne, on se les pèle. D'ailleurs n'y allez jamais, restez en Bourgogne, le vin est meilleur. »
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Marzina
Elle n'avait pas touché au repas, c'était plus qu'elle ne pouvait en supporter. Elle s'était cru capable de pouvoir endurer bien plus, mais les années passées à l'abri d'un château, couverte de fourrure et avec des repas consistants avaient fini par l'habituer à un certain confort. L'enfant Penthièvre avant qu'elle ne devienne la fille d'Elfyn de Montfort savait vivre beaucoup plus simplement. Elle supportait parce qu'elle l'avait voulu, rester près de l'Irlandais, elle réprimait cette grisaille maussade qui petit à petit s'installait et consumait ses forces. Passer de l'auberge à l'appartement de l'Irlandais avait porté un peu de baume au cœur et fait renaitre quelque peu le sourire franc de l'Altesse, aidé en cela par l'achat d'un baquet de bain dans lequel la Sirène de Quiberon retrouvait un peu de chez elle. Mais ils savaient tous deux que ce serait temporaire, et que bientôt la mélancolie reprendrait le sourire de la blonde.

Parfois pourtant, le chevalier réussissait à faire renaître un sourire enfantin sur le minois boudeur de sa suzeraine. Ce qu'il tente ce soir-là, à l'abri des regards. Mais la mauvaise humeur et le froid rendent difficiles ses tentatives de réconciliation, et la blonde gelée n'a jamais autant mérité son surnom de Princesse de Glace. La peau blanche d'ordinaire devenait presque translucide à cause du froid, mis à part les extrémités rougissantes, et sa minceur habituelle s'était accentuée pour tendre lentement vers la maigreur. Mais elle était encore capable de bouder la nourriture trop pauvre à son goût, c'est qu'elle survivait encore bien!

La cape écartée par Finn revient envelopper la blonde frileuse alors qu'on vient frapper à la porte. Et c'est sans s'en départir -mais en abaissant la capuche cependant, notez l'effort!- qu'elle suit l'Irlandais dans la grande salle. Prenant peu garde à leur hôte, les yeux noirs ont tôt fait de faire le tour de la pièce, plus proche de ce à quoi elle est habituée. L'étincelle de vie revint se loger dans les prunelles alors que le regard se pose sur le grand feu, et un semblant de sourire se dessine alors qu'elle amorce un pas pour s'y diriger. Bien vite arrêtée en plein élan par les présentations de son compagnon. Les yeux se plissent sur lui, lui reprochant d'avoir écourté ainsi son moment de béatitude dans ces retrouvailles avec le confort. Décidément, il choisit toujours le mauvais moment.

Se décidant donc à reporter la rencontre de ses mains avec la chaleur de l'âtre, elle se tourna vers le Marquis en le détaillant des yeux. Il semblait avoir à peu de chose près son âge. Petite, elle s'était souvent demandé ce que cela pouvait bien faire, d'avoir un cousin. Elle avait toujours su qu'elle en avait, elle avait même vu l'arbre généalogique des Penthièvre avant la mort du papy Gomoz, mais elle ne les avait jamais connus après le mariage de sa mère et son adoption par les Montfort. Elle avait grandi au milieu d'une grande famille, où les frères et sœurs étaient nombreux, et les cousins encore plus, quand elle-même n'avait pas accès à la sienne de par les convictions politiques d'un vieil oncle qu'elle ne connaissait que dans les récits du grand-père. Quand elle avait fait connaissance avec Kirke, à la surprise de tous elle lui avait porté grande affection, qu'il lui rendait bien mal. Mais qu'importe, lorsqu'on compte les membres de sa famille de sang sur les doigts d'une main! Une famille ingrate reste une famille, et l'angevin l'avait même escortée et recueillie chez lui, ce qui ne pouvait qu'ajouter à son crédit.

L'hostilité se transforma donc en franche curiosité un instant. La blonde n'ayant pas l'occasion de rencontrer de membres de sa famille, elle chercha un instant sur les traits du Marquis un quelconque trait de famille, qu'elle aurait pu associer à son grand-père, à sa mère ou à elle-même. Mais les recherches s'arrêtèrent rapidement, avant d'avoir trouvé un quelconque intérêt de ce genre. La réponse tomba glaciale, Finn ayant réussi à achever sa bonne humeur naissante.


"Nann*, nous ne nous connaissons pas."

Un froncement du nez princier marque son hostilité, et un signe de tête un peu rude suffira à souhaiter le bon jour, au lieu de l'habituelle et gracieuse révérence. Elle n'a pas l'intention de forcer sur les civilités, mais au moins a-t-elle fait l'effort de ne pas déclencher les hostilités, par respect pour le chevalier qui l'accompagne.
Le simulacre de courtoisie terminé, elle se rapprocha à son tour du feu pour se réchauffer, ne prêtant que peu d'attention à ce qui pouvait se dire. Elle approcha ses mains gelées du feu, et la chaleur bientôt lui donna l'impression que ses doigts prenaient feu. La désagréable sensation passée, elle daigna enfin retirer sa lourde cape pour dévoiler une robe bleue de riche facture bordée d'hermine aux manches pendantes, agrémentée d'un bandier noir brodé de fils d'or. La cape fût abandonnée sur une chaise non loin, et tandis qu'elle reprenait des couleurs à la chaleur du feu, le sourire refit son apparition.

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*Nann = non, en breton
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Aimbaud
C'est le dos calé contre le bord de la cheminée (se réchauffant comme un lézard sur ses pierres) qu'Aimbaud observa le couple approcher. Refroqué d'un pourpoint propre, les fesses grésillant devant l'âtre, il était envahi pas une douce torpeur qui ne le rendait pas très réactif. Aussi ne bondit-il pas sur ses pieds en reconnaissant Finn le mort-vivant, ni en détaillant la charmante jouvencelle qui l'accompagnait. Il resta même franchement stoïque, les regardant l'un et l'autre froidement sous sa barre de sourcils noirs, en mâchonnant, du côté droit, les restes d'une graine d'un lointain repas coincée dans sa prémolaire.

Qu'est-ce que c'était que ce bing's... Qu'est-ce que le frère puceau de Finn de Pommières faisait là, aux côtés de cette bimbo bretonne, alors qu'il attendait à manger un couple de péquenauds-troubadours censés mendier un logis pour la nuit ? Allait-on lui dire ce que signifiait cette mascarade, et faire sortir de leurs cachettes la bande de farceurs qui le piégeaient en enluminure-cachée ? Tout cela était très louche.

Notre marquis garda l’œil fixé sur Finn/Rodrigo/Que sais-je, à mesure qu'il parlait, l'air franchement soupçonneux, avec une paupière plissée, des sourcils froncés, une narine redressée, et un menton froissé. Il regarda de même la dénommée Marzina qui s'approchait pour squatter son feu. Oui, il avait entendu parler d'elle, l'altesse Bretonne, guère en bien, et elle faisait partie de la tête de liste des gens qu'Aimbaud de Josselinière ne s'attendait pas à voir à sa table ce soir-là... Mais après tout, pourquoi pas. Il avait un faible pour les bretonnes blanches et blondes, à tout vous dire.

Après avoir LONGUEMENT observé ses interlocuteurs, le bourguignon quitta son support de pierre brûlante pour faire un pas vers Finn. Et tout en le détaillant de près, concentré, il approcha lentement l'index de sa joue pour venir tâter cette surface molle quoi qu'osseuse, et attester qu'il s'agissait bien de matière organique vivante. L'examen le laissa surpris. Il croisa ses mains dans son dos, médicalement.


Mais vous êtes vivant, espèce de grand con ! Dit-il enfin, avec un sursaut de surprise. Puis se tournant vers Marzina :

Ça par exemple, vous le croyez vous ? J'attendais le récit de sa mort, et c'est lui-même qui me l'apporte. Avec une princesse bretonne en prime. Il n'est pas commun, ce diable.

Finn. Fit-il en posant lourdement ses deux mains sur les épaules de l'Irlandais. Bienvenue chez moi. Nous boirons du vin tant qu'il y en est, et un peu de tisane pour vous mettre du miel à la gorge, car vous avez beaucoup à me raconter. A commencer par le fait que vous sentez le savon...

Venez. Venez, Altesse. Deuit ! Noz vat !* Fit-il en appâtant la bretonne avec des gestes expressifs (comprenait-elle seulement le français, cette pauvre enfant ?), menant sa troupe vers la table que l'on avait nappée de blanc et d'écuelles.

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*Deuit ! Noz vat ! = Venez ! Bonsoir ! en breton.
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Finn
Un instant, quelques doutes lui font craindre pour la santé du Marquis. Le ruminant et léthargique Marquis qui se sent obligé de l'examiner du bout des doigts pour s'apercevoir de la supercherie. L'Irlandais n'a pas l'habitude qu'on le touche ainsi mais la lenteur de l'examen le rend si perplexe qu'il ne peut réprouver la manœuvre. Plus de doute, le Josselinière a bien son petit caillot de sang Penthièvre au cerveau. Lorsqu'enfin ce dernier s'exprime par un sursaut, l'injuriant au passage, le Gaélique se fend d'un ricanement, rassuré sur les facultés de son hôte.

- « Évidemment que je suis vivant, je suis éternel ! », blague-t-il en lui emboîtant le pas après avoir flatté son dos d'une tape amicale.

Rangeant ses cannes sous la nappe, Finn prend place face au jeune homme que la maturité semble avoir rattrapé. Des petits poils qu'il ne lui connaissait pas jusqu'ici lui piquent à présent le menton. Tête penchée sur le côté, il assouvit sa curiosité en le détaillant à son tour, avant de tendre son godet à un laquais dans l'espoir qu'on y verse du vin.

- « Il n'y a pas grand chose à en dire, vous savez. Si ce n'est qu'il faut bien mourir une fois l'an pour effacer son ardoise et faire oublier leurs griefs aux gens qu'on a offensés, souvent à juste titre. Sans quoi, ils deviennent assez culottés pour trouver légitime de se venger. »

Évasif autant qu'il puisse se le permettre, l'Insulaire ramène son verre plein devant lui et le lève afin de trinquer. Malgré quelques manières reçues de Marzina, il reste le grossier soudard qu'il a toujours été.

- « Mais je vous en prie, ne nous éternisons pas sur le passé. Beaucoup de choses ont changé depuis Chinon, comme le fait que je vive à Kiberen. Je suis Breton maintenant, et chevalier de la Princesse ici-présente. Ce qui explique sans doute ma nouvelle hygiène de vie. »

Le Bourgogne tant attendu coule dans sa gorge tandis qu'il décroche une œillade complice à sa voisine, dans le but d'égayer un peu cette humeur maussade qui n'a pas l'air de vouloir la quitter. Puis, tirant impatiemment sur les cordons de ses chausses pour en tester l'élasticité en vue de la ripaille à venir, et les faisant claquer autour de sa taille, l'Irlandais reporte son attention sur le Marquis avec un sourire plutôt chaleureux.

- « Causons plutôt de l'avenir. Vous aviez une proposition à nous soumettre, je crois. Est-ce toujours d'actualité ? »
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Marzina
Le meilleur moyen de ne pas agresser les gens, c'est encore de ne pas parler. Partant de ce constat, la blonde avait décidé de n'ouvrir la bouche uniquement que pour manger. Tant qu'elle profite du feu et du repas, le reste lui importe peu! Se détendre un peu, laisser les hommes entre eux...Sauf que c'est à elle que s'adresse soudain le propriétaire des lieux. Elle glissa alors un regard en coin vers lui. Sur le point de lui rétorquer que "Gast! Bien sûr qu'il n'est pas commun!", et qu'elle ne prendrait pas le commun des mortels pour vassal, elle se ravisa, rapport à la décision précédente, et préféra donc se la fermer en redressant hautainement le nez. Cependant, elle ne pût s'empêcher de ricaner à la mention de cette nouvelle odeur de propre chez Finn, qui confirmait s'il en était encore besoin la réflexion faite à l'Irlandais en terre bretonne: dans son état initial, il sentait le fauve.
Aux quelques mots bretons écorchés, elle retrouva un regain d'intérêt pour leur hôte. Observant ses grands gestes démesurés, elle en conclut qu'il devait être un peu simple d'esprit et un vague sentiment de compassion lui étreint le cœur. Le suivant néanmoins et découvrant la table, elle se dit que s'il avait hérité des tares consanguines de la branche angevine de la famille, il n'en avait pas moins un cœur noble et généreux...Du genre qui dépense l'argent un peu trop rapidement, et il aurait été bien idiot de ne pas en profiter! Aussi pendant que l'Irlandais se met en tête de faire la causette, devenant soudainement loquace contrairement à ses habitudes, elle en profite pour se rincer le gosier. La bretonne ayant une bonne descente, tout comme le chevalier à ses côtés, il y avait fort à parier que la soirée coûterait cher au Marquis. Et encore, on n'en est pas encore au repas à proprement parler...Malgré son apparence fluette, la blonde avait un bel appétit. En l'occurrence comme elle s'était promis de ne pas l'ouvrir et qu'il fallait bien s'occuper, elle buvait, ce qui ne la dérangeait pas nécessairement.
Ainsi à l'œillade complice de Finn elle répondit par un regard en coin amusé et un sourire éméché, avant que le vin ne lui fasse complètement oublier ses résolutions et qu'elle ne se mette à son tour à être loquace.

"A NOUS soumettre? Dites-moi l'Irlandais, vous vous mettez à causer pluriel ou vous déraisonnez?"

Brandissant sa coupe devant le nez du barbu, elle enchaina:

"L'un dans l'autre, vous déraisonnez totalement de toute façon. Paaaaarce que..."

Elle s'arrêta un moment, la coupe suspendue en l'air, tout comme le nez princier, ménageant le suspense pour finir par conclure par un:

"...je ne vois pas en quoi ça me concernait. La seule demande qui aurait pu me concerner, j'ai dit nann. Nann, nann, et nann!"

Ponctuant le dernier "nann" d'un hochement de tête, elle finit de vider sa coupe, ce qui n'était pas forcément nécessaire dans le but de préservation de paix qui était sien à l'origine. Mais qui avait achevé le dégel de la Princesse de Glace à n'en pas douter. Après avoir lâché un "pfeuh" en direction d'Aimbaud, elle réclama donc à nouveau du vin, avec en tête un nouvel objectif: ruiner les caves de celui qui avait osé envisager lui voler son vassal.
Et elle était bien partie pour le tenir, cet objectif-là!

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Aimbaud
Les mains posées de chaque côté de son écuelle, Aimbaud de Josselinière écouta attentivement Finn. Il en déduisit d'abord — des oeillades et des remarques taquines qu'il échangeait avec sa voisine — que cet huluberlu s'était trouvé un sacré bon petit job à mi-temps tous frais payés, un coup chevalier, un coup dans le lit de l'Altesse... À bien y réfléchir, la conclusion lui semblait même parfaitement limpide, d'après ce qu'il avait ouï dire des moeurs de Marzina, et des manières de Finn. Il approuva silencieusement la tactique de l'Irlandais en calant son menton contre les poings qu'il tenait l'un dans l'autre. Finnaud, le Finn... Et tout en y songeant ses yeux scrutèrent les mains blanches de la Bretonne savamment enroulées autour de sa coupe de vin.

Puis il déduisit que Finn faisait allusion à sa proposition de le prendre pour vassal. Qu'il était intéressé. Que Marzina voulait garder son chouchou-lapin pour elle seule. Et qu'il était donc en train de se trouver lentement aspiré dans la spirale mortellement ennuyeuse du rôle de teneur de chandelle au beau milieu d'une dispute de couple. Non pas qu'il répugnait à imaginer cette charmante dame de Bretagne dans tous ses états de colère, et Finn se faire rabrouer le caquet d'une claque sur le museau. Ç'eut été de très bon goût, en matière de dîner-spectacle.
Mais sa position, à lui, Marquis de Nemours, hôte, et potentiel suzerain, le plaçait d'office dans le rôle du méchant (voyez comme on est mal récompensé de vouloir faire le bien !), et par conséquent, en paratonnerre idéal pour les foudres d'un couple instable et voué à rompre d'ici environ 40 jours, pour cause de fausse-couche et divergence d'opinions politiques. Ou quelque chose du genre... Aimbaud de Josselinière n'était quand même pas Madame Irma.

Dans tous les cas, il trouvait que cette discussion puait le pâté, et qu'il fallait jouer la carte "prudence"... Si tant est qu'il voulut vraiment que la soirée se déroulât sous les meilleures auspices, car dans le cas contraire (et pour pimenter un peu la soirée), il pouvait toujours choisir l'option d'envoyer une Princesse Bretonne et son vassal valser par les portes de Corbigny, avec un coup de pied au cul, et provoquer ainsi une éventuelle 27ème guerre franco-bretonne. Ou était-ce la 37ème ? Le compte lui échappait... L'éventualité le fit sourire en hameçonnant le coin de sa joue.

Il fit signe à un laquais près de lui pour qu'on lui serve à manger. Puis il parla en ces termes :


Fou comme la Bretagne peut transformer un homme. C'est...

Il fut interrompu par une cascade de pois cassés au lard dans son assiette, ainsi qu'un gros morceau de sanglier, sa louche de jus, accompagnée de son morceau de pain aux trois céréales (quatre étoiles, t'as vu). Il salua la performance du laquais avec un regard neutre, et reprit :

Si la dame a dit "Nananénane", il n'est plus de proposition qui tienne !

Il haussa innocemment les mains, l'air arrangeant. Puis désignant Finn à la pointe de son couteau, où ruisselait un morceau de viande :

D'ailleurs, je ne saurais trop à qui l'adresser, cette mystérieuse proposition. Qui êtes-vous, sire ? Rodrigo ? Finn bis ? Le morceau de viande décrivit une arabesque dans les airs. Vous êtes un chevalier qui s'est rayé des registres pour l'effacement de ses dettes, et ce n'est pas précisément ma définition d'un homme de parole. Prendrai-je un menteur pour vassal ? Quand la guerre frappera à mes portes, que je serai souffrant, veule, saignant, ou qu'il s'agira de parler au Roi en mon nom, à quoi me servira un gugusse faisant le mort sur le trottoir ? Franchement. Oublions cela ou convainquez-moi.

Mais le ton ne laissait pas vraiment entendre une invitation à répondre. Là dessus il mangea, avec force appétit, ne laissant sur le bord ni gras ni croûton, mais rien que les os qu'il jetait machinalement au bas de la table, sachant qu'après le repas viendraient ici quatre de ses épagneuls noirs, les meneurs de la meute de son père, qui avaient fort bien courut lors de cette journée de vénerie... Il se pourlécha le pouce, puis essuyant ses mains sur le bord de la nappe, avec dans la joue la teneur d'une cuillerée de potée, et tout en songeant déjà à la lampée de vin qu'il allait boire, il reprit la parole.

Maintenant je vous ai offert le gîte en échange d'un récit (ce qui est peu cher payer). Soyez divertissant, n'omettez pas les détails. Je vous écoute.

Il aspira son vin à grandes goulées (ravi lui aussi par le goût de ce Nuit-Saint-Georges, et sûr de l'immensité de ses caves) tout en fixant son hôte, le nez engouffré dans son godet.
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Finn
Sans se départir de sa bienveillance, mais l'amenuisant un tantinet, l'Irlandais laisse l'ivresse de sa voisine s'exprimer sans l'interrompre. Il écoute l'Altesse avec la circonspection qu'inspire une pomme posée un tabouret et que l'on présenterait comme une œuvre d'art : on sait pas à quoi ça sert et ça risque surtout de faire mal au cul. Elle n'irait pas se tirer un carreau dans la pantoufle, quand même ? Non. Et l'idée lui vient que, peut-être, c'est là sa façon de contribuer à la bonne marche des négociations : en s'amusant à les compliquer. Hélas, la frugalité de leur régime semblant avoir particulièrement atténué sa résistance à l'alcool, se rappelle-t-elle seulement leur discussion ? La becquetance atterrit dans son écuelle et, tandis qu'il embroche un morceau de sanglier, Finn tend l'oreille aux propos du Marquis, finalement moins niais qu'il en a l'air. Mastiquant sa viande d'un air absent, son regard se pose négligemment sur le couteau brandi vers lui. De toute évidence, la parole lui est rendue. Le pouce chasse une trace poisseuse du coin de ses lèvres avant qu'il ne fasse descendre la bouchée d'une énième gorgée de vin. Le rituel achevé en silence, le Chevalier renouvelle sa bonne foi d'un bref sourire, lequel s'efface aussi vite qu'il est apparu.

- « Qui je suis ? Je suis Finn Ó Mórdha, du clan Ó Mórdha, descendant du grand Conall Cernach et des seigneurs du Leix, en Leinster. Vivant jusqu'à preuve du contraire, non agonisant sur les trottoirs et n'y quémandant pas non plus l'aumône ou le titre. Ceci étant, vous désirez un vassal. Pas un conteur d'histoires pour jeunes pucelles en mal d'aventures, et encore moins un guignol pour épater la galerie ; non, un homme d'arme. À moins que je ne me sois trompé sur vos intentions ?... »

Correction froidement apportée, le Frisé interroge son vis-à-vis du regard le temps d'un battement d'aile, avant de trancher radicalement avec l'austérité de son énoncé en se déridant d'un brusque éclat de rire alors qu'il cogne du poing sur la table.

- « Allons, Marquis ! Ne la trouvez-vous point déjà fort divertissante, cette Princesse bretonne ?! », lâche-t-il, hilare, en accaparant la main princière sous sa propre paluche. « Ne lisez-vous point au travers de ses taquineries ? Ce que Son Altesse cherche à dire, c'est qu'il nous faut réfléchir ensemble à la question. Que la réponse n'est pas évidente. J'ai moi-même quelques réserves sur le sujet. Car comme vous pouvez le voir, je suis mort pour certains, mais certainement pas pour ma suzeraine qui peut en ce moment même compter sur mon indéfectible soutien. Vous avez un sens aigu de la féodalité et j'ai le plus profond respect du lien vassalique, ce qui fait que je ne m'engage pas à la légère. Si je veux vous servir bien et avec la vertu que vous êtes en droit d'attendre, je dois avant tout m'assurer d'en être capable. »

Le grisonnant retrouve tranquillement le dossier de sa chaise en piquant un bout de lard qu'il étale dans son jus. Et concentré sur la manœuvre, le ton s'adoucit :

- « Comprenez-moi bien, je conserve un agréable souvenir de notre collaboration dans cet échec angevin, et je serai honoré de prêter allégeance au Penthièvre qui eut, le premier, l'audace de se lever pour l'intérêt de sa famille, quand les autres végétaient dans la plus totale indifférence de leur sort. En revanche... Vous êtes Bourguignon et ma vie est en Bretagne. Pensez-vous que je puisse concilier deux allégeances, deux terres que tout oppose, sans jamais faire défaut à l'une ou à l'autre ? Peut-être, peut-être pas. De même, vous m'avez béni de votre confiance, chose que vous semblez remettre en cause aujourd'hui, comme je vous ai porté la mienne en vous informant de ma disparition. Serais-je alors avisé de prendre pour suzerain un homme qui, malgré mon appel explicite à la discrétion, n'a pas hésité à ébruiter mon secret autour de lui ? Voilà tout ce sur quoi il nous faut méditer. »

Causer lui creusant l'appétit, l'Irlandais s'enfourne cuillerée sur cuillerée. Des semaines qu'il n'avait pas fait bombance de la sorte, chaque journée de voyage se soldant irrémédiablement par un vulgaire quignon de pain ou une recette de son ignoble tambouille. Alors il profite, et boit avant que la Montfort ne s'enquille toute la réserve. La bouche pleine, il poursuit :

- « Mais rassurez-vous, je n'apporte pas que des questions. Des solutions aussi. Par exemple, si j'en savais davantage sur le fief que vous vouliez me confier, voire, si nous pouvions y organiser une petite visite, cela me permettrait d'étudier plus sagement votre proposition. Et je ne doute pas qu'il en serait de même pour ma Dame, puisqu'elle requiert son consentement... N'ai-je pas raison, Prinsez ? »

Là, le regard noir du vieux Gaélique oblique vers l'Altesse et insiste lourdement à la rappeler à son bon sens en serrant un peu plus la main sous la sienne. Cela avant de le reporter, affranchi de sa sévérité, sur Aimbaud tout en croisant les bras sur son pourpoint débraillé.

- « Bien entendu, cela n'est nécessaire que si vous souhaitez toujours me voir rallier vos rangs. Dans le cas contraire, évitons de nous tracasser l'esprit et restons-en là. Car après tout, c'est votre initiative. »
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Aimbaud
Et Finn bavassait. Et Aimbaud sauçait son assiette avec de gourmands morceaux de pain frais qu'il enfournait, comme autant d'amuse-gueules encore bien loin d'arriver à le rassasier. Car il avait un appétit d'ogre, le marquis de Nemours, du haut de ses vingt ans tassés au fil de l'épée et à la selle de son cheval. Oui. Encore une vingtaine de la sorte, et il aurait sous-lui la plus fameuse panse de Bourgogne, celle qu'on se léguait en héritage de père en fils, chez les Josselinière, depuis un nombre astronomique de générations. Loin de posséder encore les contours de ce fameux ventre, le pauvre Aimbaud (méconnaissant son avenir), tendait pour l'heure son écuelle aux mains d'un valet qui lui servait une louche de porée aux oignons et des morceaux de viande en croûte de sel. Le léchant les babines, salivant tout son saoul, il en oubliait de se concentrer sur la rhétorique de Finn, l'écoutant par passades, par entremets, mi-figue, mi-raisin, entre la poire et le fromage... Mais là c'était la cerise sur le gâteau, le coquin voulait visiter la seigneurie.

La lèvre dorée d'une moustache de sauce lapin, il releva la tête, choqué. Il ne manquait pas de toupet, ce connaud de Finn Ó Machin du clan des croustillants... Non seulement il se permettait de poser, lui, ses conditions, de refuser de répondre à ses questions, d'inviter une copine, de le traiter de commère qui raconte les petits secrets de ses potes, mais en plus il s'attendait à ce qu'on l'emmène faire une visite guidée des terres pour savoir si oui ou non ça pouvait convenir à sa petite personne privilégiée bien rasée des deux côtés des rouflaquettes. Ah... Sa femme l'avait pourtant bien averti qu'à force d'inviter des gueux à sa table, il allait perdre en crédibilité auprès du bas peuple... Il prenait à son service le premier troubadour venu, il faisait d'un garçon d'écurie son écuyer, il invitait les conteurs à sa table, il donnait "ça", et on lui prenait tout "ça"...
Encore une fois, la nature des vilains finissait par ressortir tôt ou tard. Chassez le naturel... Il revient pour le dessert.


Détrompez-vous. Il postillonna une miette de légume, et s'obligea à avaler avant de poursuivre. Mes intentions étaient bel et bien d'avoir un conteur à ma table, ce soir. J'avais tiré un trait sur vous. La suite nous dira si j'avais bien fait.

Il s'essuya le bec du dos de la main pour boire une lampée de vin, sourit en lorgnant Marzina qui lui semblait passablement oenologue, et reprit :

Il ne fallait pas parler de votre mort, selon "votre" demande explicite ? Ah bon. Moi je n'ai reçu de revendications que d'un certain "Rodrigo", connu par moi ni d'Ève ni d'Adam. S'il fallait que je garde les secrets de tous les pégus qui me font des doléances à chaque heure du jour, vous savez, pour ce que j'en ai à foutre...

Il gonfla les joues pour souffler un bruit de pet en montrant le blanc des yeux, assez explicite. Vrai que ça lui passait largement au dessus de la coupe-au-bol, les états-d'âme des petites fourmis sur son territoire... Lui s'occupait des hectares de semailles qui nourriraient toutes les bouches de Corbigny, de Nemours et des autres seigneuries dont on l'avait fait maître, de l'édification de deux ponts, de ses chapelles, des alliances entre nobles d'île de France qui permettraient à Agnès de Saint-Just de regagner le trône, de la sculpture du plus beau tombeau du monde pour la dépouille de sa soeur, de ses chasses, et d'engrosser sa femme. C'était à peu près tout ce en quoi il focalisait son attention.

Vous êtes donc le vassal de la dame ci-présente. Il fixa Marzina avec attention, tout en aspirant quelques cuillérées de jus, et s'adressa à celle-ci en penchant l'épaule de son côté et baissant d'un ton. Il a raison de souligner que c'est problématique. À moins que vous consentiez à me signer une sorte d'autorisation suzerainique stipulant qu'il me doive auxilium à moi en priorité, et je vous laisse le consilium ? Il fut de bon conseil en Anjou, même si j'ai perdu la guerre...Hin hin hin hin hin.

Son rire gras se termina tandis qu'il plantait les crocs dans un de ces délicieux morceau de barbaque en salaison. Il mastiqua sans s'arrêter de parler, l'air heureux.

Nous en revenons toujours au même point. Je ne vous prendrai pas pour vassal. À moins que je sache de quels crimes vous vous êtes blanchi en jouant les cadavres, et que je les juge pardonnables. Vous me feriez vraiment bon plaisir à me raconter cela !

Il l'encouragea encore avec la pointe de son couteau, les sourcils levés et souriant, l'air plus qu'aimable, trop peut-être. C'est qu'il perdait patience, et que cette offre étant la dernière, il voulait qu'elle soit entendue le mieux possible.
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Marzina
Tout en vidant ses verres, l'Altesse observait autour d'elle d'un oeil prudent. Elle avait beau être bien éméchée, elle avait l'habitude de l'alcool et la diplomatie lui avait appris à observer les mimiques de ses interlocuteurs pour déceler ce qu'ils ne voulaient pas dire. Aussi nota-t-elle tout particulièrement les petits sourires fourbes qu'Aimbaud égrainait de temps à autre et qui n'annonçaient rien de bon. Comment aurait-elle pu ne pas les voir? Elle avait les mêmes...Peut-être bien le trait de famille à bien y penser. La nourriture cependant réussit à la distraire, et c'est avec grand appétit et très peu de distinction que l'Altesse dévora ce qu'on lui servit. Si on lui avait appris les bonnes manières à l'enfance, ça avait lamentablement échoué pour la politesse à table. Les joues rondes façon hamtaro, la blonde mange comme si elle allait devoir se battre pour son assiette...Probablement les restes d'une enfance passée aux cotés de deux demi-frères prompts à se servir dans son assiette et d'une demi-sœur qui n'avait rien de féminin et se comportait comme eux.
La guerre chez les Montfort, ça commence d'abord à table.
Elle suivait la conversation d'une oreille tout en profitant d'un vrai repas, bien à l'opposé de la cuisine de Finn, avant que l'énergumène en question ne s'approprie une main, qui aurait pu être fort utile pour manger son morceau de viande. Au lieu de ça non, elle est obligée de la laisser hors de vue sous la table.
Le museau se fronce donc et un regard noir en coin est lancé au vassal, tandis que l'Altesse ne se démontant pas se contente donc d'une seule main pour attraper son morceau de viande et l'attaquer. Personne ne saurait la séparer de sa nourriture.
La discussion entre les deux hommes prenant une curieuse tournure créant une sorte d'électricité dans l'air, elle se dit que l'Irlandais s'enfonçait, et se décida à le sortir du pétrin. Relevant le nez fièrement, elle annonça contre toute attente:


"C'est moi qui lui ai demandé de régler cette affaire, et donc de se faire passer pour mort."

Ce qui n'était pas rigoureusement exact, mais en un sens, c'était bien involontairement qu'elle lui avait demandé. Pour d'autres raisons que celles qu'elle allait énoncer ci-après, mais avoir travaillé pour deux Grand Ducs vous apprend à mentir avec le masque de sincérité de la vérité: il suffisait de se convaincre soi-même de son mensonge. Prenant donc son temps pour saucer son écuelle et la laisser immaculée.

"Je travaille pour la couronne de Bretagne dans les milieux diplomatiques. Je ne suis pas spécialiste des armes, et il est très mal vu lorsque vous venez causer diplomatie de vous pointer l'épée au côté. Cependant, il n'y a aucun à priori négatif à se faire accompagner d'un chevalier attaché à son service."

Hop, le morceau de pain couvert de sauce finit par disparaitre entre les crocs bretons.

"Si j'ai choisi Finn, c'est pour son habileté aux armes, et son esprit vif qui lui permet rapidement de détecter un geste hostile d'un simple mouvement. Cela fait de lui une bonne protection pour ma personne. Il rapporte de plus honneur à ma maison en portant mes couleurs en lice, où il n'a jamais perdu affrontement depuis qu'il est à mon service."

Levant l'index, elle indique qu'elle en arrive au nœud du problème:

"Cependant, les diplomates sont assez chatouilleux, la plupart font dans leurs braies à l'idée de se retrouver en face d'un mercenaire. Il m'aurait donc été difficile de pouvoir me faire accompagner de sa personne lors de mes déplacements en terre étrangère. Le passé de Finn représentait donc un obstacle dans ma fonction. Sur ma demande, il s'en est débarrassé."

Le sourire de la bretonne s'étale alors sur son minois enfantin tandis qu'elle conclut:

"Il n'a pas manqué de parole, il a justement respecté jusqu'au bout le serment qu'il a prêté envers moi, prêt à sacrifier sa personne pour sa suzeraine. Vous avouerez qu'on est loin du vassal indigne. D'autant plus que je lui avais demandé de ne pas en parler, et vous pouvez constater ce soir qu'il a là encore tenu parole, refusant de vous en dire plus, même à ses dépends."

Un peu avachie par l'alcool, l'Altesse se redresse, la vassalité c'est un sujet sérieux.

"J'ai une vision très exigeante de la vassalité. J'attends beaucoup du chevalier sous vos yeux, mais il n'a jamais fui devant les conséquences de ce lien. C'est pour moi un vassal de grande valeur, et vous comprendrez que je sois peu encline à ce qu'il vous prête serment, lors même que vous n'êtes même pas en mesure de déceler sa valeur."
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Clemence.de.lepine
Voilà longtemps qu’elle n’avait pas participé à une chasse, et c’est la mine presque boudeuse qu’elle observa Aimbaud mettre pied à terre. Elle avait entendu les clameurs, celles des enfants qui riaient et trottaient dans les sabots des chasseurs impassibles. Les enfants étaient toujours joyeux, même les joues sales et le ventre maigre. C’était quelque chose qui la fascinait et qu’elle leur enviait un peu. Juste un peu, parce qu’ensuite elle se trouvait stupide, à jalouser un enfant. Il n’y avait rien à envier à un enfant : un enfant c’était idiot et ça n’avait jamais rien d’intéressant à raconter.

Alors elle s’était glissée au milieu des curieuses et de cette fourmilière de serviteurs qui s’éveillait toujours en sursaut quand on s’en revenait de chasse.

Elle se dressa sur la pointe des pieds pour jeter un œil sur le pactole du jour. Elle n’aimait pas tant que ça le chevreuil, elle préférait le sanglier, un vieux sanglier à la saveur bien prononcée, au goût fort et sauvage. Elle avait toujours préféré les vieux de toute façon. Œillade en direction de son petit mari qui passait, la démarche fière, les portes du château. Remontant contre ses joues la fourrure du col de son long mantel elle lui emboîta doucement le pas, songeuse. Il leur fallait renouveler leur fauconnerie, car elle préférait l’élégance de la volerie, et elle se sentait d’humeur à renouveler l’expérience. Elle en toucherait un mot au marquis, tiens.

Alors qu’elle remontait lestement les marches la menant à ses appartements, heureuse à l’idée qu’elle venait d’avoir et aux divertissements qu’elle promettait, elle fut rattrapée par un de ses domestiques qui lui parla d’un Rodrigo et d’une blonde. Apparemment Aimbaud avait organisé une soirée spectacle ou alors les drôles s’étaient invités d’eux-mêmes. Ça se faisait... les itinérants qui se voyaient offrir gîte et couvert sans rien donner d’autre en échange qu’un peu de leur voix ou de leur instrument. Elle n’était pas contre la musique, elle adorait la danse, mais tout ce que les trouvères ou conteurs avaient à leur donner manquait sincèrement d’originalité. Ça ne parlait que de guerres, de joutes ou de rois, comme si le monde n’était fait que de ça. Franchement… Bon. Elle prévint l’autre que oui oui elle assisterait au repas, mais pas tout de suite, là, elle avait une partie d’échecs à terminer.

Au lieu de quoi elle s’affala au milieu de ses oreillers et s’autorisa une sieste d’une heure.

La poudre blanche permettait des miracles et c’est le teint frais et l'oeil alerte, et sans une marque de drap, qu’elle pénétra plus tard dans la salle de réception. La scène lui fit froncer le sourcil et elle se demanda un moment si elle avait bien compris le message. Il y avait bien là un monsieur et une madame, et la madame était bien blonde, mais ils avaient l’air tous les trois en pleine discussion. Ou alors elle n’avait pas saisi le concept du conteur – qui selon elle se bornait à conter, et les autres à l’écouter. Le menton incisif, elle avait envie de demander « qu’est-ce que vous foutez exactement » mais elle se contenta d’un petit :


« Vous ne m’avez même pas attendue pour commencer. »

A boire, ou à manger, ou les deux. Plutôt les deux d’ailleurs quand on connaissait le penchant de Clémence pour le vin – penchant qu’elle semblait partager avec cette jeune dame, non ? ah, elles étaient sûrement faites pour s’entendre – et la bonne chère. Elle s’en fichait d’interrompre quoique ce soit, après tout elle était chez elle et c’était eux qui n’étaient pas chez eux. Elle arborait le sourire minimal, nécessaire tout de même pour que l’on puisse dire d’elle qu’elle était polie, à défaut d’être aimable. Et elle battait des cils allègrement, pour qu’on envisage de penser qu’elle était bien charmante, à défaut d’être sincère – pouvait-on être charmante, s’il était évident qu’on était hypocrite ?

Nous avons du chevreuil au menu ?


Fit-elle d'une voix légère et lointaine, s'arrêtant à peine sur Aimbaud. Le regard interrogatif, elle passait du monsieur à la dame, et, toujours debout, elle attrapa un morceau de pain qu'elle croqua vaillamment. Puis, levant un doigt hardi et l'agitant sans vergogne, elle marqua un temps et lança d'un ton vaguement intrigué.

Est-ce qu’on se connait ?

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Finn
- « Oh je n'en doute pas. », sourit-t-il, simplement. Ça non, il ne doute pas du plaisir que doit certainement éprouver le Josselinière à fourrer son nez dans les petites cachotteries des autres. En voilà une bien curieuse condition, et dont le culot ne manque pas d'amuser le Gaélique. Ainsi, il devrait répondre de ses méfaits devant le jeune homme devenu juge. Se prendrait-il pour Dieu, parfois, ce bon Marquis ? Soit, après tout pourquoi pas, il lui doit bel et bien une histoire.

Alors qu'il s'apprête à étancher la curiosité de son hôte, la Princesse le prend de court. D'abord perplexe, L'Irlandais repose finalement son menton couvert de poils courbes dans la paume burinée de sa main afin de s'immerger dans le conte. À la bonne heure, elle s'est enfin décidée à sécher le passant après l'avoir éclaboussé en déboulant dans son tonitruant carrosse. Et avec zèle, qui plus est. S'il a douté un instant de la Bretonne, il réussit néanmoins à se convaincre du contraire. Le regard qu'il lui porte se mue alors en une admiration somme toute assez navrante pour son orgueil. Heureusement pour ce dernier, l'Altesse est bien l'unique personne capable de provoquer tant d'humilité chez lui, et parfois même, son pardon.

Contre toute attente, une nouvelle invitée surprise fait son apparition et lui ôte la parole. Se demandant tout de suite qui peut bien oser, sa mise comme cet imprudent petit doigt qui tournicote dans sa direction lui font déduire un lien avec le maître de maison. Mais à savoir duquel des deux est issue cette curieuse manie, ça... Le Chevalier se redresse doucement contre son dossier pour envisager la jeune femme qui, de toute évidence, en sait autant sur lui que lui sur elle. Un bon point pour l'inconnue.


- « Il me semble pas, ma Dame. Je gage que je m'en souviendrais, sinon. »

Nouveau sourire, plus poli que charmant et, encore, autant que la paralysie du pan gauche de sa face le lui permet. Celui-ci s'éternise, le vieux grison n'ayant pas le réflexe, encore moins l'idée de saisir la perche pour se présenter. Chose qu'il fait d'ailleurs rarement, se bornant bien souvent à ne répondre qu'aux questions qu'on lui pose sans petit bonus d'usage. Mais c'est qu'elle lui semble bien en détresse à grignoter son morceau de pain debout, comme une pauvre malheureuse... Alors il finit par transiger :

- « Finn Ó Mórdha, Chevalier de Kiberen. Et voici ma suzeraine, Son Altesse Marzina de Montfort-Penthièvre. » Le Grisonnant incline le chef et relance, sourcil arqué : « Seriez-vous celle à qui l'on doit d'appeler le Marquis, 'Marquis' ? »

Ça alors. Si c'est bien elle, il pourrait sans doute rabattre le caquet de tout ceux qui doutent de l'existence même de cette épouse dont on entend si peu parler. À commencer par lui. Et considérant qu'il eut du flair, le Gaélique invite la Marquise à sa propre table en agitant le bras d'un air pressant.

- « Il n'est pas trop tard, je vous en prie, venez... » Et afin de la mettre dans le bain : « Son Altesse et moi sommes venu discuter d'une belle lettre d'amour que votre époux me fit parvenir, il y a plusieurs mois, assortie d'une proposition de vasselage. Hélas, l'ardeur de son sentiment premier semble s'être effilochée avec le temps quand ses exigences se sont au contraire renforcées. La passion peut parfois se montrer si capricieuse... », soupire-t-il tragiquement avant de poursuivre sur le ton de la confidence : « J'espère qu'il vous a mieux séduite que ça pour vous convaincre de l'épouser ? » Le rire gouailleur de poindre, bon enfant.
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Clemence.de.lepine
Oh. Elle s’attendait à passer la soirée en compagnie d’un conteur et de sa poule et à la place on lui offre une princesse et son chevalier. La perspective est intéressante. Elle arque un sourcil et, tout en fixant ce dénommé Finn, croque une seconde et dernière fois dans son morceau de pain. Là. Voilà. Elle s’époussète tranquillement les doigts et hoche la tête.

Enchantée, votre Altesse, Chevalier. Excusez-moi mais je pensais que nous aurions droit à quelque amusante histoire ce soir, on m’avait annoncé la venue d’un conteur. Alors soit l’on m’aurait induite en erreur, soit en effet, vous faites un fameux conteur, ou menteur, quoique souvent on parvienne difficilement à faire la différence. Vous imaginez donc ma surprise à vous trouver attablés, tous les deux en pleine conversation avec mon époux.

Ça, c’est fait, elle vient de confirmer la supposition du chevalier.

Hum… donc. Si nous ne nous sommes jamais rencontrés, j’ai pourtant déjà entendu parler de vous et plus d’une fois.

Elle ne tente pas de le flatter, Clémence de L’Epine ne flatte jamais, ou alors de manière ironique. Elle se contente d’énoncer des faits, de la façon la plus neutre possible. Elle fait le tour de la table et vient prendre place aux côtés d’Aimbaud. Elle ne relève pas l’invite de Finn, ces paroles qu’elle aurait pourtant pu prendre comme une espèce de défi, car qui demande à la maîtresse des lieux de s’assoir à sa propre table si ce n’est celui qui a l’habitude de s’amuser au jeu de la provocation ? Elle n’en fait pas grand cas pour une fois, l’identité de ses hôtes venant occulter la familiarité des mots du Chevalier.

Car vous connaissez ma cousine Isaure, je crois. Elle s’interrompt un instant pour plonger les lèvres dans une coupe qu’on vient de lui remplir de vin. Et puis, un souvenir lui remonte soudainement au cerveau et son visage se crispe en une moue interdite. Ses boucles blondes s’agitent sous sa coiffe perlée tandis que ses prunelles se tournent de Finn à Aimbaud, aller et retour.

Mais attendez… je me souviens de cette histoire de vassalité. Vous n’êtes pas celui qui serait censé être… mort ? Auquel cas je peux comprendre que le fait de vous savoir refroidi ait également refroidi mon mari dans sa volonté de faire de vous son vassal. Quoique maintenant vous me semblez plutôt vivant. Alors je comprends aussi que la question soit à nouveau posée.

Elle s’apprête à demander quelles sont ces nouvelles exigences auxquelles Finn fait référence, et puis son regard accroche l’Altesse bretonne. Et alors que la bouchée de viande qu’elle vient d’enfourner gracieusement finit de glisser le long de son blanc et fin gosier, elle s’interroge : qu’est-ce que, au juste, une bretonne vient faire dans l’histoire ? Elle hésite à dire qu’elle n’aime pas fort les bretons, que c’est une espèce de vieille coutume en France et qu’elle ne déroge pas à la règle, mais elle a assez de bon sens pour se contenir et à la place, elle reprend une gorgée de vin.

Enfin ! Vous étiez mort et vous voilà vivant à nouveau, n’importe quel homme sensé trouverait l’histoire louche et n’importe quelle passion s’en serait trouvée entre temps flétrie. La passion souffre de l’absence, et aussi du mensonge, et si j’étais mon époux, je crois que je vous refuserais d’emblée cette vassalité que vous venez apparemment réclamer aujourd’hui. Je vous demanderais d’abord de refaire vos preuves, cela est logique, la situation est complexe et demande de la réflexion. Vous n’êtes certainement pas le même homme qu’avant, on ne se fait pas passer pour mort pour rien…

Les coudes sur la table, elle lève les paumes vers le ciel dans un mouvement nonchalant.

C’est en général plus la raison que la passion qui me séduit, monsieur. Et mon époux me semble raisonnable, si vous me dites qu’il se montre maintenant plus exigeant envers vous.


La marquise a un petit rire désabusé et, se reculant au fond de son siège, elle exécute un haussement d’épaule navré.


Mais je vous en prie, poursuivez là où vous en étiez…

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