Odreuze
[Bois de Bouconne, cinq lieues et demie de Toulouse.]
Colchiques dans les prés, dans le bois. Promène-toi tant que tu pourras.
-« Prends garde au loup, petite ! Prends garde au loup ! Prends garde au loup. » Elles sautillent les tresses blondes sur les épaules menues. « Il emporte, il emporte, prends garde au loup, il emporte un mouton ! »
Odreuze a cinq ans, et c'est la fierté qui l'inonde d'avoir eu le droit d'accompagner sa mère pour aller garder les moutons, et innocente, elle s'aventure entre les arbres à la recherche de l'agneau qui s'est écarté du troupeau. Mais les loups n'y regardent jamais à deux fois, et la raison du plus fort est souvent la meilleure, Odreuze n'a pas de frère, pas plus de cousin, et l'agneau aura servi de mise en bouche.
Un cri résonne à travers les bois.
- On les entend mais on ne les voit jamais dans la nuit,
Contre le vent, ils attendent impatients,
Fous de rage et d'envie de sang,
A l'affût du moindre corps qui s'est affaibli,
Voici venu le temps où on les revoit traîner par ici.*
[Place Carmin, Toulouse]
Elle était mignonne, Odreuze. La peau rose, les joues rondes, des lèvres auxquelles s'accrochait un sourire innocent. Oui mais voilà, c'est l'histoire banale d'une enfant de cinq ans qui a vu le loup, ça saigne, ça fait mal et le sang l'emporte sur les larmes. Celles de sa mère dégueulent sur la tunique de lin grossier auréolé de sang, et le sourire d'Odreuze a mué en une grimace hideuse à l'image de la peur qui parfois saisit l'homme et le défigure.
Elle est moche Odreuze, moche et morte. La gorge sectionnée, la carotide a servi de fil dentaire aux carnassiers, et si avant, elle sautillait dans la vallée, il n'y a plus qu'une jambe sur ce corps là et l'autre a été déchiquetée. De toute façon, les morts ne sautillent pas. Les vivants quant à eux, hurlent à s'en casser la voix.
Et sa mère hurle à qui voudra l'entendre, courbée sur le corps dévasté par la faim des fauves. Et la violence des cris appellent la plèbe à venir constater le carnage.
- Comte, entends-tu ? On tue tes enfants sur tes terres.
* Manau, Le Curé et les loups, Panique Celtique II.
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