.sakurahime.
Qu'il était bon de respirer l'air librement, sans avoir à dissimuler visage et cheveux sous une lourde cape aux couleurs aussi informes que communes.
Le Roy Eusaias n'était plus, Sa Majesté Nicolas Ier était monté sur le trône, et avec lui, la détente de tout un Royaume.
Ce qu'il en ressortirait appartenait au futur mais elle l'avouait sans fausse honte, la borgne, elle avait hâte de le voir se dessiner ce futur.
Elle n'avait pas pris part aux combats qui avaient fait rage dans le Sud du Royaume, et quelque part, elle s'en sentait soulagée.
Naturellement, si telle avait été la volonté de sa Grande Amazone, elle n'aurait pas hésité à tirer l'épée, mais la mort dans l'âme de devoir pointer sa lame contre ceux qu'elle aimait veiller de prêt, en silence, qu'ils soient nobles ou non.
Certes sa position de maréchale d'armes ne lui permettrait jamais d'admettre qu'elle s'était attachée à cette terre chaude, à la fois aride et attachante, qu'est l'Armagnac.
Elle admettrait encore moins qu'avec le temps elle avait fini par apprécier bon nombre de ces nobles d'Armagnac sur lesquels elle était chargée de veiller.
Elle pouvait cependant admettre que d'autres sentiments, plus profonds que le simple professionnalisme, l'avait conduite à l'acquisition de cette petite bicoque qu'elle avait souhaité à son image: simple et solide.
Une façon d'être au plus prêt.
.sakurahime.
Pour se sentir à l'aise, il faut toujours procéder à quelques aménagements, de ceux qui font du nid que vous construisez un cocon douillet à souhait, qu'il est plaisant de retrouver le soir après une dure journée de labeur.
Un lieu sain et propre, chaud et douillet où il fait bon vivre.
Or pour le moment, sa bicoque ressemblait à une morne plaine, aussi vaste que vide, hormis les habitantes à huit pattes qui semblaient en avoir fait leur territoire de prédilection, tant est si bien que la borgne les avait déclaré ennemies personnelles de la proprio.
Une guerre se préparait donc, sanglante et mortelle.
La question qui se posait était celle du camp victorieux au final mais il fallait dire que bien que seule et armée de seulement deux paires de pattes, le chevalier n'était pas prête de baisser le pavillon et d'agiter le drapeau blanc!
La bicoque ne lui avait pas couté grand chose, même pas le prix de sa monture en fait.
Mais elle comprenait pourquoi maintenant... son lit n'avait pas bougé la nuit précédente lorsqu'elle avait tenté de s'y glissé, mais l'impression qu'elle en avait eu y ressemblait fortement.
Du coup elle avait passé la nuit à l'écurie, comme en témoignait la paille qui ornait encore sa longue chevelure caramel.
Faute d'avoir embauché du personnel depuis son arrivée,fichu sur la tête, balai à la main, elle sapprêtait elle-même à réintégrer la possession de son bien lorsque trois coups frappés à la porte retentirent dans la demeure vide.
Le balai suspendit sa course.
Bonjorn à vous, cher villageois ! Nous venons chercher vostre dû à la province ! Les temps sont durs les habitants doivent raquer ! et oui mon p'tit messer ou ma p'tite dame vous n'y échapperez pas ! Ouvrez-donc cette porte, ne me faites point languir. Et veuillez sortir désarmé ... oui oui nous sommes entre gens civilisés.
Les nouvelles allaient bon train dans le coin! elle n'était là que depuis deux jours...
Le "civilisé" fit naitre un sourire sur les lèvres ourlées.
Peut-être ne l'était-elle pas, elle...
Toutefois... un collecteur d'impôts? déjà? elle avait payé ceux de Montluçon, les taxes de ses terres, que devait-elle donc encore de plus?
C'était certainement une erreur, et le malentendu serait bientôt réglé, et plus vite qu'il n'en fallu pour le dire!
Elle dévala les escaliers la menant au rez-de-chaussée, à ceci près que l'avant-dernière marche céda sous son poids plume. Elle se retrouva la jambe coincée à travers le bois pourri, laissant échapper un copieux chapelet de jurons bien sentis, très peu féminins, mêlés de grognements de douleurs.
Coincée, elle l'était, et derrière la porte, y avait un type des impôts qui voulait la voir.
Deux solutions: faire la morte et le laisser poireauter jusqu'à la saint glinglin, ou le faire entrer pour qu'il l'aide et en profiter pour lui dire qu'il se plante dans les grandes largeurs, qu'elle est toute mimi et toute gentille malgré sa trogne Halloween.
Le truc c'était que la première solution ne lui permettait pas de s'en sortir à moins de sacrifier sa cheville, et il fallait être honnête, elle en avait encore besoin.
Alors elle se résolu...
"Entrez donc au lieu de faire le pied de grue derrière la porte et d'y prendre racine, j'ai un p'tit souci ici, venez vous rendre utile!"
.sakurahime.
Non mais il était sérieux là, le fonctionnaire?
Peur?
C'était bien ce qu'il avait dit?
Elle n'en revenait pas... et pourquoi une bêche? et c'était qui le noble fermier?
La borgne commençait à voir rouge!
D'abord, cette raclure de planche de bois assez pourrie pour qu'elle passe à travers mais pas assez pour éviter qu'elle ne lui laboure les chaires, commençait sérieusement à lui faire mal. Elle sentait le liquide chaud et poisseux couler le long de sa cheville, lentement, et chaudement. Si cela se trouvait, y avait des rats, et ces horribles bestioles attirées par le sang frais allaient venir lui bouloter l'peton!
Ah non hein!
Ensuite, qu'on la traite de fermière, ça la gonflait un tantinet.
Elle aimerait bien d'abord, pouvoir tenir une simple bêche entre ses mains et faire pousser deux ou trois légumes, comme avant.
Mais hormis le manque de temps, si on la chopait à faire ça, son héraut de frangin lui tomberait dessus à bras raccourcis, sans compter Montjoie qui lui claquerait les oreilles avec l'exemplarité qu'elle devait afficher, et patati et patata.
Enfin, y avait un gus chez elle qui annonçait vouloir lui piquer quelques écus, comme ça, à la bonne franquette!
Y en a qui manquaient vraiment pas d'air sur terre!
Bravo l'Armagnac, bienvenue Saku!
Mauvaise humeur la Blanche? nannnnnn, pensez-vous!
Ce fut donc un paquet d'acide qui répondit au moustachu.
Ouais, ben pas trop doucement hein, car si y a autre chose que mes écus qui vous intéresse, moi j'suis à travers le plancher.
Et des armes, pas besoin, j'en suis une.
Alors non, pas peur, mais si vous ramenez pas vos miches rapidos pour m'aider à me sortir de là, c'est vous qui devriez avoir peur, car un pied en moins m'empêchera pas de vous courser et vous rosser pour non assistance à borgne en danger!
Et si vous cherchez une fermière, passez votre chemin, y en a pas ici! malgré les apparences.
.sakurahime.
A bien y regarder, elle n'était pas vraiment sûre qu'il s'agissait là d'un sauveur providentiel.
Un moustachu... pouvait-on leur faire vraiment confiance à ceux-là? pas sûr du tout...
Surtout quand elle ont l'air fausses les bacchantes.
Il les avait piqué sur un Erasme endormi ou quoi?
Quoiqu'il en était, l'homme avait surtout l'air de se payer sa poire, ce qui eu le don de l'exaspérer plus qu'autre chose, et entre autre, d'accroitre la douleur en gigotant d'autant plus que la moutarde lui montait aux naseaux.
Il vous manque déjà un il vous ne m'en voudrez pas si il vous manque un bout de jambe hein ? Comme disait mon grand père, "Aux grands problèmes, les grandes solutions". Je vous rassure mon espouse est médicastre elle saura vous réparer un bout de jambe en moins.
Faites gaffe à c'que vous dites si vous ne voulez pas que ce soit la langue qui vous manque... persiffla-t-elle entre ses dents.
Et oui, elle détestait être en position de faiblesse, là elle avait clairement le désavantage du terrain, tel le lapin pris dans un collet sous l'oeil en tapinois du loup installé sur son rocher en surplomb.
Serrer les dents serrer les dents, à son avis elle faisait quoi depuis qu'elle avait traversé l'plancher? enfiler des perles?
J'vous jure! les hommes ils en ont de bonnes pour énoncer des évidences.
Vous avez raison, j'serre les dents, j'ai tendance à vouloir mordre quand on me charcute la gu....
Hmpffffffff!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Le point positif, c'est qu'il n'y avait plus de gros bout de bois qui dépassait de sa cheville en sens non prévu par la nature.
Heureusement qu'elle serrait les dents parce qu'elle lui aurait éclaté les tympans sinon, et on ne fait pas ça à son nouvel ami pas si nouveau que ça hein?
Même si là, malgré l'aide apportée, elle rêvait surtout de lui sauter à la gorge.
Et cerise sur le gâteau, il arrosa le poulet cuit à point.
Ca ca faisait carrément mal! Le dernier qui avait fait ça pour désinfecter avant de lui recouvre une plaie à vif s'était mangé la mandale de sa vie. Mais là, peut-être trop endolorie par la douleur lancinante qui pulsait comme un coeur à vif dans sa cheville, ou peut-être pour une autre raison inconsciente, sait-on jamais, elle n'en fit rien, laissant la douleur tenter de se calmer tandis que la plaie était pansée comme possible.
Eh bien dauna vous n'estes point passé loin de la mort. Heureusement que nous passions par la, mais nous craignons que les frais des impôts soient considérablement augmentés avec une intervention aussi héroïque de nostre part !
Elle reprenait son souffle, peu à peu, et peut-être plus ou moins sa raison, car un détail la frappa... rien à voir avec les bacchantes, qu'elle pensait toujours bidon.
Elle préféra confirmer ses soupçons d'une manière peut-être peu fine, mais il fallait pas lui en demander trop non plus eu égard à la situation.
Ben voyons, c'est à la tête du client les impôts ici?
J'espère que cet argent vous servira à vous offrir une nouvelle moustache, il n'est pas très réussi votre pastiche, vous avez voulu copié le vicomte de Corneillan ou quoi?
Ah c'était donc ça......