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[RP] Peut-on aller deux fois au būcher ?

Estuardo
    "- S'il te plaît... apprivoise-moi !"
    Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry


Le soigner? Il allait pas se laisser toucher par une sorcière quand même! Manquait plus que ça! L'aragonais regardait d'un air de soupçon la vielle femme Brunehault aux dires de la rouquine. Elle n'avait plus rien de brune et plus rien de haute, soit dit en passant, alors il manqua presque de sourire en entendant le prénom. Mais son sourire devint une sorte de grimace, parce qu'il avait l'impression de s’être embarqué dans une histoire qu'il ne saurait gérer. Une sorcière qui propose de le faire rentrer, n'est jamais une bonne idée. Et ça, pour sorcière, elle devait l’être: si elle savait soigner, qu'elle était sans âge, qu'elle avait des petits yeux malins, aucune autre explication n'était possible.
Pourtant, Estuardo ne se voyait pas non plus rebrousser chemin, retourner á Nîmes á des heures pareilles, seul sur les chemins, et avec une cervelle sur le point d'exploser. Le dilemme était palpitant. Et puis, c'était vrai qu'il avait mal, qu'il était encore étourdit, et qu'il commençait á sentir le froid rentrer dans sa peau, depuis son fessier mouillé et humide (á cause de la terre, croyez pas!) jusqu'aux derniers de ses doigts, de ses cheveux même, et au creux du ventre. Il avait faim, en plus. Et puis, il commençait á avoir la gueule de bois. Il y avait rien de plus horrible au monde qu'avoir la gueule de bois sans avoir dormit après boire. Mais la chute, la peur, l'angoisse et l’incompréhension avaient tout fait pour le ramener á un état de conscience quasi-normal, faisant des écus dépensés en bière un complet gâchis. Maintenant il ne savait plus si le mal de tête était du au coup ou á l'alcool. Sans doute aux deux.

Il jeta encore un regard á Brunehault, doutant. Puis, des mots pas très doux vinrent trancher l'affaire. Certes, ce que la rouquine avait fait, c'était le menacer, mais aussi, l'avait-t-elle fait en espagnol, et cette langue ne pouvait que réconforter Estuardo, si loin du pays.


-Lo... lo prometo...
(Promis)

Il posa ses deux mains á terre, fléchit ses genoux avec difficultés, et peu á peu ses muscles commencèrent l'ardue labeur de réagir aux ordres embrouillées de son cerveau. Il dut faire un énorme effort de concentration pour réussir á mettre son poids sur les jambes et sur une main, gardée á terre pour le soutenir accroupit. Son visage se déformait dans une grimace de douleur, et pourtant il réussit á se lever. Il le fit sans doute trop vite, ou telle était son impression, puisqu'il du faire deux pas hésitants en arrière avant de retrouver l’équilibre.

-Moé c'est Estuardo...

Il parlait á Brunehault. Il ne lui accordait pas sa confiance, mais n'était pas assez bête pour la provoquer en un tel état á un tel moment. Puis, même si cela n'avait aucun sens pour lui, la rouquine semblait, elle, confier aveuglement dans une sorcière. Entrer l'aiderait, il pourrait l'avoir á l’œil, comprendre ses propos, et l’empêcher de faire mal á la jeune fille. Enfin, c'est ce qu'il se disait. Il voulait surtout entrer pour prendre un peu de chaleur et s’asseoir dans un endroit plus confortable...

-Yé prendrais bien un truc á boire avant dé partir, si ça né vous dérange pas...

Il parlait en français vu que la rousse l'avait ainsi voulut, et pour ne pas tomber en disgrâce devant la sorcière, qui sans doute saurait lui administrer du poison si elle ne l'aimait pas assez...
--Brunehault
    La vieille femme restait très spectatrice face au comportement de Shirine avec l'inconnu. Elle avait essayé d'orienter sa décision sur ce qu'elle devait faire avec lui, mais elle n'était ici qu'une invitée et si elle pouvait imposer à la rouquine un régime drastique, elle ne pouvait pas l'obliger à faire entrer quelqu'un chez elle. Pourtant, elle l'avait convaincue, provisoirement, faisant appel à la bonté qui, elle le savait, se terrait quelque part en elle. Shirine n'était pas méchante, elle était méfiante. Et son histoire l'expliquait. Son combat quotidien contre des démons du passé qui refaisaient surface la rendaient presque paranoïaque. Personne n'y échappait. Elle observa sa petit protégée retourner à l'intérieur puis tourna la tête vers Estuardo. En le voyant essayer de se lever, elle voulut lui venir en aide, mais sa dextérité l'avait quitté depuis des années, et le jeune homme pu se débrouiller seul bien avant qu'elle n'ai le temps de faire un geste.


      « Estuardo... Suis-moi, je vais te préparer une infusion. »


    Elle lui sourit pour tenter de le mettre à l'aise, persuadée que les mots de la rousse qu'elle n'avait pourtant pas compris étaient loin d'être agréables. Le ton employé en tout cas ne l'était pas. Brunehault passa la porte et la referma derrière le jeune espagnol. Elle lui proposa de s'installer sur un des bancs, devant la table et alla faire chauffer de l'eau dans la cheminée. La vieille guérisseuse avait supprimé toutes les bouteilles d'alcool de la maisonnette, pour empêcher Shirine de boire. Il ne restait plus que la possibilité d'avaler de l'eau et des infusions. Elle attrapa un bocal sur une étagère, l'ouvrit et alla jeter les queues de cerise qu'il contenait dans l'eau bouillante. Son regard se perdit un instant dans le liquide qui prenait peu à peu une teinte jaune très très claire. Elle finit par servir trois tasses qu'elle posa sur la table, dont une face à Estuardo. Ses petits yeux gris se plantèrent dans les siens et elle sourit avec une infinie douceur.


      « Tu as mal quelque part ? Tu veux que je regarde si je peux faire quelque chose pour ta douleur ? »
Shirine
Dans la pièce principale, de nouveau au chaud, Shirine pousse un soupire de soulagement. Sa cape s'échoue au sol, suivie par le drap, sur le chemin qui mène à son bain. Elle s'y replonge avec délectation, juste avant que les deux autres ne fassent leur entrée. Elle préfère les ignorer, ruminant tout à coup l'impression de s'être fait manipuler par Brunehault. Sans elle, jamais elle n'aurait laissé Estuardo passer la porte de chez elle.

La rouquine s'enfonce dans l'eau jusqu'au menton, disparaissant presque à la vue des autres. Songeuse. Son esprit se met à vagabonder. Et pour essayer de se détendre, elle pense à son borgne. A ce que serait sa vie avec lui dans d'autres circonstances. Elle ferme les yeux pour mieux voir et savourer les images. Elle imagine que finalement il aurait quitté sa femme pour elle, ou que finalement elle serait morte ou n'aurait plus voulue de lui, ce qui aurait grandement simplifié les choses. Il aurait fini par revenir au Lion de Juda, elle l'aurait convaincu. Ils combattraient côte à côte les impérialistes, les Évêques et autres usurpateurs de la parole Divine. Ils iraient prélever l’impôt léonin ensemble, avec leurs frères et sœurs Sicaires, les aventures seraient délectables et pleines de rebondissements. Et la nuit ils se retrouveraient tous les deux dans leur couche à s'observer jusqu'à ce que leurs yeux leur fassent mal, ils se seraient fait des promesses de s'aimer toujours comme un jeune couple innocent et ils auraient redéfinis le monde de leurs mots d'amour.
Jamais Shirine n'avait rêvé de cela une seule fois. Même enfant, même toute jeune fille, elle s'était toujours persuadée qu'aucun homme ne pourrait toucher son cœur et qu'elle les prendrait chacun à leur tour pour les jeter le lendemain.

Shirine rouvre les yeux au moment ou la vieille Brunehault sert l'infusion. Elle se lève et sort du bain, sans trop de pudeur, mais tournant le dos à ses deux hôtes. Elle se baisse pour ramasser le draps à terre et se le passe sur le corps pour se sécher. Tout en se faisant, elle quitte la pièce principale pour la toute petite chambre adjacente et enfile une robe brune. Elle essore au mieux sa longue chevelure rousse avant de revenir sur ses pas et d'aller s'asseoir en face de sa tasse.
Ses yeux verts se posent sur Estuardo.

_________________
Estuardo
Il comprendrait jamais les femmes. Créatures malicieuses qui font tout pour contredire leurs propres paroles. Défis constants lancés en l'air. Mise á l’épreuve des capacités masculines pour garder le contrôle. Non, il ne comprendrait jamais ces femmes-lá. Si différentes des paysannes et des catins, qui n'ont rien á cacher et ne cachent rien, et qui, si elles se montrent, c'est sans doute pas sous la menace, et encore moins pour interdire d’être vues.

La rousse était rentrée première, suivie de la pas brune pas haute et finalement de l'aragonais. Estuardo avait suivit celle qui ne lui donnait pas encore confiance, même si, pendant un instant, il avait été tenté de le faire. Elle lui avait sourit avec gentillesse, une gentillesse que l'ibérique aurait bien voulut croire sincère, mais quelque intuition ratée en lui ne le lui permettait pas encore. De toutes façons, il n'eut pas beaucoup le temps de remettre en question ses a prioris sur la vieille femme.
En se dirigeant vers la porte, il se demanda encore ce qu'il était entrain de faire: ça aurait été tellement plus simple de dire merci, non, au revoir et de cesser d’être mêlé á des affaires qui ne le concernaient pas... Si simple, encore, á l'intérieur de la maison, de faire demi-tour et partir... Jusqu’à ce qu'on referma la porte derrière lui. Lá, maintenant, rien n'était plus simple.

Il dut faire un énorme effort pour ne pas remarquer que la rousse était rentrée dans son bain. Comme ça. Mine de rien. Dans la même salle oú il se trouvait. Après l'avoir menacé, lui. Et quelle menace.
Il s'assit sur le banc indiqué par Brunehault et se mit á détailler la salle avec une grande précision, histoire de ne pas être amené a regarder le coin du bain. Même s'il lui était impossible d'éviter le fait que toute son attention se concentra lá, au moins, ses yeux étaient ailleurs.

La maison n'était pas luxueuse, et ne semblait pas être la vraie maison de la rouquine, qui elle, de par sa peau et sa façon de parler, ne semblait pas être une paysanne, ni une femme pauvre. Cela devait être une maison de passage, oú bien un repaire occasionnel. Il eu la drôle d'idée de penser que peut-être la rousse était enceinte d'un enfant hors-mariage, et cela expliquait tout: l'endroit provisoire, caché en dehors d'une ville peu importante, et surtout, surtout... la présence d'une sorcière. Il frémit á cette idée. Évidemment, l'Estuardo était absolument contre tout acte assassin de ce genre, même si l'enfant ne devait pas avoir plus de trois semaines dans le ventre de la rousse, étant donné que sa figure restait mince et le résultat de la possible luxure, insoupçonnable.
Il pensait tout ça, il regardait Brunehault chauffer de l'eau, mais le reste de ses sens étaient concentré dans la baignoire. Il écoutait la respiration de la rousse, l'eau se mouvoir très doucement autour d'elle. Non! Il ne fallait pas!

Alors, il regardait encore l'eau de Brunehault, il tentait de changer ses pensées. Ne pas, ne surtout pas penser á la rouquine. Une infusion... c'était pas exactement á quoi il avait fait référence en demandant quelque chose á boire. Un peu de vin, de bière, ou un alcool encore plus fort, c'est ce qu'il avait eu en tête. Mais il n'osa rien réclamer. Après l'avertissement de la rouquine et la présence si "normale" de la vielle femme, il se sentait en territoire dangereux. Une erreur, et il n'avait aucune doute qu'il perdrait, au mieux une main, au pire sa vie... ou encore sa virilité. Et á sa virilité, il y tenait encore beaucoup.

Brunehault posa trois tasses remplies devant lui. Il n'y toucha pas. D'une, parce qu'il n'eu pas le temps, la rouquine venait de sortir de son bain, nue, leur offrant son dos á la vue.. et Estuardo ne put s’empêcher d'y jeter un rapide regard avant de plonger celui-ci dans le breuvage devant lui. De deux, il n'osait pas boire le premier... et si la sorcière y avait mit du poison?
Heureusement la rouquine partit. Il pouvait tenter de se concentrer en d'autres choses, maintenant.
Estuardo regarda Brunehault.


-Euh... y'ai mal partout... mais yé né pense pas être vraiment blessé... Seulement la chute... et la tête...

Faire quelque chose pour sa douleur? Il allait pas se laisser toucher par elle, noméh! Pas encore, du moins.
La rouquine revint. Vêtue enfin. Elle le regarde. Il ne la regarde pas. Elle s'était très bien fait comprendre dehors. Aucun regard déplacé. Aucun regard tout court, alors. Ça serait plus sauf.
Un temps.
Un silence.
Estuardo se sentait observé de toutes parts. Mal-á-l'aide soudain.


-Vous vivez ici depouis longtemps?

Au vue de la maison, la réponse était presque claire. Mais il fallait bien rompre le silence. Fallait bien détourner un peu l'attention de lui! Il sourit, le plus pathétique sourire de sa vie. Genre il voulait faire semblant qu'il était juste gentil, alors qu'en réalité, lá, tout de suite, il avait juste une drôle envie de fuir.
--Brunehault
    La vieille femme se retint à la table après avoir posé les tasses. Soudainement un peu lasse, elle pivota légèrement sans lâcher sa prise pour s'asseoir avec lenteur par peur de s'affaler au sol. Elle essaya de garder un sourire fixé sur les lèvres pour ne pas laisser paraître sa faiblesse. Elle soupira de soulagement de se retrouver assise à peu près en face d'Estuardo. Ses petits doigts noueux entourèrent une tasse pour se réchauffer et se réconforter par la chaleur diffusée dans les mains. Des volutes de fumée s'élevaient et elle souffla dessus tout en réfléchissant à la réponse du jeune aragonais. Shirine avait quitté son bain, puis la pièce, et Brunehault préféra la laisser tranquille et ne rien lui demander de plus. Elle avait certainement déjà fait un gros effort à ses yeux. Lui imposer que l'étranger passa la nuit ici risquerait de la fâcher définitivement contre elle. Elle ne voulait pas perdre sa confiance. Elle ne voulait pas anéantir tous ses efforts.


      « J'ai un très bon remède contre les douleurs. Je t'en donnerai tout à l'heure. »


    La rouquine revint dans la pièce et s'assit à son côté. Elle était vêtue d'une robe sombre et ses cheveux humides étaient plaqués dans son dos. Brunehault souffla une fois de plus sur sa tisane avant d'en boire une petite gorgée, doucement, en essayant de ne pas en renverser à côté avec maladresse. Et, au moment où elle reposa sa boisson, un pincement au coeur se fit doucement dans sa poitrine. Pas le pincement de de tristesse, le vrai pincement physique très douloureux qui lui donna l'impression qu'une main s'était introduite dans sa poitrine et lui serrait son organe de plus en plus fort. Elle porta une main sur son sein en bredouillant quelque chose puis essaya de se lever. La douleur se fit de plus en plus oppressante, et elle se mit à suffoquer. Elle voulait se lever, aller s'allonger, se recroqueviller en espérant que la douleur passe. Elle ne devait pas rester ici, pas devant eux. Elle avait peur et à la fois, l'événement n'était pas une surprise.


      « Shi... Shirine... Je dois aller m'allonger... »
Shirine
Shirine garde les lèvres scellées. Ses yeux ne quittent pas Estuardo tandis qu'il attend une réponse à sa question. Question soigneusement choisie ou simplement anodine ? Les sentiments de la rouquine pour l'aragonais vacillent entre méfiance et confiance. Il lui paraît trop gauche pour être calculateur et pourtant, elle a connu des gens comme lui bons acteurs, et qui auraient pu tromper la plus méfiante des personnes. Elle le transperce de ses yeux, affiche un regarde sombre et tente de lire son âme à travers son iris... Si tant est qu'elle soit capable de faire une telle chose.

Mais un mouvement suspect de Brunehault, à côté d'elle, l'arrache à sa contemplation malsaine. Elle tourne la tête vers la vieille femme et fronce les sourcils. Elle ouvre la bouche pour demander à son amie ce qui lui arrive, mais elle l'entend déjà suffoquer et tenter le lui parler.
D'un bond, Shirine se lève et se précipite sur la vieille femme. Elle l'attrape par les épaules et essaye de la redresser.


D'accord, d'accord ! Je t'emmène dans la chambre.

Ses doigts fins se crispent sur Brunehault et ses muscles se tendent pour la maintenir debout. Elle serre les dents. La vieille femme n'est pas toute légère et n'a pas l'air de pouvoir tenir sur ses jambes, obligeant Shirine à supporter tout le poids dans ses bras.
Désespérée et frustrée, elle tourne la tête vers Estuardo et le fusille du regarde.


Aide-moi !

Un drôle de flottement de quelques secondes à peine l'amène à réaliser que depuis qu'il est tombé de l'arbre, elle a été loin d'être agréable avec lui. Pour qu'elle raison pourrait-il accepter de lui venir en aide ? Un peu confuse, elle se sent obligée d'ajouter :

S'il te plait...
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Estuardo
La rouquine assise, la vieille devant lui. Estuardo inquiet, mal-à-l’aise sans doute. Etre le centre d’attention n’a jamais été son fort, même s’il y a dédié un nombre incalculable de rêveries. Combien de fois ne s’était-il pas vu en tant que le sculpteur le plus connu du monde (et non, il ne savait pas tailler ni la pierre ni le bois), le comte le plus loué, le Roy le plus adoré. Le Roy du monde, même, si, si. Acclamé par une foule qui n’avait d’yeux que pour lui. Sa Majesté ci, Sa Majesté cela. Se bousculant pour avoir un regard, un geste de sa part. Le nombril de l’univers. Mais ouais, dans les rêveries, ont dirige tous les personnages, ont est à l’aise à les faire faire ce que l’on veut. La réalité n’était pas vraiment cela. Pour une fois centre absolu de l’attention (ne serait-ce que de deux personnes) il avait envie de redevenir tout petit, le petit routier qui ne vaut rien et à qui personne ne prête trop d’attention.
Il vit la vieille boire sa tisane. Il hésita encore un petit instant, mais il prit finalement sa tasse. Si elle en buvait elle-même, cette tisane ne pouvait pas représenter de grand danger. Qu’il avait tort de penser cela !
Il sentit la chaleur entrer dans sa paume, lui parcourir les veines, lui réchauffer corps et âme. Mais n’avait-il pas levé la tasse que le visage de Brunehault changea. Se crispa. Les vielles rides sur son vieux minois s’accentuèrent. Le sourire bienveillant s’effaça. Estuardo reposa sa tasse. Abasourdi. Sa bouche était grande ouverte, mais aucun son ne sortait d’entre ses lèvres. « Tel est prit que croyait prendre ! » « Empoisonneuse ! » « Vielle sorcière ! » « Amante de Satan ! » « Que le Très-Haut nous protège ! ». Tant de phrases qui brulaient pour sortir, pour être prononcées, mais qui se taisaient les unes les autres. Et il restait là, très con, à juste regarder la scène.

Aide-moi !

Une voix venue d’outre-tombe pour le réveiller de son effroi. L’aider ? Quoi ? Il se lève d’un seul bond et regarde la rouquine, effaré. L’aider ? Voilà sa sorcière qui s’empoisonne elle-même et l’autre veut que lui, celui qui devrait être mourant maintenant, l’aide ?
La rousse aussi, le regarde, lui. Les yeux brillants, sans sourire, l’air confus. Et puis, voilà. Un s’il te plait. Un s’il te plait… Foutre Dieu ! Il s’y oppose, un instant, et garde ses distances. Mais la rouquine quoi…
Il grommelle en espagnol.
Qu’elle meure la sorcière !
Mouais… de toute façon, il ne pourrait pas la laisser mourir. Il n’a pas cette capacité d’abstraction. Et manquerait plus qu’elle ne meure en le maudissant…
Il s’approche des deux femmes. Ne sait pas trop quoi faire. Il a une grande répulsion à toucher celle qu’il croit vouloir sa mort à lui. Cependant, il n’arrive pas non plus à gérer le regard… presque suppliant de la rouquine. Enfin, suppliant… Surtout absolument autoritaire et tyrannique. Mais quelque chose de suppliant s’y cache. Shirine. Voilà donc son prénom. Shirine. Il n’avait jamais entendu un prénom pareil. Il trouve encore le temps de se demander d’où qu’il vient, ce prénom. D’Alexandrie ? Cette ville dont tout le monde parle maintenant ? Cette ville d’Orient aux parfums fins et aux grandes bibliothèques ?
Voui, l’aragonais, il est vraiment très fort quand il s’agit de penser à des choses complètement inutiles dans des moments cruciaux. Moment crucial puisque peut-être la vie d’une sorcière fille du Sans-Nom est entre ses mains. Peut-être que s’il ne fait rien, elle mourra et question réglée. Peut-être que s’il aide Shirine, la sorcière vivra, et la question ne sera absolument pas réglée. Mais si elle vit et qu’il ne l’aide pas, cela pourrait être pire pour lui… Et puis, Shirine (il se rend compte alors qu’il aime à prononcer ce nom-là dans sa tête) et son regard, bien très très beaucoup au fond, plutôt suppliant…
Il pose une de ses grandes mains d’homme sur les hanches de Brunehault et s’attarde un instant. Pourra-t-il la lever ? Est-il assez fort ? Ou vaudrait mieux l’aider à marcher… Avec le bras il essaye de mesurer le poids, et remarque qu’il repose en grande partie sur Shirine. Elle est vielle. Elle est petite. On va essayer, hein…
Il remonte le bras et la prends par les épaules, puis se baisse, passe l’autre bras derrière les jambes et hop !
Ses propres jambes se plient sous le poids, mais il arrive à les attirer. Elles tremblent cependant, de même que ses bras.


Jolines
(La vache!)

Pas vraiment le temps d’attendre à être aimablement dirigé par la rousse. S’il ne fait pas vite, ils vont finir par tomber et lui, et la sorcière sur lui.

Dis-toé bien qué yé fais ça pour elle…

Un grommellement, à peine audible pour Brunehault, si elle peut encore entendre quelque chose, bien sûr… Le corps presque en poids mort lui pèse, Donc… ben il se dirige, presque en courant, vers la porte où il a vu entrer Shirine nue puis ressortir vêtue. Il imagine bien qu’il doit y avoir un lit, là. Et en effet.
C’est avec un soulagement indescriptible qu’il pose (pour ne pas dire « qu’il jette ») la vielle sur la couche tout en poussant une espèce de soupir aux sons gutturaux affreusement graves.
Il regarde la sorcière.
Il regarde Shirine.
Il regarde la pièce.
Il regarde Shirine.


Ham… Y ahora… on fait quoé ?
(Et maintenant)

Il espérait vraiment que la réponse fut « attendre » mais il se voyait déjà parcourir les champs à chercher « une herbe appelée machine qui ressemble à l’herbe machin mais qui est plus foncée » (Tu parles, plus foncée, en pleine nuit cette précision allait lui être d’une utilité incroyable). En tout cas, ben… il se gratta l’arrière de la tête. Il ne savait vraiment pas quoi faire dans ce genre de situation, et il n’était absolument pas certain de vouloir faire quoi que ce soit d’autre pour quelqu’un qui avait tenté de l’empoisonner.
_________________

Images originales de Nesskain, modifiées
Shirine
De ses yeux, elle implore comme rarement elle l'a fait. Elle qui préfère ordonner, ou plutôt se débrouiller seule. Mais parfois, sa fierté, elle sait la ravaler. Elle tente de ne pas se laisser envahir par l'émotion, mais ses yeux doivent bien briller un peu et trahir sa panique.
Regard ou mots, ça fonctionne. Il bougonne mais s'approche. Dans un effort de plus, Shirine opte pour maintenir Brunehault en attrapant le tissu de ses vêtements. C'est plus douloureux, mais elle lui glisse moins entre les doigts. Ses mains blanchissent de trop serrer, mais elle se prépare à la soulever avec l'aide d'Estuardo... Qui prend les choses en mains... En fait...

Elle le voit, près d'elle, se baisser et prendre la vieille femme dans ses bras. Seul. Elle lâche prise, un peu stupéfaite, ne s'attendant pas à le voir la porter tout seul. Ne s'attendant pas à le voir en être capable. D'un seul coup, son regard change. Elle l'observe, plus vraiment comme un intrus, mais comme un homme. Un homme comme un autre, d'agréable compagnie et qui pourrait lui plaire... Shirine les préfère grands, froids, et taciturnes, mais qui sait si l'Aragonais n'a pas une de ces qualités...

Mais elle secoue la tête pour chasser ces pensées et le suit dans la chambre. Le petit corps de la guérisseuse s'étend sur le lit et tout s'arrête.
Et maintenant ? Oui, et maintenant... ?


No sé...*

Shirine n'ose pas regarder Estuardo de peur qu'il ne voit à quel point elle est désemparée.
Elle ne sait pas. Comment pourrait-elle le savoir ? Ce n'est pas elle qui soigne les gens ! Il se trouve que la seule qui pourrait faire quelque chose n'en est pas capable...


No sé ! No sé ! Puta madre !**

Elle fait volte face et se précipite dans l'autre pièce. Des yeux, elle cherche le livre de Burnehault. Elle sait qu'il renferme de nombreux remèdes. Elle ne sait pas vraiment ce qu'elle pourrait y trouver, d'autant plus qu'elle ne sait pas vraiment ce qu'elle cherche. Mais au moins, elle fait quelque chose... Ses mains tremblantes tournent les pages, à la recherche du remède miracle, d'une idée brillante, de la solution.
Son esprit embrouillé lui permet quand même de songer que si Brunehault le peut encore, elle pourrait peut-être lui dire ce qu'elle a. Alors, dans un claquement, elle referme le livre et se précipite de nouveau dans la chambre, un peu échevelée.


Tu as mal où ? Tu as quoi ? Je dois faire quoi ? !

*Je ne sais pas
**Je ne sais pas ! Je ne sais pas ! Put** !

_________________
--Brunehault
    Une main, une grande main entourait son vieux cœur rabougrit et le pressait, lentement, mais surement. Sans s'arrêter. Sans cesser. Sans hésiter. Puis petit à petit, une douleur continue se mit à couler le long de ses épaules, remontant jusqu'à la mâchoire, redescendant dans son dos, puis le long du bras gauche jusqu'à sa main... Des douleurs diffuses et affreuses. Insupportables, oppressantes, étouffantes. Ses yeux se brouillèrent de larmes et Brunehault se mit à suffoquer. Elle n'avait plus conscience de ce qui pouvait bien se passer autour d'elle. De Shirine qui lui parlait, d'Estuardo qui la soulevait, du lit sur lequel elle atterrit. De tout. Plus conscience de rien... Si ce n'était qu'elle voyait la sa dernière heure arriver. Maintenant. Pas demain. Pas plus tard. Tout de suite. La mort venait la chercher et ne repartirait pas sans elle. Main dans la main, elles iraient... Où ? Elle n'en savait rien. Avait-elle passé sa vie à l'imaginer ?

    Sa vie, non. La fin de sa vie, oui. Elle s'était imaginée un endroit paisible. Une prairie verdoyante, un ciel bleu magnifique, le chant des oiseaux et une maisonnette. Où l'attendait son défunt époux. Un lieu tranquille loin de la médiocrité des Hommes. Un endroit protégé des souffrances de la solitude et du quotidien. La vieille n'avait écouté aucun dogme, aucune religion. Elle s'était inventé un paradis, qu'il était temps maintenant de découvrir. Et avant la délivrance et l'apaisement, il lui fallait encore subir et affronter les souffrances ultimes de ce pauvre cœur, trop vieux pour continuer à battre. La douleur irradiait toute sa cage thoracique. Elle suffoquait, les yeux révulsés, pressée d'en finir. Elle crut tendre la main en apercevant la mort. Elle crut la lui tendre et la supplier de la prendre, espérant que tout cesserait alors dès qu'elle la toucherait. Et tout cessa, d'un coup alors qu'elle crut que son cœur venait d'exploser dans sa poitrine.

      Il ne restait plus d'elle qu'une enveloppe. L'âme s'était envolée. Vers son paradis...
Estuardo
Elle ne sait pas. Elle ne sait pas? Comment ça, elle ne sait pas ? Comment diantre fichtre Dieu elle ne sait pas ? Lui non plus ne sait pas, bon sang ! Il la voit. Elle. La rouquine. Elle jure. Elle tremble. Elle cherche. Elle désespère. Et lui, lui, il reste glacé, en marbre, immobile, silencieux. Un ange passe. Un ange, ou L’ange. Il reste là, elle, elle part, elle revient, elle parle. Il n’écoute pas. No sé (Je ne sais pas). Moi non plus. Moi, moins que toi. Sa main reste figée derrière sa tête. Il ne regarde pas Brunehault. Il n’ose pas. Il ne regarde Shirine que du coin de l’œil. Il n’ose pas non plus.

Des images lui reviennent en tête. Sa mère. Sur un lit de paille. Les yeux ouverts. Le regard vide. La tristesse la plus profonde au creux de son âme. Il est seul dans cette chambre. Son père n’est pas là. Son père n’ose pas. Son père. La rage l’envahit. Son père, la tristesse de sa mère. Elle ne le regarde pas. Elle ne regarde rien. Elle ne sait pas que lui, son fils, est là. Ou ne veut pas savoir. Peut-être est-il la tristesse de sa mère. Elle ferme les yeux. Elle cesse de respirer. Pour première fois depuis la naissance d’Estuardo, elle esquisse un sourire. D’entre ses lèvres, enfin soulagées, Estuardo croit voir son âme partir. Et il ne bouge pas. Il n’accourt pas á son secours. Il ne fait rien. Quelques larmes coulent sur ses joues. Presque aussi immobiles que lui. Presque aussi abasourdies. Il jette un dernier regard sur le cadavre. Il n’a pas besoin de clore ses yeux. Elle l’a fait toute seule. Comme toujours. Seule. Il jette seulement un dernier regard vers son visage. Il sourit. Elle sourit. C’est la première fois qu’il la voit sourire.
Ce jour-là, il est partit de chez lui. Ce jour-là il a prit les routes. Ce jour-là il a quitté tout ce qu’il connaissait, il a fuit tout ce qu’il savait, il a fuit tous ceux qui savaient de lui. Ce jour-là, il a prit la dernière chemise qu’elle lui avait faite, les quelques miches de pain qu’il y avait chez lui, son baluchon, et il est partit. La laissant seule, mais pour la première fois heureuse, dans son lit de paille. Il n’a rien dit. Il n’a croisé personne. Il n’a pas laissé de notes, de traces. Il n’avait jamais voulut imaginer la scène, son père rentrant finalement á la maison, ivre mort, et trouvant le cadavre sur le pieu. Il n’avait jamais voulut imaginer la scène.

Et soudain, là, maintenant, dans une ville inconnue, dans une maison inconnue, avec deux femmes inconnues, il revivait la scène. Il imaginait la scène. Et ce n’était plus la sorcière sur le lit. C’était sa mère. Il ne l’avait jamais pleurée depuis. Il n’était pas allé l’enterrer. Il avait juste versé ces quelques larmes en voyant son âme quitter son corps. Il avait oublié, depuis. Même si ça ne faisait pas longtemps. A peine quelques mois. Mais il avait voulut oublier, depuis. Il n’avait pas le temps de se charger d’un deuil. Il n’avait pas l’envie. Pas la force. Pas le courage. Autant il avait haï son père, autant il avait aimé sa mère. Et son hameau paumé qu’il ne cessait de critiquer. Il l’avait aimé. Et ses amis. Et le Père Gastón.
Et là, soudain, maintenant, devant une sorcière qui avait tenté de l’empoisonner, il se souvenait. Il n’oubliait plus. Il regrettait. Il… il pleurait ?

Sa main reste derrière sa tête. Il ne regarde pas Brunehault. Il ne la voit pas. Il ne regarde pas Shirine. Il ne la voit pas. Il est dans une tout autre chambre. Dans une tout autre contrée. Il fait jour. Et sur le lit, sa mère. Son père n’est pas là. Il le haït. Ils se haïssent. Il n’a jamais compris pourquoi. Sa mère meurt triste.
Un volcan grouille dans son ventre. Au creux même de son estomac. Une sensation inconnue, mais réelle. Physique. Brulante. Doucement, lentement, mais surement, la lave monte. Un mélange d’émotions, de sensations et de sentiments inconnus. Tout ce qu’il a empêché de jaillir quand sa mère est morte, grouille en lui. La douleur la plus extrême. La peur. La haine. L’impuissance.

Et ce n’est pas Brunehault qu’il frappe. C’est sa mère. Il la frappe de toutes ses forces. Il cogne son poing contre sa poitrine. Une, deux, dix fois.
Il entend, il sent, quelque chose se briser. Une côte, probablement. Mais il est hors de soit. Il pleure. Il cri. Il frappe. Le cœur doit sursauter. Le cœur doit réagir. Le cœur doit bomber. Il frappe. Il frappe encore.


NO ! NO ! NO ! NO TE MUERES ! NO TE MUERES!
(Non! Non! Non! Tu ne meurs pas! Tu ne meurs pas !)
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Images originales de Nesskain, modifiées
Shirine
Le souffle de Shirine se fait court et saccadé à la fin de ses questions. Entre ses mains, elle tient le livre de Brunehault. Son salut. Ses émeraudes fixent le corps de la vieille femme secoué de tremblements. Ses traits se tirent et la jeune femme semble prendre soudainement quelques années. Elle attend. Quoi au juste ? Que la vieille lui réponde ? Dans son état ? Ou qu'elle crève... Shirine n'est plus certaine, en l'observant, qu'il y ait un espoir. Et bien que son amie soit vieille, et qu'elle l'ait toujours su, elle n'avait jamais imaginé sa mort. Comme si elle avait pu s'y soustraire par on ne sait quel miracle divin. Comme si la guérisseuse avait pu être éternelle...
Et elle reste plantée là, à observer le corps secoué de spasmes douloureux, rendre les derniers sursauts de sa vie. Et lorsque Brunehault lâche son dernier soupire et s'immobilise, les mains de la rousse s'écartent et le livre s'écrase à ses pieds.

Son amie. Sa seule véritable amie. Celle qui sait presque tout d'elle. Celle qui a supporté sa folie, qui l'a veillée, lui a tenue la tête pour l'empêcher de se vomire dessus après ses nombreuses et pitoyables cuites. Une des seules qu'elle acceptait d'aimer malgré sa peur chronique de l'attachement. Elle se sent orpheline d'un coup. Elle n'a jamais perdu personne, parce qu'elle n'a jamais aimé personne au point de pouvoir souffrir de sa mort.

La peine la foudroie. La transperce. Se met à courir tout le long de son corps, de son être. File à la vitesse du sang dans ses veines. De grosses larmes lui arrivent au bord des yeux et il suffit d'un battement de cil pour lâcher la vague qui déferle sur ses joues. Elle déglutit difficilement, la gorge serrée, et étouffe un sanglot. Puis elle sursaute et de nouvelles larmes surgissent littéralement de ses yeux en apercevant l'aragonais se ruer sur le lit. Elle l'avait oublié...

Tout son corps se met à trembler plus fort et Shirine se précipite sur lui pour lui attraper le bras.


Déjala en paz ! Por favor ! Tengo miedo. Te lo suplico...*

Elle lui presse le bras. Une part d'elle à besoin qu'il la prenne dans ses bras. Il aurait pu être n'importe qui, son pire ennemi, son pire cauchemar... Elle a juste besoin de se serrer contre un vivant. D'entendre un cœur palpiter, de sentir une respiration...

    Estuardo... Estuardo... Entoure-moi de tes bras...


*Laisse la tranquille ! S'il te plait ! J'ai peur. Je t'en supplie...

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Estuardo
Et il frappe. Il frappe encore. Hors de soit. Dans une autre chambre, dans un autre temps. Il frappe et pleure et cri. Les yeux sont fermés. Il sent en-dessous de son poing le corps sauter au rythme de ses coups. Une côte qui se brise. Mais pas de battement de cœur. Pas de vie. Le sang qui a cessé de parcourir les veines, alors que son sang, á lui, court d'autant plus vite qu'il ne l'avait fait pendant les derniers mois.

Et soudain, son poing n'atteint plus sa cible, son bras reste suspendu, paralysé, sans finir son chemin. Une peau contre sa peau. Des doigts, d'une froideur qui lui est étrange, serrent son avant bras d'une force en désaccord avec la douce matière dans laquelle ils sont taillés.
Un instant. Il reste immobile et surpris de ce contact. Les doigts tressaillissent, et le petit tremblement qui les meut, se fraie chemin dans sa propre peau, sur son propre bras, et finalement tout au long de son corps. Une paupière, puis l'autre, s'ouvrent.
Il n'est plus lá oú il était.
Une toute autre chambre, un tout autre temps. Il reste confus un moment. Il n'a pas l'air de comprendre. Il baisse le regard, et voit le corps. Le cadavre. Ce n'est pas sa mère. C'est... c'est une vielle femme. C'est une sorcière. Ça reste un corps, un corps sans vie.
Machinalement, sans bouger, il tourne les yeux vers son avant bras. Ses poils son hérissés. Et une main, étrangère, le tient. Une main blanche, fine, douce. Il regarde Shirine. Il voit Shirine. Et croit voir sa propre expression se refléter sur le visage de la rouquine.
Des mots, en espagnol, sont échangés.


- ... Yo... lo siento...
(... Je... suis désolé...)

Et c'est le propre son de sa voix rauque qui lui permet de comprendre l'ampleur de l'instant. La tragédie qui tient lieu devant lui. Il baisse finalement le bras, se détachant de l'emprise de la main de Shirine. Et il reste immobile, peut-être un peu trop longtemps, peut-être pas assez, suffisamment, en tout cas, pour que le présent prenne forme dans sa tête.
Une rouquine. Un cadavre. Du poison. Une sorcière. Un cadavre. Une rouquine. Les images, les idées, prennent un peu de temps avant de former une suite chronologique cohérente. Il regarde la pièce, il regarde le cadavre, il regarde Shirine. Il se souvient avoir porté la sorcière jusqu'au lit. Il se souvient être tombé d'une branche. Il se souvient avoir regardé Shirine prendre son bain. Ce qui annonçait être une belle soirée se finit en larmes, en cri, en pleurs. Il se souvient. Tengo miedo*.
Il regarde Shirine encore une fois. Il voit son visage. Il voit sa peur, sa douleur et son angoisse. Et alors, il passe son bras sur ses épaules. Il ne dit mot. Il sent les cheveux roux tomber sur son coude. Et ne sait quoi dire.
Partagé.
Devant lui, une sorcière morte en essayant de l’empoisonner. A ses côtés, une belle rousse inconnue dont le visage s'est décomposé dans le désespoir. Dans ses pensées, le souvenir, maintenant lointain, de sa mère morte.


- Yo... lo siento... de verdad...
(Je... suis vraiment... désolé...)

C'est en partie vrai. Shirine. Qui le fascina depuis qu'il l'a vue dans sa baignoire. Il est désolé, pour elle. Il ne sait pas encore comment se sentir au sujet de Brunehault. Il reste, maintenant que tout devient un peu plus clair, convaincu de sa nature: fille du Sans-Nom, morte en essayant de le tuer.
Et son bras pousse la rouquine vers lui. Et l'autre bras passe passe sur ses hanches, Estuardo la prends dans ses bras.
Il reste, lui, face au cadavre, mais empêche le regard de la rousse de s'y attarder. Il ne comprendra sans doute jamais la nature de la relation qui les liait, ces deux-lá, mais comprends, au moins, que celle qui vit encore a besoin de lui. De quelqu'un. Il fixe le visage de Brunehault au dessus de l'épaule de Shirine.


- Shirine...

"Aristote... aide-moi..."
_________________

Images originales de Nesskain, modifiées
Shirine

    J'ai perdu une amie. Ma seule amie. Où ai-je fauté pour que tu m'imposes ça Deos ? Ma seule amie... Je ne méritais pas ça.


Shirine évite soudainement de regarder Brunehault et se concentre sur Estuardo. Sur sa rage, sur ses bras qui brusquent le corps de la défunte. Pourquoi ? Pourquoi cette colère ? Pourquoi ne veut-il pas qu'elle meure, alors qu'il ne la connait pas ? Alors qu'il ne les connaît pas toutes les deux. Que se passe-t-il dans sa tête ? Que s'est-il passé dans sa vie ? A vrai dire, dans l'immédiat la rouquine s'en contre fout. Il n'y a que sa douleur qui l'importe. Cette douleur qui lui vrille le ventre, lui retourne l'estomac. L'injustice d'avoir perdu un des seuls êtres qu'elle était capable d'aimer sans y chercher un quelconque intérêt. Un amour sincère et pure, comme elle n'en a pas beaucoup donné...

Elle serre plus fort le bras de l'aragonais et se laisse glisser contre lui. Qu'il s'excuse, elle ne l'entend pas. Du moment qu'il cesse de frapper et qu'il s'intéresse à elle. Qu'il lui donne ce qu'elle lui demande.
Son front vient se loger dans le creux de son épaule et elle ferme les yeux. Elle les ferme très fort à s'en faire mal aux paupières et pense à Dioscoride. Au grand brun, à ses cheveux longs, ses bras musclés par les combats qui l'entourent. Son bras sans main sur ses épaules, l'autre sur ses hanches. A son œil qui se baisse sur elle tandis qu'on ne peut deviner l'attitude de l'autre, caché derrière un bandage. Elle s'imagine contre lui. Elle voudrait qu'il soit là. Il ne dirait rien, parce qu'il ne parle pas beaucoup, mais il n'avait jamais eu besoin de parler pour la fasciner et la rendre accro à lui. Bien au contraire. Son silence le rendait tellement plus intéressant, parce que chaque jour il fallait lutter pour le découvrir.

Shirine se laisse aller, s'imaginant dans les bras de celui qu'elle veut plus que tout au monde. Elle serre les dents et se met à trembler un peu plus puis lâche de gros sanglots qu'elle étouffe dans la chemise d'Estuardo. Elle s'accroche à lui pour ne pas sombrer, pour ne pas s'écrouler. Qui prendra soin d'elle désormais ? Qui pourra-t-elle aimer qui ne soit pas absent ?

Il prononce son nom et elle se blottie un peu plus contre lui. Il est là, il la touche, il la serre, articule les lettres de son prénom... Elle esquisse un sourire entre ses larmes. C'est si inespéré d'être dans ses bras. Elle sent son odeur, c'est bien lui. Il est là pour elle, il a quitté sa femme pour elle, laissé ses enfants pour elle. Il l'a choisie finalement. C'est elle qu'il aime le plus.

Dans son délire romantique, Shirine sèche peu à peu ses larmes. Ses tremblements s'estompent, petit à petit, elle se calme, s'apaise. Dans le tissu du vêtement de l'aragonais, elle murmure :


Laissons-la en paix pour la nuit...

Une de ses fines mains s’aplatit contre le torse d'Estuardo et elle le repousse doucement pour se détacher de lui, avec tendresse. Ses yeux se rouvrent, mais elle les garde baissés pour ne pas effacer l'image de Dioscoride, pour ne pas perdre cette sensation si réconfortante de se croire avec lui. Elle glisse une main dans la sienne et l'entraîne hors de la chambre. Elle en referme la porte pour séparer les vivants des morts. Pour oublier, l'espace d'un instant que demain il faudra s'occuper de son corps et lui dire au revoir, à tout jamais. Elle s'appuie contre le bois dans un soupire et ferme les yeux, sa main toujours dans celle de l'aragonais. Elle se sent triste, et pourtant elle se sent mieux. Derrière ses paupières, il est là. Elle tire sa main pour l'amener contre elle et tend ses lèvres pour lui offrir un baiser. Et plus... Bien plus. Une nuit d'amour pour s’enivrer, pour oublier un instant ce qu'il faudra affronter demain, comme la jusquiame, comme l'alcool qui rendent la souffrance plus supportable...
_________________
Estuardo
    La main de Shirine dans ma main. Sa peau suave. Blanche. Ses doigts longs, fins. Froids. Tremblants.

Il la suit en dehors de la chambre. Il jette un dernier regard sur le cadavre encore tiède de la sorcière. Demain il faudra s’occuper d’elle. Demain il faudra la laver, il faudra la mettre dans un cercueil, creuser une tombe et l’enterrer. Demain. Là, aujourd’hui, maintenant, Shirine le mène, ils sortent de la chambre, elle referme la porte. Lui, il la suit. Il sait déjà ce qui s’en suit. Il ne se donne pas le temps de questionner la situation. De se demander comment, pourquoi, soudain Shirine le touche avec tant d’amour. Il est juste là. Il comprend. Lui aussi, lui aussi a voulut oublier, et lui aussi s’était refugié dans les bras de quelqu’un. La seule différence, c’est que lui, il avait payé, et que Shirine n’en aurait pas besoin.
    Elle me tire contre elle, ses cheveux remuent. Une odeur épicée. Epicée et frugale.

Il ferme les yeux, et il passe sa main sur l’hanche de la rouquine. L’autre tient son visage. Il sent ses cheveux roux caresser le dos de sa main. Et la paume de sa main effleurer la joue. Et il respire. Et ils s’embrassent. Longuement. Avec toute la tendresse d’un amour oublié, toute la violence d’avoir perdu quelqu’un, et toute l’enthousiasme de s’accrocher encore á la vie.
    Une pomme. Une pomme rouge. Sucrée mais encore amère. Et salée. Par des larmes encore fraiches.

Il ouvre une autre porte, une autre chambre, plus petite, plus obscure, mais plus chaude. Sans doute celle qu’occupait Brunehault. Les deux corps ne se séparent pas, et ensemble s’avancent, dansent, il la pousse vers le petit lit dans un coin. Ils se déshabillent, lentement, mais décidés.
    Une tête de lion. Une rose. Un globe blanc. Je parcours les marques sur son corps. Je les vois. Je les touche. Je les lèche. Je m’attarde sur le creux de sa nuque, et son odeur me pénètre.

    « desnudo de mujer,
    senos que no están ciegos y conocen las aves,
    hombros y espalda donde la luz del sol parece estar
      pensando,

    vientre cruzado por una secuencia de fugaz infinito,

    desnudo de mujer,
        concentración de la tierra y lo humano,
        estatua de la naturaleza,
        más blanca que el sollozo de un ángel,
        más morena que una mañana en la selva,

    más viva que la sonrisa del sol en la vela de un bote de
      pescadores,


    desnudo de mujer,
        vacilación del ámbar, probidez de la piedra,
        vellón iluminado por un rayo de luna, por un rayo
          de carne,

        muslos separados como terminaciones del
          anochecer,

        cita con el origen, vida, potestad de la muerte,
        humedad de universo, palabra final encontrada,


    desnudo de mujer,
        rodillas severas y más llenas de gracia que un
          hoyuelo en la mejilla,

        tobillos más dulces que la orilla de un estanque,
        pies aposentados en su aire como delicias diurnas,


    desnudo de mujer,
        cuerpo que está volando sobre sí mismo,
        piernas como un recorrido de cantos nupciales,
        nalgas donde la redondez del mundo cobra sentido,


    cuerpo que se desata de la noche,
    cuerpo que se desata de sus astros como una batalla
      naval,

    cuerpo que se desata de las leyes que no son azules o
      rojas,

    cuerpo donde los marineros en tierra señalan el mar,
    desnudo cuerpo, cuello, vientre, nalgas,
    piernas concisas, vivas, entreabiertas,
    desnudo de su desnudo, desnudo hasta el fondo de sí
      propio

    hasta tocar el fondo de sus aguas ocultas,
    hasta tocar lo ilimitado de sus ríos,
    desnudo de mujer,
        arena, rosa, nave de verano,

            viento…»


Puis le reste se fait.
Dans la folie d’un amour passager. Ce soir-là, Estuardo aima Shirine comme il n’avait jamais aimé d’autres femmes. Comme il aimait toutes les femmes. Avec chaque bout de peau, depuis chaque parcelle de son corps, il aima Shirine. Il prononça son nom cent fois, mais ne dit rien d’autre. Il n’y avait aucun besoin de mots. Aucun besoin de se comprendre tant que leurs corps s’entendaient. Ce fut une nuit longue, longue et tragique. Tragique et passionnelle. Enivrés de leurs odeurs mélangées. Enivrés de leurs douleurs secrètes. Et l’ambiance de la chambre s’alourdit de leurs saveurs, des mots, des larmes et des gémissements étouffés.

L’aube pointait déjà quand Estuardo s’endormit, aux côtés du corps nu et cent fois adoré de Shirine. Sa grande main brunie resta posée sur le sein gauche de la rousse, cachant cette blessure secrète en forme de rose.


***

Le coq chanta trois fois avant qu’Estuardo n’ouvre les yeux. Un peu étourdit par l’ivresse des couleurs enfermées dans la chambre, il se leva lentement. Il vit Shirine, encore á ses côtés et eu un léger sourire et l’envie pressante de presser de nouveau ses lèvres sur ce corps. Mais la réalité de la nuit dernière lui revint en tête. Il se souvint de Brunehault, maintenant une simple enveloppe sans âme, un corps froid, de l’autre côté du fin mur.
Shirine avait les yeux clos, et á sa respiration, l’Aragonais imagina qu’elle dormait.
Il se leva et remit ses braies, sa chemise et ses chausses, puis sortit de la chambre. Dans les étagères de la pièce principale, il trouva des branches de camomille et il prépara une tisane. Il n’osa pas rentrer dans la chambre dans laquelle reposait Brunehault.
En cherchant, il trouva quelques parchemins vierges et il sortit de sa sacoche l’encrier et la plume offerts par une bonne amie á lui.
De son écriture hésitante, il gratta quelques mots.


Citation:
Shirine,

Yé vais chercher du pain et du lait frai… et un cercueil pour Brunehault…
Y’ai préparé une tisane.
Yé reviens.

Estuardo.


Il fouilla un peu, mais ne trouva aucune bourse. Il devrait dépenser son propre argent. Il n’en avait pas beaucoup, le cercueil serait modeste.
Il faillit ouvrir la porte de la chambre de Brunehault, mais n’osa pas, encore une fois. Il savait qu’il faudrait la laver un peu, et peut-être l’habiller d’autres vêtements, mais il savait aussi que c’était Shirine qui devait le faire. Ca ferait partie du… procès de deuil.

Et il sortit de la maison. Le matin était froid, et le ciel bleu. De cette couleur si profonde et particulière que prennent les cieux pendant l’hiver. Il eu un frisson et sourit légèrement au souvenir de la chaleur de la nuit. Et il s’en alla vers Arles.



Paisaje en desnudo (paysage en nu) de José Carlos Becerra.
Traduction faite maison et j'ai tenté de reproduire le plus fidèlement possible la position des vers.

nu de femme,
seins qui ne sont pas aveugles et connaissent les oiseaux,
épaules et dos où la lumière du soleil semble
penser,
ventre croisé par une séquence d’infini fugace,

nu de femme,
concentration de la terre et l’humain,
statue de la nature,
plus blanche que le sanglot d’un ange,
plus brune qu’un matin dans la selve,
plus vivante que le sourire du soleil sur le voile d’une barque de
pêcheurs,

nu de femme,
vacillement de l’ambre, franchise de la Pierre,
toison illuminée par un rayon de lune, par un rayon
de chair
cuisses séparées comme les terminaison du
crépuscule,
rendez-vous avec l’origine, vie, pouvoir de la mort,
humidité d’univers, mot final trouvé,

nu de femme,
genoux sévères et plus emplis de grâce qu’une
fossette sur la joue,
chevilles plus douces que le bord d’un étang,
pieds posés sur leur aire comme des délices diurnes,

nu de femme,
corps qui vole sur lui-même,
jambes comme un parcours de chants nuptiaux,
fesses où la rondeur du monde prends sens,

corps qui se détache de la nuit,
corps qui se détache de ses astres comme une bataille
navale,
corps qui se détache des lois qui ne sont pas bleues ou
rouges,
corps où les marins en terre montrent la mer,
nu corps, cou, ventre, fesses,
jambes concises, vivantes, entrouvertes,
nu de son nu, nu jusqu’au fond de soi-
même
jusqu'à toucher le fond de ses eaux occultes,
jusqu'à toucher l’illimité de ses rivières,
nu de femme,
sable, rose, vaisseau d’été,
vent…

_________________

Images originales de Nesskain, modifiées
Shirine
    Mes paupières s'ouvrent sur lui. Ses longs cheveux d'ébène qui reposent de part et d'autre de son visage sont parsemés de flocons de neige qui viennent se poser avec douceur et fondent tranquillement pour disparaître. Il m'observe de son œil valide, tandis que l'autre, plongé dans le noir, a disparu derrière une mèche de cheveux. Allongé face à moi, dans mon lit, il me sourit. Le silence est total autour de nous, comme si le monde, le temps s'étaient arrêtés, ou qu'ils retenaient leur souffle pour nous laisser profiter de notre seule présence. Je lui souris aussi, plus mélancolique.

    Tu sais que j'ai pensé à toi, dans ses bras ?

    Je murmure, pour ne pas briser ce silence apaisant.

    Je sais...

    Tu sais que je ne pense plus qu'à toi dans les bras des autres...

    Ma voix se brise à la fin de ma phrase. Mais j'enchaîne, d'une voix chevrotante et débordante d'émotions trop difficiles à maîtriser.

    Tu sais que je ne pense plus qu'à toi, tout le temps. Je te vois à chaque coin de rue, dans chaque visage, chaque fois que je ferme les yeux. Chaque peau que je touche c'est la tienne, chaque parfum est le tiens... Je pense à toi chaque jour de ma vie, et j'attends une lettre qui ne vient pas. Je me force tous les jours à ne pas t'écrire pour te dire à quel point tu me manques et à quel point mon existence n'a plus d'intérêt sans toi. Ai-je mérité ton silence ? Es-tu donc mort pour ne pas me répondre ?

    Mes lèvres tremblent et ma voix s'éteint à la dernière phrase si lourde à prononcer. Qu'il soit mort et j'en mourrais aussi. Ma vie n'est faite que d'espoirs, chaque jour, chaque heure, chaque seconde qui passe, je ne suis encore là que parce que j'espère de petits bonheurs fugaces et passagers. Où un bonheur ultime, bien que je ne sache pas à quoi il puisse ressembler. Et aujourd'hui je ne vis que dans l'espoir de le revoir un jour...

    Il secoue doucement la tête avant de me répondre.


    Si j'étais mort, tu le sentirais, tu aurais mal.

    J'ai déjà mal.

    Ce serait pire.

    Je déglutis difficilement, et une larme s'échappe du coin de mon œil pour dégringoler sur mon nez.

    Tu vas me tuer. J'ai besoin que tu me fasses espérer, même si c'est vain...

    Je ferme les yeux un quart de seconde pour faire barrage à mes larmes.


Les paupières de Shirine s'ouvrent sur la pénombre de la petite chambre où dormait Brunehault... Lorsqu'elle était en vie. La rousse reste immobile, remettant en place ses idées et se remémorant la soirée puis la nuit qui viennent de s'achever. Elle sent Estuardo contre elle et retient son souffle de peur de l'éveiller.
Elle se maudit d'avoir cédé à ses pulsions et ses désirs dont le pauvre aragonais ne fut malheureusement que la victime et non pas l'heureux élu. Ses regrets en étaient encore plus grands qu'elle imaginait déjà que la douceur et la naïveté d'Estuardo le pousseraient à croire qu'il pourrait imaginer un quelconque avenir avec elle. Elle aurait souhaité remonter le temps et ne pas le faire entrer chez elle. Lui qu'elle avait pris tantôt pour un espion, pour un ennemi, pour un boulet, puis pour un objet. Comment lui faire comprendre qu'elle n'était pas ce qu'il s'imaginait ?

Il remue soudainement, et Shirine referme furtivement les yeux, adoptant une respiration lente et régulière. Elle tend l'oreille et devine qu'il se lève puis s'habille. Son cœur se met à battre la chamade à l'idée qu'il puisse s'éclipser sans un mot et disparaître de sa vie. Elle se retient de sourire de soulagement, le temps qu'il quitte la pièce. Mais elle ne bouge pas d'un pouce tant qu'elle l'entend de l'autre côté de la porte. Serait-il en train de lui dérober quelques petites choses avant de se faire la malle ? Qu'il prenne ce qui lui chante, du moment qu'il s'en va. Shirine n'est pas très matérialiste...

Quelques minutes plus tard, le silence total se fait. Shirine se redresse dans le lit et tend de nouveau l'oreille. Il semble ne plus y avoir personne dans la maison qu'elle même et un cadavre qu'elle n'ose imaginer de l'autre côté du mur. Elle décide de se lever à son tour. Elle ramasse sa robe de la veille qui gît au sol et l'enfile avant de pousser la porte pour se rendre dans la pièce principale. Son regard évite à tout prix la porte de sa chambre et son esprit repousse l'image de Brunehault étendue sur son lit, livide. L'imaginer une seule seconde la ferait s'effondrer sur place. Il lui faut du temps. Le temps de prendre un bain, de se délasser, d'aller faire un tour, de profiter d'un moment d'insouciance avant de redevenir adulte.

La Sicaire s'approche de la table en apercevant la théière fumante. Puis ses yeux tombent sur le petit mot d'Estuardo. Elle le prend entre ses doigts fins pour le lire et se crispe. Elle soupire, puis grogne d'exaspération avant de lâcher un juron. Sa première impression semblait bien être la bonne. Elle imagine déjà l'aragonais rentrer tout sourire avec son pain et son lait fraîchement achetés sur le marché d'Arles, tel un jeune amoureux prenant soin de sa dulcinée. Elle en vomirait presque d’écœurement.

Lâche, aujourd'hui Shirine a envie de l'être. Parchemin toujours en main, elle se rend au vaisselier pour ouvrir un tiroir et en sortir un encrier et une plume. Elle barre sans ménagements le mot d'Estuardo et écrit en dessous : « Rentre chez toi. ». Elle aurait bien opté pour fout-moi la paix, ou dégage, mais il ne méritait pas ce traitement. Ses attentions étaient pures et touchantes. Si Shirine n'était pas aussi réfractaire au genre humain et à la tendresse, elle se serait bien laissée chouchouter par le jeune homme...
Le mot corrigé atterrit de nouveau sur la table, et la rouquine sort d'une cachette, derrière une des pierres de la cheminée, une bourse de cuir qu'elle dépose à côté. Puis elle enfile ses bottes, se couvre de sa cape et sort, laissant la porte d'entrée déverrouillée.

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