James n'a jamais été fouetté. Protégé et adoré de sa mère adoptive, son enfance s'est déroulée sans aucun coup, pas de coups de ceinture, pas même une gifle. Et sa vie d'adulte ne l'a jamais confronté à semblable peine. S'écroulera-t-il au premier coup de fouet, au dernier, il ne sait pas, il ne veut pas savoir. Il appréhende soudainement la sentence. Sera-t-il capable de la subir sans supplier. Il prie le ciel, lui qui ne croit pas au Très-Haut, bien qu'il ait invoqué cette excuse devant Stronghold pour éviter de s'agenouiller devant l'ennemi, il prie le Très-Haut de ne pas s'écrouler. Mais il ne connaît pas ses limites, les limites de son courage et de sa persévérance. Il est neuf en face de ce supplice, vierge de la douleur, si l'on escompte sa jambe tordue et boiteuse. Il ne sait pas jusqu'où sa force pourra le mener.
Il attend... et le premier coup de fouet tombe, lui cinglant le dos et l'épaule droite, le surprenant par sa violence. Sans le vouloir, il pose sa main sur son épaule, douloureusement touchée. Il a été condamné à trente coups de fouet. Trente... Alors que le premier le fait encore souffrir, le deuxième coup tombe. Il sait désormais que la sentence va être dure à supporter, insoutenable.
Les coups de fouet s'enchaînent désormais, les uns après les autres. James tente d'extirper son esprit du supplice, de penser à des moments heureux, pour détourner son cerveau de la douleur. Il tente de penser à sa mère, qui riait au lavoir, au marché, à la maison, partout, car c'était une femme bonne et heureuse de vivre, à sa petiote, qui est en train de changer sa vie par sa présence. Mais sans succès, la douleur est là, infinie, grandissante. Il croyait auparavant que le corps s'habituait à la douleur. Mais cette croyance est vaine. Son corps ne s'habitue pas à la douleur. Le cerveau, même s'il le souhaite très fort, n'anesthésie pas le corps.
Les coups de fouet continuent de pleuvoir. Au quinzième, peut-être est-ce le quinzième, ou le vingtième, il ne sait plus... il a perdu le fil... il chancelle, tombe à genoux. A genoux, cette position dans laquelle il ne voulait pas se trouver devant l'envahisseur, le vainqueur. A genoux, humilié, vaincu. Dans sa conscience, une petite voix lui ordonne de se relever, de faire face.
Il tente de se redresser, mais ses jambes le trahissent, il s'écroule à nouveau sous un autre coup de fouet. Il a l'impression que cela ne sarrêtera jamais... le fouet, inlassablement, impitoyablement, tombe, encore et encore, à gauche, à droite, en haut, en bas...
Quand soudain, il ne sent plus de coups. La sentence a-t-elle été exécutée jusqu'au bout, il ne sait pas. Tout ce qu'il sait, c'est que son corps entier hurle de douleur : ses bras, ses épaules, son dos, ses cuisses, toutes les parties de son corps ont été touchées. Il regarde ses mains : même ses mains saignent, son corps entier doit n'être plus qu'une plaie... Sa chemise est déchirée, il en ramène de ses doigts tremblants des pans devant sa poitrine, mais c'est peine perdue, elle est en lambeaux.
Il se relève, chancelant, hésitant, incapable de jeter un regard de défi à Stronghold alors qu'il se voulait triomphant. Tout ce qu'il veut, c'est partir de cet endroit maudit, se recroqueviller sur lui-même dans sa souffrance, se rouler en boule. Il souhaite presque s'évanouir pour ne plus souffrir. Il ne voit pas la foule autour de lui, il se sent dans une bulle d'infinie douleur qui anesthésie tous ses sens.