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RP - « Ce que je veux, c'est me fuir moi-même. »

Fleur_des_pois
    {Guéret - mi-Octobre}


On ne percevait l'importance des gens que quand ils n'étaient plus là. On se rendait compte alors à quel point ils prenaient de la place.
Fleur en faisait la douloureuse expérience. Tant que Sybelle était encore en vie, ne pas la voir lui importait peu. Elle savait que son amie se trouvait quelque part dans le monde.
A présent, il n'y avait plus que ce parchemin vierge posé devant elle. Tous les mots qu'elle n'aurait pas l'occasion de lui écrire. Tout ce qu'elle voulait lui dire. Cela n'existait pas, n'existerait jamais. Et comme sombre désormais lui apparaissaient tous ces instants qu'elles n'avaient pas passé ensemble !

Sitôt la nouvelle tombée, Gaia s'était précipitée auprès de Merwynn, le vieux druide qui dispensait sa sagesse en même temps que son savoir. Et l'horreur de nouveau avait surgi devant elle. Merwynn mort. Et le roc sur lequel elle espérait se ressaisir lui était ôté. Jamais l'Ortie ne s'était sentie aussi seule que ce jour-là. Au milieu de cette clairière couverte de feuilles mortes. La trace noirâtre des feux allumés pouvait encore se percevoir. Et si autrefois la brune aimait l'Automne, jamais elle n'avait encore pris conscience de la mélancolie que dispensait le printemps de l'hiver.
Folle de peur et de chagrin, la Fée s'était mise en quête de la maisonnette du vieil homme. Lorsque la porte branlante avait été poussée, c'était le spectacle d'une demeure froide et vide qui lui avait fait face.

Froide et vide. Exactement comme elle, au final. Une main posée contre son cœur, le Lutin s'était effondrée. Plus proche de sa véritable personnalité en cet instant qu'à n'importe quel autre. Point de comédie. Elle ne cherchait pas à émouvoir qui que ce soit. Fleur était seule. Ne l'avait-elle pas toujours été ?
Et comme un chagrin en appelait un autre, l'Ortie voyait défiler devant ses yeux grands ouverts les tragédies auxquelles elle avait assisté ces derniers mois. L'amputation d'Umbra. La perte programmée de cet enfant qu'elle avait à peine porté. Les rejets incessants d'un blond qui refusait de l'aimer. Les avances d'un autre qu'elle ne pouvait supporter. L'attaque des brigands qui avait failli lui coûter la vie.

Toute idée de bonheur envolée loin. Les moments joyeux n'existaient plus. En revenant dans la petite maison qu'elle occupait avec Umbra, sa décision était prise. Gaia comptait les jours désormais. Et dès qu'elle fut en mesure de reprendre la route, l'Italienne ne se chargea que du nécessaire. Son chien, son âne, ses plantes, son grimoire. Quelques vivres. Pas de superflu. Elle n'en aurait aucune utilité, là où elle allait.
Et tandis que Fleur quittait la ville, la forêt, immense et mystérieuse, se dessina devant ses yeux. Le regard flamboyant, le visage résolu, elle pénétra dans les bois. Plus chez elle au milieu des arbres qu'elle ne l'aurait été dans un palais royal. La petite Fée venait de disparaître.



    {Forêt de Chabrières - premier jour de Décembre}



Le soleil perçait la blanche couche nuageuse de ce matin de Décembre. Une lune et la demi d'une autre s'était écoulée depuis que Gaia avait fui ses semblables. La forêt l'avait accueilli sans rechigner. Et la nouvelle habitante se réjouissait d'avoir été acceptée.
C'était au creux de la roche que le Lutin avait établi sa tanière. Une grotte naturelle qui, au départ, n'avait pas paru particulièrement confortable mais qui au fil du temps, était devenue aussi chaleureuse que possible. Le sol était couvert d'un mélange de brindilles et de feuilles. Au plafond, des plantes séchaient doucement. Un trou dans le sol, creusé des mains de l'empoisonneuse, accueillait un feu ronflant de jour comme de nuit. Quelques peaux de renards cousues ensemble formaient un matelas des plus douillet, et une couverture épaisse complétait cette couche dans laquelle il faisait bon dormir.
Dans un coin, un stock de pommes et de poires, de la viande séchée et des poissons fumés.

Et au beau milieu, assise en tailleur devant l'entrée, se tenait Fleur. Une Fleur méconnaissable, tellement changée qu'il était presque difficile de distinguer celle qu'elle avait été. Sa beauté n'avait en rien perdu de son éclat, mais elle était moins évidente maintenant que ses si beaux cheveux étaient parsemés d'aiguilles de pin et de feuilles en tous genres. La robe verte qu'elle appréciait tant de porter était en lambeaux, malgré une certaine propreté, puisque sa porteuse prenait la peine de la laver à la rivière aux jours de soleil. Et son visage, autrefois si fier et moqueur, affichait désormais la joie simple et pure. Ses yeux bruns ne brillaient plus d'espièglerie, mais de quelque chose qui s'approchait de la naïveté. Gaia était bien ici. Elle était elle. Elle s'était trouvée.

Depuis deux semaines, la jeune fille n'avait pas croisé âme qui vive. Hormis Dandelion et Colchique, son petit âne. Elle avait bien essayé d'apprivoiser un ou deux corbeaux, mais le résultat n'était pas satisfaisant.
Occupée comme elle l'était à couper des racines, l'Ortie en vint cependant à délaisser cette activité au profit d'une autre : il était temps de remplir le chaudron d'eau pour le diner du soir. Deux grandes oreilles venaient de faire leur apparition au milieu d'une futaie, et Fleur éprouvait soudain l'envie de manger du lapin. Surtout qu'elle avait grandement besoin de la peau pour s'en faire un couvre-chef. L'hiver serait rude, à n'en pas douter. Et les premières neiges ne devraient plus tarder.
Bondissant sur ses pieds, la jeune fille partit chercher son lance-pierre et approcha le chaudron de l'entrée. La chasse allait bientôt commencer.



Titre : Luigi Pirandello
Umbra
Gaia Corleone était l’une des rares italiennes à forcer le respect de l’Ombre sans user d’armes ou de menaces. La Fée était beaucoup pour Umbra même si cette dernière ne fut jamais aussi démonstrative qu’elle aurait pu. C’est en parti à cause de son impassibilité que la Noiraude se sentit coupable de la disparition soudaine du Lutin. Peut-être si avait-elle fait preuve de plus d’amabilités et de remerciements, peut-être tout cela ne serait-il jamais arrivé ?

[Terres limousines, prémices automnales]

Depuis quelques temps, les deux brigandes pansaient leurs blessures à la suite d’une malencontreuse rencontre –comme quoi, ça arrive même aux plus grands-. Le moral des troupes avait pris un coup en plus du reste, ou plutôt Ombeline déprimait davantage qu’à son habitude alors que Fleur s’évertuait à garder son sourire mutin et à distiller sa bonne humeur. Petit dose par petite dose, la Bâtarde ressentit les effets de l’Empoisonneuse sur son état d’esprit. Elle percevait le baume passé à son cœur et la chaleur humaine envahir son être. La Guérisseuse usait d’un traitement de choc pour pallier à la morosité de la jeune fille et bientôt, elle put être récompensée de sourires et de rires. Mais au moment où tout semblait joyeux, le malheur se propagea de nouveau. L’Ombre perdu sa senestre tandis qu’en secret, la Corleone pleurait de tragiques disparitions. Chacune s’éloigna de l’autre pour soigner ces nouvelles plaies plus meurtrissantes que les premières. Bien que résident sous le même toit, il n’était pas rare qu’elles s’isolent chacune à leur tour. Alors que l’italienne se réfugiait dans les bois, Umbra se récusait dans les tavernes. Ce fut ainsi que l’une et l’autre fit leur deuil.

L’amputation cicatrisait corps et âme chez la Noiraude, la rencontre avec le Hibou et la venue de Triora aidant beaucoup dans le rétablissement mais une absence demeurait toujours. Après tout ce temps, la Fée n’était pas revenue. Peut-être son affliction demandait-elle plus de temps à se remettre ? Mais plus les jours passaient, plus le manque s’accroissait. Les missives envoyées restaient sans réponse et le silence devint pesant. Rapidement, le bien-être d’Ombeline fut déraciné et son sourire s’arracha douloureusement à ses lippes.


Gaia, source de bonheur, Fleur égrainant au vent joie de vivre, ta disparition sème la tristesse et l’inquiétude dans nos cœurs ? Où as-tu pu bien t’enterrer ?

La convalescence touchait à sa fin et aucune nouvelle du Lutin, la Bâtarde n’allait pas tarder à reprendre la route mais le doute persistait : Et si… ? Elle avait eu beau contacter les proches connus de l’Empoisonneuse, tous en était au même point ce qui alerta davantage la Manchote. Les quelques tours dans les bois environnant ne donnèrent rien de concluant puis il fallut partir…

[Terres guyennaises, préambule d’hiver glacial]

Loin de toute la Famiglia et des pillages, l’Ombre poursuivait son apprentissage du mercenariat aux côtés du Hibou et de Campagnol, elle-même était devenue Corneille. Un mois et demi s’était écoulé depuis et méconnaissable, la vie d’Umbra avait pris un tournant vertigineux. Traitresse aux Corleone, plus de comptes à rendre hormis à son Mentor, c’était ça, sa nouvelle existence. Loin des rivalités sanguines, des coups de sang et des déboires consanguins, une autre forme de quotidien bien plus serein, faut-il l’avouer. Pour autant, le sourire de la Noiraude était toujours aux abonnés absents et souvent lorsqu’elle se trouvait seule, elle tendait ses pensées vers guéret et ses sous-bois, vers la belle Fleur des Pois.



A Tynop, grand c…Blond !

C’est fou comme le temps file à une allure…Que deviens-tu ?
J’espère que tu consommes bien ton mariage car n’oublies pas que ta vie se consume…

Avec une corneille comme messager, ne t’attends pas à de bonnes nouvelles et encore moins quand il s’agit de ma plume.

Je te contacte toi car les autres… Pas besoin de détailler, il me semble que nous soyons dans le même cas.

Même à l’autre bout du royaume, je pense encore à Fleur…Je suppose qu’il en va de même pour toi ? Je ne me fais plus d’illusions si longtemps dans le silence, ne songeons pas à de bonnes nouvelles.

Je t’avoue que son absence me pèse sur la conscience. Elle a fait beaucoup pour nous et regarde comme tout le monde feint l’ignorance. Je ne crains que nous la retrouvions vivante mais vois-tu l’on m’a expliqué que les âmes égarées venaient hanter les vivants pour leur incompétence.

Je n’ai pas besoin de ça en plus pour me tourmenter alors si tu as toi aussi tes soucis, délaissez quelques temps et rejoins-moi à Guéret dans une semaine…Nous pourrons au moins en enterrer un.

A bon entendu,
Umbra


Ombeline et son éternel mauvais augure. Inutile de mettre plus de forme, le blondin la connait et la reconnaitra dans ses lignes malgré le changement de calligraphie. Sans plus attendre, le pli est envoyé. Ils ont déjà perdus trop de temps…
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Kit by JD Gygy
Tynop
Plus de nouvelles depuis des mois. Et lui ne s'était pas inquiété outre mesure. Après tout, il l'avait juste abandonnée, grièvement blessée et victime d'une fausse couche, pendant que lui vagabondait, insouciant et amoureux. D'une autre. Car après avoir butiné la Fleur tout l'été, effrayé par la perspective de se retrouver de nouveau en couple et avec un enfant, si peu de temps après le douloureux épisode Écossais, il avait fui. Ironie du sort, le voilà deux mois plus tard de nouveau en couple et même marié. Il avait même presque réussi à oublier Gaia.
Presque.

Parfois, ça tient à un courrier. Quelques lignes couchées sur un bout de vélin, et on ne peut plus nier ce à quoi on s'efforçait soigneusement de penser. Le contenu en lui-même n'est pas surprenant. À quoi pouvait-il s'attendre d'autre ? Deux mois qu'il n'avait pas eu de nouvelles, ni par elle, ni par sa famille. Elle était blessée, autant physiquement que moralement. Elle voyageait avec Ombeline. Et c'est cette dernière qui prend la peine de lui écrire pour lui annoncer la disparition.
Et lui lit la missive. Réalisant ce qu'il savait déjà mais qu'il cherchait à tout prix à occulter. Fleur est morte. Il en est convaincu. Livide, la main tremblante, il griffonne à la va-vite une réponse.



Citation:
Ombeline,

J'arrive.

T.


Sans vraiment se poser plus de questions quant au nouveau style d'écriture de l'Ombre, qui a probablement bu un peu plus que d'habitude -Alors que d'habitude, elle boit déjà beaucoup- Il ne tarde pas à plier bagage et à se mettre en route.

Route ennuyeuse, maussade, fort peu intéressante durant laquelle il a le temps de rédiger un autre courrier:


Citation:
À Alphonse Tabouret, Directeur/Gérant/Propriétaire/je ne sais quel titre de l'Aphrodite,

Vous ne me connaissez probablement pas, pourtant nous partageons une connaissance commune qui est la raison de ce courrier. Je ne sais pas vraiment sous quel nom elle s'est présentée à vous, mais il est certain qu'elle a travaillé pour vous. Il s'agit donc de Gaia Corleone, Dicte Fleur. Elle m'a parlé plusieurs fois de vous. Elle vous estimait.

Elle est morte. Je ne sais pas vraiment où ni comment. Aux alentours de Guéret, plus que probablement. Elle mérite au moins que sa dépouille repose dans une sépulture décente. Un endroit à son image, gai, coloré.
Je pense qu'elle aurait aimé savoir que vous étiez présent lorsqu'il s'est agi de la retrouver et de la mettre en terre. Alors, si, dans la mesure du possible, vous pouviez délaisser la gestion de votre établissement pour nous aider à retrouver et enterrer son corps, je vous en serais infiniment reconnaissant.

Vous me trouverez à Guéret d'ici deux jours, plus que probablement à la taverne municipale : Blond, la vingtaine, une rapière à la hanche. Sinon, cherchez une manchote ivrogne.

Bien à vous,

Tynop.



Missive envoyée à Paris, il ne perd pas plus de temps et rejoint donc la cité Limousine. Et si l'Ombre est fidèle à ses habitudes, il sait où la trouver. La porte de la taverne municipale est poussée, et en quelques enjambées, le voilà au comptoir, s'adressant au tavernier, tandis qu'il dépose quelques piécettes.

De l'alcool. Fort. Une chambre, aussi. Et N'auriez pas vu une brune manchote, alcoolique et pas vraiment avenante ?

Ombeline, quoi.
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Alphonse_tabouret
Fleur avait disparu du jour au lendemain sans crier gare et cela n'avait pas inquiété le comptable outre mesure, déjà préoccupé par ce que le monde offrait à sa plus directe attention au travers des chiffres, des commandes et des lèvres qui se plaquaient aux siennes dans l'espoir d'un oubli plus précipité encore que ne l'était son esclavage consenti, et ayant perçu chez l'herboriste cette odeur d'indépendance propre aux personnalités les plus sauvages. Et la Corleone l'était, sauvage, créature joyeuse mais discrète qui égrenait la poudre de ses malices aussi bien dans son ombre que sa lumière, verdoyant jeune fille qu'il s'étonnait souvent de trouver enfermée entre les murs de Paris.

La lettre l'avait trouvé au petit matin, au sortir d'une nuit qui avait décliné ses charmes habituels dans des arabesques d'encre et chaque mot avait pourtant été lu avec une attention froide, mesurée, animal apathique dès qu'il s'agissait de la mort des uns, imperméable à ses propres sentiments quand il s'agissait de la disparition des autres. Fleur était morte et allait emporter avec elle bien plus qu'elle ne le pensait, astre clignotant de bonne humeur aux confins de la Maison basse quand n'y perçait que rarement la luminosité de la joie.
Depuis qu'elle avait disparu, Adryan se répandait en soupirs tout justes contrôlés, plus exécrable que de coutume, ravagé par l'absence du lutin auquel il s'était attaché avec une rapidité surprenante et gardait derrière le masque impassible de sa perpétuelle mauvaise humeur une amertume dont le comptable connaissait chaque aspérité pour en avoir expérimenté le gouffre avec une dévotion aussi absolue qu'imbécile: le manque.
Alphonse appuya un coude sur son bureau cueillant sa tempe de la senestre pour l'y masser, égaré quelques instants dans des pensées qui s'assemblaient, fatales, cruelles dans ce qu'elles avaient de plus vrai. Si Adryan supporterait l'annonce d'une mort, le chat ne doutait pas un instant que c'était l'absence de sépulture qui achèverait de réveiller la colère sous-jacente du Castillon pour le rendre imbuvable, définitivement, étrange tocade des humains que d'enterrer leurs morts avec la dignité qui leur était due, premier signe de civilisation pour les uns, première trace d'humanité pour les autres, dernier point d'attache à la mémoire pour tous.
Un soupir lassé glissa à l'aube de ses lèvres, sans pourtant s'en échapper et la plume trempée dans l'encre prit le chemin d'un parchemin vierge, délayant une réponse courte, les mots étant toujours un surplus, un fardeau, dans des circonstances aussi mortuaires.





Messire,

Les employés de l'Aphrodite se joignent à votre deuil avec toute la sincérité que fait naitre le chagrin.

Aucun d'eux ne tolèrerait que la demoiselle ne bénéficie pas d'une sépulture décente, aussi, soyez assuré de ma présence à Guéret et permettez-moi d'insister pour prendre à notre charge, les frais d'enterrement si nous avions la chance de retrouver sa dépouille.

Alphonse Tabouret,
Comptable de l'Aphrodite




Deux jours plus tard à Guéret

Lorsque la voiture s'arrêta à Guéret, le chat jeta un coup d'œil fatigué sur les alentours ensommeillés par l'heure matinale, encore engourdi du voyage, le corps soumis à 48 heures d'une excursion macabre qui l'avait amené à quitter Paris sans plus s'attarder.
Le chemin l'avait laissé en proie au tourbillon trop vif de pensées ancrées dans ce que la vie avait de plus laid quant à ses leçons et s'il avait volontairement refusé de s'y attarder, elles ne demeuraient pas moins présentes, enrubannées dans les limbes de sa conscience blême: avaient ils seulement une chance de retrouver l'herboriste dans le fatras d'une foret lovée dans les premiers frimas de l'hiver? Combien de chances que les loups ne soient pas venus se repaitre au corps de l'Ortie en préférant la proie inerte aux brebis que gardaient les chiens? Pouvait-il seulement en rester quelque chose d'identifiable?

La porte s'ouvrit, révélant le cocher qui tendit une main aimable à la taciturne jeune fille qui avait fait la dernière portion de route avec lui, le chat la saluant d'un hochement de tête, amenant le rose sur les joues virginales et une lassitude lourde à ses tempes brunes. S'extirpant à son tour pour rejoindre la terre battue de la route principale, il avisa la ville qui s'étendait devant lui, l'attention portée sur l'auberge qu'on lui désignait et s'y dirigea, point de rendez-vous donné. Un blond à rapière, ou une estropiée, voilà tous les contacts que cette excursion aux accents de veillée funèbre lui offrait, maigres détails qui devraient pourtant suffire au lieu. Glissant le nom de Tynop à l'aubergiste, il reçut confirmation qu'il se trouvait bien là, dans les hauteurs de l'étage réservé à la location, finissant sa nuit. Les prunelles noires s’attardèrent, louvoyantes d'une silhouette à l'autre sans trouver la trace d'une main amputée chez les rares clients présents, se doutant que l'heure matinale ne jouait pas en sa faveur, pour finir par tomber sur les reins potelés de la tavernière dont les yeux ensommeillés par potron-minet ne dénaturaient nullement l'étincelle frivole qui y brillait.
Il y avait là de quoi passer le temps et occuper ses mains en attendant que ses rendez-vous ne daignent se réveiller et ne descendent dans la salle commune.

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Fleur_des_pois
I came across a fallen tree
I felt the branches of it looking at me
Is this the place we used to love ?
Is this the place that I've been dreaming of ?


    {Forêt de Chabrières... encore}


Les deux mois passés dans les forêt avaient affiné les sens de Gaia. Dans les bois, le moindre son portait, et son ouïe était devenue plus fine. Et si à son arrivée elle était bien incapable de faire la différence entre le léger piétinement d'un mulot et la galopade agile d'un écureuil escaladant un tronc, aujourd'hui elle savait reconnaître la majorité des bruits. Ce qui lui avait été très utile à maintes reprises, lorsque la marche quasi silencieuse d'un loup solitaire avait retenti près de sa grotte. Et si le petit feu au fond de sa tanière servait surtout à la réchauffer la nuit, la flambée grésillante et craquante de vie à l'entrée était surtout là pour éloigner les bêtes.
Fleur avait une chance extraordinaire d'avoir pu maintenir loin des crocs affamés son petit âne, son chien, et sa propre personne. Existait-il un accord tacite entre les animaux sauvages et la petite Fée ? Elle n'empiétait pas sur le territoire des loups, et eux-mêmes la laissaient en paix. Elle ne chassait pas plus que ses besoins ne l'exigeaient, et ils ne tentaient pas d'en faire leur repas. Pouvait-il seulement exister une telle entente ? Rien n'était impossible, quand il s'agissait du Lutin...

Un autre matin froid succédait à une soirée glaciale. Et lorsque le vent sifflait trop fort entre les branches, l'Ortie restait terrée dans son trou à concocter quelques baumes pour soigner ses gerçures et éviter que les crevasses ne se forment à ses pieds et mains. Le temps passait, et jamais Gaia ne regrettait d'être partie. Elle ne supportait plus le monde. Habituée à vendre la mort en flacon, elle n'était cependant pas préparée à perdre quelqu'un de cher. Quelqu'un qu'elle aimait.
L'amour. S'il était bien une chose au monde avec laquelle Fleur n'était pas à l'aise, c'était bien celle-là. Elle le fuyait de toutes ses forces, de toute sa volonté, mais le destin était parfois cruel. A force de jouer avec le feu, c'était inévitable, elle s'était brûlée. Consumée toute entière par une passion dévorante, que l'homme qui l'inspirait n'éprouvait pas en retour. Folie que de croire à ses regards tendres parfois ! Le mur de pierres solidement bâti autour de son cœur s'était écroulé face à lui. Il était l'une des raisons qui l'avaient poussé loin de la civilisation. Cependant, ne pas l'avoir vu durant ces deux lunes avait apaisé son cœur et son âme, et elle pouvait aujourd'hui songer à lui en toute indifférence.

Le soleil était à son zénith. Ranimée par un soleil qui, s'il ne réchauffait pas l'atmosphère, avait au moins le mérite de l'embellir, Fleur jaillit hors de sa grotte comme un boulet de canon. Une cape usée sur les épaules, des bouts de tissus dans les mains, Gaia était bien décidée à décorer les alentours de son habitation. Elle aimait la gaité et les couleurs, et les branches nues des arbres n'avaient rien de très réjouissant pour une petite fée.
Par chance, la nuit dernière dans ses déambulations, elle était tombée sur un campement de voyageurs endormis. Leurs vêtures lui plaisant plus qu'un peu, le Lutin s'était fait un devoir de leur dérober tous les vêtements qu'elle avait pu, ainsi que les choses que la forêt ne pouvait lui offrir. Fil de couture, lanière de cuir, et tous objets de fer, la Fée en délesta les malheureux. Et silencieuse comme une chouette en vol, elle avait regagné sa tanière.

L'ourlet déchiré de sa robe verte, les rubans bleus d'une des victimes, et les dentelles jaunes d'une autre, tout cela fut suspendu aux arbres alentours. Bientôt agités par le vent, les décorations colorées se mirent à danser, comme animées d'une vie propre.
Le fil lui servit à coudre plus ou moins habilement les morceaux de sa tenue trouées avec ceux des robes des inconnues. Le résultat avait de quoi surprendre : une robe qui tenait plus de la tunique longue et chaude, tout à la fois verte, bleue, jaune et rouge, resserrée à la taille par une épaisse ceinture d'homme. Loin, bien loin de son allure d'autrefois.

Désireuse de profiter encore davantage de ce soleil d'hiver, le Lutin mena chien et âne pour une promenade d'après-midi. Les baies étaient désormais presque inexistantes. A peine quelques mûres, parfois, dans les buissons de ronces. Sa réserve de châtaignes était encore assez conséquente, mais elle ne durerait pas éternellement. Si elle avait de la chance, peut-être tomberait-elle sur quelques champignons. Mais ce qu'il lui fallait surtout, c'était du poisson. Par chance, une rivière serpentait dans les environs.
Armée d'une branche taillée en pointe, Fleur stoppa sa marche une fois parvenue devant la berge. Nouant la corde qui servait à guider Colchique autour du tronc de l'arbre le plus proche, la Fée retroussa sa robe, maintenant l'ourlet à sa ceinture, et ôta ses bottes. Plongeant les pieds dans l'eau froide, elle sonda les flots transparents à la recherche de la nourriture espérée. Le reflet argenté d'une truite se détacha sur le fond de pierres érodées par l'écoulement incessant de la rivière. Prompte à l'attaque, Gaia réagit au quart de seconde en plantant son arme de fortune. Le geste, exécuté avec la maitrise conférée par l'habitude, fit mouche. La truite sortie des eaux gesticula encore quelques secondes avant de rendre l'âme. Riant de satisfaction, Gaia jeta son butin dans un panier d'osier qu'elle avait emmené dans sa fuite.

L'après-midi durant, la jeune fille pêcha de cette manière. Sa technique allant en s'améliorant, elle put ainsi amassé suffisamment de poissons pour le reste de la semaine. Elle accrocha à une branche proche de là le dernier morceau de tissu en sa possession pour en marquer l'endroit. Puis, sautillant gaiment jusqu'à la grotte, Gaia alluma aussitôt un feu à son entrée et après avoir éventré les poissons et donné les entrailles à son chien, suspendit par la queue à une cordelette au devant de la grotte, les poissons. La basse température était idéale pour faire sécher les truites.
A l'instar des ours, la Fée devait songer à ses réserves pour l'hiver. Et bien qu'elle ait déjà engrangé une bonne quantité de nourriture pour elle-même, Fleur n'oubliait pas Dandelion et Colchique.
Se plantant à l'entrée de la caverne et s'asseyant en tailleur, le Lutin leva les yeux en l'air. A travers les branches nues des arbres environnants, le ciel était plus visible que jamais. D'un bleu marine parsemé de milliers d'étoiles dorées, dessinant comme une traine à la Lune argentée qui illuminait le monde de sa fantomatique lueur, le spectacle céleste ne cessait de charmer Gaia.


Qu'est-ce que tu en dis, Dandelion ? N'est-ce pas magnifique ? N'avais-je pas raison de nous exiler ici ?
Wouf ?
Je savais que tu serais d'accord avec moi.





Somewhere only we know, Keane
J'ai dépassé l'arbre tombé
J'ai senti ses branches me regarder
Est-ce la place que nous aimions ?
Est-ce la place dont je rêvais ?
Umbra
A quelques heures du départ tant redouté, l’Ombre accusa la réponse de son comparse d’antan. Ses mots tremblaient sur le vélin, trahissant une peur naissante. Elle ne l’avait pas deviné malgré une perspicacité aiguisée. Umbra l’avait simplement reconnu car elle aussi en souffrait. Le plus douloureux dans cette histoire avait été le silence soudain et pesant de sa chère amie mais il fallait se rendre à l’évidence, le pire restait encore à venir.

En selle sur un destrier loué, la Noiraude agrippa de son unique poigne flageolante, les rênes de ce dernier.


Allons-y

La voix tout aussi chevrotante, le cheval emboita le pas. Accompagnée de sa petite sœur, le voyage débuta sans bruit. Ombeline se laissait aller à des songes plus morbides les uns que les autres, à savoir comment retrouveraient-ils le corps de la défunte ? La chair rongée par les vers ? Les os calcinés ? La peau gorgée d’eau ? Les pieds ballants au dessus d’un parterre de mandragore ? Les membres épars dans les gueules d’une meute affamée ?

Un frisson d’effroi secoua la carcasse de la Bâtarde qui, au fur et à mesure qu’elles se rapprochaient des terres limousines, s’agitait. Sa nervosité la rendait irritante vis-à-vis de Triora qui, pauvre d’elle, suivait sans mot dire. La Manchote avait beau s’excuser, quelques minutes plus tard, elle s’énervait pour autre chose. Autant dire que le trajet fut long…

L’Ombre avait souvent parlé de Fleur à Petit-Œil. Elle était persuadée qu’elles se trouveraient beaucoup de points communs et ce fut pour cela qu’elle tenait tant à les faire se rencontrer. Hélas, avec un peu de chance, ce ne serait que la dépouille en putréfaction de l’Empoisonneuse que la Sorcière croiserait. Cette idée assombrit davantage sa pensée torturée. Si Umbra avait demandé à la rouquine de l’accompagner en cette funeste quête, c’était qu’elle-même ne pouvait pas s’y rendre aisément. Jugée « personae non grata » dans le comté limousin, la Noiraude ne pouvait pas restée à découvert là-bas. Le plan était donc simple, Ombeline attendrait à l’orée de la forêt avec les montures tandis que sa petite sœur irait trouver Tynop en taverne. Ce dernier connaissant bien les vices de la Bâtarde la chercherait surement au détour d’un verre de prune. Une fois, les troupes rapatriées à la lisière des bois, les fouilles pourraient démarrer.

Grâce au temps clément, les deux sœurs arrivèrent à Guéret avec un jour d’avance. Il n’aurait pas fallu trainer davantage car déjà le ciel se couvrait de nuages menaçant. Après une mauvaise nuit à la belle étoile, Triora partit en ville en quête d’un « blondin trop bavard » tandis que la Manchote montait la garde aux côtés des destriers. Les heures passaient au rythme des cumulus s’amassant au dessus de leurs têtes. L’Ombre scrutait l’étendue forestière se mourant devant elle, en réalisant qu’il leur faudrait moult jours pour venir à bout de celle-ci. En été, le sol verdoyant est agréable à arpenter, bien que peu de lumière ne passe à travers les fastes ramages des arbres. Mais en cette saison, les conifères exhibent tristement leurs branches dénudées avant qu’elles ne se laissent choir à terre. L’accès au sentier est plus difficile et il faut rester vigilant pour ne pas s’empêtrer dans les ronces. Par tout temps, le bois demeure froid, la densité des feuillages estivaux garde la fraicheur du sous-bois et l’hiver, la bise s’immisce au travers des troncs nus.

Umbra réajusta sa cape à moitié brûlée, réminiscence du mariage du Blond, en patientant. Elle tendit l’oreille pour écouter les corbeaux se moquer. Il est loin le gazouillis printanier des petits oiseaux, aujourd’hui, les rapaces narguent, les bucherons s’aventurant trop loin dans la forêt.

La nature se meurt, la Fée aussi.

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Kit by JD Gygy
Triora
Une fois séparée d'Umbra pour se retrouver dans les murs de la ville , marchant dans les faubourgs en gardant ses cheveux roux sur la partie déformée et sa capuche plongeant le haut de son visage dans une ombre insondable elle repensait au voyage ... Alors qu'elle était assise sur son destrier moreau véritablement inconfortable, qui portait le nom de Cauque-mare comme l'incube du mauvais rêve , pendant qu'elle écoutait sa sœur râler pour une énième fois sans raison , son attention avait été attirée par son corbeau qui était descendu du ciel grisé pour voler vers le corps putréfié d'un brigand pendu ...

... La vision du corps pendu tournait dans sa tête déjà pleine de sombre pensée ... Va-t-on retrouver le corps de Fleur ... Est ce que son corps en putréfaction sert d'engrais pour un champs de solanacée venimeuse ? ... Est ce qu'Umbra accepterait que je récupère ses poisons et les plantes qui ont élu domicile dans son estomac ? Son foie ? Son cœur ? Est ce qu'elle est vierge ? Y a t il du sang dans son corps seulement ou n'est elle plus qu'un corps sec ? Est elle vivante seulement ?

... Mais tout ces questions auraient mit Umbra en colère ... Et ça ne rimait a rien dans les faubourgs puant ... Entourée de mendiante , d'orphelin et de putain ... Un blond bavard ... Comme si ce genre de personne était rare ... Pourquoi pas chercher une blonde a grosse poitrine aux jambes trop écartée ou un brun qui cache son manque de personnalité en jouant le ténébreux ... Mauvaise journée comme toujours ... Le mauvaise oeil que son visage portait observait les édifices des artisans , maisons close et taverne quant une frappa enfin son œil.

Un mat accroché au mur de pierre délabré ou deux chaines était enroulée portait un panneau portant le nom de la taverne , la cheminée laissait l'odeur de la viande grillée sortir pour venir palpiter les narines de l'enfant ... Une taverne comme tant d'autre pour brigands , voleur et autre gueux ... Ou les amis viennent écouter les récits des soldats , aventuriers et menteurs ... Et ou les ennemis viennent se saouler et se refaire la figure mutuellement ... Peut être la ...

Son visage se penche légèrement quant la pensée de se faire refouler l'entrée a cause de son apparence infantile qui lui interdisait l'accès a ce genre de débauche lui traverse l'esprit ... Que faire... Un sourire ambigu dévisage le visage de la sorcière tandis que l'oeil déformé se pose sur une jeune femme au visage agréable a regarder et au corps bien proportionné ... Le mauvaise oeil brille étrangement tandis que ses dents jaunie la font ressembler a ce qu'on imagine d'une sorcière ... Miniature ...


Il est l'heure de payer ta dette a la "vieille dame"
--Lula
Je n’étais pas accoudée au comptoir comme dit la chanson. Non, j’étais adossée près de l’entrée de la taverne. L’automne était bien entamé déjà et dans ma tenue légère, je sentais le vent mordre les parcelles de mon corps à nu. Je patientais là, main sur la hanche, le sourire plaisant, faisant mine que la température ne m’atteignait pas. Les heures passaient lentement sans qu’aucun client ne souhaite me réchauffer. Mes traits innocents avaient surement gelés sur mon visage tout comme le reste de ma posture cristallisait sur place. Les temps sont rudes, que voulez-vous. Même le tenancier ne m’offre plus de verre pour enflammer mon gosier. Enfin, peut-être avait-il remarqué les disparitions à répétitions de son fond de caisse ? Mais ceci est une autre histoire…

Un soupir s’échappa de mes lèvres charnues et vint s’étioler en une fine buée devant mon nez. Je riais de tristesse pour ne pas pleurer de détresse. Après tout, c’est moi qui avait décidé, il y a fort longtemps de ma situation. Et oui, que croyez-vous, je n’ai pas l’étoffe d’une ribaude naturellement. A l’époque, j’étais une honorable jeune femme, mariée même ! Unie à un rustre ivrogne mais épouse.

C’est dans ces moments d’attente et de solitude que je reviens toujours à penser à lui. Mon feu époux, paix à son âme, avait vingt ans de plus que moi. En vingt années, imaginez toute la richesse d’un labeur assidu. En somme, je n’étais pas à plaindre. Sans vivre dans l’opulence d’une petite nobliote, je fus tout de même jalousée de quelques voisines. Malheureusement, la fougue de la jeunesse me rappela à l’ordre quand mon aimé défraichi et que ses bourses se vidèrent…Ne cherchez pas de jeux de mots, il n’y en a pas.

Un nouveau soupir de mélancolie vint rompre mon silence et ma pensée un court instant. J’étais belle à l’époque et je le suis toujours, d’ailleurs. J’avais beaucoup d’amants tout comme maintenant. La seule différence, c’est que mon plaisir est devenu une obligation et que je n’ai plus ce poids mort à gâter en rentrant à la maison. Je ne croule pas sous les écus depuis son décès mais je me sens riche de liberté et cela, je vous l’assure, n’a pas de prix ! A cette pensée, mon sourire revint et mes yeux pétillèrent, dommage qu’il n’eut pas de clients à appâter sur le moment.

Je m’enroulai dans mon châle, laissant mon décolleté à la vue du ciel nuageux et repartit dans ma réminiscence. Mon époux, paix à son âme, devint vite aigri et appauvri avec l’âge. Il devenait intransigeant et passablement détestable. Il était au courant de mes aventures extraconjugales depuis le début mais ce n’est que vers la fin qu’il en tint rigueur en m’affublant de toutes les injures qu’une catin se doit de recevoir. Je reste convaincue qu’il était jaloux, pauvre de lui. Bien évidemment, je ne tardai pas à tomber enceinte d’un autre et sénile surement, il n’était pas dupe non plus. Moi qui pensai lui faire avaler la couleuvre jusqu’à sa mort et en tirer l’héritage, je compris vite que tout n’était pas si simple dans la vie. Mon mari éleva ce bâtard sous notre toit comme si c’était le sien mais à l’heure du testament, il ne resta rien de cet amour : pas un écu !

Vivre dans la misère avec une bouche de plus à nourrir, c’était inconcevable, vous comprenez ?! Alors…Alors j’ai écouté la rumeur. Celle-ci grondait qu’une Sorcière était de passage et qu’elle faisait des ravages dans son sillage. Désespérée, je partis à sa recherche et cette dernière m’apparut. J’étais horrifiée d’avoir à faire à elle mais que pouvais-je faire d’autre ? Elle m’échangea un miracle contre mon sort, laissant une dette en suspens. Depuis le poison a fait effet et il ne reste plus que l’acide pour me ronger le cœur...

Voilà, j’ai eu le temps de vous raconter mes déboires sans même qu’un passant ne me reluque, c’est affligeant. Toujours à mon poste, j’ai remarqué un beau brun sortir de sa voiture. Je l’aurais bien croqué celui-ci mais juste par gourmandise. D’ailleurs, ça me rappelle ce ténébreux du mois dernier. Il…


Il est l'heure de payer ta dette a la "vieille dame"

Bon Dieu ! Je rêve ou c’est un cauchemar ?! Là devant moi…Elle…Elle est revenue! Mes traits se tordent d’horreur tandis que mes ébènes dévisagent la silhouette difforme me faisant face. Je ne l’ai pas vu arrivée, est-elle sorti de mes songes ? Qu’importe, la Maudire est là. Mon sang se glace, mon heure n’est pas venue !

Emp..Empoisonneuse… Que puis-je faire pour vous ?

Mon assurance sur jouée avec les hommes s’est évaporée en un claquement de doigt. Sous mes jupons, mes jambes flageolent. Dois-je pleurer tandis que sa voix croassante m’intime les ordres à suivre. Cette femme est mauvaise, plus que moi, plus que le Sans-Nom. Elle est immortelle, elle est increvable. Son petit œil s’agite, jubile de mon désarroi. Elle sent ma peur, elle s’en nourrit. Toute l’infamie du Monde se lit sur son visage. Qui aurait cru que je ferais appel à cette engeance démoniaque? Je suis damnée ! L’injonction est simple et je me mue en poupée pour elle. Elle s’empare de mon âme, je la sens guidée mes pas hésitants. Ma main, tremblante comme les feuilles mortes qui jonchent mon chemin, pousse l’huis et…

J’entre dans la taverne, le sourire aguicheur. Les marques d’effroi se sont dissipés de mon visage, je déroule mon châle pour être plus à mon aise et dévore la salle du regard. Pas de proie en vue. Laissant mes jupons valser sur ma démarche, je me déhanche jusqu’au comptoir et me pose, telle une plume gracile et délicate, près du Chat. Un petit battement de cils adressé un félin. Hummm, je me ferai bien souris pour lui avant que je ne détourne mon attention vers le tenancier.


Un blondin bavard, ça te dit quelque chose, chéri ?

Une nouvelle oeillade vers le brun juste pour le plaisir des yeux. Dommage, ce n'est pas de toi dont je me repaitrai ce matin.
Alphonse_tabouret
Les doigts errants sur l’arrondi du verre servi, dans le feutre assourdi de la taverne encore engourdie du petit matin, Alphonse délayait auprès de la tavernière les réponses qu’elle attendait de lui, se pliant de bonne grâce à la comédie des rencontres qui ne sont pas faites pour durer, aimant dans l’œil de l’autre cette étincelle de satiété à plaire, docile quand le service ne coûtait rien de plus que ce qu’il offrait usuellement.
S’il ne se retourna pas lorsque la porte de la taverne s’ouvrit, il perçut la présence d’une femme, ne serait-ce que dans le regard que jeta son interlocutrice, vissée à son comptoir craquelé, sur la silhouette entrante et il ne daigna faire pivoter sa tête vers elle que lorsqu’elle eut choisi de s’assoir à ses coté, arguant dans ses mouvements un parfum discret, doucement fleuri quoiqu’un peu acre. Jolie, aux formes assez voluptueuses pour qu’on y laisse courir l’œil, séjour que s’autorisa le chat jusqu’à croiser le regard de la ribaude. Si d’avoir couru presque autant de lits que de nuits l’avaient amené à reconnaitre rapidement ceux qui croisaient sa route, éternelles ombres dont la lumière ne choisissait d’auréoler que certains replis, les plus vifs souvent, les plus parlant parfois, mais détail aussi tangible que fugace qui aiguillait l’esprit, l’Aphrodite avait peaufiné chez lui un sens de l’observation particulièrement affuté sur les femmes et s’il désespérait d’un jour trouver une catin dont il n’aurait jamais soupçonné l’odeur, les autres se faisaient souvent épingler par les leçons dispensés au sein du bordel.


Un blondin bavard, ça te dit quelque chose, chéri ?

D’un geste il invita la tavernière à servir la jeune femme, répondant dans l’étirement d’un sourire dévoilant la nacre des crocs.

Peut-être, dit-il ne connaissant de Tynop que quelques mots de mauvais augure jetés sur un parchemin, billet pour un aller à Guéret à la recherche d’un corps à enterrer à défaut d’une vie à ramener. S’il ne le savait pas bavard, la similitude de la prospection restait flagrante, aussi poursuivit-il retournant avec une désinvolture épicée à l’étude de son verre. A moi, on m’a conseillé de trouver une « manchote ivrogne », cita-t-il en portant le verre à ses lèvres pour y boire une gorgée, l’amertume de la bière achevant de réveiller ses muscles engourdis par le trajet. Cela te dit-il quelque chose, chérie ? conclut-il dans laissant glisser sur elle les volutes d’un regard diverti
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--Lula
[Accoudée à son vieux bar, Marilyn compte les regards,
Que lui balancent tous ces ivrognes, qui la matent et puis qui grognent.]
*

Un verre vient se loger au creux de mes paumes et mon attention se repose inlassablement vers mon voisin. Son œillade n’est pas malsaine ni vulgaire comparé aux autres dans mon dos. Je sens leurs pupilles rivées sur ma chute de reins comme des mains inquisitrices. A force d’intensité, leurs regards deviennent presque palpables. Ils touchent avec les yeux, c’est affligeant…C’est dégradant. Je baisse ma tête dans mon verre et observe le contenu tournoyer alors que j’agite mes mains autour. Les rares nobles de passage ici faisaient ça avec leur consommation, je ne sais pas vraiment à quoi ça sert mais j’aime bien…

J’évite de penser à la vieille dame qui m’attends dehors mais la discussion me ramène toujours à elle, elle me hante tant. Je voudrais agripper le Chat et lui murmurer tous mes tourments, peut-être les comprendrait-il, il m’a l’air si différent des habitants et des piliers de bar. A l’abri des regards indiscrets, au secret d’une porte close, je lui raconterai comme je souffre, peut-être m’écoutera-t-il lui ? Avant que le tenancier ne réponde à ma question, c’est le brun à mes côtés qui engage la conversation.


Cela te dit-il quelque chose, chérie ?

Mes lippes s’étirent en un sourire agréable tandis que je réfléchis intérieurement : une manchote ivrogne ? Lentement, je me tourne vers l’assemblée derrière moi et j’observe tous les poivrots présents. Peu de dames et encore moins des manchotes, j’hausse les épaules en signe mitigé et mon décolleté se compresse dans mon corset. Je tique alors, peut-être parle-t-il de la vielle dame lui aussi ? C’est une sorcière, elle se transforme comme elle veut mais reste toujours moche non ? Je prends une gorgée pour remettre mes idées au clair avant de répondre d’un ton affable :

Peut-être…

J’esquisse un sourire taquin en direction de mon voisin avant de me retourner intégralement vers lui. Mes doigts glissent sur le pourtour du verre mais avant que je puisse reprendre cette peste de serveuse s’accoude à son tour de l’autre côté du comptoir pour s’immiscer dans notre conversation. Je réprime tant bien que mal une moue de déception.

Dites les gens, je pense que vous cherchez tous les même personnes. Hier soir, un jeune homme blond a pris une chambrée et il a demandé à voir une brune manchote alcoolique. Celle-là, on l’a pas croisé mais votre bavard, il pionce à l’étage…


Mon attention se tourna instinctivement vers les escaliers suite à cette révélation. La clé de ma délivrance se trouvait donc là-haut. Je descendit de mon siège et lissa mes jupons pour me rendre présentable.

Est-ce un ami à vous, messire ? Non, je ne suis pas si curieuse que ça, je veux juste savoir si c’est moi qui vait le réveiller ou un visage familier. Je releva les yeux sur le Chat et sourit :

Si vous le désirez après, je peux vous mener vers la manchote.

Mon sourire masque mon mensonge et le transforme en acte de bonté. Oui, je vous mènerai vous et votre ami…Vers une autre difformité de ce bas monde.

*Paroles de Marilyn du groupe Ina-Ich
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