Alphonse_tabouret
Pierre Baillargeon
Devant le bureau dAxelle, le chat sétait figé, silhouette étirée et immobile devant quelques dessins crayonnés à la faveur dune après-midi que la peintre avait passé à peaufiner ses arts, et tandis que son doigt ségarait sur lune des lignes du fusain avec assez de légèreté pour ne point laltérer, sa mâchoire, lentement tendait le fil dune moue mauvaise jusquà lhabiller toute entière.
Sur le papier, Etienne.
Agité dun remous quil ne sexpliquait pas, il laissa courir à ses tempes le cordeau corrompu de son imagination exsangue le long des courbes esquissées, ayant saisi dans un feu vif mais pertinent, les marques sombres qui ombraient le corps parfait du nobliau, jusquà létincelle des billes disparates qui formaient le regard unique de De Ligny..
Etienne avait posé pour Axelle.
Alphonse navait pas le gout de la propriété, résolu à ne rien posséder pour ne jamais rien perdre, et avait appliqué avec une volonté naïve lempreinte de cette liberté à chacun de ses amours, choisissant lascétisme le plus total à lencontre des possessions. La mort de Quentin avait ébranlé fatalement cette certitude-là, expliquant au chat au travers du gel de la perte que la possession ne passait pas forcément par le lien, que parfois, elle sinsinuait à la chair sans plus vouloir en démordre ailleurs que dans la chute.
De ses maitresses ou de ses amants, il navait jamais rien exigé, bien incapable doffrir lui-même, et encore trop tendre pour demander à lautre ce que lui-même refusait.
Des habitudes, une fois claquée la porte de la maison familiale, il nen avait gardé aucune, chat fuyant le moelleux potentiel de la routine, craignant avec une terreur presquenfantine de se voir priver de ce quil aurait pu estimer comme un dû.
Alors pourquoi ?
Pourquoi ce mécontentement si net en se rendant compte quil nétait pas seul à offrir la ligne de son corps au travail de la peintre ? Une moue aigre étira ses lèvres dans une grimace. Les réponses étaient horriblement simples, dénuées de mystère, faille ouverte et béante sur lâme du chat depuis quelques mois désormais, depuis la fin dun rêve éveillé.
Parce quil sétait habitué à une forme dunicité dans lil de la gitane.
Parce quil aimait ce rapport du modèle à lartiste, où les amants se déliaient au profit de séances sages, offrant à Alphonse un angle sur Axelle quil aurait aimé gardé pour lui.
Jaloux.
Ridiculement, il en était conscient, mais jaloux de partager avec un autre quel quil soit ce moment où lon nétait plus soumis au jugement dun autre, mais encre dans le domaine de la peintre.
Surpris par sa propre aigreur, écuré de cette faiblesse imbécile, regrettant avec amertume une époque révolue où il ne se serait jamais laissé apprivoiser assez pour ressentir cette égratignure de légo, il écarta lentement ses doigts du feuillet quil avait envie de chiffonner en une boule de papier
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Devant le bureau dAxelle, le chat sétait figé, silhouette étirée et immobile devant quelques dessins crayonnés à la faveur dune après-midi que la peintre avait passé à peaufiner ses arts, et tandis que son doigt ségarait sur lune des lignes du fusain avec assez de légèreté pour ne point laltérer, sa mâchoire, lentement tendait le fil dune moue mauvaise jusquà lhabiller toute entière.
Sur le papier, Etienne.
Agité dun remous quil ne sexpliquait pas, il laissa courir à ses tempes le cordeau corrompu de son imagination exsangue le long des courbes esquissées, ayant saisi dans un feu vif mais pertinent, les marques sombres qui ombraient le corps parfait du nobliau, jusquà létincelle des billes disparates qui formaient le regard unique de De Ligny..
Etienne avait posé pour Axelle.
Alphonse navait pas le gout de la propriété, résolu à ne rien posséder pour ne jamais rien perdre, et avait appliqué avec une volonté naïve lempreinte de cette liberté à chacun de ses amours, choisissant lascétisme le plus total à lencontre des possessions. La mort de Quentin avait ébranlé fatalement cette certitude-là, expliquant au chat au travers du gel de la perte que la possession ne passait pas forcément par le lien, que parfois, elle sinsinuait à la chair sans plus vouloir en démordre ailleurs que dans la chute.
De ses maitresses ou de ses amants, il navait jamais rien exigé, bien incapable doffrir lui-même, et encore trop tendre pour demander à lautre ce que lui-même refusait.
Des habitudes, une fois claquée la porte de la maison familiale, il nen avait gardé aucune, chat fuyant le moelleux potentiel de la routine, craignant avec une terreur presquenfantine de se voir priver de ce quil aurait pu estimer comme un dû.
Alors pourquoi ?
Pourquoi ce mécontentement si net en se rendant compte quil nétait pas seul à offrir la ligne de son corps au travail de la peintre ? Une moue aigre étira ses lèvres dans une grimace. Les réponses étaient horriblement simples, dénuées de mystère, faille ouverte et béante sur lâme du chat depuis quelques mois désormais, depuis la fin dun rêve éveillé.
Parce quil sétait habitué à une forme dunicité dans lil de la gitane.
Parce quil aimait ce rapport du modèle à lartiste, où les amants se déliaient au profit de séances sages, offrant à Alphonse un angle sur Axelle quil aurait aimé gardé pour lui.
Jaloux.
Ridiculement, il en était conscient, mais jaloux de partager avec un autre quel quil soit ce moment où lon nétait plus soumis au jugement dun autre, mais encre dans le domaine de la peintre.
Surpris par sa propre aigreur, écuré de cette faiblesse imbécile, regrettant avec amertume une époque révolue où il ne se serait jamais laissé apprivoiser assez pour ressentir cette égratignure de légo, il écarta lentement ses doigts du feuillet quil avait envie de chiffonner en une boule de papier
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