Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Les mots inutiles sont des moments perdus (*)

Alphonse_tabouret
Pierre Baillargeon



Devant le bureau d’Axelle, le chat s’était figé, silhouette étirée et immobile devant quelques dessins crayonnés à la faveur d’une après-midi que la peintre avait passé à peaufiner ses arts, et tandis que son doigt s’égarait sur l’une des lignes du fusain avec assez de légèreté pour ne point l’altérer, sa mâchoire, lentement tendait le fil d’une moue mauvaise jusqu’à l’habiller toute entière.
Sur le papier, Etienne.
Agité d’un remous qu’il ne s’expliquait pas, il laissa courir à ses tempes le cordeau corrompu de son imagination exsangue le long des courbes esquissées, ayant saisi dans un feu vif mais pertinent, les marques sombres qui ombraient le corps parfait du nobliau, jusqu’à l’étincelle des billes disparates qui formaient le regard unique de De Ligny..
Etienne avait posé pour Axelle.

Alphonse n’avait pas le gout de la propriété, résolu à ne rien posséder pour ne jamais rien perdre, et avait appliqué avec une volonté naïve l’empreinte de cette liberté à chacun de ses amours, choisissant l’ascétisme le plus total à l’encontre des possessions. La mort de Quentin avait ébranlé fatalement cette certitude-là, expliquant au chat au travers du gel de la perte que la possession ne passait pas forcément par le lien, que parfois, elle s’insinuait à la chair sans plus vouloir en démordre ailleurs que dans la chute.
De ses maitresses ou de ses amants, il n’avait jamais rien exigé, bien incapable d’offrir lui-même, et encore trop tendre pour demander à l’autre ce que lui-même refusait.
Des habitudes, une fois claquée la porte de la maison familiale, il n’en avait gardé aucune, chat fuyant le moelleux potentiel de la routine, craignant avec une terreur presqu’enfantine de se voir priver de ce qu’il aurait pu estimer comme un dû.

Alors pourquoi ?
Pourquoi ce mécontentement si net en se rendant compte qu’il n’était pas seul à offrir la ligne de son corps au travail de la peintre ? Une moue aigre étira ses lèvres dans une grimace. Les réponses étaient horriblement simples, dénuées de mystère, faille ouverte et béante sur l’âme du chat depuis quelques mois désormais, depuis la fin d’un rêve éveillé.
Parce qu’il s’était habitué à une forme d’unicité dans l’œil de la gitane.
Parce qu’il aimait ce rapport du modèle à l’artiste, où les amants se déliaient au profit de séances sages, offrant à Alphonse un angle sur Axelle qu’il aurait aimé gardé pour lui.
Jaloux.
Ridiculement, il en était conscient, mais jaloux de partager avec un autre quel qu’il soit ce moment où l’on n’était plus soumis au jugement d’un autre, mais encre dans le domaine de la peintre.

Surpris par sa propre aigreur, écœuré de cette faiblesse imbécile, regrettant avec amertume une époque révolue où il ne se serait jamais laissé apprivoiser assez pour ressentir cette égratignure de l’égo, il écarta lentement ses doigts du feuillet qu’il avait envie de chiffonner en une boule de papier

_________________
Axelle
Elle papillonnait de droite à gauche, volubile et heureuse dans cet atelier qu’elle peaufinait en attendant les premières commandes. Nul doute qu’Alphonse devait s’amuser de sa verve gouailleuse et de son entrain enfantin à lui parler couleurs et toiles, l’écoutant avec une complaisance patiente et divertie. Mais tant animée par ses espérances, la Bestiole ne remarqua pas aussitôt le silence lourd de son amant et lorsqu’elle se retourna pour lui agiter sous le museau un céladon dont elle était particulièrement fière, les mots se brisèrent dans leur élan.

Jamais elle n’avait vu cette moue fâchée sur le visage du flamand, ni cette lueur mauvaise dans son regard et elle se tendit dans un mouvement de recul alors que ses amandes noires s’ébréchaient sur le croquis qui accrochait l’attention du chat.

Son cœur loupa un battement alors que sur le papier s’affichaient les traits énigmatiques d’Etienne.

Pourquoi les onyx flamands avaient-ils choisi ce dessin, précisément, dans l’amoncèlement de vélins noircis sous son fusain ? Pourquoi lui, si toujours parfaitement impassible, laissait-il lire si clairement sa contrariété ? Et surtout, pourquoi cette colère tout juste maitrisée ? Nulle promesse n’avait été faite, jamais. Tacitement, la liberté entre eux était de mise, réciproque et pleine. Pourtant, le ventre de la Bestiole se retourna d’une bile amère de culpabilité. Le prix cruel pour sa légèreté était marqué bien trop profondément en elle pour lui épargner l’angoisse quand Alphonse scrutait le visage de cet autre, la submergeant du sentiment confus d’être trahie par son esquisse. Dans son ignorance des liens revêches qui unissaient les deux hommes, les lignes noires du fusain s’emplissaient soudain de la certitude qu’elles dégoulinaient du désir sulfureux qui s’était emparé d’elle en les traçant. Le face à face inconvenant lui noua le ventre aussi certainement que l’agacement et l’amertume marquaient le visage d’Alphonse.

Trop méfiante pour comprendre qu’elle n’était pas la seule cible de ce mécontentement, trop prise au dépourvu pour s’étonner que la jalousie puisse égratigner le félin, trop confrontée encore à son démon au regard de cendres glacées, elle approcha du bureau, contrite de son étourderie d’avoir laissé trainer ces feuillets félons. Ses gestes, encore si enjoués quelques instants auparavant, s’imprégnèrent d’une lenteur maladive propre à la fébrilité pour les ranger dans le carton à dessin d’où jamais ils n’auraient du s’échapper.

Elle ne regrettait pas l’aventure piquante de cet après midi là, elle ne reniait rien , mais le malaise s’installa avec tant d’emphase au plus profond de son être que, sans même en saisir les causes profondes, elle ne put que se justifier comme une gamine prise en faute.

Détachant son regard du carton, elle le releva doucement vers le chat, les traits lisses, trop lisses même si l’habitude accablante et révoltée d’être jugée s’agitait dans ses prunelles.
Son regard. Articula-t-elle comme réponse à tout. Comme réponse à rien.
_________________
Alphonse_tabouret
Sa main se posa sur la sienne, l’empêchant de faire glisser les vélins dessinés dans le carton où ils auraient du se terrer pour que rien ne viennent écorcher la journée, mais il était pire encore de les ranger devant lui, à la manière d’un aveu malheureux, dont on craint la simple existence, comme si la faute était à ce point vibrante qu’il fallait la faire disparaitre. Les onyx alourdis d’agacement se posèrent dans les amandes sombres de la peintre, pour ensuite s’attarder au visage où le malaise se diluait aux traits, faisant frémir le félin d’une satisfaction cruelle, égoïste, et empirique qui le réchauffa autant qu’elle le glaça.

Son regard, dit elle seulement, marquant au fer le flegme du félin en lui laissant aborder un rictus sarcastique qu’il ne songea pas à gommer. Le beau regard vairon d’Etienne, premier abime que jetait De Ligny à ceux qui le rencontrait, déséquilibré, mettant dans la balance des teintes à la fois le charme et le vice de sa colère bouillonnante, semblait ne regarder que lui, éparpillant à sa mémoire la poigne de ses mains, son souffle à l’oreille, son corps rivé au sien et son poing à sa mâchoire.

Oui, répondit-il enfin, l’attention coulant un instant à la rencontre de cet autre dessiné, chassant la colère spontanée qui lui venait dés qu’il était question de Lui, le jugeant déplacé, anecdotique, et pour une fois, ayant raison. Son regard, répéta-t-il dans une babine retroussée d’un tendre mépris. Il est difficile de ne pas s’y abimer, murmura-t-il presque pour lui-même, repoussant définitivement le croquis de l’index sans pour autant lui faire retrouver la place que lui destinait la danseuse loin de ses yeux, le laissant volontairement inopportun dans la pièce où ils se trouvaient tous les deux.
Je me moque qu’il soit ton amant.
Sec, et pourtant sincère, la voix enrouée d’une mauvaise humeur pourtant bien présente répondit aux mots de la gitane, car quand bien même rien n’était dit, les dessins portaient le langage de leurs traits et attardaient dans certains détails les envies qui avaient traversé Axelle à la composition.
Je me moque de qui est dans ton lit quand je n’y suis pas.
Il aurait pu le dire plus tendrement, il le savait, et user de détours plus subtils pour faire comprendre à la brune qu’elle n’avait rien à se reprocher, de mots moins équivoques ou d’un sourire peut être… Mais tout s’y refusait malgré la facilité à trouver le costume et à le revêtir, malgré la pirouette évidente qu’il suffisait d’enchainer pour que tout retrouve l’ordre établi dans leur association.
Le problème n’était pas Etienne. Le problème n’était pas l’amant.
Et pourtant, la volonté était là, inexplicable, de vouloir piquer Axelle comme lui-même se sentait piqué à cet instant ci, agité d’une vexation confuse qui l’amenèrent à laisser échapper une vérité dans un murmure à ce point puéril qu’il en sentit sa gorge le bruler imbécilement, agitant le chat d’un début de colère face à lui-même.

J’ignorais que tu avais d’autres modèles que moi.

Le problème était exactement là.
_________________
Axelle
« L'avenir, c'est la trahison des promesses. »
Daniel Pennac




Jalouser non pas son corps, ses caresses, ses baisers mais son regard quand elle dessinait, l’attention toute dévote portée à ses modèles quand ils se livraient. Si Axelle avait pu prendre le recul nécessaire, certainement aurait-elle perçu la pureté de ce dépit vexé qui grondait dans les veines du Flamand. Certainement aurait-elle compris que leur relation n’avait de sens profond que dans cette particularité. Peut-être aussi aurait-elle décrypté ses mots, son rictus quand les onyx se noyaient au portrait du Griffé et deviné l’attirance étrange, lugubre, qui unissait les deux hommes.

Mais rien.

Elle ne vit rien, ne voulut rien voir, refusant même la surprise qu’ils se connaissent. Rien n’avait plus de prise sur elle quand les mots abrupts égratignaient puérilement sa fierté déplacée de femme. Le masque du chat s’effritait, il s’offrait sans plus de retenue et stupidement elle ne le remarquait même pas. Il lui semblait inconnu quand il ne lui lançait que la vérité brute et si rare qu’elle du aurait s’en gorger, mais plus Alphonse arrachait son voile, plus elle se renfermait dans son aveuglement pour fuir la blessure. Auparavant, elle aurait baissé l’échine, aurait muselé sa rébellion, aurait fait le dos rond le temps que la tempête passe et que l’orage s’éloigne. Mais si son mariage lui avait appris une seule chose, c’était bien de ne plus jamais s’agenouiller.


[Partir quand même
au moment fort
briser les chaines
qui me lient à son sort
vont faire de moi un poids mort
un objet du décor
partir quand même
avant qu´il veuille
couper mes ailes
et dompter mon orgueil]*


Elle se l’était promis, à la moindre écorchure, au moindre indice que le coup était volontaire, elle partirait sans plus se retourner. Et chaque mot, chaque expression d’Alphonse résonnait à ses oreilles sourdes d’une telle indifférence, d’un tel mépris, qu’elle recula vivement, prête à se dérober à ces griffes qui n’avaient plus rien de joueuses mais tout de cruelles. Et dans son incompréhension alors que tout pourtant se jouait sous ses yeux avec une netteté décidée, à son tour, le besoin de mordre la tenailla, adepte de l’équilibre.

L’œil sombre, d’un geste brusque, elle fit voler du carton à dessin tous les vélins qu’il renfermait, exposant sous le regard du brun des dizaines esquisses, d’études minutieuses, des trois quarts souriants, des profils sévères, des mains ridées crispées sur une vieille étoffe, des regards rêveurs et plein d’espoir, des nez aquilins, des bouches boudeuses.


Des modèles Alphonse,
si sa voix restait rauque, plus une seule lettre n’était avalée, augure d’une colère froide et latente, j’en ai des dizaines, des centaines, à chaque coin de rue. Je n’ai aucun besoin de muse, j’ai besoin de multitude. Je suis comme une sangsue, je me nourris de leurs secrets. D’un geste vif, elle attrapa un autre vélin rangé avec soin sur une étagère et le plaqua sur la table avec violence. Mais la différence entre eux et toi, elle dégagea sa main, laissant apparaître un portrait d’Alphonse qu’il ne connaissait pas, le regard plein de solitude contrastant avec un sourire effilé. C’est que toi, je n’ai pas besoin que tu sois face à moi pour pouvoir te dessiner, parce chaque trait de ton visage, chaque expression de ta bouche, chaque lueur dans ton regard est ancrée en moi. Parce que toi Alphonse, sa voix se brisa je t’aime.

Elle se tétanisa, consciente soudain des mots interdits que l’élan meurtri n’avait pas su taire. Sous le poids de ces mots, de ces sentiments destructeurs volontairement occultés et repoussés dont elle se croyait à jamais privée, ses yeux s’embrumèrent tant, malgré son déni acharné, ils étaient vrais. Tant vibrants et louvoyant dans ses veines que cette première dissonance entre eux avait suffi à les faire éclater à ses lèvres. Et au diable ces parfums d’autres qu’il laissait dans son sillage au matin quand il insufflait en elle le goût de la vie si pleine et lumineuse.

[Quitter la scène
dans un ultime effort
avant de dire "Je t´aime"]*


L’aveu était fait, il était trop tard. Les justifications n’auraient plus de sens et se teinteraient d’un mensonge qu’elle détestait. Et d’un souffle tenu mais sans hésitation, venant planter son regard humide dans les onyx dures s’assena l’estocade.
Ne le vois-tu donc pas ?

* Françoise Hardy, Partir quand même
_________________
Alphonse_tabouret
La pluie de vélins agrémenta la pièce quelques instants de feuillets aux teintes diverses, éparpillant dans l’air des heures et des heures délayées au profit de l’art, amenant le comptable à s’enfoncer dans la vexation encore plus cuisante de se faire donner une leçon dont il savait pourtant tout.
Naïf, Alphonse se laissa porter par l’étrange satisfaction de sentir en face de soi le répondant de la colère à ses pensées bileuses, amères, laissant le chat aux confins d’un jeu qu’il ne connaissait pas, nabab égocentré au creux de dix ans d’un amour qui s’était permis tous les visages, du plus tendre au plus violent sans jamais douter une seule seconde que cela finirait par un sourire ensommeillé à quelques secondes de plonger dans le rêve et n'ayant jusque là jamais porté assez d'intention aux autres pour se laisser engloutir de cette façon.
Son regard s’attarda au portrait quand les mots nets de la gitane perlaient froidement de ses lèvres suaves, lourds de sincérité, à laquelle il ne s’attacha pourtant à ne garder que ce qu’il souhaitait entendre, oubliant les règles mêmes qui l’avaient façonné avec une facilité qu’il serait longtemps incapable de s’expliquer, prêt à revêtir le costume froid de l’insolence la plus outrageante en réponse au flot, quand Axelle choisit de fracturer le monde et d’ouvrir sous leurs pieds, l’enfer le plus cacophonique d’une poignée de mots :


Parce que toi Alphonse, je t’aime.
Ne le vois tu donc pas ?


Il s’était noyé une fois déjà, l’âme tout entière engluée dans le non sens de la vie, mais ne trouva aucun écho, aucun repère à cette chute là. Les yeux se plissèrent, engloutis dans une émulsion incontrôlable qui le glaçait jusqu’au plus profond des os, incandescent d’une lascivité cruelle jusque dans le rictus qui venait se ficher à ses lèvres, nerveux d’une brulure qui remontait lentement tout son ventre sans qu’il sache la contrôler.


M’aimer ? répéta-t-il avant d’exploser en empoignant le bras de la gitane, haussant la voix, oubliant les bonnes manières, les masques, les règles, la survie la plus élémentaire à ce monde corrompu Ne vois-tu donc pas à quel point je suis laid ? ,tempêta-t-il quand la pulpe de ses doigts s’incrustaient dans le tissu rouge de la robe gitane. Ne vois tu pas cet égoïsme qui me poussera à ne jamais me satisfaire de tes bras seuls, à ne jamais t’offrir ce que les autres peuvent donner si facilement?
Peux-tu te satisfaire de ça réellement ? Peux tu te satisfaire d’une offrande aussi risible que la mienne quand toi…
Sa bouche se pinça, blême, incapable de finir sa phase, bouleversé plus qu’il ne voulait l’admettre, les tempes laminées par la confusion du bien être et de la peur la plus absolue.
Il s’écarta de quelques pas, sans plus essayer de rassembler ses idées, à nu dans toutes ses contradictions, dans toute la violence soigneusement jugulée sous chacun des gestes qui visaient à servir les autres, et ce bordel affamé dont les lignes se découpaient non loin.

N’as-tu rien appris de cette catastrophe qui t’as servi de mariage ?, lui demanda-t-il en se retournant vers elle. N’as tu donc pas compris que l’amour s’étouffe ou s’assassine, qu’à tout me donner, je te prendrais tout ?!
Gonflant d’une rage incompréhensible, animé par un bouillonnement maladif qui surgissait au travers de son regard, ramenant la silhouette féline jusqu’à elle avec la véloce lenteur de la détermination la plus incorruptible, il saisit la brune à la gorge fermement, contenant la violence sans pour autant s'en départir, la plaquant au mur à son dos et baissa sur elle un visage peint d’une souffrance à ce point violente qu’elle en fissurait son âme, béant sur une frayeur qui ne trouvait d’exutoire que dans la sauvagerie horriblement harmonieuse des gestes.
Je ne vois rien que je ne veux contempler, continua-t-il d’une voix sourde, dans les basses de l’agitation de ses nerfs. Qu’importaient les yeux humides de la gitane qui lui soulevaient le cœur d’une honte dans laquelle il ne trouvait qu’à s’enferrer, incapable de se retenir, de mettre le mors à l’agitation qui le transcendait dans cet aveu déchirant de sensibilité, dans cette mise à nue si effervescente… Rien n’avait le sens que cela aurait du avoir à cet instant ci, et le félin aiguillonné par un danger qui le menaçait de la brisure la plus virulente, ne pouvait plus que se laissait porter par sa propre maladie, beau, terriblement, à ce moment là:

A quoi cela te sert de m’aimer si cela doit te faire pleurer ?


Une fois déjà en Bourgogne je t’ai prévenue… Ose encore changer les règles, Axelle… ose me le redire…
_________________
Axelle
L’air vibrait d’une colère sourde semée par sa propre impétuosité. Elle était terrifiée, non pas peureuse des coups confusément hypothétiques, rompue à ce genre de menaces au point de croire Alphonse capable de succomber à ces travers lâches, mais tétanisée par une angoisse bien plus profonde que la douleur de la chair. Les mots du flamand se déversaient sur elle avec une véhémence insoupçonnée, mais teintés d’un tel effroi que la colère d’être ainsi sermonnée et affliction d’avoir porté l’estocade la plus violente se nouaient inextricablement.

Les doigts agités d’Alphonse s’incrustaient dans sa chair, accablant son bras trop fin de sa poigne. Des brides de réponse, de justification s’agglutinaient chaotiquement dans son crane à une vitesse vertigineuse, sans pourtant que sa bouche ne puisse en articuler aucune tant l’averse ployant ses épaules était continue.


« N’as-tu rien appris de cette catastrophe qui t’as servi de mariage ? »

L’injure fut à ce point mauvaise que d’une ruade futile quand elle était d’avance engloutie par la poigne mâle, elle voulut se dégager de l’emprise du brun, le gifler, lui hurler qu’il n’avait pas le droit, qu’il ne comprenait rien, qu’il ne savait rien. Mais elle ne parvint qu’à tourner la tête, qu’à fermer les yeux à en plisser ses paupières comme si l’offense pouvait s’en trouver allégée. L’exclusivité, la jalousie, la possession, voilà ce qui avait détruit son mariage, l’amour n’avait fait que noyer la rupture dans une douleur à ce point insoutenable qu’elle avait voulu en mourir. Il ne comprenait pas que cette liberté dont il s’affligeait était aux yeux de la gitane sa propre liberté qu’il protégeait, son identité, son être profond. Qu’à ses cotés, elle pouvait être elle, sans craindre qu’il ne veuille la manipuler pour la modeler à son goût. Qu’elle ne le ferrait pas souffrir par son indépendance, par la rébellion qui grondait en elle dès que l’on voulait lui mettre le mors aux dents. Il ne comprenait pas, et elle aurait voulu lui cracher à la figure, comme il l’avait fait, qu’elle se moquait de qui partageait son lit quand elle n’y était pas tant il lui offrait le luxe de pouvoir vivre pleinement, sans craindre chaque mots, chaque gestes, chaque regard qu’elle croisait. Comme elle aurait voulu lui hurler qu’elle ne lui demandait rien de plus que tout ce qu’il lui offrait déjà, sans même s’en rendre compte. Aveugle.

Mais les mots se coinçaient dans sa gorge, douloureux, écorchés, quand ces larmes ténues qui roulaient doucement sur ses joues n’étaient que sensibilité exacerbée de se sentir à ce point vibrante de ce sentiment qui la faisait exister, elle qui croyait son âme morte, piétinée pour mieux ressusciter, poussée par le souffle d’un infirme. De sa main libre, elle essuya ses joues rageusement, prête à la rétorque virulente que l’injustice des mots d’Alphonse gonflait avec emphase. Mais le temps lui échappa brusquement, acculée au mur, prisonnière de sa poigne enserrant sa gorge, la laissant suffocante de surprise. Ses mains s’accrochèrent au poignet tourmenteur, plantant ses ongles dans la chaire pâle, tant pour qu’il la libère de son emprise avilissante que pour s’y accrocher et ne pas chuter tant la tête lui tournait. Entre ses doigts pressés sur elle, les échos trop rapides de son cœur enflaient jusqu’à ses tempes, terrassant toute sagesse, toute retenue.


« Une fois déjà en Bourgogne je t’ai prévenue… Ose encore changer les règles, Axelle… ose me le redire… »

Si sa mâchoire tremblait, son regard vibrait de détermination quand elle le planta sans détour dans celui du brun. La peur qu’elle lut dans son regard était à ce point poignante elle ne sut dire lequel des deux était le plus cruel à cet instant, et elle se détesta de le trouver alors si beau en plein chaos. Elle déglutit, relâchant le poignet pour laisser ses bras s’écrouler à ses flancs. Si le souffle qui accompagna ses mots était ténu, sa voix vibrait d’une vérité pleine se reflétant jusqu'à ses prunelles.

Je t’aime Alphonse.


Elle aurait pu parler, encore et encore et encore, s’expliquer, se justifier, se rebeller, mais en cet instant là tout lui parut faux hors ces quelques mots.
_________________
Alphonse_tabouret
Ce fut tout juste s’il sentit les ongles qui s’enfoncèrent à sa chair, futiles serres de l’oiseau tachant d’égratigner l’acier d’une résolution chaotique, la pulpe des doigts félins laissant se répercuter les battements de cœur affolés du coquelicot à travers leur étau.
L’âme gorgée de couleurs brulantes quand il les aurait souhaité blêmes, froides, raisonnables, au givre de la réconfortante raison et de la salvatrice maitrise, la vue troublée par un monde qui se refaçonnait à hauteur du contrôle qui lui échappait, le jeune homme accueillit la tendre offense dans le capharnaüm de ses pensées, chat feulant, crachant, créature livrée à un impossible dont il ne savait résoudre l’équation.
Alors, il n’y eut plus aucune logique, aucune autre certitude que celle imposée par la fureur des tempes, magmatique myriade de sentiments tous plus confus les uns que les autres, aveuglant l’homme au profit de la bête.

Sans délaisser la gorge palpitante dont toute son âme de prédateur se régalait avec une cruauté lascive, il plaqua son poids contre elle, mâle dans tout ce que l’attitude avait de somptueux et d’offensant, monarque dans ce royaume neuf qui s’ouvrait à lui, la ligne effilée des crocs éveillée jusque dans les prunelles opacifiées d’un désir qui se disputaient l’ardeur et la sauvagerie, sans être bien certain de savoir à cet instant, démêler les deux.
Il appuya sa tempe à celle de la gitane, délayant un souffle lourd à son oreille, accusant sa respiration entravée contre lui, sentant inexorablement un appétit animal se délayer à son ventre, fauve excité par la lutte qu’il se menait et qu’il lui imposait, créature faite de corruptions, de défauts et de peurs qu’il ne savait résoudre en dehors de la chair, ne relâchant la prise de ses doigts à sa gorge délicate que pour les faire glisser dans l’arrondi du cou et se saisir de la nuque en se fichant à la base de l’épaisse crinière bouclée.

Tu m’aimes, hein ?… Alors aimes moi tordu, boiteux, éclopé…

Ses crocs s’approprièrent le lobe, brusques, cherchant à dispenser la souffrance au flot que l’effervescence se dessinant à son ventre, longeant la mâchoire pour venir mordre la lèvre avant d’y fondre les siennes, faune débauché et irrémédiablement perverti par sa maitresse.

…malade, irrésolu, lâche…

-Récolte ce que tu sèmes, lui chuchota-t-il en délaissant sa bouche avec la même brusquerie qu’il l’avait prise, suspendu à son souffle quand ses hanches la délestaient brièvement d’une partie de son poids pour laisser glisser une main descendant au ventre rouge, outrageant ses cuisses sans lui laisser la moindre possibilité de fuite, l’avilissant au plaisir qui brulait en lui, étalant au tissu carmin, la brulure d’une caresse fiévreuse, une moue affamée aux lèvres, abimé à son regard, dévorant la moindre réaction dans l’œil noir qu’elle lui opposait quand son bassin, raidi d’un désir nerveux, s’accordait à la chorégraphie sybarite de sa main.

Danse si tu m’aimes.

_________________
Axelle
« La vérité est comme un soleil. Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder. »
Victor Hugo


Si les deux amants étaient rompus à se provoquer dans les jeux les plus audacieux, se lançant défis sur défis, plus aucun masque ne pouvait les protéger à cet instant brisé dans le temps. Quelques mots et un portrait sur le coin d’une table de vieux bois taché et tout en quelques instants avait basculé dans une intensité dont seuls les toits de Notre Dame pouvaient jusqu’alors se targuer. Et Axelle, pas plus qu’Alphonse n’en sortirait indemne. Evaporée dans le cataclysme de ses aveux, échouée dans la violence acérée de son amant, le sol et sa stabilité rassurante se dérobait sous ses pieds comme les marécages camarguais, délestée du poids d’un silence irrémédiablement devenu trop lourd, mais affligée par celui des risques ravageurs de sa franchise imprudente. Enchevêtrée dans un magma de confusion, les mots, même murmurés, galopaient railleurs entre les murs de l’atelier, ricochant sur chaque bocal de pigment pour revenir sans cesse se fracasser à ses tympans. Mais malgré le désordre assourdissant qu’ils engendraient, il lui était impossible d’en regretter une seule lettre.

Le souffle d’Alphonse harcelait son oreille, sans pourtant parvenir à la tirer de son saisissement, affolant encore sa respiration saccadée au spectre d’un rire ou une moquerie dédaigneuse. Mais le chat avait bien d’autres armes et s’il libéra son souffle ce furent ses crocs qui lui répondirent. Canines à ce point effilées à son lobe qu’une plainte aigüe d’oisillon blessé fusa de sa bouche, décidant sa dextre futilement défensive à agripper le tissu de la chemise. Et la lèvre fautive à son tour fut punie. Le poing frêle se resserra encore, maltraitant la blancheur de l’étoffe, la tiraillant, la froissant, la menaçant de déchirure. Insignifiante riposte. Mais aussi vite donnée, la douleur mordante fut reprise d’un baiser incendié auquel elle fut incapable de répondre, pelote de laine entres les griffes d’un chat.


« Récolte ce que tu sèmes »


Assujettie par son poids d’homme sur son corps menu, par le poids de ses mots et de son regard de fauve, les prunelles troublées de la gitane s’éclairèrent quand les fils de la torpeur se délitèrent enfin, lui rendant la vue, raffermissant le sol sous ses pieds, réveillant le gouffre de son ventre. Qu’importe qu’il soit rude, brutal, cruel quand elle avait à ce point besoin de sa peau, de ses mains, de sa bouche pour se rassurer. Seul son bourreau était capable de l’apaiser. Et c’est ce qu’il fit, envahissant sa robe, son ventre, ses cuisses d’une main acharnée. La déraison l’assaillit d’un soupir à ses lèvres rougies, son corps s’arqua d’un contrecoup encore défensif avant de baisser la garde stricte de ses cuisses. La pulpe de sa senestre, lente et tremblante, se hasarda au visage malade et emporté, l’effleurant sous le velours noir de son regard corrompu à cette moue affamée quand le fauve la narguait des assauts dévastateurs de son bassin. Douce main qui soudain, éperonnée par le parfum insensé d’Alphonse bannit toute délicatesse et se rua à la nuque du brun, déviant sa course pour se perdre à l’arrondi du crane et empoigner les mèches brunes d’une prise sournoise quand les braises rougirent dans l’ombre de ses yeux.

La dextre libéra le blanc de la chemise et se faufila entre les ventres pressés pour se plaquer sans égard sur celle d’Alphonse, l’ accusant encore davantage à la faille qu’il ouvrait. Et dans le confinement de leur déraison, son bassin répondit au sien avec le même emportement.

N’espère pas m’faire fuir si facilement.


Sauvage, elle resserra encore son emprise sur les mèches brunes et vint cueillir la moue avec fureur, piaffant et mordant à son tour et lèvres et langue. Possédée.


Je danse avec le feu et tu bruleras avec moi.

_________________
Alphonse_tabouret
Dans les yeux d’Axelle, un soleil éclata, dissolvant les larmes, la terreur, l’angoisse, ne laissant dans le feu de son regard noir que la lame d’une résolution fatale à le suivre dans la tempête de sa colère, aiguisant définitivement les crocs du fauve, reléguant les griffes du chat aux souvenirs les moins douloureux que les corps accuseraient aujourd'hui .
La main de la gitane se fondit dans les cheveux bruns, les empoignant avec une rage qui ne fit pas naitre la douleur autant que la foudre, saisissant le jeune homme dans une lutte où il ne céderait pas un centimètre, tendu, nerveux, jusqu’à la forcer à y mettre toute sa force, égarant un grognement rauque dans la gorge féline, voilant un peu plus l’humanité de ses réflexes au profit de l’animal. Le baiser dispensé lui enfiévra ses lèvres, mais ce fut sa main se joignant à la sienne qui acheva de distiller la rage à ses tempes, aiguisant la perversion de sa lascivité, gorgeant son ventre d’une pulsation violente qui se dessina, pleine, accusatrice. Il enchevêtra leurs doigts, les amenant dans une danse folle jusqu’à alourdir le coton prisonnier de leurs caresses brutes, s’émerveillant dans une cruauté dominatrice, du souffle qui s’échappait de leurs gorges jusqu’à les faire panteler.

Il extirpa leurs mains jointes de leur cocon, délaissa la sienne pour saisir les pans de sa robe et les remonter jusqu’aux hanches sans la moindre délicatesse et sans pourtant se départir d’une fluidité naturelle, cueillant la chute de rein pour relever ses jambes et plaquer son bassin vibrant au chemin ainsi tracé, la corole de tissu rouge bouffant à leur ventres brulants. Butant contre elle sans plus de retenue, son désir réprimé dans le nœud de ses braies, il s’attacha à bruler la danseuse de chaque coup de rein dispensé, son aliénation se nourrissant à ses soupirs, à son corps tout aussi embrumé d'envies que le sien.
Il n’y aurait pas de baisers dispensés à la peau toute entière, pas de suaves caresses essaimées pour la faire frissonner, pas de langues outrageuses venant sublimer l’avant pour s’extasier de l’après, ni de provocations susurrées à l’oreille pour allumer l’appétit... Ce soir, il serait lui, rien que lui, fébrile, en colère, seul, sans mot pour le dire et pourtant en proie à l’attention la plus aiguisée, au don de lui-même le plus sincère. C’est ce que le regard noir du jeune homme dardait dans les yeux d’Axelle quand il plia les genoux, le dos de la jeune femme glissant contre le mur, délayant ses boucles noires dans des volutes égarées jusqu’à ce que tous deux se retrouvent au sol, lui agenouillé, les hanches encerclées par les jambes fuselées, elle doucement avachie, les épaules brunes et rouges plaquées au torchis blanc, son ventre offert à portée de vice.

La senestre dénoua ses braies, béant sur la ligne nette de son membre quand la dextre venait se ficher à la hanche rouge. Un instant, le regard fiévreux d’Alphonse s’attarda dans celui de sa maitresse, lourd de non-dits, lave fluide, feu compact, et pourtant fuselé d’une émotion aussi délicate que déterminée, accordant là, durant cette seconde suspendue, l’unique accalmie de cet après-midi. Un sourire carnassier vint alors étirer ses lèvres, attentif à la bouche pulpeuse, gourmand de ce moment fatal où elle s’arrondirait du délice sans honte d’être prise avec la ferveur de la folie , et, sans le moindre préambule, d’un coup de hanche volontaire, il s’enfonça pleinement dans la soie de son ventre, s’abandonnant à un délice qui contamina sa gorge d’une voyelle extatique, délayant à ses reins l’envie brutale de faire plier la chair jusqu’à ce qu’elle comprenne, jusqu’à ce que son corps irradié expie ce qu’il était incapable de dire.


Brule.

_________________
Axelle
Devant le regard déchirant du flamand, la tenaille de sa main sur les mèches brunes s’ébranla, écorchée par ce qu’elle déchiffrait. Le verdict tombait, nulle douceur ne serait accordée ni à sa peau, ni à son oreille. Aucun scandale pourtant ne piquait les doigts bruns, percevant confusément que toute tendresse serait salie des relents aigres-doux d’excuses condescendantes quand c’est Sa vérité brute et démasquée qui s’offrait en pâture. Comment se révolter de ce jugement là ? Seul le ventre de la danseuse gronda davantage, sombrant fatalement dans une avidité féroce de sa chair, de ses excès, de sa dépravation dont le piment embrasait son palais d’absolu.

Le mur rugueux accrochait les mailles de sa robe et lui tirait les cheveux, mais seuls les battements de son cœur pulsant jusqu’à son bouton exacerbé escortèrent leur descente aux enfers de leur désir irraisonné. Et là, devant le gibet érigé de son membre, engloutie par la fièvre éloquente du regard de son amant suspendue à l’œil du cyclone, elle crut étouffer. Cherchant avidement la moindre goulée d’air, elle tirailla avec frénésie l’encolure de sa robe, jusqu’à en déchirer le cordon usé, la laissait débraillée, mais libérant enfin son souffle si malmené depuis que les feuillets avaient été pointés du doigt.

Jamais elle n’avait été si vulnérable devant lui, pas même blessée, pas même rampant sur ses désillusions, et pourtant, elle réclamait à cor et à cri d’être mordue. Et à la voyelle extatique d’Alphonse elle soupira son initiale. La tempête reprit ses droits souverains, grondant du tonnerre de leurs bassins se fracassant l’un contre l’autre dans une cadence indécente, zébrant leurs regards d’éclairs aveuglant sous le déluge de gémissements et de soupirs désordonnés. La gitane perdait la tête, tout son univers réduit à ce corps qui s’abattait contre le sien, irrémédiablement, sans qu’elle ne cherche à se soustraire à ce feu qui la ployait avec une voracité inégalée. Mains plaquées au plancher, farouche dans la danse endiablée, elle se tordait, s’arquait, bataillant contre ce mur blanchi qui entravait son dos quand parfois la pointe d’un sein courroucé s’échappait du carmin pour darder son indignation face à cette extase qui tel un raz de marrée, renversait ses pensées, son souffle, son sang dans une saveur confuse de première fois.

Affolée et affolante, à l’injonction muette, elle obéit.

Tout son corps se tendit et se cambra jusqu’à la déchirure. Les amandes effilées, vaincues par les flammes trop éblouissantes, battirent retraite sous leurs paupières. Sa bouche, étrangement murée dans un silence soudain s’ouvrit, ronde et tremblante sur son souffle brisé net. Statue figée de sel, suspendue inerte au fil de la jouissance, et le ressac déferla, puissant, impitoyable, dans un silence fragile. Si fragile que le froissement du tissu quand sa main s’abattit sur le bras de son démon suffit à le faire éclater en mille éclats tranchants. Et dans d’ultimes assauts convulsifs, la statue de sel reprit vie, lardant son amant du rougeoiement de ses prunelles quand d’une plainte extasiée, elle répétait son délit avec ferveur.

_________________
Alphonse_tabouret

Accueilli sans lutte, couronné même par la maladie dont il avait contaminé la gitane, la laissant seule maitre de s’en défendre ou de s’y perdre, il n’accorda pourtant aucune rédemption dans la manière dont il s’appropria les cuisses délicieuses, y plaquant son poids avec une verve terrible, acculant la brune à chacun de ses à-coups au pied d’une jouissance aussi brève que terrifiante et pourtant nullement salie par la pulsion distillée dans les gestes, transcendée par autre chose, par une fièvre plus absolue encore que celle de la chair.
Immergé dans la folie qui battait à ses tempes les saccades de rythmes tribaux, s’enfonçant aux cuisses gitanes sans même chercher à retenir le feu qui dévorait son ventre, il perçut avec une jubilation emphatique, l’irrépressible plaisir qui montait à la gorge maitresse, laissant à la bouche féline haletante de l’ardeur qui ne faiblissait pas, brute, le dessin d’une satisfaction terrible à trouver dans ce corps choyé et malmené le répondant débauché de la danseuse.
Les nerfs s’enrobèrent dans la fulgurance d’une escalade qu’il n’eut pas une seule fois envie d’interrompre, lui pourtant esthète dès lors qu’il s’agissait d’enchainer les corps dans une danse toujours attentive, et à la seconde muette de la brune, à la main qu’elle accrocha au bras volontaire de son bourreau, répondit la contraction de son propre corps, la gorge abandonnant un grognement animal, profond, caverneux, bête de stupre tapie dans les entrailles, quand il abandonnait au ventre pulsant l’écume de son extase. Les yeux voilés d’une faim qui se savait rassasiée sur l’instant mais qui connaissait ses troubles les plus entiers, se posèrent dans les amandes noires d’Axelle, accusatrices, filins tendus à leur démesure, quand la moue qu’il abordait sur son visage se parait de l’ivresse du faune en abandonnant la légèreté du chat.

La dextre empoigna la nuque et remonta la gitane contre lui, poupée d’éther, glissant au fond de son ventre pour en savourer les derniers battements dans la mort de son chant, crispant la mâchoire d’une ferveur aveugle à cette errance partagée et sut à cet instant ci qu’il était perdu, abimé par une voracité qu’il ne contrôlait plus. Fluide, scélérat, sans lui laisser le temps de rien, les doigts toujours fichés au cou gracile, il s’appropria le corps de ses mains audacieuses pour le plaquer ventre au sol, quittant ses cuisses chaudes et moites dans un regret qui mourut aussitôt né, en proie à des appétits bien plus imminents.
La senestre remonta sèchement le tissu rouge, dévoilant l’objet de sa lubie, et se ficha à la taille tandis qu’il s’agenouillait, maitre en ce royaume qu’on lui offrait, fébrile autant que fou, délirant d’émotions. Les boucles saisies en tourbillons soyeux enroulés à ses doigts, il tira la masse brune à lui jusqu’à cambrer sa maitresse, indécente, splendide ne lui laissant que ses genoux et le bout de ses doigts pour frôler le plancher, puis, épousant ses rondeurs pour y imprimer la raideur qui n’était pas consumée quand elle était pourtant désaltérée, enfouie dans le giron brun , se pencha à son dos jusqu’à trouver la tempe :


Je n’en ai pas fini avec toi…
vint il confier à son oreille d’une voix effilée, délurée dans la moindre syllabe égrenée, ronronnant d’une excitation sourde.
Si leurs jeux les avaient souvent amené à frôler la déviance d’Alphonse de quelques caresses suggestives et parfois aventureuses, jamais encore le chat n’y avait cédé, attendant, patient, que naissent les désirs suggérés pour les étreindre à bras le corps, adepte de l’abandon des frontières pour de nouveaux horizons à conquérir sans jamais les subir, et, d’un chuchotement terrible, dans la brume de son aliénation, Axelle avait scellé son sort à la faveur du gouffre qui le rongeait.

C’est aussi comme ça que j'aime, conclut il, carnassier dans chacun de ses mots, fauve se damnant au gout de la lune, en tendant le bras jusqu’à ce que la ligne du dos ne ploie en une courbe parfaite au sol, mourant dans les volutes noires des cheveux épars, Méduse qui offrait ses reins à l’élu de son cœur.

Et il prit.
A la manière d’un Poséidon, sans aucune mesure.
Il prit ce qu’offrait si passionnément Axelle, noyé dans une apothéose de sensations, gagnant ses rondeurs jusqu’à buter contre elle, frémissant de la voix femelle qui perlait à cette conquête, jusqu’à la délivrer de la douleur en venant glisser sa main au creux de son ventre, dessinant une caresse salvatrice à son bouton nacré à chaque mouvement qu’il dispensait, fiévreux, possédant, possédé.


Le voilà mon monde, Axelle… Partagé dans la douleur et le plaisir, suspendu à l’un comme à l’autre sans plus avoir envie de les démêler, et trouvant dans cette sordide liaison, l’étincelle de l’envie.
Si tu en veux… si tu en veux, danse encore pour moi…

_________________
Axelle
Le râle de son amant arracha avec fureur les dernières brides de raison qui, courageuses, s’agrippaient encore à son esprit avec acharnement pour lui épargner la dérobade. Contre lui, bercée de son souffle agité blotti à son corps menu, idiote, elle crut la bataille achevée. Naïve, elle présumait des bras plus tendres l’enlacer, une tempe assagie se frotter à la sienne.

Définitivement ignorante.

Dans un souffle alerté, poupée de chiffon, elle fut retournée, assujettie aux lubies du brun, dévoilée, dénudée sans la moindre décence, sans qu’elle ne puisse rien faire pour se débattre, encore trop évaporée par son extase.

Définitivement stupide quand elle avait cru avoir déjà éveillé le fauve.

Les cheveux tirés sans ménagement, entravée, elle obéissait, matée, affolée, recherchant en vain une prise à laquelle se raccrocher, les yeux fous naviguant sur le mur qui se riait d’elle. Et quand il épousa ses rondeurs de sa roideur, elle comprit, enfin. Ses yeux s’ouvrirent, immenses, effarés, elle voulut ruer, mais resta prisonnière de cette poigne traitre.


« Je n’en ai pas fini avec toi… C’est aussi comme ça que j'aime»


Définitivement crédule quand elle l’avait cru à capable de museler sa démence.

Pliée, ployée, étouffée par ses boucles, sa bouche s’étira, maladive, pour hurler « non » mais ne put que geindre un désordre blessant quand il l’empalait. Ses yeux s’embrumèrent sous la douleur et de colère, son poing s’abattit sur le parquet. Comment osait-il l’humilier, la réduire à sa merci, l’outrager et lui faire mal, tant ?


Je t’offre mon âme et tu prends les lambeaux de ma pudeur…

La fureur grondait dans chacune de ses veines, et pourtant elle restait inerte, tétanisée par le supplice, craignant que le moindre de ses mouvements ne l’aiguise encore.


…Monstre.


Sa respiration tressautait, compulsive.

Et les doigts adorés s’insinuèrent, salvateurs pour mieux enfler son ire en la retournant vers elle même. Déchirée, c’était pourtant la souffrance qui s’effilochait pour se mêler sournoisement au plaisir.


Tu n’y arriveras pas Alphonse, ce n’est pas toi qui va me dégouter… Ses mains piaffaient de le griffer au sang, ses dents de s’ancrer à sa chair jusqu’à le faire gémir de douleur lui aussi, mais à l’abri de son dos suintant de sueur, il ne lui offrait aucune prise, et c’était le plancher qui subissait les assauts de ses griffes. C’est moi-même... Elle avait beau lutter, cette fougue, cette force, cette envie déchirante, ce plaisir pointu qui s’invitait à son ventre la faisait frémir de tout son être. Confusément, elle comprenait que sous la brutalité, le désordre des sentiments hurlait. Honteusement, elle se gorgeait de fierté de l’avoir à ce point sorti de ses gonds pour qu’il ne dissimule plus rien de ses travers, lui exhibant cette démence que sans cesse, avec une application aimante, il enrubannait d’indifférence. N’était-ce pas finalement ce dont elle avait besoin ? Elle qui craignait l’abandon, le dédain, l’indifférence, il lui donnait tout l’inverse. Il lui offrait d’exister, de se sentir vivre, lumineuse au point de déclencher le chaos le plus absolu … d’aimer que tu aimes comme ça. Sa tête dodelinait doucement, fébrile quand son ventre ne fuyait plus les assauts rugueux et que son bassin doucement se mit à onduler, farouchement indépendant, ignominieusement lascif. Fais-moi crier de déraison.

Définitivement corrompue à lui.
_________________
Alphonse_tabouret
A sa démence répondit celle de la gitane, résolue à le défier jusqu'au bout, à ne plus laisser de voile se tendre à l'horizon, et, animal accablé, au pied du mur, le chat l'entraina dans sa chute, se joignant à la réponse qu'offrait son corps par l'emphase de ses reins, allant et venant en enfonçant ses doigts jusqu'à blanchir la peau qu'ils saisissaient, sentant les affres de la jouissance lui reprendre le ventre, inflexible, irradié. Haletant, retrouvant dans cet abandon définitif les sensations de la présence de l'autre, il laissa les mots proférés se tatouer à ses tempes sans les rejeter dans la rage qui le broyait encore quelques instants auparavant, à l'affut soudain d'une chaleur à laquelle se fondre quand son ventre se tendait, extatique. La gorge séché, brulée, il se délaya à la vague qui lui prenait les reins en sentant la chair de la danseuse se disloquer sous le fil aiguisé de l'extase dispensée par ses doigts, et échouant une dernière fois aux divines rondeurs, jouit, longuement, dans un râle de supplicié trouvant enfin le salut de son tourment

Tonitruant, le silence reprit ses droits dans la pièce, troublé par les souffles écorchés, les griffes du chat s'arrondissant pour ne laisser que la pulpe aux doigts quand il laissait le corps d'Axelle couler au sol, tremblotant, aussi vide que plein, les sens à ce point dévorés qu'il resta quelques instants à contempler le dos brun qu'il surplombait, notant avec une acuité absurde et déplacée, un grain de beauté qu'il n'avait encore jamais vu, joliment égaré sur la courbe de la hanche.
Lentement, il se coucha sur le dos de sa maitresse, gelé quand il était encore bouillant de la brulure qui l'avait saisi, laissant dévaler quelques frissons à trouver le grain de sa peau se fondre au sien, amenant la bouche à l'oreille pour enfin y dispenser les mots dans un murmure:


J'aime quand tu peins parce que tu sais voir au-delà des apparences. Il laissa une seconde le silence s'étendre pour lui laisser le temps d'entendre sa voix encore rauque dont les accents avaient repris une teinte moins fauve, plus humaine et pourtant toujours vibrante, un reste de feulement s'égarant dans les derniers frissons qui couraient à son dos.
J'aime quand tu ris sans te soucier de savoir si cela dérange ou pas... Ses lèvres trouvèrent la tempe et y dispensèrent un baiser, léger, presque trop. J'aime ta colère parce qu'elle vibre avec une sincérité qui m’égratigne toujours. Il appuya son coude au sol, transférant son poids dessus sans quitter le dos de la brune, attardant le lien de la chair dans une autre sensation que celle dispensée par la fièvre
J'aime quand tu danses, avec ou contre moi, dans mes bras où dans d'autres parce que j'aime que tu sois libre de tes choix, maitre de tes envies, propriétaire de toi même.... Cette fois ci, ce furent les doigts qui cueillirent les cheveux, délicats, suivant la courbe d'une boucle jusqu'à la joue pour l'effleurer.

Lui qui avait tout donné une fois, avait soigneusement morcelé chaque parcelle de lui pour ne plus jamais les voir se disloquer. Il n’aimait plus depuis Quentin, ne le désirait plus, terrifié par l’abime laissé à son cœur, orphelin gelé, mutilé résolu, tous deux le savaient et pourtant, guerrière jusqu’à la lie, elle lui avait jeté sa vérité au visage, ayant déjà accepté l’intransigeance de la sienne, alors… Alors, aimait-il la gitane?
A sa façon oui, attentif à cette flamme rouge qui avait percé une à une chacune de ses coquilles, qui avait choisi de s'attarder dans les décombres laissées par un autre sans s'installer, présence diffuse, chaude, cotonneuse qui l'enveloppait sans se l'accaparer, pudique. Axelle ne lui demandait pas l'amour imbécile que l'on trouvait dans les soupirs des gorges énamourées, celui aveugle et insensé qui l'avait menée, elle au mariage, lui à l'Aphrodite, chacun à son façon dans l'échec le plus cuisant de leur vie, celui qui se rappellerait encore et toujours à eux à chaque battement de cœur. Axelle lui demandait un autre parfum, moins absolu, mais salutaire pour les deux accidentés qu’ils étaient, dans la seule entrave de leurs consciences, libres, désaliénés, assurés de trouver quelque part, le gite et le couvert à l’abris d’un monde bouillonnant de violence.

Je prendrais soin de ce que tu m'offres Axelle, finit-il par chuchoter, apaisé, la voix plus arrondie mais sans la moindre fluctuation de culpabilité dans ses remous, faisant là le serment le plus pur qu’il puisse tresser aux sentiments de la danseuse, lui qui n’avait jamais accepté le moindre cadeau venant des autres, frileux des liens qui corrompent la volonté par le manque dès lors que l’on s’attache

_________________
Axelle
Il se déchainait comme jamais elle n’aurait pensé le voir un jour, l’entrainant dans un gouffre monstrueux de jouissance duquel elle ne sortirait pas indemne, goutant à la dépravation la plus absolue avec une emphase malsaine. A jamais elle garderait le gout de la débauche incrusté dans chaque pores de sa peau. Et ce magma informe d’extase, de douleur et de rage la fit crier.

Monstrueuse pelote de laine dans les griffes d’un chat furieux.

Aux portes de l’évanouissement, sa tête valsait, incapable d’affronter le flot ravageur des ses émotions, de la jouissance trop violente, et elle se laissa tomber au sol, percluse, éreintée, mais gorgée de lui.

Le fauve repu s’endormait sur sa proie écorchée vive, et à la douceur revenue, elle ferma les yeux, y reprenant des forces. Et il parla, de ces murmures à son oreilles qu’il savait moduler pour qu’elle s’assagisse, se rebelle, gémisse ou éclate de rire. Elle aimait ses murmures, toujours piquants, et pourtant, à cet instant, elle aurait préféré qu’il se taise. Qu’il se taise pour la laisser reprendre son souffle. Qu’il se taise pour la laisser reprendre pied. Qu’il se taise pour qu’elle puisse comprendre ses chuchotements. Mais inconscient de se qu’il faisait, il ne lui épargna rien. Pas même les justifications quand elle ne demandait rien. Engluée dans son propre chaos, elle ne comprit pas que le simple fait d’accepter les mots qu’elle avait osé dire aurait du la nourrir, la faire retrouver sa vigueur et son sourire. A ses yeux, les paroles d’Alphonse avaient le gout de friandises que l’on donne aux enfants pour les consoler. Comme s’il avait pitié de la pauvre chose qu’elle était de s’être laissée aller aux battements de son cœur. Baumes sucrés qui au lieu de l’apaiser la blessèrent plus que tout quand il lui donnait pourtant tout ce dont elle avait besoin. Mais la gitane était bien trop fière pour mendier encore. Pourtant, c’était elle qui avait ouvert la brèche.

Du temps. Elle avait besoin de temps pour assimiler le fracas de cette journée, pour revenir vers lui, souriante, insouciante et espiègle. La brulure était trop vive pour qu’elle puisse l’entendre maintenant. Mais sous les caresses elle lâchait prise s’affolant dans un même temps de s’y laisser trop bercer, d’être déraisonnable, encore.

Roulant sous lui, son regard trouble vint cueillir le sien et d’une main douce écarta une mèche brune égarée à sa joue.
J’suis fatiguée, laissa t-elle échapper d’un filet de voix sincère. D’un geste groggy elle prit appui sur son coude pour appuyer un baiser à son front. Va-t'en, s'il te plait. Conclut-elle en se laissant couler à nouveau au sol, détournant la tête, refusant de lui en demander davantage et, sauvageonne, se mura à nouveau à l'abri de sa coquille.
_________________
Alphonse_tabouret

Chassé, d’un baiser, d’un mot, d’une caresse qui se voulait douce quand elle tremblait encore.
Le félin se leva, docile, ne monnayant jamais la sentence lorsqu’elle tombait, accordant à l’autre la liberté pleine de ses choix, et l’équilibre encore malléable, le corps se découvrant éreinté lorsqu’on lui demandait l’effort, raccourcit les gestes jusqu’à les rendre efficaces, renouant les braies sur son ventre, oubliant d’y enfouir les pans de sa chemise, l’attention déviée par d’autres détails qui lui sautaient aux yeux : le désordre des vélins jonchant le sol, le calme dissonant de la pièce, la position d’Axelle, repliée sur elle-même, enfermée dans un ailleurs où il n’était pas le bienvenu jusqu'à ce qu'elle en décide autrement.

Rien de plus ne serait dit, quand trop avait certainement été fait.
Il se détesta de ne rien regretter, nauséeux de se trouver à ce point inébranlable dans ses résolutions là, à ce point détruit par la détermination qui l’avait toujours fait survivre aux autres et martela à ses tempes que c’était des cendres que renaissait la terre, et de la destruction que revenait systématiquement une pousse nouvelle.
Lié par les mots et plus seuls que jamais, c’était là l’étonnant pouvoir du verbe, celui que le chat redoutait, celui dont il se méfiait, celui qu’il avait accordé, rejetant les prémices d’interrogation qui ne cesseraient pas d’enfler, discrets mais persistants, à l’ombre des jours qui s’écouleraient.

Le comptable passa la porte sans se retourner, silencieux, animé par l’envie brutale de s’abimer lui aussi dans un ailleurs, un cocon d’alcool, une bulle d’ivresse, un endroit où il pourrait se tapir et remettre en ordre l’inimaginable fouillis orchestré dans l’heure qui venait de leur échapper

_________________
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)