Axelle
*Jacques Folch-Ribas.
Plus les jours passaient, plus les pérégrinations de la Bestiole se perdaient loin dans les faubourgs parisiens.
Les premiers temps de son séjour, craintive, elle ne sétait guère hasardée dans les rues de la capitale puis, museau à laffut, avait étendu son territoire exploratoire jusquau marchand de couleurs où elle avait passé des heures entières à palabrer passionnément avec le propriétaire laissant, désinvolte, le temps ségrainer dans le choix religieux de la moindre couleur, de la moindre sanguine. Puis elle avait allongé son pas plus loin, encore plus loin, comprenant rapidement que sa petite gueule de gitane était son meilleur laissez-passer même dans les ruelles les plus sombres, même si malgré tout la lame de son couteau miroitait toujours fidèle à sa ceinture.
Fourmilière, Paris était bruyante, puante, sale, sombre, encombrée, dangereuse, impolie, infestée mais Axelle laimait, subjuguée par ce grouillement de vie qui la contaminait pour la laisser vibrante et pantoise.
Elle aimait ces échoppes improbables, cabinets de curiosité. Elle samusait des railleries tapageuses et éclatantes des catins arpentant les pavés. Elle souriait devant les mendiants qui le soir venu retrouvaient miraculeusement lusage de leurs jambes ou de leurs yeux. Elle sattendrissait devant ces nobles hautains se faire entourlouper par les minois de ces gamines des rues qui, tout comme elle lavait fait, dansaient avant de tendre devant les chalands complaisants, une main maigrichonne et crasseuse. Paris vivait et Axelle sen nourrissait. Mais ce qui la faisait vibrer par-dessus tout était ce pullulement de visages. Les visages, les trognes, les tronches, des frimousses. Depuis quâgée de neuf ans, du bout dun index accablé, elle avait dessiné celui de son frère dans le sable des plages camarguaises, ils la fascinaient. Quimportait quils soient beaux ou laids, jeunes ou vieux, tant quils lui racontaient une histoire. Et des histoires, dans les ruelles boueuses et tordues de Paris, elle en découvrait une à chaque coin de rue. Certaines étaient poignantes, dautres cocasses ou encore violentes. Mais jamais semblables. Jamais banales quand de ses doigts tachés de fusain, elle les racontait à son tour sur le vélin.
En ce jour de début dautomne laprès midi tirait à sa fin. Elle aurait dû rentrer pour retrouver la sécurité de son auberge avant que la nuit ne tombe. Mais il faisait beau. Elle était bien, plongée dans la lumière orangée dune vie quelle observait, inscrivant ses boucles brunes et sa robe rouge dans le paysage sans vraiment en faire partie, comme une intruse tolérée. Comme une petite araignée qui au fil de ses dessins tissait sa toile sans que personne ne sen offusque. Des portes entrouvertes, les relents graisseux des repas du soir baignaient les ruelles de souvenirs de gamins. Là, adossée à un colombage, elle navait ni faim, ni soif, ni sommeil quand une petite vielle prenait la pose, le menton édenté pompeusement relevé se sachant croquée, mais jouant lignorante quand pourtant ses yeux pétillaient de fierté. Le fusain chuintait. Lorsque que le dessin serait achevé, la gitane se contenterait de le poser au rebord dune fenêtre, certaine que la vieille sempresserait de sen emparer dès quelle aurait tourné les talons et le garderait précieusement au milieu de tous ses trésors de pacotille.
Cela suffisait à la faire sourire, la brune.
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Plus les jours passaient, plus les pérégrinations de la Bestiole se perdaient loin dans les faubourgs parisiens.
Les premiers temps de son séjour, craintive, elle ne sétait guère hasardée dans les rues de la capitale puis, museau à laffut, avait étendu son territoire exploratoire jusquau marchand de couleurs où elle avait passé des heures entières à palabrer passionnément avec le propriétaire laissant, désinvolte, le temps ségrainer dans le choix religieux de la moindre couleur, de la moindre sanguine. Puis elle avait allongé son pas plus loin, encore plus loin, comprenant rapidement que sa petite gueule de gitane était son meilleur laissez-passer même dans les ruelles les plus sombres, même si malgré tout la lame de son couteau miroitait toujours fidèle à sa ceinture.
Fourmilière, Paris était bruyante, puante, sale, sombre, encombrée, dangereuse, impolie, infestée mais Axelle laimait, subjuguée par ce grouillement de vie qui la contaminait pour la laisser vibrante et pantoise.
Elle aimait ces échoppes improbables, cabinets de curiosité. Elle samusait des railleries tapageuses et éclatantes des catins arpentant les pavés. Elle souriait devant les mendiants qui le soir venu retrouvaient miraculeusement lusage de leurs jambes ou de leurs yeux. Elle sattendrissait devant ces nobles hautains se faire entourlouper par les minois de ces gamines des rues qui, tout comme elle lavait fait, dansaient avant de tendre devant les chalands complaisants, une main maigrichonne et crasseuse. Paris vivait et Axelle sen nourrissait. Mais ce qui la faisait vibrer par-dessus tout était ce pullulement de visages. Les visages, les trognes, les tronches, des frimousses. Depuis quâgée de neuf ans, du bout dun index accablé, elle avait dessiné celui de son frère dans le sable des plages camarguaises, ils la fascinaient. Quimportait quils soient beaux ou laids, jeunes ou vieux, tant quils lui racontaient une histoire. Et des histoires, dans les ruelles boueuses et tordues de Paris, elle en découvrait une à chaque coin de rue. Certaines étaient poignantes, dautres cocasses ou encore violentes. Mais jamais semblables. Jamais banales quand de ses doigts tachés de fusain, elle les racontait à son tour sur le vélin.
En ce jour de début dautomne laprès midi tirait à sa fin. Elle aurait dû rentrer pour retrouver la sécurité de son auberge avant que la nuit ne tombe. Mais il faisait beau. Elle était bien, plongée dans la lumière orangée dune vie quelle observait, inscrivant ses boucles brunes et sa robe rouge dans le paysage sans vraiment en faire partie, comme une intruse tolérée. Comme une petite araignée qui au fil de ses dessins tissait sa toile sans que personne ne sen offusque. Des portes entrouvertes, les relents graisseux des repas du soir baignaient les ruelles de souvenirs de gamins. Là, adossée à un colombage, elle navait ni faim, ni soif, ni sommeil quand une petite vielle prenait la pose, le menton édenté pompeusement relevé se sachant croquée, mais jouant lignorante quand pourtant ses yeux pétillaient de fierté. Le fusain chuintait. Lorsque que le dessin serait achevé, la gitane se contenterait de le poser au rebord dune fenêtre, certaine que la vieille sempresserait de sen emparer dès quelle aurait tourné les talons et le garderait précieusement au milieu de tous ses trésors de pacotille.
Cela suffisait à la faire sourire, la brune.
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