Anaon
" Quelqu'un qui vous choisit vous sépare fatalement d'un autre pour mieux vous garder. "
Musique : " Evenstar ", reprise à la harpe, originale de d'Howard Shore.
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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" - Réponses au ralenti pour une ou deux semaines
- - Marie-Claire Blais -
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Il s'approche. La mercenaire ne peut retenir la tension qui lui noue la nuque. Avant le souvenir des étreintes, avant le souvenir des douceurs et de sa chaleur, il y a celui des mots durs et des blessures qu'aucune excuse n'est venu panser. C'est un peu raide que l'oreille se fait attentive. Alençon... Les lèvres se tendent brièvement d'un sourire amer et d'un brusque soupire de dérision. Ainsi, pendant ces mois où elle était persuadée que son fils se trouvait en Bourgogne, il n'était qu'en Alençon... A quelques pas d'elle. Peut-être ont-ils même été dans la même ville... Alors voilà... La vie prendra toujours un malin plaisir à l'accabler d'ironie...
Judas s'éloigne, annonçant son départ. Les azurites s'affolent soudainement, cherchant le seigneur dans ses suppliques muettes. Quoi ? Déjà ? Non... Non pas déjà ! Il ne peut pas ! L'esprit se rebelle pourtant à peine, que déjà il se résigne. Elle savait bien qu'elle n'allait pas rester la journée avec son fils, ni les jours à venir, ni éternellement... mais chaque entrevue ne pourrait être que trop courte. Elle contemple Judas avec la mine déconfite des enfants punis, avant que son visage ne s'éclaire brusquement. Les mains glissent vivement sous sa cape pour de tâter avec nervosité la besace pendant à son épaule. Les paumes trouvent son contact et se calment. Les doigts s'immiscent alors dans l'ouverture et s'y rassurent. Les bouclent sont défaites et les mains en extraient un petit coffret et une poupée de chiffon. Le regard se pose sur la petite peluche longiligne, cousue de velours brun, aux sabots et aux bois de cuir. Un petit cerf, que la mère avait tenu à faire de ses mains. Rien d'autre qu'un petit cadeau. Un petit bout d'elle-même. Judas verra dans le choix de l'animal une inspiration hivernale... mais pour l'Anaon, pour Kenan, çà représente bien plus que cela.
La poupée est tendue au seigneur et la main désormais libre revient sur le coffret.
_ C'est sa coiffe... sa matrice. Que j'ai conservé dans un linge blanc et une bourse de velours à sa naissance.
Au regard posé sur le Von Frayner, l'Anaon comprend qu'elle doit donner quelques éclaircissements sur les sombres secrets de la mise au monde.
_ Il est né coiffé... Ce qui veut dire que son enveloppe n'a pas percé et qu'il est venu au monde entouré et protéger d'elle. Ce sont les enfants bénis, promis à un grand avenir qui naissent ainsi... Des enfants rois. On dit que l'ange gardien demeure de sa coiffe durant toute sa vie... C'est un bien précieux qui doit rester près de lui... Il ne faut absolument pas que tu t'en sépares... Et ce n'est pas... une superstition païenne..
Elle ne mentionne pas le double fond du coffret qui recèle le tas de lettre qu'elle a écrit à son fils, durant ces longs mois d'absence. Parce qu'elle n'y pense pas... et que pour elle ce n'est pas un fait d'importance pour l'heure. Judas tombera peut-être dessus de lui-même, un jour. Le petit coffre de bois, subtilement ouvragé est tendu vers lui avant de s'immobiliser. Le pouce fait sauter le moraillon non cadenassé pour entrouvrir le coffret, face à elle, et prouvé à Judas la transparence de ses dires. Puis il est à nouveau tendu à lui.
_ Je voudrais aussi que tu me dises... Ou que tu m'écrives dans les jours à venir, pour me dire où vit Kenan exactement... J'ai le droit de savoir.
Ne viens pas me hisser cet enfant en drapeau blanc si c'est pour me donner de nouvelles raisons de te faire la guerre... La dextre se pose une fois de plus dans le dos du petit garçon et les doigts froissent l'étoffe avec affection. Les lèvres s'approchent, embrassent la chevelure sombre. Tout son visage se ferme... Cette odeur... Qu'elle ne sentira plus qu'en souvenir dans quelques minutes. Sa petite respiration apaisée. Le cur se fait amer quand il s'écrase sur lui-même. Elle sent qu'elle s'éternise. Elle sent qu'il ne faut pas... Alors la volonté se fait douloureusement violence pour s'arracher de son fils. La mère se détache, recule de quelques pas, les bras croisés contre sa poitrine.
Mâchoires vissées l'une à l'autre, elle attend sans un mot, un geste, du Diable à l'enfant.
Vas... Pars... Moi j'en serais incapable...
Musique : " Evenstar ", reprise à la harpe, originale de d'Howard Shore.
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