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[RP] Outrage et lèche-majesté

Aimbaud
En cette belle après-midi glaciaire de début d'hiver, Aimbaud de Josselinière faisait son petit trajet habituel parisien : l'hôtel familial -> le Louvre. D'ordinaire, il y réglait quelques soucis de règlementation héraldique, venait s'excuser de l'absence de son père auprès des autres feudataires, et s'enquérait des nouvelles capitalement importantes du Royaume en buvant à l'oeil auprès des gentilshommes et des nobles de la suite venus quémander ou conseiller... Mais ce jour-là il n'avait strictement rien à faire.

Rien de rien, à part se récurer le nez dans son mouchoir déjà trempé, ou avec son doigt quand il se trouvait vraiment trop mécontent de n'avoir pris sur lui qu'un mouchoir, alors qu'il en possédait une pleine caisse à Nemours...

Il s'apprêtait donc à passer sous le porche du palais, le regard flou et le nez rouge, lorsque, par on ne sait quel hasard, il sursauta sur ses pieds, comme piqué par une abeille, et s'exclama en ces termes :


HOLALÀ !

Il entra en toute hâte dans la cour du Louvre, rouge d'énervement et dit alors au premier qui voulait l'entendre, ou même qui ne voulait pas, car il parlait très fort, en ouvrant grand les bras.

Où sont les gardes ? Il y a là dehors un vilain qui a sorti une flopée de verbe injurieux à propos du roi. Juste là devant. Comment a-t'il osé ? Il a dit mot pour mot : "Je chie dans les bottes de Nicolas premier. Les Rois bourgeois je me tape les couilles contre. Ça, si seulement il savait respirer par le nez, il pourrait fermer un peu sa gueule ! Qu'est-ce qu'on attend pour lui crever l'oeil et lui indiquer un ravin ? Je vous le dis, s'il prenait feu devant moi, je prendrai de l'eau et je la boirai ! Ah ça, il ne perd pas son temps cet empaffé, il perd celui des autres !"

Qu'est-ce qu'on attend pour l'arrêter ? Parce qu'il a ajouté bien d'autres choses que je vais vous dire !

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Axelle
Le Louvre.

Si quelques semaines, voire même quelques jours auparavant, un quidam lui avait annoncé qu’elle y trainerait ses bottes trop grandes, la Bestiole, à n’en pas douter, lui aurait postillonné dans la figure en s’esclaffant comme une bossue. Comme quoi, il ne faut jamais vendre la peau de l’ours, tout pouvait arriver. Et si elle avait voulu être complètement franche, elle aurait bien du avouer que cette petite escapade en terre inconnue était loin de lui déplaire. En fait, le Louvre n’était ni plus ni moins qu’une cour des miracles enrubannée aux parfums plus délicats.

C’était donc, surprise et amusée, après avoir observé une amante royale plus ou moins déguisée en bohémienne, que la gitane, le pas tranquille regagnait son auberge quand elle entendit des cris tout autant alarmés qu’outrés. Elle ne fut pas longue à en trouver l’origine. Là, en plein milieu de la cours du palais, un énergumène gesticulait dans tous les sens. Pour le moins hilare devant la scène, elle s’adossa à un pilier de pierre, toute à sa contemplation. Le ridicule ne tuait pas, elle en avait la preuve sous les yeux. Quand enfin, il sembla se calmer un chouia, de son habituelle voix rauque, mais toute teintée de raillerie, elle lança à son tour à l’attention du pantin désarticulé,
Et pourquoi qu’vous l’faites pas vous-même ? Et sans gêne aucune, son regard charbonneux glissa sur le jeune homme pour s’appesantir sur son entre jambe dans un sous entendu évident avant de remonter ses prunelles sur le visage rubicond d’agitation.
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[Une commande à l'Empreinte? Un mp auparavant pour que je m'organise au mieux ]
Aimbaud
Ravi de sa bouffonnade, Aimbaud se félicitait d'avoir capté l'attention des nobles passant dans la cour. Il se peignit une figure encore plus indignée, et prit une belle et grande inspiration d'air glacé, prêt à renchérir sur une nouvelle flopée d'injures salées... quand une voix parla à sa place.

Le bourguignon fit retomber ses gants de daim contre ses jambes en se tourna vers les arcades du palais. Qui pouvait bien être le page malpoli, le valet d'armes ou le petit laquais d'écuries qui venait de l'interrompre ? Ciblant sa proie pour mieux l'envoyer au diable, le marquis chercha l'indigent du regard. Et il mit un moment à comprendre qu'il ne s'agissait pas d'un jeune garçon, mais d'une... Holà ! D'une... Une sarrasine ? Qu'est-ce que c'était que cette femme-là ? Notre blanc-bec sentit un ange passer et sa bouche rester bée, tandis que son pouvoir de rhétorique s'évaporait gentiment, dans l'étude de cette pauvresse à la peau brune, pour le moins singulière...

Comment ne pas noter, de prime abord, qu'elle était extrêmement... Différente ! Oui, c'était sans nul doute cette différence qui frappait en premier lieu le marquis de Nemours. Car il n'avait jamais vu de femme à la peau si mate. L'on en trouvait pas de cette sorte dans sa reculée Bourgogne, ni dans son Anjou natal. Aussi il fréquentait trop peu Paris, et fuyait les spectacles exotiques qu'on voyait parfois à la cour de France — car tout ce qui était exotique était mauvais par nature, porteur de maladies et d'idées hérétiques (il avait, en très bon exemple, le léopard que sa soeur s'était un jour vu offrir par le Roi d'Espagne, et que lui, en temps que frère aimant, avait dû tenter de maintenir en vie tout le long d'un long périple vers l'Anjou, durant ce terrible hiver où avait gelé plus d'un orteil aux pieds des gardes de Nemours, et qui évidement était MORT au bord de la route, râlant dans son urine, et Yolanda l'avait beaucoup culpabilisé d'avoir si peu pris soin de cette bête, alors que la faute n'était pas la sienne, mais bien celle du léopard, car ce léopard était une chose exotique, donc malsaine et vouée à la putréfaction, comme nous le disions avant l'ouverture de cette parenthèse) — il, Aimbaud, n'était donc pas friand de choses exotiques, ou aimait-il à le croire...

Parce qu'il y avait exotisme, et exotisme. Et une peau noire, cela paraissait sale à première vue. Mais comme cela intriguait par son aspect nouveau... Une face si sombre, c'était bien évidement monstrueux. Il fallait vraiment s'être foutu dans la cheminée pour ressembler à ça... Mais les traits de cette figure-là n'étaient pas si laids. Différents quoi. Plus... Enfin, moins... Vraiment pas dans les codes, quoi. À tout vous dire, notre Aimbaud n'arrivait franchement pas à déterminer ce qui le choquait chez cette femme, et encore moins à détacher ses yeux d'elle et de son monceau d'étranges imperfections, ou de beautés, au choix.

Et puis il y avait une autre question. Qu'est-ce que cette mauresque, cette africaine, cette ottomane, de Sicile ou de Bohême, enfin bref, cette ... femme. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Échappée du musée des curiosités ? Tableau vivant du Louvre ? Esclave de luxe ? Jongleuse ?

Il convint avec lui-même et ses cinq personnalités annexes, au scrutin uninominal majoritaire remporté dès le premier tour, que bien que repoussé par... il ne savait quoi... il avait malgré-lui grande envie de la questionner, de l'approcher, et de parler tout simplement avec elle.

Quoi qu'un peu glacé par le regard très cru de la jeune-femme, il commença à reprendre contenance, et répliqua en désignant la grande porte du palais à bras tendus :


C'est qu'il s'est enfui pour se mêler au peuple, et que je ne saurais reconnaître, parmi toutes ces têtes pouilleuses, laquelle ressemble à celle de l'homme qui, en s'en allant à toutes jambes et en montrant ses fesses au palais, a dit exactement : "Nicolas premier, pourvu qu'il soit le dernier ! Ce roi est une fiente de porc et un mal torché. Et il se prend pour un intellectuel, ce veau marin. Mais c'est un trou du cul ! Coup de tête, balayette, et bim, les tripes à l'air, à ce bâtard de sa mère. Roi de mes couilles. Oh quand les andouilles voleront, il sera chef d'escadrille ! Croyez-vous qu'il ait touché le fond ? Il creuse encore. Roi Nicolas, je n'oublie jamais un nom ! Mais pour le tien je ferai exception.".

Là dessus il a ajouté : "Le roi est fini à l'urine !" et impossible de le retrouver dans la foule ! Sans cela, je l'aurais attrapé par le col et bastonné comme il se doit pour servir la couronne. Car cela donne une bien mauvaise image du roi des Français. Mais j'ai jugé bon de prévenir les autorités compétentes, afin que s'il revienne (et il reviendra j'en suis sûr), il puisse être mis au bâillon.

Ah j'oubliais, parce qu'il a traité le roi de gros con aussi. Quelle honte.


Et tout en discourant, il approchait de quelques pas vers l'étrangère en battant l'air devant lui, à la manière des angevins lorsqu'ils s'expriment. Avec les mains. Toujours.
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Axelle
L’idée avait-elle été judicieuse d’alpaguer ainsi un homme dont la vêture sentait le noble à plein nez au beau milieu de la cour de Louvre ?
Un instant devant le regard curieusement inquisiteur de l’Agité, la Bestiole en douta, quand d’un simple geste, à n’en pas douter, il pouvait lancer sur elle une nuée de gardes armés jusqu’aux dents. En bonne gitane qu’elle était, ses chances étaient minces, oublieuse souvent que sa peau trop piquée de soleil l’accusait d’avance quand l’usage voulait des teints clairs jusqu’à la transparence.

Pourtant, elle restait insouciante de ce qui pouvait lui tomber sur le museau quand des armures sur pattes manqueraient à coup sûr de rapidité pour l’épingler. Et bien que sur le qui vive, prête à déguerpir à la première alerte pour ne laisser qu’un souvenir de rouge mêlé de noir, elle écouta, vaguement goguenarde, l’homme se justifier. Ou du moins tenter.

L’Agité avait une mémoire impressionnante, déclamant sans l’ombre d’une hésitation les paroles que le gueux avait soit disant osé brailler. Mémoire bien trop claire pour ne pas s’en trouver suspecte. Que le brun insulte le Roy, elle s’en souciait comme colin-tampon. Qu’il se fiche ouvertement des quidams écarquillant des yeux outrés sur le lèse majesté rapporté, tout autant. Mais qu’il puisse, éventuellement se moquer d’elle en pure impunité, c’était là une toute autre histoire. Sauf que ce n’était qu’un vague pressentiment.


Tu veux jouer un peu l’Agité ? Alors jouons !

Elle le laissa approcher, sans broncher d’un cil malgré le risque d’une baffe quand les mains bavardes brassaient l’air, et lorsqu’il fut à quelques pas, elle daigna enfin se décrocher de son pilier, nonchalamment, les yeux brillants d’effronterie. Doucement, à son tour, elle s’approcha de l’énergumène sans pourtant s’arrêter face à lui mais tournant autours du nobliau, lentement détaillant sa mise avec application de ses amandes noires et effilées. Z’avez une sacrée veine vous, souffla t-elle dans un sourire naissant, cause qu’moi, j’l’ai vu l’gus qu’a beuglé ça. Et sans cesser son manège, le sourire fleurissant, narquois et provoquant, l’est pas bien grand ni bien gros, plutôt jeune, j’dirais qu’que chose comme vingt ans, pas bien plus. Elle fronça les sourcils comme si elle devait faire l’effort de se souvenir alors qu’elle avait le modèle sous les yeux, et ne l’aurait-elle pas eu que sa fascination pour les visages lui aurait permis de dresser un portrait sans le moindre mal. L’était brun avec une drôle d’coiffure, comme un bol déglingué voyez. L'pif rouge mais l'reste blanc comme un linge, savez d’ceux qu’on jamais vu un rayon d’soleil au point qu’on s’demande si y sont vraiment vivants. D’ailleurs, p’tet ben qu’y s’l’demande itou cause qu’il avait l’air fâché, rapport à ses sourcils. Pour sûr qu’y doit avoir une dent cont’l’Roy, à moins qu’il veuille juste s’faire remarquer, j’sais pas. Et enfin, bien face à lui, à un pas seulement, son sourire s’effila sans plus l’ombre d’une retenue. Y a juste son cul qu’j’ai loupé.C’dommage. La mine se feignit la contrition. Mais vu qu’grâce à moi, z’allez pouvoir l’attraper, j’vous demande en échange d’baisser ses braies en place publique, qu’j’ai pas loupé l’meilleur.

Et quittant le visage, sa tête lentement se pencha pour lorgner le bombé que laissait transparaitre la cape luxueuse, bien décidée à ne le laisser en paix qu’après être parvenue à donner un peu de couleur à ses joues pales.

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[Une commande à l'Empreinte? Un mp auparavant pour que je m'organise au mieux ]
Aimbaud
Tel le lièvre pétrifié par la danse magnétique de la couleuvre, Aimbaud observait la vagabonde effectuer sa ronde autour de lui, ne sachant quelle attitude adopter. Lui qui n'adressait jamais la parole aux femmes du peuple, encore moins seul à seul, se trouvait désarçonné par ce comportement roublard qui seyait mieux à ses soldats ou garçons d'écurie, et encore, aux plus mal-élevés.

Comment converser normalement avec une personne qui vous tournait ainsi tout autour et qu'on ne pouvait suivre du regard ?... Il voulut d'abord l'accompagner dans sa ronde, pour ne pas la laisser dans son dos. Mais il s'en tint au premier pas, songeant qu'il aurait l'air bien ridicule à faire ainsi des tours sur lui-même, encerclé qu'il était par cette fine-mouche de femme qui cherchait sans doute justement à le rendre chèvre. Alors il resta campé dans ses bottes, hésitant et interloqué, notant encore une fois combien cette inconnue n'avait rien de commun avec la gent féminine qu'il connaissait, qui optait plutôt pour la passivité en toute occasion, attendant qu'on lui adresse la parole, qu'on l'invite à se déplacer, à lui prendre main, à danser, à boire, à manger, à se marier, mais qui jamais, ô grand jamais, ne vous hélait à l'autre bout d'une cour, et ne s'amusait à vous reluquer sur 360° pour se rire de vous...

Un sentiment de honte et de grand intérêt saisissait notre marquis, tandis que la gitane revenait devant lui et qu'il avait loisir de détailler sa figure basanée, saugrenue, où le blanc des yeux et l'émail des dents paraissaient plus clairs encore. Et effectivement il rougissait, lui, à mesure qu'elle dressait son portrait en bouffant les mots comme une affamée, si bien qu'il ne comprenait pas tout mais devinait la plupart. Puis il ne fallait pas être sorti de l'université de Paris agrégé en langue vulgaire pour saisir le sens des chapitres à propos de son marquisal derrière, un sujet dont elle s'emparait avec aisance, sans se soucier de paraître crue... Et bien que mis en faiblesse face à pareille audace, il balançait vraiment entre malaise... et admiration. Quelle hardiesse, et quel culot...

Avec tout ça elle avait réussi à le vexer, notre Bourguignon. Le visage de ce dernier restait froissé de mécontentement tandis qu'il la contemplait, qu'il sentait près de son estomac son amour-propre lui murmurer vengeance, colère, claque dans ta gueule, et envoyez-moi ça au cachot. Car sûrement les passants présents dans la cour du Louvre avaient pu observer cette petite farce dont il était le dindon, et que bientôt l'on allait rire de lui et sa réputation en pâtir s'il se laissait accuser par une gueuse... De lèse-majesté. Ça allait être le drame en pleine comédie...

Après tout c'était lui qui avait déclenché les malices, c'était juste justice qu'il reçoive des coups de bâton en retour, fussent-ils administrés par une bohémienne aux chausses trouées... Il craignait que les oreilles présentes n'en viennent à retenir une mauvaise rumeur, et songea qu'il était grand temps de trouver une feinte !

Mais faire punir la moqueuse, il ne s'y résoudrait sûrement pas. Elle lui semblait bien trop rusée et... étrange... (car c'était toujours l'étrangeté qui le questionnait chez cette femme, souvenons-nous en, l'étrangeté de ses yeux, l'étrangeté de sa chevelure, l'étrangeté de sa peau, de sa gorge, de sa taille et de ses mains, et de sa bouche, sincèrement tout cela lui inspirait vraiment — vraiment — un sentiment d'étrangeté, quoi d'autre), elle était, disions-nous donc, bien trop étrange pour mériter qu'on lui botte le cul et l'envoie aux orties afin de lui apprendre les bonnes manières... Aimbaud avait plutôt envie de lui pardonner, car elle n'était en vérité qu'une âme simple et bon-enfant, qui l'ayant pris à son propre jeu, méritait la pièce d'or que l'on réserve aux amuseurs ! Oui maintenant il ne voulait plus la battre, mais l'écouter encore gouailler, railler, piquer, pourvu qu'elle lui tienne conversation.

N'écoutant que son courage — et son incroyable talent pour changer de sujet — il dit soudain, en la désignant des index, ayant trouvé matière à l'éloigner de cette cour où elle risquait de l'incriminer :


Ainsi partons à sa recherche ! Vous me le désignerez, et je le latterai.

Et sans plus lui demander son avis, il lui imposa la marche à suivre en levant galamment le bras dans son dos, tel un barrage soudainement brandit entre elle et le Louvre, ne lui laissant que la porte du palais pour toute direction. Aussi tenait-il un pan de sa cape dans son poing ganté, ce qui laissait pendre une sorte de mur sombre derrière la jeune-femme, comme une grande aile de corbeau, ou une tombée de rideau pour la fin de l'acte 1.
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Axelle
Elle avait beau chercher, scruter, l’observer sous toutes les coutures, elle ne voyait qu’un petit plaisantin à la peau trop pâle et aux sourcils trop broussailleux, adepte des fanfaronnades faciles pour cueillir un peu d’attention. Mais tenace, une intuition la tenaillait que le jeune homme ne pouvait être que cela. Ca aurait été trop facile, trop simple, le bouffon du Roy n’était jamais si lisse qu’il voulait bien le faire croire, et c’est bien en cela qu’il était intriguant.

Alors, patiente, elle attendait la réaction à sa perfide dénonciation, même si une première victoire éclatait aux joues enfin colorées du noble, lui conférant une harmonie avec son nez des plus enfantines et cocasses. Presque touchant dans sa gêne alors qu’il devait avoir le même âge qu’elle. Il ne semblait en rien préparé à quelques brins de provocation semés ça et là. Soit lui était ignare en la matière, éventuellement même puceau. Soit elle avait emmagasiné, au contact des membres du plus célèbre des bordels parisiens, une assurance dont elle ne n’était pas consciente jusqu’à cet instant. Lequel des deux, dans ce duo improbable était au final la bête de foire ? Le noble palot frisant la naïveté, ou la gitane noiraude aux mœurs vacillantes ? Peut-être certains badauds curieux et agglutinés avaient-ils rendu leur verdict, mais pas elle. Pas encore.

Encore une fois, devant la mine chiffonnée de son interlocuteur, la sagesse aurait dû lui imposer de filer sans demander son reste avant de se prendre un mauvais coup en travers de la figure, mais la curiosité était définitivement un bien vilain défaut, conduisant à certaines imprudences. Témérité finalement récompensée quand, à la stupéfaction de la gitane, il ne la rabroua pas. Ne sembla pas même s’offusquer outre mesure de sa bravade et la prit à son propre jeu, la laissant, chose rare, sans voix. Malin, sans plus de doute possible quand ni l’un ni l’autre n’était plus dupe de la situation. Il se montrait soudain déterminé et surtout, homme. Une ombre se glissa dans son dos, la faisant frissonner et, d’un regard furtif, il lui sembla que l’aile noire d’un corbeau se repliait sur elle, lui interdisant dorénavant tout recul d’une situation où elle s’était elle-même fourrée à ouvrir inopinément sa bouche trop impulsive.

Il reprenait les rênes, et pour le coup elle ne pouvait que suivre, réduite à la docilité, n’ayant aucune envie particulière de le voir lynché pour une plaisanterie de potache. Alors après avoir hoché la tête, un air plus ou moins concentré sur la figure, ils quittèrent la cours du Louvre et elle calqua ses pas aux siens, silencieuse pour s’enfoncer dans les rues bondées de la capitale. Quand les murailles royales ne furent plus qu’un vague souvenir à l’horizon, elle s’arrêta soudain et se tourna vers lui, prenant garde toutefois de garder ses distances avec cet homme dont elle ignorait jusqu’au nom.


Vous et moi,
lâcha t-elle enfin, on sait qu’on l’retrouvera jamais l’gus, pas vrai ? Et qu’même si c’était l’cas, vous faudrait être rudement souple pour lui botter l’train. Elle détaillait le visage face à elle, chaque mouvement de la bouche, chaque clignement de paupières, laissant la contemplation des riches vêtements à d’autres. ‘Lors dites moi, maintenant qu’vous avez sauvé vos miches et qu’j’vous ai pas enfoncé plus dans la panade dans laquelle j’vous ai mis, on fait quoi ? On s’dit au revoir et à la revoyure, même si on l’pense pas ? Un sourire s’étira lentement, sournois, Ou m’payez un truc à boire ?
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[Une commande à l'Empreinte? Un mp auparavant pour que je m'organise au mieux ]
Aimbaud
Cette moins-que-rien de gitane, le marquis la suivait hors des murs d'enceinte du château, donc en terre barbare, en zone de maladie, de famine, de commerce, de prédication, d'arnaque, de crime et de botanique. Dans la rue. Ses riches poulaines de cuir marchaient dans les pas des vilains souliers de la jeune-femme, se souillant au passage de quantité de petites particules de boue et d'excrément, ce à quoi il ne prêtait même pas attention.

Il n'avait pas pour coutume de se déplacer à pied dans les rues de Paris, d'avoir la tête à hauteur de celle du premier venu. Mais étrangement, il avait parfaitement ignoré le signe d'Angus, son valet d'armes, lorsque ce dernier, attendant aux murailles auprès de sa monture, lui avait instinctivement offert les brides du cheval lorsqu'il était passé près de lui. On pourrait même affirmer, dans le langage commun, qu'Aimbaud lui avait mis un vent. Le fidèle Angus — fidèle depuis 5 jours selon les termes d'un contrat à durée indéterminée, signé d'une croix chez le tabellion de Corbigny (c'était le septième employé depuis la mort et/ou disparition d'Aymon) — suivait donc son maître à dix pas de distance, entraînant le palefroi avec lui, et se demandant ce qui poussait le marquis à bouder ses services en cette belle journée...

Mais il ne boudait pas, le Bourguignon !

Il était simplement sous le joug d'un instinct des plus basiques, celui-là même qui avait poussé le premier homme à grimper la première montagne pour voir ce qu'il y avait derrière. Cet instinct le tenait par le museau et le tirait devant, lui donnait tout ce qu'il fallait d'obstination pour parvenir au but de sa quête. En apprendre ! Sur quoi ? Mais sur cette mendiante. Sur l'origine scientifique de sa pigmentation. Sur le croisement de conjonctures géo-politiques ayant mené à sa présence au Louvre. Sur les sinusoïdes résultant des forces cinétiques animant les boucles de ses cheveux. Sur les principes philosophiques qui habitaient son esprit lorsqu'elle s'adressait à lui. Qui sait vers quelles découvertes savantes cette recherche allait le mener ? Mais avant de brûler les étapes, il s'absorbait dans l'étude de son sujet, plus studieusement qu'un étudiant de l'université.

Il se faisait un devoir de détailler cette nécessiteuse de pied en cap, souffrant toutefois de paraître discret pour ne pas heurter sa pudeur. Mais il y parvenait bien mal puisqu'il croisait constamment son regard quand il voulait faire mine de scruter où il allait. Qu'importe, se disait-il, cette femme n'avait l'air de s'offusquer de rien. Il pouvait bien l'examiner, elle-même ne se gênait pas pour le faire.

Il observait donc sa misérable robe et ses groles abîmées, ses épaules, sa taille fine puis son cou, puis ses yeux, puis sa poitrine. Et il se disait qu'il y avait-là matière à faire une peinture de femme de roi mage, ou d'infidèle soumise par de valeureux croisés. Il pensait aux langues de Babel et aux coutumes arabiques qui pouvaient bien remplir cette tête-là. Il songeait qu'elle avait sûrement été esclave, transportée sur un gros navire dont elle s'était sans doute enfuie en sautant par dessus bord dans un tonneau vide afin de ramer avec les bras jusqu'en terre aristotélicienne pour être convertie et baptisée. Il se demandait aussi si elle laissait du brun sur les doigts lorsqu'on la touchait. Là dessus il regardait ses hanches. Et alors sans savoir pourquoi, il eut très envie de lui faire l'aumône, pour tous les malheurs qu'elle avait dû vivre.

C'est alors qu'elle se tourna vers lui pour lui proposer de boire un coup.

Le sang d'Aimbaud se glaça et son coeur se mit à battre. Il avait rencard avec une bédouine ! Il resta blanc et stupéfait, soumis à un trac soudain, une grande envie, une grande peur, une grande hésitation. Boire. Avec elle. Taverne.

Rappelons que Paris était sale, Paris était lépreux, pesteux, poitrinaire, mais aussi mal-fâmé, inondé de ribaudes, de pique-pochettes, de truqueurs de dés et de faux-estropiés tout droit sortis de la Cour des Miracles. Et où mieux que dans les tavernes parisiennes, pouvait-on se heurter à cette plèbe grouillante, cette lie de l'humanité, cet amas répugnant de chair à cachot, qui venait par groupes de dix-mille pourlécher leurs bocs de verjus et roter leur piètre existence aux tables de tripots puants où clinquaient les minables pièces de bronze qu'ils avaient glané du fait de leurs commerces avec le Diable ? Nulle part ailleurs n'était plus sordide, ni plus dangereux, ni plus contagieux...

Aussi notre Josselinière avalait-il sa salive en cherchant, dans les yeux de la gitane, une dérobade à lui soumettre, un furieux changement d'idée.


Je ne suis pas adepte des tavernes. Avoua-t'il, en ramenant ses poings gantés près des boutons d'or de son pourpoint, avec un peu de recul. Mais je vous offrirai du vin et du pain si vous les voulez prendre aux étalages. Tenez par-ici.

Déjà il gonflait le poitrail d'un long reniflement et lui ouvrait les bras vers une artère qu'il avait empruntée plus tôt dans la matinée, où les marchands vendaient ci-et-là leurs victuailles sous l'auvent de petits étals. Le fumet d'un vin chaud montait au dessus d'une cuve qu'on vidait avec une louche, et le jeune marquis sélectionnait une pièce d'or parmi celles de sa bourse. Soif, faim, caprice, il semblait disposé à les combler si t'en est que la sarrasine en exprimât le souhait. Il n'y avait pas de mal à faire le bien...
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Axelle
« Barcelone Ophéline qui vient me griffer la bouche
La brésilienne en vitrine à qui je parle de nous
Je payerai pour te revoir dans cette chambre rouge »

Julien Doré- Viborg.


Paris à son habitude était boueuse, sans que les pas légers de la gitane ne s’en soucient, davantage intrigués que gênés par le regard pesant sur sa silhouette. Qu’avait-elle bien pu éveiller en ce drôle de bonhomme pour qu’il la détaille ainsi des pieds à la tête quand elle ne s’y était amusée que par provocation. Mais loin de s’en indigner, et tout aussi loin de s’en trouver flattée, elle le laissait inspecter, apparemment blasée. Indifférente jusqu’à ce qu’à nouveau, il ouvre la bouche.


« Mais je vous offrirai du vin et du pain si vous les voulez prendre aux étalages. »

Maladroit ou agitateur, encore, sous ses airs de ne pas y toucher ? Offensant sans le moindre doute possible quand il la présumait mendiante. Les doigts bruns froissèrent le rouge de la robe dans un élan de fureur difficilement contrôlable. Oh oui mendiante, elle l’avait été, justement trop pour ne pas s’enflammer d’ire quand un quidam la considérait encore comme telle alors qu’à la force de son seul poignet, elle s’était arrachée à la condition que le destin semblait avoir tracé pour elle. Quant à force de travail et de volonté, elle était parvenue à ouvrir son propre atelier de peinture et commençait, doucement, lentement à profiter d’une petite réputation.

Et tous ces efforts déployés pour s’extraire de cette fange infâme et vivre correctement, le nobliau les jetait dédaigneusement dans la boue. Jugée sans la moindre plaidoirie. En guise de remerciements au pain offert puant la charité, c’était sa main qu’elle brulait de lui balancer en pleine figure, avide de voir à nouveau sa joue rougir d’un mal bien plus cuisant que la gêne. Et pourtant, elle ne le fit pas, à nouveau ligotée à son passé où, contre une danse, elle récoltait quelques piécettes. Où, contre une fausse promesse de soupirs extatiques, elle s’appropriait une bourse dégueulant d’or. Et quand le pigeon était riche à en crever les yeux, c’était les cordons de sa robe qu’elle avait délassé, laissant même parfois une main grossière et avilissante s’aventurer à l’ambre de ses seins dressés d’indignation de devoir frôler de si près la courtisanerie à laquelle, pourtant, elle avait toujours refusé de s’échouer.


Pourtant, malgré les mois, malgré les années, mendiante et catin restaient des mots lui collant à la peau. Gluants, irrémédiablement. Trop sensuelle, trop sulfureuse peut-être, ou trop friande de défis et de provocations pour qu’aux yeux de tant et tant elle ne soit qu’une puterelle, quand paradoxalement – ou pas – le regard des deux seuls hommes autorisés à embraser ses nuits ne s’en était jamais vu teinté. Car si elle se plaisait à jouer, la Gitane ne s’abandonnait à l’extase que transportée de sentiments et d’attachements profonds. Oh, ils la faisaient bien rire pourtant, tous ces beaux penseurs moralistes, aux allures proprettes, qui finalement, en catimini, s’abimaient dans les plaisirs de la chair avec bien plus de désinvolture qu’elle. Sauf que sa peau gorgée de soleil était ceinturée du rouge vif de sa robe et ses mots recrachaient les faux semblant.


A comme Atavisme.

Plantée devant lui, la mine mêlée de surprise et de vexation quand elle aurait simplement pu lire de la méfiance dans le regard du brun, la colère était à ce point vibrante que contre toute attente elle n’éclata pas, préférant dévoyer son chemin vers des sentiers plus sournois et dérobés.

Il était la mauvaise personne, au mauvais moment, certainement. Et peut-être aussi, pour sa malchance, commençait-il à l’intriguer un peu trop.


Et au milieu de la colère, un sourire aguicheur fleurit soudain. Quant à paraître mendiante, quant à fleurer la catin, autant embrasser le rôle jusqu’à la démesure. Remontant le velouté de ses prunelles vers l’homme à la pâleur lunaire, sa voix se brisa un peu plus en réduisant la distance entre eux d’un pas, J’ai pas b’soin d’pain. Allongeons nos pas jusqu’aux orfèvres voulez bien ? Sournoise, terriblement quand d’une main apparemment nonchalante et distraite, elle glissa une boucle d’ébène derrière son oreille, dévoilant le lobe rond et fin dénué de toute parure. Parures, rubans, bijoux qui pourtant toujours la laissaient insensible s’ils ne s’enflaient pas d’un symbole, reléguant ces fariboles à d’autres, les jugeant vaniteuses et frivoles quand seul l’étalage de pigments multicolores la laissait pantoise. Lui épargnant de justesse l’égarement de sa dextre tatouée à la richesse de son plastron, elle s’avança encore, jusqu’à pouvoir confier au creux de l’oreille blanche, et j’vous laisserai étudier à vot’convenance ce corps qui semble tant aiguiser vot’ curiosité. Le défit était lancé, ne lui restait plus qu’à débusquer quel genre de joueur se tenait à quelques centimètres de ses crocs blancs.
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[Une commande à l'Empreinte? Un mp auparavant pour que je m'organise au mieux ]
Aimbaud
Paris tournait autour d'eux dans un grand charivari de cris, de visages passants, de charrettes embourbées, d'effluves de marmites de pas de soldats. Ils étaient les deux seuls immobiles en plein milieu de la rue, en fait, avec Angus qui les regardait bavarder, placé plus loin sous un portique, ne sachant trop quoi penser de cette mascarade, et Lugh, derrière lui, les naseaux pensivement orientés vers une cagette de pommes... Paris avait des affaires à mener, Paris bougeait. Paris était flou et complètement imperceptible aux oreilles d'Aimbaud, comme mis en bulle, rangé au placard... Car le Josselinière venait de se faire fléchetter sur place.

Il était comme une statue de sel, les yeux écarquillés, alors que la fille achevait son murmure, tout près de son visage. Une nouvelle fois, ses veines étaient devenues froides et lui semblaient lâcher tout leur contenu en cascade. Oui, pensait-il, cela lui rappelait assez ce funeste jour, huit ans auparavant, où il avait essuyé le tir de flèches d'une armée mainoise au sommet des remparts d'Angers, et qu'il était resté baba avec un carreau dans le bras, tout debout, et sentant ses fluides le quitter. Était-il devenu blanc, était-il devenu rouge ? Avait-il éprouvé une angoisse similaire ? Non. Ces douleurs passées n'avaient rien de comparable avec le plaisir qu'il goûtait à présent, à l'approche de cette couleuvre maligne dont il pouvait humer le parfum de peau puisqu'elle s'était approchée, à portée de baiser. Ah ! Combien la vie était pénible et énigmatique...

Mais l'ennui, avec tout cela, c'est que ce n'était pas un tir d'arbalète qui l'avait transpercé cette fois-ci, mais une cruelle aiguille de désir qui s'était plantée là, au bout de son ventre. C'était arrivé sans prévenir, plus rapide qu'un coursier au galop, contre toute attente et contre toute logique, et ça plongeait notre marquis dans un profond bain de stupeur. Et d'hébètement. Et de gêne.

Il avait à l'oreille comme une brûlure, et regardait à présent la gitane avec des yeux ahuris, méfiants aussi, comme stupéfait d'un sort qu'elle lui aurait jeté. Cette brûlure, bien sûr, découlait de l'haleine tiède de la jeune-femme, lorsqu'en lui parlant tout bas, elle avait soufflé contre sa peau une sorte de pincée de poudre à canon, et provoqué chez lui une détonation de frissons.

Il en était maintenant conscient. Le vice qui le poussait vers cette mauresque n'était pas la curiosité. Il se mentait à lui même... Cette constatation l'horrifia. Était-ce bien possible ?... Il désirait cette femme. Ni pour son esprit ni pour son vécu, mais d'une façon basique et irraisonné. L'animal ! Ça devait être ces postures, cette voix chaude, l'origine de l'envoutement dont il était dupe. En témoignait la rapidité avec laquelle il s'éprenait de cette malheureuse, au point de ne lui trouver aucun défaut, et d'oublier même de s'enquérir de son nom, car un nom relève du domaine de la raison, des convenances, du monde des logiques, quant Aimbaud, lui, voguait maintenant bien loin de tout cela, visiblement, ça... Il ramait à coups de pulsions sur les flots bouillonnants des sens, attiré dans une tempête de coups de foudre.

Mais le pire, c'est qu'il avait toute sa conscience. Il se savait en danger, pire, il s'inquiétait de sa santé mentale, et pire encore, il contemplait le feu que sa folie lui causait, à sentir au bout de ses doigts des fourmillements malheureux, comme des envies de lever ses mains incapables pour saisir celles de cette charmeuse de serpent. Mais ses mains ne bougeaient pas, non, ses bras restaient ballants, trop lourds d'étonnement pour faire le moindre geste. Lui, s'intéresser à une misérable, avec qui il n'avait pas échangé trois mots, et noire...?
Et noire...!
Mais qu'est...?
Mais qu'est-ce qui lui passait par la tête ? Un charme était à l'oeuvre. C'était indéniable. D'une façon vile, bien condamnable, oui : il la trouvait terriblement désirable. Et son envie de péché lui tirait le sang dans deux directions contraires, à commencer par le haut, le plus visible, ses joues — qui prenaient une teinte cramoisie propre à les mettre en état de réchauffer une marmite de soupe — pour terminer par le bas, le reste, tout aussi enflammé, devant lequel il avait rabattu un côté de sa cape, le froid lui servant d'excuse à dresser un chaste rempart entre lui et la créature.

Quel mal était à l'oeuvre dans cette rencontre ?

Alors... C'était bien elle, le démon terrestre, la non-nommée. Apparue de nulle part, dévouée à s'enrouler autour de l'âme des hommes pour les tenter quarante longs jours et nuits... Saint Bynarr, protège ton sujet. Le mal prend des enveloppes bien vicieuses. Il feint la pauvreté, se coule dans des peaux basanées, ourle de si beaux sourires, mais sous la carapace de chair tendre, Sypous, lui, avait su voir la bête odieuse à tête de serpent et poitrine de femme, apparue à lui dans un brouillard de perdition où mille et mille obscurités cherchaient à lécher son âme... Ainsi disaient les enseignements, et ainsi était forgée la foi d'Aimbaud. Mais personne n'est pur de péché, se disait-il. Il était légitime de sentir fondre ses convictions, nez-à-nez avec le Sans-nom, la véritable oeuvre était de ne pas se laisser tenter.

Aimbaud. Les femmes. Comment résumer... Un vif intérêt allié à un grand manque de lâcher-prise ainsi qu'une terreur panique. Mais quel diable le piquait, bon Dieu ?


J'ai... Je n'en ferai rien. Je n'ai point de curiosité... Balbutia-t'il, mentant à grand peine. Je ne regardais que votre accoutrement.

Gardant les poings enrubannés dans un morceau de sa cape, il cessa tout à fait de la regarder pour regagner un semblant de fierté. Le regard au loin, l'air très détaché, il annonça :

Allons comme vous dites ! S'il vous plait, je vous ferai escorte jusqu'à vos quartiers.

Encore cinq minutes, trois petits tours et puis s'en ira. Cinq minutes avec le démon, pas plus.
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Axelle
Lentement, féline et cruelle plus qu’elle ne l’avait imaginé, sa bouche quitta la lisière ourlée de l’oreille pâle, y laissant la seule morsure de ses mots pour retrouver ces sourcils ombrageux et ce nez rouge qui semblait bien délavé ainsi opposé au rougeoiement des joues. Si elle avait voulut lui arracher encore l’inflammation de l’embarra, la victoire éclatait, flamboyante. Trop. Les passants la bousculaient, plus ou moins élégamment, certains jurant à tout va contre le couple improbable perturbant leurs besognes. Mais à présent la Bestiole n’y prenait plus garde, soudain pétrifiée de l’audace de ses mots quand devant ses yeux grondait encore le pavé d’une ruelle trop sombre et un gant puant. Impulsive, beaucoup, soupe au lait, à la folie. Parviendrait-elle un jour à étouffer ce sang volcanique louvoyant dans ses veines pour plus de prudence ? Parviendrait-elle un jour à être aimable et douce, avenante et discrète, empourprée et lisse comme se devait d’être une femme éduquée? Le doute était plus que jamais permis. Mais là tenait sa défense. A chacun ses armes.

« J'ai... Je n'en ferai rien. Je n'ai point de curiosité.... Je ne regardais que votre accoutrement. »

Pourtant, elle s’en voulut, persuadée d’avoir égratigné cet homme irrémédiablement innocent de tout, sauf de borner son regard à quelques coquetteries négligées. Tout juste coupable d’avoir maladroitement tendu la main dans un élan de générosité qu’elle aurait pu concevoir si elle avait choisi de s’y attarder. Elle ne vit de la cape se resserrant à son torse, qu’une protection dédaigneuse devant sa gouaille outrageuse. Et de tout cela, la Gitane se trouva surprise d’en être meurtrie sans en saisir pourtant distinctement les raisons. Ses lèvres s’entrouvrirent, cherchant des mots qui traitreusement se dérobaient à sa bouche. Des deux, voila que c’était elle qui se retrouvait piteuse d’avoir mordu quand pourtant aucune hostilité n’avait été lancée.

« Allons comme vous dites ! S'il vous plait, je vous ferai escorte jusqu'à vos quartiers. »

Pourquoi ne s’insurgeait-il pas ? Pourquoi ne lui rirait-il pas au nez ? Pourquoi ne lui renvoyait-il pas dans les pattes sa propre provocation en la prenant à son propre jeu? Pourquoi restait-il à ce point affable et serviable quand l’absolution serait venue d’une quelconque rebuffade. Non, cette sentence là, il la lui refusait, lui en servant une bien plus amère quand elle le trouvait émouvant dans son repli. Résignée à son mutisme, elle referma la bouche, et chose rare, baissa le noir de son regard quand lui la privait du sien, s’épargnant la stupeur de le trouver beau dans cette noblesse qu’il opposait à sa gueuserie. Si elle ignorait tout du bouillonnement qui assaillait le noble, lui comprenait-il le verdict qu’il prononçait ? Ses amandes charbonneuses glissèrent sur le pavé sans pourtant trouver de saillie assez aigüe où pouvoir s’accrocher, et agacée de ne trouver que ses bottes luxueuses à mirer, elle remonta le nez. Eperonnée par l’étal d’un maraicher à quelques pas, et reléguant sa réponse à plus tard, elle s’en approcha, masquant de sa démarche ondulante le trouble qui ne l’avait que trop assailli. Fouillant dans sa poche pour en extirper une piécette de bronze, elle la tendit à l’homme bourru dont le regard disparaissait sous les larges bords de son chapeau mité en échange d’une pomme gorgée de sucre et doucement marbrée de rouge. De retour auprès du nobliau, plus légère que jamais quand elle n’en menait pas large, elle toisa un instant le gris du ciel. La nuit risquait de tomber, et en ces froides heures hivernales, l’obscurité envahirait rapidement la capitale, la laissant elle dans le noir le plus absolu. Volontairement nonchalante, comme si rien de particulier n’avait ébranlé leur rencontre, elle commença à frotter la pomme sur la manche de sa robe avec une précaution ambigüe. De lui, preuve était donnée qu’elle ne risquait rien. Alors elle acquiesça d’un sobre hochement de tête, se persuadant que la proposition était juste commode quant au fond elle, l’envie saugrenue de prolonger le tête à tête s’insinuait sournoisement. Comment aurait-elle pu s’avouer que cette présence lui était plaisante après s’être moquée de lui encore et encore ? Après avoir sorti ses griffes pour contrer l’attention de cet homme qui avait tout d’agaçant ? Elle ne le pouvait pas, et pourtant, le désir triturait son ventre de rester quand d’ordinaire elle l’aurait planté là, dans un grand éclat de rire, arguant qu’elle était assez grande pour regagner seule ses pénates pour mieux filer dans une corole rouge sans même se retourner. La danseuse se trouvait les pieds cloués au sol, chatouillant ses nerfs de contradictions, tortillant sa bouche jusqu’à finalement pointer son menton vers la rive gauche de la Seine.


C’par là mes quartiers comme vous dites, s’vous avez pas peur d’vous y salir, pouvez m’y escorter. Oui.

Incapable d’épargner au jeune homme la raillerie quand pourtant tout la poussait à plus de douceur. Remontant son regard sur le visage déjà perdu sur l’horizon de la ville, du bout des doigts, elle tendit la pomme rutilante.
Mais s’vous prenez ça en échange. Ajouta-t-elle inconsciente de la symbolique qui pouvait suinter de son geste quand elle ne vibrait que du fait qu’il l’accepte. Repentante.
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[Une commande à l'Empreinte? Un mp auparavant pour que je m'organise au mieux ]
Aimbaud
En cette belle époque de Renaissance française, on avait beau prétendre à la déféodalisation des provinces, à l'essor d'une classe moyenne et à l'instruction des serfs, y'avait pas à dire... Entre un marquis et une vagabonde, il y avait comme un fossé. Un fossé assez étendu, d'environs deux lieues de large, avec pas de fond entre les deux, si ce n'étaient quelques fumeroles échappées d'une faille dans la croûte terrestre. C'était palpable. D'abord, leur accoutrement bien sûr. Leur vocabulaire et syntaxe. Leurs manières. Leur façon de conceptualiser le principe de l'échange des services. On appelle ça le choc des cultures. Vous êtes galant, vous recevez une pomme. Ah bon.

Que faites-vous avec cette pomme ? En offrez-vous une en retour pour être poli ? La repassez-vous au donateur en marque de respect ? Mordez-vous dedans en signe d'acceptation de l'offrande ? La gardez-vous chez-vous en souvenir ? La passez-vous à votre voisin ? Ainsi réfléchissait Aimbaud alors qu'il tenait du bout de ses doigts gantés cette pomme qu'on venait de lui offrir, tel un célèbre prince angloys le crâne de son bouffon, et plongé comme lui dans une profonde réflexion sur le sens de cette trouvaille. Être ou ne pas être déconcerté... Dans tous les cas : manger cinq fruits et légumes par jours.

En observant la gitane lui tourner le dos, il avait craint d'abord qu'elle ne l'abandonne à son sort et ne lui renvoie, pour toute réponse à sa proposition, qu'un silence indifférent juste souligné par les petits entrechats de ses jambes lorsqu'elle s'éloignait. Il regrettait déjà d'avoir mal choisi ses mots, de savoir si peu s'exprimer dans le vulgaire du peuple, d'avoir intimidé cette jeune demoiselle sans le faire exprès, mais en dessus de la déception c'était surtout de l'indignation qu'il ressentait, que cette petite teigne le plantât là, comme une grande reine de Saba l'aurait fait d'un sous-fifre, alors que c'était lui qui avait le sang bleu, et elle la moins-que-rien. Comment osait-elle l'ignorer ainsi, l'obliger à regarder sa chute de reins tandis qu'elle allait dédaigneusement commercer avec le premier venu, mettant un terme à leur entretien sans même lui dire adieu ? (Et ces cheveux bouclés qui rebondissaient comme des grappes de raisin noir, de droite, de gauche, souplement, épars sur cette petite taille drapée de tissu trop pauvre pour être épais !) Ça ne se faisait pas. Comment OSAIT-ELLE ?

Choc des cultures, disions-nous. Il n'avait jamais vu ça. Il trouvait cela impoli jusqu'à l'inconcevable ! Il était si déçu... Si déçu qu'il...! Il... Il allait !... Il... Il ne savait guère. Car à présent elle revenait vers lui pour lui offrir cette pomme. Et lui se trouvait guimauve à nouveau, bienveillant et curieux, optimiste, patient et très poli. C'étaient les conséquences immédiate de l'effet "belle étrangère dans le secteur", ça désamorçait tous les défauts de sa personne. Il se sentait bien soulagé, reconnaissant qu'elle ne l'ait pas quitté si bêtement...

Et bien ennuyé d'avoir dans la main cette pomme, qu'il ne savait étiqueter d'aucune signification... Ça devait être une coutume des terres arides. Y avait-il message codé ? Pomme. Croquer le fruit ? Défendu ? Le fruit rouge. Rouge comme elle. Comme la passSSION ! Caliente. Pomme. Sa pomme. Pomme pom pidou. Sa peau. Mmmh... Paume. Pomme, une pomme quoi. Pas la peine de se torturer l'esprit dans la langue des oiseaux... La succube lui faisait un cadeau, il n'avait qu'à accepter pour mieux en faire don, plus tard, à un mendiant sur le chemin de Notre-Dame où il allait confesser dans la soirée les pensées obscures qui incendiaient ses sens. Tout pétris de cette certitude, il gardait le bras droit fermement emmitouflé dans sa cape, comme armé d'un pavois invisible voué à repousser les malices du beau-sexe.

Pourtant, tout en reprenant la marche aux côtés de cette enfant de Dieu-sait-quels-faubourgs, il songeait au régal que ce devait être d'ouvrir les bras à pareille créature, et son imagination rebondissait d'hypothèses en rêveries, en fantasmes, sur tout l'univers exotique qui pouvait se contenir en cette femme, et qui n'avait pas de contours précis dans l'esprit d'Aimbaud, mais plutôt la forme d'une aura démesurée de savoirs interdits, de parfums étrangers et de sensualité... D'un vent de liberté aussi.

En somme, il s'envolait tout seul vers les sommets de ses idées les plus folles, et la pauvresse n'y était pas pour grand chose en fait, elle n'était que la tourbe et lui le feu. Il s'enflammait pour rien, il ne lisait en elle que ce qu'il voulait s'entendre raconter ! Et il le savait ! Et dans trois jours ou trois mois il aurait déjà oublié ce petit moment d'abêtissement. Mais en attendant il marchait, il suivait, et il dévorait cette bohémienne des yeux, pour tout le soleil qui cuivrait sa peau, pour la grâce vulgaire qui balançait ses hanches à chaque pas, pour ses lèvres sombres, pour ses yeux trop blancs parce que trop noir le reste, pour son odeur, pour tout cela qu'il n'avait jamais vu ailleurs, qui était donc monstrueux et gracieux, comme les animaux d'Afrique (on le dit).

Ses pas étant trop lents tandis qu'il étudiait sa nouvelle trouvaille, il la rattrapa en trottinant rapidement pour se ramener à sa hauteur, tenant toujours gauchement la pomme en sa main.


Soyez remerciée !... Puis-je ? Puis-je vous demander ce qui vous amenait tantôt au palais royal ? Y venez-vous souvent ? Vous y reverrai-je ?

À dire vrai, ce qu'elle pouvait bien faire au Louvre, il s'en battait les poulaines à l'eau de mer... Mais à tout hasard il poussait les investigations. À tout hasard.
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Axelle
Fierté mal placée ? Certainement. Celui qui avait voulu lui faire l’aumône se voyait en guise de rétorque gratifié d’une pomme. Si l’offrande restait vilainement vexée malgré l’absolution de sa bravade, le geste avait au moins l’avantage d’être explicite. Du moins l’avait-elle cru. Mais devant la mine interloquée du noble, tous les doutes étaient permis. Etait-ce grave finalement ? Non aucunement, et haussant les épaules, le pas alerte, elle déambulait dans les ruelles, nez au vent, incapable, malgré les mois égarés dans la capitale, de ne pas s’émerveiller devant les étals recelant de curiosités les plus incongrues, s’amusant des mégères braillant sur leur progéniture pour tenter de leur faire regagner le bercail quand la soupe bouillait à trop gros bouillons. Si Axelle aimait sa solitude, elle se délectait de cette vie grouillante et y trouvait une source inépuisable d’inspiration, suffisamment avertie pour que le premier qui chercherait encore à l’assommer sur le pavé et prendre ce qu’elle refusait de donner ne soit méchamment dépecé. Sans plus l’ombre d’un scrupule. La leçon avait été apprise dans la puanteur et la plus indigne souillure, et à présent la Gitane était et prudente, et sur ses gardes. Chat échaudé…

Mais accompagnée comme elle l’était, elle se permit plus de légèreté que d’habitude. Ainsi escortée, elle était certaine de ne rien risquer. Qui aurait osé défier ce noble richement vêtu ? Personne sans l’ombre d’un doute, même avec sa goutte au nez. Peut-être se fourvoyait-elle, se foutait le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Peut-être la première alerte venue, s’enfuirait-il tel un cabri désarticulé. Mais dédaigneuse d’y penser, elle ronronnait simplement d’orgueil que les pas aristocratiques s’abaissent à suivre la mendigote que, selon lui, elle était. Sa cervelle restait bien trop intriguée par cette attention saugrenue et cet écart qu’il laissait entre sa cape et son jupon. Jetant un coup d’œil furtif par-dessus son épaule, elle ne put que constater que si elle dévorait les étals de charcuterie des yeux, c’était elle qui faisait office de boustifaille aux yeux du nobliau. Et voilà qui était de bien mauvaise augure pour lui… mais aussi pour elle. Ignare, sans le savoir, il éveillait en elle des penchants récemment découverts et qui la titillait avec l’ardeur envoutante du péché. Celui de provoquer l’envie, le désir farouche, par la simple exhibition de son corps ou de ses soupirs, sans que les mains ne soient invitées au festin, à moins que ce soient celles d’un autre. La Gitane se mordit les lèvres, soudain épinglée de curiosité envers ce petit bonhomme semblant à ce point maladroit avec les femmes quand elle s’abandonnait aux mains les plus expertes de toute la capitale. Elle éveillait chez l’homme une curiosité concupiscente, elle le sentait à ce regard pesant dans son dos. Et malgré elle, elle ne put s’épargner de pensées délicieusement immorales. Comment réagirait-il si elle l’entrainait aux creux d’une alcôve désertée du regard de tous et lentement faisait glisser le rouge de sa robe sur sa peau d’ambre ? Pourrait-il respirer encore si elle dévoilait, devant des yeux qu’elle imaginait déjà médusés et des joues cramoisies, la courbe délicate de ses seins arrogants ou la ligne de son ventre creux ? A l’ombre de ses boucles brunes, un fin sourire arqua sa bouche, et furtivement, une roseur diffuse s’invita à ses joues. Oserait-il la toucher du bout des doigts pour essaimer les frissons ou ne ferrait-il que la dévorer des yeux ? Se permettrait-il de poser le bout de sa langue à la peau de son cou renversé, ou se mordrait-il les lèvres au sang pour ne pas céder à la tentation ? Et si elle se caressait elle-même, fuirait-il ou jouirait-il du spectacle offert jusqu’au soupir ? Dieu comme dévoyer un innocent pourrait lui être outrageusement bon.

"Soyez remerciée !... Puis-je ? Puis-je vous demander ce qui vous amenait tantôt au palais royal ? Y venez-vous souvent ? Vous y reverrai-je ?"

Surprise dans ses pensées délictueuses, elle sursauta posant sur lui un regard embrasé d’une imagination trop fertile, pleine de fantasmes inavoués et inavouables. Elle tourna la tête, remettant les mots dans l’ordre avant de répondre d’un ton qui se voulait dégagé.

J’suis v’nue cause qu’on m’y a demandé, c’tout, sinon, j’ai rien à y fiche. Se contenta-t-elle de répondre alors que ces pas continuaient de l’allonger pour s’échouer au seuil de son auberge proprette. Levant les yeux sur la façade qui semblait sonner le glas de cette rencontre étonnante, elle vint replanter son regard fiévreux sur celui dont elle ne savait pas même le nom.

J’suis arrivée, c’est ici que j’crèche. Sa bouche trembla hésitante, puis ravalant l’idée folle de l’inviter à monter quand elle ne l’avait déjà que trop provoqué, se saisit de la pomme dont il ne savait de toute évidence que faire et y mordit à belles dents avant dans la reposer sur son support précaire de doigts malhabiles. Z’avez tort d’pas la manger, l’est bonne, pis voyez, l’est même pas empoisonnée, lâcha-t-elle doucement moqueuse. Pour m’y r‘voir, suffirait qu’vous l’demandiez. Avoua t-elle enfin d’un souffle faiblard quand le petit pli amusé de sa bouche s’effaçait.
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[Une commande à l'Empreinte? Un mp auparavant pour que je m'organise au mieux ]
Aimbaud
À chaque fois que ses yeux rencontraient ceux de la romanichelle, une pression étrange étreignait l'estomac de notre marquis. Il croyait y lire toutes sortes d'invitations qu'il craignait de mal interpréter. Était-ce lui qui délirait, ou y avait-il bien dans ces pupilles une sorte de feu, de la malice et des promesse, et un petit quelque chose d'obscène...? Ces croisements de regards étaient autant d'épreuves que de délices. Il insistait pour qu'il ne durent pas longtemps, tout en souhaitant ardemment que d'autres en viennent. En fait, c'était encore une différence entre les nobles dames et les femmes du peuple : les unes baissaient pudiquement les yeux par déférence, les autres vous les plantaient droit dans la tête avec effronterie. Les unes étaient des forteresses imprenables, bien délicates et secrètes, tandis que les autres... L'autre ! L'autre avait des yeux noirs et profonds, pareils à un livre ouvert, explicite, et pourtant écrit dans une langue étrangère absolument douteuse...

Il suivait la jeune-femme désormais sans presque réfléchir, et il en avait oublié de mémoriser le chemin qui lui permettrait de regagner l'hôtel de sa famille. Heureusement, dans son dos, Angus suivait toujours sa trace, prêt à lui rendre le licou de son cheval, en temps et en heure. Cette heure était-elle encore lointaine ? Nul ne pouvait le dire...

Arrivé sur le seuil de la petite auberge, Aimbaud sentit pourtant avec une certaine appréhension que cette entrevue allait peut-être toucher à sa fin. En lui, il retournait les solutions pour prolonger son séjour sur ce palier, sans parvenir à élire une idée qui ne prenne les convenances à rebrousse-poil... C'est ainsi, dans un débat avec lui-même et presque fâché, qu'il accueillit le frôlement des mains de la gitane sur ses gants, tandis qu'elle lui dérobait la pomme qu'il tenait sans plus y songer. Un croc. Et l'élégante vilaine lui rendit le bien, gâté, avec un sourire brillant de jus de pomme. Belle en guenilles. Mais qu'elle était mignonne. Avait-on déjà vu tableau plus séduisant ?

Il retint son souffle lorsqu'en lui parlant tout bas elle prononça les derniers mots. Elle consentait à le revoir ! Elle...? Cette fois la pomme lui échappa des mains. Il battit des bras pour tenter de la rattraper dans les plis de sa cape, comme un chat fou nez-à-nez avec un bout de ficelle. Le fruit chuta sur la terre battue (était-ce bien seulement de la terre ? Car il y avait pas mal d'oies et de chiens en liberté dans ces ruelles-là...) et il la rattrapa de justesse avant qu'elle ne roule plus loin. Fichtre. Il se redressa et rajusta la toque qui lui tombait sur le front pour regagner un semblant de dignité après cette pirouette, tout en regardant la pomme souillée d'un air dédaigneux. Elle n'était désormais plus très comestible, du moins pour lui qui avait l'habitude des fruits lavés voire épluchés, équeutés, épépinés, épatati, épatata... Toutefois, pour plaire à la belle moricaude, il alla jusqu'à frotter le fruit sur sa manche cousue de damas et de velours gênois. Sa femme allait encore ricaner et le traiter de hobereau lorsqu'il rentrerait crotté à Nemours... Il y songeait avec un fond de honte.

Il adressait aussi un regard d'excuse à la bohémienne, quant au gâchis qu'il venait de commettre, et quant au vocabulaire qui lui faisait maintenant défaut. Car à l'invitation à parler qu'elle lui lançait, il ne trouvait quoi répondre, se trouvait totalement acculé, pris au piège... Il y avait d'un côté l'envie de lui répondre du tac-au-tac qu'évidement, et comment, il voulait la revoir, demain dès la première heure par exemple — on avait qu'à dire dès laudes, à la porte du palais, il apporterait les croissants ! — et de l'autre, il commençait à craindre qu'en s'acoquinant de la sorte avec cette femme, il allait remettre un pied sur le chemin de ses emmerdements avec Dieu, avec sa réputation, avec une sombre inconnue, avec une épouse tyrannique, avec des rendez-vous compromettants, avec un horrible nouveau petit bâtard, avec des demandes d'argent, avec des duels d'honneur, avec son allégeance à la couronne, avec les conditions du monde actuel, avec sa tendance à la déprime, avec sa clavicule gauche qui lui faisait mal quand il levait le bras vers la droite, avec le pain d'épice qu'on lui avait servi trop sec ce matin...

Mais plus il y pensait, plus il songeait qu'il était idiot de s'encombrer l'esprit de ces choses futiles quand il se trouvait face à une créature infiniment mystérieuse, avec laquelle il ne faisait, finalement, qu'échanger quelques mots. Car le verbe est par nature beau et pur, et ainsi le Très-Haut en avait-il fait don qu'à la seule espèce humaine, afin de le voir utilisé par des langues savantes. Bon certes le verbe de cette malheureuse n'était pas aussi encyclopédistiquement éclairé qu'il ne l'eut fallu, mais ses mots, ses jolis mots tout bouffés les uns par les autres, étaient guidés par un esprit très lucide, et c'était cette rencontre de l'esprit, de l'esprit seul, qu'Aimbaud goûtait dans cette franche camaraderie qui se nouait là ! Mais oui ! Oui oui.

Ses yeux bruns circulèrent gravement sur le buste de la fille anonyme et sur son visage, tandis qu'il tenait la tête un peu basse et tapotait nerveusement la pomme entre ses doigts.


Oui... Bon bien. Vous avez sûrement à faire. S'entendit-il dire de façon mécanique.

Il inclina le chef tout aussi mécaniquement, en portant deux doigts à sa toque (qu'il n'ôtait qu'en révérence à ses suzerains) pour un modeste salut. Ô combien il lui était rassurant d'éviter la poursuite de cette discussion. Comme il était bon d'agir avec sa conscience. Il se félicitait intérieurement, et souriait presque avec l'envie de s'applaudir et de se dire "Merci, merci, ce n'est rien.", et de se dire aussi "Si, quand même, il fallait l'oser !", et de se répondre "Non, je vous assure, ça ne m'a rien coûté.", et de renchérir "Ah non mais personnellement j'aurais pas été cap !", et de surenchérir "Mais ça va, arrêtez, n'en parlons plus.", et de superenchérir "Quand même, c'était complètement dingue, c'était un tour de force de taré, non mais si ça n'avait tenu qu'à moi j'aurais craqué, je lui aurais filé rendez-vous sur-le-champ !" et de mégarenchérir "ÇA VA C'EST BON, ON N'Y PENSE PLUS !" et de conclure "D'accord d'accord, je dis ça je dis rien, mais c'était bien joué."...

Ainsi resta-t'il un court instant bête et hésitant, avec un sourire de travers, en ajoutant avant de faire un pas en arrière :


Mes hommages. Bonne continuation !

On lui donnera évidement un oscar pour les dialogues.
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Axelle
Monsieur Sainte Nitouche
Prends-moi par la taille
Caresse-moi l'épaule
Le creux de mes reins
Monsieur Sainte Nitouche
Ravie de te rencontrer*


Si la rencontre n’était déjà qu’un foutoir sans nom de ressentis, Axelle n’était certes pas au bout de ses peines. La Bestiole avait déjà, en quelques minutes hallucinantes, gouté à la moquerie effrontée et fanfaronne pour sauter de plein pied dans une colère à ce point froide qu’elle n’avait exhorté que la provocation la plus outrageuse pour mieux la jeter, le museau piteusement bas, dans le repenti et la contrition. Tout aurait pu paraître encore assez logique, si une bouffée arrogante de désir n’avait pris le relais, la laissant bêtement désarmée devant le pierrot au nez rouge. Incongruité sans nom et pourtant tenace se lovant, venimeux, dans son ventre, sans plus vouloir la lâcher tant ses pensées s’abimaient de visions alarmantes de débauche vicieuses et perverses.

Perverse, l’était-elle ? Si tel était le cas, c’était sa faute, à lui. A lui d’être maladroit jusqu’à faire tomber la pomme dans la boue parisienne sous les prunelles noires vrombissant d’indignation. Ô gâchis honteux. Incorrection des gens trop aisés pour connaître la valeur d’une simple pomme. Ô incroyable danseur la faisant ainsi valser sur tant de sentiments contradictoires, sans pourtant ne rien faire d’autre que la regarder de ces yeux là, hagards, envieux quand il refusait tout d’elle, jusqu’à un simple fruit. Ô comme il la bousculait sans ménagements, faisant éclater en mille débris cette sensualité ensorcelante dont elle était persuadée d’être nimbée. Ô, comme sous ses airs d’abrutit fini, avec la fuite de son nez rouge et ses joues plus cramoisies que celles d’une vierge effarouchée, il s’était joué d’elle, assenant une leçon bien âpre. Sa faute, oui, si les pensées gitanes se gonflaient d’obscénité quand il la bouffait du regard en s’enfuyant dans le même temps. Ô tortionnaire impénitent. Ne pouvait-il pas être comme tous les hommes normalement constitués et prendre ce qui lui plaisait ? Fichtre non, voilà qui aurait-été trop simple pour le bonhomme de neige. Et voila que maintenant, sans l’ombre visible d’une hésitation, ni même d’une invitation quand elle lui avait tendu la perche à le faire, il la congédiait d’un soit disant poli. « Mes hommages. Bonne continuation ! » Et encore de perche, un mat aurait été plus évocateur dans la netteté des mots gitans.


Sa faute à elle, surtout, de ne voir que ce qu’elle voulait. Mais ce n’était demain la veille qu’elle l’admettrait. Oh non !

Ainsi donc, quand c’était elle qui avait lancé l’offensive railleuse, c’était lui qui portait l’estocade. Vexée la Gitane d’avoir trop avoué et de se prendre la porte de sa propre auberge dans le museau en guise de réponse. Comment ce petit bonhomme pouvait-il lui résister? A elle ? Elle qui, si telle avait été sa nature, aurait pu se vanter d’être caressée par les mains les plus enviées de tout Paris. Et lui, petit noble, quand elle attendait une invitation, ou simplement un sourire bavard, la renvoyait, morveuse à son tour, dans sa chambre telle une gamine punie. Ô Sale coup pour sa fierté féminine. Elle fulminait la Bestiole, de se voir là, sur le seuil de sa porte, frustrée par un petit homme sans intérêt, du moins tentait-elle de s’en convaincre, quand pourtant, sans un geste, sans un mot, il avait attisé sa convoitise, sa curiosité, son attention. Affligeant. Comment avait t-elle pu se laisser si facilement avoir ? Ô magistrale claque.

Mais pourtant jamais, jamais, la Gitane ne daignerait le laisser se délecter de l’offense. Alors relevant un museau hautain, elle lança un
r’voir détaché dans une ultime pirouette de tissu rouge et de boucles noires pour, le pas résolu, fouler le seuil de son auberge. Voilà, elle l’avait planté là comme l’idiot qu’il était de ne pas s’accrocher à ses jupons, fière d’elle, jubilant d’orgueil mal placé quand cette fichue marche se déroba sous son pied, mue par une force obscure et démoniaque, à coup sûr complotée par le nobliau. Et dans l’entrebâillement de la porte se refermant sur elle, une nuée de jurons explosa de sa bouche, quand plus ou moins adroitement, son ridicule orgueil définitivement bafoué, elle tentait de se redresser.

Ohhhhhhh
Monsieur Sainte Nitouche
Prends-moi par la main*


*Inna Modja – French cancan
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[Une commande à l'Empreinte? Un mp auparavant pour que je m'organise au mieux ]
Aimbaud
Je veux dédier ce poème
À toutes les femmes que l'on aime
Pendant quelques instants secrets
À celles qu'on connait à peine,
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais.*


Aimbaud tourna lentement les talons, la mine basse. La pomme roulait pensivement dans ses mains comme un petit globe terrestre. Cette rencontre le laissait parfaitement insatisfait, et il songeait aux conjonctures qui auraient dû avoir lieu, qui auraient pu advenir, à ce qui avait cloché, à ce qu'il avait manqué... À ce qu'il ratait présentement. À cette compagne de voyage, dont les yeux, charmant paysage, avaient fait paraître court le chemin... Sans doute, il eût été savoureux que la vie toute entière passât aussi vite que ces dix minutes là ; et de perdre ses heures contre un corps velouté si semblables en couleurs au sucre des cannes, tel qu'aucun mortel en France n'en avait sûrement pu approcher depuis le temps des croisades.

Oh ! Il soupirait, notre marquis. Ses humeurs versaient maintenant dans la mélancolie. L'air tout-à-fait indifférent de la bohémienne, lorsqu'elle lui avait dit adieu, s'imposait à sa vue, où qu'il regarde, et venait le tancer comme une pique. Il se mettait à la mépriser, à lui souhaiter une volée de cailloux pour salaire de sa mendicité, à l'imaginer jetée à l'hospice derrière des barreaux, à cause de sa vie de débauche, malade, tousseuse, mourante, laide, ou mieux, pendue en place publique pour ses larcins, violée par toute une armée de teutons puis battue avec de lourds bâtons et dispersée en morceaux dans une fosse commune. Puis, quand il réalisait l'ampleur des abominations qu'il imaginait, il se mettait à la plaindre. Il faisait le compte de ses beautés et de ses grâces, du dessin surtout de sa gorge et de sa taille, de l'abondance de sa chevelure de ténèbres et de ses jambes longues comme les colonnes d'un temple. Et il lui trouvait tant de qualités qu'il était forcé de convenir de sa superbe, de sa pureté, de sa farfelue perfection ! Parfaite. Parfaite si elle ne l'avait pas regardé avec tant de froideur avant de fermer sa porte. Et puis il y avait ces vilains mots qui coulaient de sa bouche comme les crapauds d'un conte, elle parlait franchement très mal. Et combien au fond elle avait été méchante, et dédaigneuse, et bête... C'était dont là vraiment un diable. Voilà, c'en était fait : il la voulait à nouveau punie, battue, cloîtrée, pendue, démembrée, morte, réduite en charpie ! Puis il la plaignait. Puis il la désirait. Puis il la salissait. Puis il la tuait à nouveau. Et ce cycle aurait pu durer longtemps de la sorte, si Angus et Lugh n'étaient pas venus interrompre le cercle vicieux des pensées de notre homme en venant à sa rencontre.

Aimbaud revint à lui. Il se souvint alors qu'il faisait froid, qu'il avait les pieds gelés à force de rester immobile dans une flaque de gadoue glacée, que son nez coulait, qu'il fallait le moucher, que la nuit commençait à tomber et qu'il devait rentrer. Il échangea quelques mots avec son serviteur et passa la main sur le chanfrein de son cheval avant de lui offrir la pomme (inutile souvenir de cette rencontre dont il entendait se débarrasser pour retrouver la tranquillité de l'esprit). Le fruit fut assez vite réduit en bouillie et digéré. Une bonne chose de faite !

Une fois juché en selle, il laissa Angus marcher devant comme il en avait l'habitude, pour lui ouvrir la route. Et d'un pas tranquille, il s'éloigna de l'auberge. Mais sa tête avait peine à regarder devant lui. Il gardait des yeux encore curieux tournés vers la porte où avait fuit cette passante, en adressant une pensée de regret...

... À tous ces bonheurs entrevus
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Au baiser qu'on osât pas prendre
Aux yeux qu'on a jamais revus...*


*Les passantes — Georges Brassens, debout sur le zinc.
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