Soren
- Dis papy, c'te vrai qui s'est passé des choses ben ben étrange dans l'antre du leu? C'te l'filiot à Guémard qui m'a dite ça c'te matin quand on jousions ensemb'!
Le vieux bonhomme tout rabougri se balançait sur sa chaise, chauffant ses pieds froid au coin du feu où des flammes vives consumaient de grosses buches. Le vieil Adémard n'avait, jusqu'alors pas trop fait attention à la présence de son petit filiot. Il était perdu dans des souvenirs anciens, ceux du temps où il troussait les gueuses sous le porche de l'église. C'était une autre époque qui, aujourd'hui lui semblait bien lointaine, un temps où toutes les maisons du villages étaient remplies et pleines de vie. Dans chacune d'entr'elles vivaient une famille au complet, souvent sur trois générations. Maintenant, le village est déserté. Les jeunes sont tous partis à la ville. Parait qu'on y trouve plus facilement du travail à la ville. Fini le dur labeur des champs. Les gens d'aujourd'hui ne veulent plus travail la terre. C'est un travail bien trop dur et bien trop ingrat. Qui plus est, la mine comtale paie bien mieux. Plus personne n'est attaché à son coin de pays. L'amour de la terre, son histoire, ses légendes n'attirent plus personne. Ils s'en foutent comme de leur premier baiser volé à une gueuse accorte. Non, maintenant, les jeunes vont aller où les écus sonnent plus fort. Triste monde...Oh oui! Le vieil Adémard se demandait comme tout ça finirait, et il n'entrevoyait rien de bon. Mais il avait suffit d'une question pour le sortir de sa rêverie. Une question qui le ramenait dans le passé, à une époque où Castenaud-la-chapelle était encore en pleine santé et attirait tant les convoitises. D'ailleurs, elle les attirait tellement que...
- Oh ouais! Y'a ben raison l'filiot à Guémard! J'te conseille point d'trainer dans c'te coin-là si tu tiens à passer encore kek années sur c'te terre avant d'aller saluer l'Très-Haut!
Les prunelles délavées par le temps fixaient les flammes qui dansaient lascivement tout contre les buches. Leur déhanché étaient si torrides...C'était chaud! Très chaud! Les images affluaient les unes après les autres dans la tête du vieil homme. Les bons souvenirs bousculaient les mauvaises expériences, pour finir par se cristalliser en ce fameux jour du 31 Octobre 1440, là où tout à commencé.
L'été v'nait à peine d's'ach'ver bonhomme. Ça avait été un très bel été : chaud et sec. Y'vait plut juste c'qu'il fallait pour qu'les cultures n'se dessèchent pas. C't'année-là, la guerre nous avait donné un moment d'répit. J'savions pas pourquoi, mais aucun des seigneurs du coin n'avait l'humeur guerrière. Ça courait la gueuse dans les quat'coins du comté.... Autant les nobles qu'la roture d'ailleurs! J'pouvions t'dire qu'les buissons et les écuries doivent encore s'souvenir de c't'été-là. En plus, la saison s'était étirée tard dans l'année. On s'promenait encore les bras d'chemise r'troussées à la mi-octobre...
Et voilà! Il était parti! Il n'y avait pas besoin de grand chose pour le faire raconter ses souvenirs. C'était sa façon à lui de vivre encore un peu, d'avoir un semblant d'utilité. A son âge, les travaux de la ferme ou de la mine étaient bien trop exigeants. Sa santé déclinante l'obligeait à garder la maison la plupart du temps. Alors, à part se balancer sur sa chaise, il n'avait rien d'autre à faire. Se balancer...et raconter. Transmettre la tradition orale de Castelnaud-la-chapelle. Mais à chaque fois qu'il évoquait les évènements de l'automne 1440, un masque de souffrance et de peur se composait à la surface de son visage ridé.
- L'soir du 31 Octobre, j'avions rendez-vous avec Justine, l' fille du cordonnier. Elle avait les plus biaux pieds et les gambettes les plus douces d'Castelnaud. Mon p'tit filiot, j'te souhaite d'rencontrer un jour une fille comme elle! Enfin... La nuit commençait à tomber. Il avait fait biau toute la journée! Justine et moi, on badinait tranquillement non loin d'l'antre aux leus... qui à l'époque s'appelait l'cachette du père Magloire parce que parait-il que l'bonhomme y avait planqué sa réserve personnelle d'Bergerac et la suçait à l'abri d'son acariâtre épouse, la vieille rombière Cunégonde! ... On s'embrassait comme deux fols amants, Justine et moi. On était heureux, on prenait not'plaisir. Et puis, l'vent s'est mis à s'lever. Un vent chaud, mais puissant. L'soleil déclinant laissait progressivement l'place à une lune ben ben ronde. Ouais...t'as compris, c'était une nuit d'lune pleine.
Adémard se rinça le gosier avec le fond de son godet de Castillon, son regard toujours dans le passé, ses doigts desséchés crispées sur son godet comme s'il avait, aujourd'hui encore, du mal à revivre ces évènements tragiques.
- J'étions sur l'point d'passer à des choses bien plus sérieuses avec la Justine, et ce malgré le temps qui n'annonçait rien d'bien, lorsqu'un cri inhumain déchira le calme r'latif des lieux. Ouais mon gars! Inhumain! Ça nous a glacé l'sang à Justine et à moi. Ça nous a hérissé les ch'veux sur la caboche. La p'tite s'est r'serrée contr'moi, mais crois-moi, j'avions même plus envie d'abuser d'la situation. On s'est r'gardé. J'pouvions lire d'l'effroi dans ses yeux. Ni elle ni moi n'savions c'que tout ça voulait dire. Et puis, c'te r'venu! Une deuxième fois! Une troisième fois! J'te prie d'croire qu'on avait juste envie d'décamper là! Et vite! Parce que ça avait pas l'air d'plaisanter dans l'coin. C'te là qu'j'ai fait ma plus grosse connerie! J'voulais l'impressionner la Justine! Lui montrer qu'j'en avais dans les veines, qu'j'étions p'tet qu'un gueux, mais que l'courage, ça m'connaissait. Alors j'l'ai pris par la main et on s'est approché prudemment de c'qu'on appelle maint'nant l'antre aux leus.
Fallait presque que j'tire la Justine par la main. Elle voulait point y aller. Elle m'la dit. Elle a essayé d'm'faire changer d'avis. Mais j'voulions lui montrer c'dont j'étions capable. J'aurais du l'écouter... On est arrivé à l'entrée d'la grotte. On a vite r'marqué qu'la végétation avait été piétinée. On avait trainé un corps jusqu'ici. Et c'tes pas-là semblaient ben ben lourds! Qui plus est... ils n'avaient rien d'ben humain! Ni rien d'animal! On aurait dit que c't'était un peu entre les deux. L'Justine a dit qu'on en avait vu assez, qu'on d'vait r'tourner aux villages prév'nir les autres. Mais j'lui ai expliqué qu'on avait rien vu! On n'avait rien à expliqué aux aut'! Il fallait entrer!
A l'intérieur, tout était sombre. Une odeur âcre vint nous capturer les narines. L'sol nous paraissait spongieux. On n'savait point sur quoi on marchait...et on s'disait qu'c'était pas si mal de n'point l'savoir! A un moment, j'ai buté sur quelque chose. J'ai failli perdre l'équilibre. J'ne suis rattrapé et mes mains ont heurté la paroi. Ici, l'odeur était plus forte qu'à l'entrée. Mes mains avaient touché quelque chose d'poisseux. J'ai dit à Justine d'point bouger et d'laisser ses pupilles s'habituer à la pénombre. J'ai porté mon doigt à mes lèvres et à mon nez. Ça avait un gout métallique. Justine s'est penché sur c'qui a failli m'faire tomber. Elle tatonnait dans l'vide elle-aussi et ses mains ont aussi été entachées d'la même poisse. Puis elle a crié. Elle v'nait d'comprendre...C'qu'elle avait touché, c'était un corps d'femme à moitié démembré. La poisse, c'estions son sang! Elle s'est r'levée et est partie en courant, à moitié folle en direction du village. J'ai essayé d'la suivre mais elle était possédée par la folie. Et crois-moi, ça fait aller drolement vite!
C'te la dernière fois qu'j'l'avions vu la Justine. Ouais...la dernière fois. Parait qu'certains l'ont croisé dans la forêt pas loin d'Castelnaud par la suite. Elle déambulait sans but précis. Elle avait visiblement perdu l'esprit. Justine... C'te celle qu'on appelle maintenant la folle d'Castelnaud. Tu connais son histoire filiot?
L'lendemain, quand l'jour s'est levé sur Castelnaud, j'suis r'venu sur les lieux du crime avec des gars du village. Ouais...Y'vait ben eu un crime. Un crime horrib! Monstrueux! Les viscères d'la bonne femme étaient étalés contre les murs. Une immense flaque d'sang tapissait l'sol et les parois d'la grotte. Elle avait eu la tête à moitié arrachée. Il lui manquait un bras qu'on n'a jamais r'trouvé et ses gambettes étaient passées par d'dessus les épaules. Même les contorsionnistes les plus habiles sont pas capab' d'faire ça ! Elle était toute jeune. Elle était jolie à croquer. Elle s'app'lait....Keyfeya
Et alors que le village se réveille... les discours vont bon train sur l'identité du ou des tueurs...
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Le vieux bonhomme tout rabougri se balançait sur sa chaise, chauffant ses pieds froid au coin du feu où des flammes vives consumaient de grosses buches. Le vieil Adémard n'avait, jusqu'alors pas trop fait attention à la présence de son petit filiot. Il était perdu dans des souvenirs anciens, ceux du temps où il troussait les gueuses sous le porche de l'église. C'était une autre époque qui, aujourd'hui lui semblait bien lointaine, un temps où toutes les maisons du villages étaient remplies et pleines de vie. Dans chacune d'entr'elles vivaient une famille au complet, souvent sur trois générations. Maintenant, le village est déserté. Les jeunes sont tous partis à la ville. Parait qu'on y trouve plus facilement du travail à la ville. Fini le dur labeur des champs. Les gens d'aujourd'hui ne veulent plus travail la terre. C'est un travail bien trop dur et bien trop ingrat. Qui plus est, la mine comtale paie bien mieux. Plus personne n'est attaché à son coin de pays. L'amour de la terre, son histoire, ses légendes n'attirent plus personne. Ils s'en foutent comme de leur premier baiser volé à une gueuse accorte. Non, maintenant, les jeunes vont aller où les écus sonnent plus fort. Triste monde...Oh oui! Le vieil Adémard se demandait comme tout ça finirait, et il n'entrevoyait rien de bon. Mais il avait suffit d'une question pour le sortir de sa rêverie. Une question qui le ramenait dans le passé, à une époque où Castenaud-la-chapelle était encore en pleine santé et attirait tant les convoitises. D'ailleurs, elle les attirait tellement que...
- Oh ouais! Y'a ben raison l'filiot à Guémard! J'te conseille point d'trainer dans c'te coin-là si tu tiens à passer encore kek années sur c'te terre avant d'aller saluer l'Très-Haut!
Les prunelles délavées par le temps fixaient les flammes qui dansaient lascivement tout contre les buches. Leur déhanché étaient si torrides...C'était chaud! Très chaud! Les images affluaient les unes après les autres dans la tête du vieil homme. Les bons souvenirs bousculaient les mauvaises expériences, pour finir par se cristalliser en ce fameux jour du 31 Octobre 1440, là où tout à commencé.
L'été v'nait à peine d's'ach'ver bonhomme. Ça avait été un très bel été : chaud et sec. Y'vait plut juste c'qu'il fallait pour qu'les cultures n'se dessèchent pas. C't'année-là, la guerre nous avait donné un moment d'répit. J'savions pas pourquoi, mais aucun des seigneurs du coin n'avait l'humeur guerrière. Ça courait la gueuse dans les quat'coins du comté.... Autant les nobles qu'la roture d'ailleurs! J'pouvions t'dire qu'les buissons et les écuries doivent encore s'souvenir de c't'été-là. En plus, la saison s'était étirée tard dans l'année. On s'promenait encore les bras d'chemise r'troussées à la mi-octobre...
Et voilà! Il était parti! Il n'y avait pas besoin de grand chose pour le faire raconter ses souvenirs. C'était sa façon à lui de vivre encore un peu, d'avoir un semblant d'utilité. A son âge, les travaux de la ferme ou de la mine étaient bien trop exigeants. Sa santé déclinante l'obligeait à garder la maison la plupart du temps. Alors, à part se balancer sur sa chaise, il n'avait rien d'autre à faire. Se balancer...et raconter. Transmettre la tradition orale de Castelnaud-la-chapelle. Mais à chaque fois qu'il évoquait les évènements de l'automne 1440, un masque de souffrance et de peur se composait à la surface de son visage ridé.
- L'soir du 31 Octobre, j'avions rendez-vous avec Justine, l' fille du cordonnier. Elle avait les plus biaux pieds et les gambettes les plus douces d'Castelnaud. Mon p'tit filiot, j'te souhaite d'rencontrer un jour une fille comme elle! Enfin... La nuit commençait à tomber. Il avait fait biau toute la journée! Justine et moi, on badinait tranquillement non loin d'l'antre aux leus... qui à l'époque s'appelait l'cachette du père Magloire parce que parait-il que l'bonhomme y avait planqué sa réserve personnelle d'Bergerac et la suçait à l'abri d'son acariâtre épouse, la vieille rombière Cunégonde! ... On s'embrassait comme deux fols amants, Justine et moi. On était heureux, on prenait not'plaisir. Et puis, l'vent s'est mis à s'lever. Un vent chaud, mais puissant. L'soleil déclinant laissait progressivement l'place à une lune ben ben ronde. Ouais...t'as compris, c'était une nuit d'lune pleine.
Adémard se rinça le gosier avec le fond de son godet de Castillon, son regard toujours dans le passé, ses doigts desséchés crispées sur son godet comme s'il avait, aujourd'hui encore, du mal à revivre ces évènements tragiques.
- J'étions sur l'point d'passer à des choses bien plus sérieuses avec la Justine, et ce malgré le temps qui n'annonçait rien d'bien, lorsqu'un cri inhumain déchira le calme r'latif des lieux. Ouais mon gars! Inhumain! Ça nous a glacé l'sang à Justine et à moi. Ça nous a hérissé les ch'veux sur la caboche. La p'tite s'est r'serrée contr'moi, mais crois-moi, j'avions même plus envie d'abuser d'la situation. On s'est r'gardé. J'pouvions lire d'l'effroi dans ses yeux. Ni elle ni moi n'savions c'que tout ça voulait dire. Et puis, c'te r'venu! Une deuxième fois! Une troisième fois! J'te prie d'croire qu'on avait juste envie d'décamper là! Et vite! Parce que ça avait pas l'air d'plaisanter dans l'coin. C'te là qu'j'ai fait ma plus grosse connerie! J'voulais l'impressionner la Justine! Lui montrer qu'j'en avais dans les veines, qu'j'étions p'tet qu'un gueux, mais que l'courage, ça m'connaissait. Alors j'l'ai pris par la main et on s'est approché prudemment de c'qu'on appelle maint'nant l'antre aux leus.
Fallait presque que j'tire la Justine par la main. Elle voulait point y aller. Elle m'la dit. Elle a essayé d'm'faire changer d'avis. Mais j'voulions lui montrer c'dont j'étions capable. J'aurais du l'écouter... On est arrivé à l'entrée d'la grotte. On a vite r'marqué qu'la végétation avait été piétinée. On avait trainé un corps jusqu'ici. Et c'tes pas-là semblaient ben ben lourds! Qui plus est... ils n'avaient rien d'ben humain! Ni rien d'animal! On aurait dit que c't'était un peu entre les deux. L'Justine a dit qu'on en avait vu assez, qu'on d'vait r'tourner aux villages prév'nir les autres. Mais j'lui ai expliqué qu'on avait rien vu! On n'avait rien à expliqué aux aut'! Il fallait entrer!
A l'intérieur, tout était sombre. Une odeur âcre vint nous capturer les narines. L'sol nous paraissait spongieux. On n'savait point sur quoi on marchait...et on s'disait qu'c'était pas si mal de n'point l'savoir! A un moment, j'ai buté sur quelque chose. J'ai failli perdre l'équilibre. J'ne suis rattrapé et mes mains ont heurté la paroi. Ici, l'odeur était plus forte qu'à l'entrée. Mes mains avaient touché quelque chose d'poisseux. J'ai dit à Justine d'point bouger et d'laisser ses pupilles s'habituer à la pénombre. J'ai porté mon doigt à mes lèvres et à mon nez. Ça avait un gout métallique. Justine s'est penché sur c'qui a failli m'faire tomber. Elle tatonnait dans l'vide elle-aussi et ses mains ont aussi été entachées d'la même poisse. Puis elle a crié. Elle v'nait d'comprendre...C'qu'elle avait touché, c'était un corps d'femme à moitié démembré. La poisse, c'estions son sang! Elle s'est r'levée et est partie en courant, à moitié folle en direction du village. J'ai essayé d'la suivre mais elle était possédée par la folie. Et crois-moi, ça fait aller drolement vite!
C'te la dernière fois qu'j'l'avions vu la Justine. Ouais...la dernière fois. Parait qu'certains l'ont croisé dans la forêt pas loin d'Castelnaud par la suite. Elle déambulait sans but précis. Elle avait visiblement perdu l'esprit. Justine... C'te celle qu'on appelle maintenant la folle d'Castelnaud. Tu connais son histoire filiot?
L'lendemain, quand l'jour s'est levé sur Castelnaud, j'suis r'venu sur les lieux du crime avec des gars du village. Ouais...Y'vait ben eu un crime. Un crime horrib! Monstrueux! Les viscères d'la bonne femme étaient étalés contre les murs. Une immense flaque d'sang tapissait l'sol et les parois d'la grotte. Elle avait eu la tête à moitié arrachée. Il lui manquait un bras qu'on n'a jamais r'trouvé et ses gambettes étaient passées par d'dessus les épaules. Même les contorsionnistes les plus habiles sont pas capab' d'faire ça ! Elle était toute jeune. Elle était jolie à croquer. Elle s'app'lait....Keyfeya
Et alors que le village se réveille... les discours vont bon train sur l'identité du ou des tueurs...
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