Marzina
...quand tu auras le plus de chance de tomber enceinte!
Voilà des jours, peut-être même des semaines, qu'elle était arrivée en Bourgogne. Arrêt obligatoire à Dijon, à durée indéterminée. L'éloignement avec sa nation, sa fonction, sa famille, ses amis et ses terres, lui pesait terriblement. Elle avait décidé de suivre l'Irlandais parce qu'elle n'avait pas pu s'imaginer le quitter, et maintenant elle endurait les désagréments de sa condition, si loin de la sienne. Et pourtant, le voyage avait eu une conséquence inattendue: pour cacher leur identité dans les duchés où ils passaient, ils s'étaient fait passer pour un couple de jeunes mariés, et pour se faire offrir des tournées, ils avaient inventé un tour infaillible...Marzina alias Gabriela annonçait en taverne à son mari Rodrigo qu'elle attendait leur fille, Lenaïg. Presque chaque fois, ça ne manquait pas, toujours un joyeux pilier de comptoir prêt à payer une tournée pour fêter ça!
Ils s'étaient alors mis à parler de cet enfant comme s'il existait, à se disputer au sujet de son éducation comme s'il allait arriver dans quelques mois, et à couver son ventre comme s'il abritait leur trésor...
Oui mais voilà, son ventre était désespérément vide de toute vie autre que la sienne. Par deux fois par le passé il avait abrité la vie, et par deux fois elle l'avait sentie s'évanouir. Et maintenant qu'ils avaient simulé la présence de cet enfant, ils s'étaient mis à l'aimer, ce produit de leur imagination...
Là où autrefois, ils avaient peur que son ventre s'arrondissent, ils le désiraient maintenant. Là où autrefois, cet enfant aurait été preuve de leur liaison coupable, aujourd'hui ils ne voyaient en lui que la consécration de leur affection mutuelle. Maintenant qu'il était attendu, ils s'étaient mis à réfléchir. Cinq mois maintenant, qu'il aurait eu l'occasion de pointer le bout de son nez, d'arrondir le ventre princier en y faisant ses quartiers...Mais rien. Laissez-lui le temps d'arriver, qu'il lui disait l'Irlandais...Mais chaque jour qui passait, elle regardait désormais son ventre résolument plat comme un échec. Lui avait eu plusieurs enfants déjà, le doute n'était pas permis. Mais elle...elle avait porté la vie, mais n'avait pas réussi à la donner. Cet enfant qui ne voulait pas exister, c'était son échec, et désormais elle y pensait presque tout le temps. Cette pensée obscurcissait son esprit, et la mélancolie due à l'éloignement de ses terres finissait par entamer grandement son moral.
Après avoir essayé tout ce qui était en son pouvoir, le positivisme, la patience, la science...ne lui restait plus qu'une seule solution, un seul espoir...Ce soir-là donc, elle poussa la porte de l'église qui s'ouvrit en grinçant. Elle la referma et s'avança entre les bancs, le bruit de ses pas légers sur les pavés résonnant contre les murs de la grande bâtisse, éclairée seulement d'une bougie sur l'autel. Elle avait toujours été croyante, mais n'avait jamais été une bonne croyante. Son oncle avait largement contribué à la dégouter des clercs, des messes et des églises. Lui qui connaissait le secret de sa naissance illégitime, lui qui avait atteint les hautes sphères de l'Eglise, l'avait toujours regardée comme le mouton noir de la famille, celle qui était en dehors du cadre établi pour mener le nom de Montfort vers les sommets.
Mais aujourd'hui, Doué était son dernier espoir. Elle avait compris qu'il lui fallait se réconcilier avec Lui pour espérer pouvoir donner la vie. Il lui avait confié, puis lui avait repris, et elle s'était persuadée qu'Il ne l'avait pas jugée digne d'être mère. Ce soir-là donc, elle espérait bien l'en convaincre. Voilà une semaine maintenant qu'elle revenait tous les soirs satisfaire au même rituel. S'avançant jusque devant l'autel, elle s'y laissait tomber à genoux pour prier, avec l'espoir que quelque part sur le Soleil, Il l'entendrait et accéderait à sa demande. Le premier soir n'ayant pas fonctionné, pas plus que les suivants, elle avait décidé d'y retourner chaque soir, jusqu'à ce qu'il en ait marre de l'entendre et accède à son vu.
Je crois en Dieu, le Trés-Haut tout puissant,
Créateur du Ciel et de la Terre,
Des Enfers et du Paradis,
Juge de notre âme à l'heure de la mort...
Ce soir-là ne différait pas des autres: l'église était vide, et le curé semblait l'avoir désertée. Elle resterait jusqu'à ce que le froid des pavés lui gèle les jambes, puis rentrerait chez elle se réchauffer. Du moins, c'était ce qu'elle avait prévu...Parce que ce soir-là était différent. Était-ce dans l'air? Dans l'atmosphère tout autour? Elle n'aurait su le dire, mais elle avait senti comme une étrange vibration dans l'air.
_________________
Voilà des jours, peut-être même des semaines, qu'elle était arrivée en Bourgogne. Arrêt obligatoire à Dijon, à durée indéterminée. L'éloignement avec sa nation, sa fonction, sa famille, ses amis et ses terres, lui pesait terriblement. Elle avait décidé de suivre l'Irlandais parce qu'elle n'avait pas pu s'imaginer le quitter, et maintenant elle endurait les désagréments de sa condition, si loin de la sienne. Et pourtant, le voyage avait eu une conséquence inattendue: pour cacher leur identité dans les duchés où ils passaient, ils s'étaient fait passer pour un couple de jeunes mariés, et pour se faire offrir des tournées, ils avaient inventé un tour infaillible...Marzina alias Gabriela annonçait en taverne à son mari Rodrigo qu'elle attendait leur fille, Lenaïg. Presque chaque fois, ça ne manquait pas, toujours un joyeux pilier de comptoir prêt à payer une tournée pour fêter ça!
Ils s'étaient alors mis à parler de cet enfant comme s'il existait, à se disputer au sujet de son éducation comme s'il allait arriver dans quelques mois, et à couver son ventre comme s'il abritait leur trésor...
Oui mais voilà, son ventre était désespérément vide de toute vie autre que la sienne. Par deux fois par le passé il avait abrité la vie, et par deux fois elle l'avait sentie s'évanouir. Et maintenant qu'ils avaient simulé la présence de cet enfant, ils s'étaient mis à l'aimer, ce produit de leur imagination...
Là où autrefois, ils avaient peur que son ventre s'arrondissent, ils le désiraient maintenant. Là où autrefois, cet enfant aurait été preuve de leur liaison coupable, aujourd'hui ils ne voyaient en lui que la consécration de leur affection mutuelle. Maintenant qu'il était attendu, ils s'étaient mis à réfléchir. Cinq mois maintenant, qu'il aurait eu l'occasion de pointer le bout de son nez, d'arrondir le ventre princier en y faisant ses quartiers...Mais rien. Laissez-lui le temps d'arriver, qu'il lui disait l'Irlandais...Mais chaque jour qui passait, elle regardait désormais son ventre résolument plat comme un échec. Lui avait eu plusieurs enfants déjà, le doute n'était pas permis. Mais elle...elle avait porté la vie, mais n'avait pas réussi à la donner. Cet enfant qui ne voulait pas exister, c'était son échec, et désormais elle y pensait presque tout le temps. Cette pensée obscurcissait son esprit, et la mélancolie due à l'éloignement de ses terres finissait par entamer grandement son moral.
Après avoir essayé tout ce qui était en son pouvoir, le positivisme, la patience, la science...ne lui restait plus qu'une seule solution, un seul espoir...Ce soir-là donc, elle poussa la porte de l'église qui s'ouvrit en grinçant. Elle la referma et s'avança entre les bancs, le bruit de ses pas légers sur les pavés résonnant contre les murs de la grande bâtisse, éclairée seulement d'une bougie sur l'autel. Elle avait toujours été croyante, mais n'avait jamais été une bonne croyante. Son oncle avait largement contribué à la dégouter des clercs, des messes et des églises. Lui qui connaissait le secret de sa naissance illégitime, lui qui avait atteint les hautes sphères de l'Eglise, l'avait toujours regardée comme le mouton noir de la famille, celle qui était en dehors du cadre établi pour mener le nom de Montfort vers les sommets.
Mais aujourd'hui, Doué était son dernier espoir. Elle avait compris qu'il lui fallait se réconcilier avec Lui pour espérer pouvoir donner la vie. Il lui avait confié, puis lui avait repris, et elle s'était persuadée qu'Il ne l'avait pas jugée digne d'être mère. Ce soir-là donc, elle espérait bien l'en convaincre. Voilà une semaine maintenant qu'elle revenait tous les soirs satisfaire au même rituel. S'avançant jusque devant l'autel, elle s'y laissait tomber à genoux pour prier, avec l'espoir que quelque part sur le Soleil, Il l'entendrait et accéderait à sa demande. Le premier soir n'ayant pas fonctionné, pas plus que les suivants, elle avait décidé d'y retourner chaque soir, jusqu'à ce qu'il en ait marre de l'entendre et accède à son vu.
Je crois en Dieu, le Trés-Haut tout puissant,
Créateur du Ciel et de la Terre,
Des Enfers et du Paradis,
Juge de notre âme à l'heure de la mort...
Ce soir-là ne différait pas des autres: l'église était vide, et le curé semblait l'avoir désertée. Elle resterait jusqu'à ce que le froid des pavés lui gèle les jambes, puis rentrerait chez elle se réchauffer. Du moins, c'était ce qu'elle avait prévu...Parce que ce soir-là était différent. Était-ce dans l'air? Dans l'atmosphère tout autour? Elle n'aurait su le dire, mais elle avait senti comme une étrange vibration dans l'air.
_________________