Comme un rêve, la douleur s'envole, la peur, et il ne reste qu'eux. Jamais Kem n'avait pensé pouvoir aimer autant, si ce n'est plus encore qu'en ce moment même. Son coeur était tout dévolu à Exaël, son ange, sa raison de vivre. Son coeur battait pour lui, une alchimie incroyable, une symbiose. Elle avait eu peur que l'enfant ne change quelque chose, que cet immense amour doive être fractionné, pour faire une place à ce petit être. Car on lui avait souvent dit: être deux est parfait, être trois, c'est un de trop. Mais elle s'étonnait de cette capacité extraordinaire que l'être humain avait d'aimer de plus en plus. Son amour ne se partageait pas entre Exaël et Raphaël. L'amour se multipliait, se démultipliait, exponentiel. Elle ferait tout pour eux, les deux hommes de sa vie...
La jeune femme était encore dans cette phase d'hébétude, de félicité qui suivaient l'accouchement. La douleur, oubliée, ne subsistait que l'émerveillement devant le petit Raphaël, qu'elle ne se lassa pas de détailler. Des yeux légèrement bridés, pour l'instant bleu ardoise comme tous les enfants de ce royaume, ils ne seraient sûrement pas aussi foncés que les siens, mais peut être aurait-il la chance d'avoir les yeux clairs comme sa grand mère, la mère de Kem, et Exa. Puis son petit nez, ses oreilles, tout était si petit, si parfait! Et ses quelques mèches de bébé, noir corbeau, elle espérait qu'il soient aussi beau que ceux de son ange avant qu'il ne soit tondu par ces fichus moines, brillants et légèrement ondulés. des lèvres bien dessinées, charnues. Il ressemblait énormément à Exa, sauf pour les yeux.
Elle rit de voir ses minuscules doigts, ses minuscules ongles, répliques parfaites de ses propres mains, et s'extasia de voir le bébé soupirer de bien être, bien au chaud dans leurs bras, déjà aimé et admiré. Tout cela pour dire qu'une mère venant d'accoucher était dans le même état qu'un homme ayant bu, fumé du chanvre et consommé de la théobromine. C'était naturel, l'instinct maternel, quelque chose de puissant, aussi puissant que ce qu'elle éprouvait pour son fiancé. Elle avait envie de partager son bonheur avec le monde entier, ses amis, tout le monde
Oui, elle avait eu peur, elle avait douté au début de leur relation, elle avait souffert. Malgré tout, elle avait écouté les langues de vipères, raconter tout ce qui se disait sur son ange. Homme à femmes, séducteur, beau parleur. Elle même avait sa réputation, bien moins répandue du moins, car elle avait été louve solitaire, restait discrète pour éviter les ennuis. Mais on l'avait traitée de catin, de coeur de pierre, de femme volage et sans parole, indigne, de menteuse, de sournoise... Non.
Au début, à leur rencontre, elle l'avait apprécié pour ce qu'il était, un homme amusant, un ami qui ferait tout pour réparer les injustices, pour l'aider. Si elle craquait pour lui, qu'il aille voir ailleurs ne l'aurait pas dérangée. Coucher avec un ami qu'on appréciait et à qui on faisait confiance, c'était la cerise sur le gâteau, avait-elle pensé. Mais ... elle était tombée amoureuse. Complètement, irrémédiablement. Elle ne l'avait jamais été, elle ne savait pas ce que c'était. Elle pensait éprouver un attachement certain, alors que fait, elle l'aimait. Alors qu'elle s'était promise de ne jamais,, jamais s'abaisser à aimer, devenir comme toutes ces femmes, dépendantes. Alors que aimer, ce n'était pas cela. C'était autre chose, bien plus noble et plus profond, puissant. Lorsqu'on rencontre l'autre, tout devient plus clair, logique. Ce n'était pas que luxure et belles paroles, promesses. C'était bien plus subtil que ça. Un sentiment de complétude, d'aboutissement. Le véritable amour!
Ce que disent les autres n'a plus d'importance. Elle avait confiance en lui, en son amour. Il était là avec elle, il avait soulevé des montagne pour être à ses côtés pour la naissance. Il avait mis au monde le bébé, luttant contre son malaise. Il avait mûri, gagné en sagesse. Elle eut un sourire narquois en pensant à toutes ces bonnes âmes qui n'attendent qu'une seule chose, le faux pas, l'erreur de la part d'Exa, pour lui dire: je te l'avais bien dit! Ils ne savent pas, ils ne comprennent pas. Ils passent complètement à côté de ce qu'ils ont vécu et vivent. Ils étaient un tout, ensemble. Ils se ressemblaient trop, goût commun pour les voyages, incapacité à rester sédentaire longtemps, goût inné pour laventure, et don extraordinaire pour se fourrer dans les emmerdes jusqu'au cou. Ils étaient un tout. Exa et Kem. Et ce bébé prenait logiquement sa place entre eux deux. Il en connaîtrait des aventures ...
Kem chantonnait pour le petit, qui avait pleuré en sortant de la matrice, mais s'était calmé aussitôt au son de leurs voix.
fais moi une place,
au fond de ton cur,
pour que je t'embrasse,
lorsque tu pleures,
...
je veux que tu n'aies jamais mal
que tu n'aies jamais froid
et tout m'est égal,
Tout à part lui et toi,
Je t'aime
Puis Oane entra dans la pièce, intriguée. Kem nota son regard étonné, peut être un poil dégoûté, de peur, devant la scène. L'animalité dans toute sa splendeur. Une accouchement, c'était comme un champs de bataille, il fallait être bien accroché. La femme en arme s'approcha, et instinctivement, elle resserra sa prise sur le bébé. Traumatisée encore par la dernière fois, avec sa fille, qu'on avait arrachée à ses bras quelques heures après sa naissance. Pendant qu'elle dormait! Mais elle sen détendit, car elle savait que jamais Exaël ne permettrait cela. Elle mit un petit moment à se rendre compte qu'elle lui avait posé une question, tout à sa contemplation ...
Mal? J'ai eu mal, oui... très mal ... mais ... ça n'a plus d'importance. Regardez le comme il est beau et plein de santé! Je n'ai presque plus mal, je n'y attache pas d'importance je crois.
Elle regarda Exaël, rayonnante. Il avait l'air aussi heureux, aussi béat qu'elle, peut être plus encore. C'était la première fois qu'il avait un enfant, la chair de sa chair, qu'il avait mis au monde en plus! Le bébé attrapa instinctivement le doigt de son père, et serra très fort. Puis Exaël prit le bébé dans ses bras et proposa à Oane de le tenir un instant... allait elle oser?
Elle ressentait quelque chose de curieux au fond d'elle. Ce petit ange sans défense, sans même un nid pour les premiers jours de sa vie! Ils vivaient ici comme des nomades, et elle ressentait le besoin de protéger Raphaël, lui fournir un environnement agréable et douillet... Ils avaient décidé de rentrer pour un moment à La Trémouille...