Une fois la récitation du Credo achevée, Monseigneur Jerem ouvrit solennellement son Livre des Vertus, et pour donner encore plus de solennité à ce moment, il s'arrangea pour que l'on entendît distinctement le bruit de la couverture de l'ouvrage sur le bois du pupitre sur lequel il était posé.
L'attention ainsi captée, il poursuivit
Pour beaucoup d'entre vous, Bynarr est d'abord et avant tout un mort et bien peu s'imaginent même qu'il ait pu être un jour vivant parce qu'on s'imagine toujours que les saints sont décédés il y a longtemps et dans des contrées lointaines !
Or, détrompez-vous! Bynarr n'est pas l'un de ces saints poussiéreux dont l'existence est plus ou moins légendaire,. Bynarr fut un être de chair et de sang qui était encore bien vivant et qui n'est mort que depuis moins de cinq ans, en septembre 1455.
Certains et certaines d'entre nous l'avons connu et moi qui vous parle aujourd'hui, c'est de sa main-même que j'ai été ordonné prêtre en 1453, un temps qui date d'avant la réforme de l'Eglise.
Un peu ému par ce souvenir, Jerem fit une course pause puis reprit
Je relisais tantôt son hagiographie et je me demandais quel passage résumait le mieux l'homme qu'il avait été. En fait, nul passage mieux que celui qui relate son agonie et sa mort ne sauraient plus définir qui était Bynarr.
Citation:V - Agonie et Miracle
Sentant la mort arriver, il se rapprocha encore plus de ses fidèles avec lesquels il se mit à entretenir des liens étroits. Il aspirait à une Eglise très présente dans une Bourgogne unie dans lamitié aristotélicienne, prospère et ayant une place dominante au sein des Royaumes. Il allait volontiers à la rencontre de ses fidèles et a toujours soutenu le projet douverture de labbaye de Cluny.
Quelques heures avant sa mort, alors quil agonisait, il reçut dabord les derniers sacrements puis la visite dun jeune fidèle atteint de la vérole. Les médecins avaient prédit à cet enfant une mort certaine dici la fin de la semaine. Lui et ses parents entrèrent dans le presbytère en implorant le Tout-Puissant. Le prêtre qui donnait les derniers sacrements voulait quils partent, ne souhaitant pas attraper la vérole, mais Bynarr, de sa voix de diplomate qui lui servit tant, linvita à le laisser avec l'enfant. Il le prit donc dans ses bras. En même temps, il cueillit un lys qui poussait dans un bac de bois, sur le rebord de la fenêtre.
Bynarr dit alors au malade : « Demain, je ne serai plus de ce monde, jai déjà servi le Très-Haut comme je lai pu et maintenant, il mappelle à le rejoindre ; mais toi, tu as encore tout à apprendre, tout à faire. Cette nuit, je vais prier pour que le Très-Haut te guérisse et, quand jarriverai sur le Soleil, tu guériras. Demain, tandis que lon me retrouvera mort dans mon lit, toi, tu te réveilleras soigné. Va, prends ce lys et retourne chez toi pour prier ! »
Lenfant acquiesça et sen retourna en pleurant de joie. Toute la nuit jusquà minuit, heure où il s'endormit, il pria le Très-Haut. Bynarr, souhaita de ne plus être visité pour prier lenfant avec toute sa ferveur, ce quil fit jusquà minuit, lorsque le Tout-Puissant le rappela. Le lendemain, on retrouva Bynarr mort, les mains en signe de prière, les yeux fermés et le sourire de la satisfaction du travail accompli aux lèvres. Au même moment, le petit enfant quil avait accueilli se réveilla, guéri. En dehors de sa maison, on trouva plusieurs dizaines de lys. Plusieurs Sémurois ont confirmé quil fut toute sa vie en parfaite santé et que, chaque jour, il entretint les lys.
Ce passage nous montre Bynarr tel qu'en lui-même, un homme de coeur, proche du peuple et de ses fidèles, ne se contentant pas de prêcher l'amour et l'amitié aristotéliciennes, mais la pratiquant chaque jour en se mettant au service de la communauté et des autres et même sa mort, comme on le voit, il la voulut utile et au service d'autrui.
Oui, c'était cela Bynarr, celui qui savait voir les potentialités des gens et savait leur donner le pied à l'étrier, celui qui aidait le pauvre vagabond quand il arrivait à Semur et lui prodiguait aide et conseil, à l'exemple de Christos, celui qui, le premier, avait compris que l'on prêche autant par l'exemple et le dévouement que par les messes et qui s'efforça de mettre sur pied le premier séminaire de l'Eglise à Lyon dont il devint archevêque.
Enfin c'était un homme qui, conformément aux recommandations d'Aristote, vivait pleinement au sein de la cité: il fut un des animateurs d'un parti aujourd'hui défunt, le VIENS et fut amené, quoique son humilité en souffrît beaucoup, à exercer la régence du duché alors qu'il aspirait déjà au repos.
Oui, Bynarr, c'était tout cela et bien plus encore, et si j'avais une conclusion à donner à ce sermon singulier que j'ai voulu afin que tous sachent quel homme il était, ce serait l'une de ses phrases favorites
Citation:"En avançant lentement, on avance quand même"
Quelles que soient les difficultés de la vie, quelles que soient ses entraves, ses embûches, ses liens qui nous empêchent d'avancer aussi vite ou dans la direction que nous souhaitions prendre, il ne faut jamais renoncer et continuer malgré tout, car sans le savoir, nous effectuons toujours un petit pas vers ce à quoi l'on tend, jusqu'où jour où cela finit par payer.
Ne regrettons pas non plus la mort de Bynarr, il ne l'aurait pas voulu et cela serait trahir le sens de son engagement. Non, ne la regrettons pas car elle fut le plus pur exemple de la confiance dans la Grâce divine, cette infinie bonté de Dieu qu'aucune loi, aucun règlement ni aucun dogme ne sauraient borner ou limiter, tant elle est immense, cette assurance que quoi qu'il ait pu faire dans sa vie, Dieu verrait la pureté de ses intentions et lui ouvrirait les portes du Paradis solaire et de la vie éternelle.
Aussi, mes biens chers frères et soeurs, ne pleurons pas Bynarr, ne l'implorons pas non plus comme une idôle païenne, mais imitons tout simplement son exemple et sa vie parce que là se trouvent la véritable pureté, la véritable droiture et le chemin qui conduisent à la Vie éternelle à laquelle nous aspirons tous.
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Recteur de la Congrégation de Saint-Thomas
Ex-Recteur du Chapitre Régulier Romain,
vicaire de Semur, théologue du St-Office,
Conseiller semurois