Finn
[*« La vie est une drôle de chose. »]
D'un côté l'épée, de l'autre la bure. L'épée décorative sur laquelle s'étend une sirène, chimère illustrant Quiberon, immaculée. Et le vieux froc de bure usé qui lui fut cédé alors que l'Irlandais, encore jeune et fringuant puceau, faisait son entrée au monastère. Il a souffert les errances de son propriétaire. Une vie dissolue qui l'aura vu finir au fond d'un placard après deux générations de bons et loyaux services. Le souvenir hante encore chaque maille du tissu. Impossible de ne pas se remémorer l'homme de foy qu'il représente et celui qui l'a souillé. Un vélin s'étale devant ce dernier et la plume crisse après plus de vingt ans de silence.
D'un côté l'épée, de l'autre la bure. L'épée décorative sur laquelle s'étend une sirène, chimère illustrant Quiberon, immaculée. Et le vieux froc de bure usé qui lui fut cédé alors que l'Irlandais, encore jeune et fringuant puceau, faisait son entrée au monastère. Il a souffert les errances de son propriétaire. Une vie dissolue qui l'aura vu finir au fond d'un placard après deux générations de bons et loyaux services. Le souvenir hante encore chaque maille du tissu. Impossible de ne pas se remémorer l'homme de foy qu'il représente et celui qui l'a souillé. Un vélin s'étale devant ce dernier et la plume crisse après plus de vingt ans de silence.
Citation:
- À Dónall Ó Mórdha,
Vieux con de mon enfance,
Êtes-vous toujours de ce monde ? Je l'espère, cette encre m'a coûté une petite fortune et je crains que vos compagnons les asticots n'apprécient le sacrifice à sa juste valeur. Encore que, de mémoire, vous n'ayez jamais estimé la nécessité de posséder, préférant l'austérité d'une vie dévouée à notre très cher Seigneur. Selon vos vux, j'ai moi-même essayé de m'y consacrer. Hélas et ça vous l'ignorez probablement, en vain. Mais même la meilleure des volontés humaines n'est rien face à celle de Dieu. Et il semblerait qu'Il ait eu d'autres projets pour moi. Peut-être moins pieux, très certainement moins honorables, mais davantage en accord avec la nature dont Il m'a doté. Et elle aime se cacher. Il m'est apparu très tardivement que cet échec était en réalité un succès, que ma place dans ce monde ne se trouvait pas sur une chaire ecclésiastique mais dans la fièvre des combats. Vous avez reçu le don d'accompagner les âmes le temps de leur passage sur Terre et, moi, celui de sonner leur retour auprès de notre Créateur. Dans la nuit de la mort, il n'est pas aisé de distinguer ce premier guide de l'autre. N'allez pas croire que je me dédouane, mes péchés sont nombreux et tels que vous n'aurez pas à souffrir leur lecture au crépuscule de votre existence.
Reposez-vous plutôt, la conscience tranquille, mais sachez que le petit « bâtard » que vous avez vu grandir a décidé de renouer avec son ascendance. La vie m'étant devenu trop pénible sous le nom que j'empruntais à une camarade disparue mais qui fut longtemps ma famille, je dois me tourner vers l'avenir en faisant table rase du passé. Et quel meilleur patronyme que celui qui me revient de droit, le vôtre ? Celui qui, pour je ne sais quelle obscure raison, m'a été refusé à ma naissance. Vous seul savez, moi je n'ai que des hypothèses au regard de ce que vous m'avez conté de votre propre histoire. Et, pour être franc, votre appétit pour le secret n'a plus l'heur de m'intriguer. Du temps qui m'est imparti ici-bas, j'ai déjà brûlé la moitié, peut-être même plus. Je ne passerai pas celui qui me reste à tenter de résoudre votre énigme. Un soir d'ivresse, vous avez fait voler en éclat mes certitudes sans vous embarrasser d'explications. C'est tout ce que je sais et cela me suffit. De même, le reflet que je retrouve chaque fois qu'il m'est donné de croiser un miroir n'est pas aussi bon menteur que vous. À quelques accidents près, on jurerait y voir votre portrait.
À ce pli, vous trouverez joint la bure que vous m'avez offerte, celle qui fut vôtre et qui le redevient.
- Fait à Quiberon, le 31ème jour d'Octobre 1461.
Finn Ó Mórdha,
Chevalier de Kiberen.
Un dernier regard au vêtement devenu chiffon sans que l'ombre d'un doute ne l'effleure. Prochain arrêt : Tír Chonaill.
_________________