Hyacinthe
Froid matin. La damoiselle Hyacinthe resserre la peau de bête sur elle. Certes, depuis quelques jours, elle est officiellement Bretonne et possède une petite maisonnette. Vide. Inconfortable. Mais elle a un toit au dessus de la tête, et une serrure à la porte qui lui permet de se sentir en sécurité.
La petite princesse Danoise est tombée bien bas, et elle comprend mieux désormais la phrase de feu son frère : "la Liberté a toujours un prix Hyacinthe ; celui-ci est parfois exhorbitant. Réfléchis-y avant de commettre l'Irréparable."
Bien sûr, elle n'avait pas réfléchi. Quand on est jeune, belle et que son éducation permet de cotoyer les plus grands penseurs de l'époque, on se prend à rêver des horizons les plus fous, des plus audacieuses évasions. On s'imagine avoir tous les talents, avoir la force de se tirer des pires situations. Joli pied de nez au Destin que de nager à contre courant ...
Quoiqu'en regardant la pièce vide, et l'humble paillasse de fortune sur laquelle elle dort, elle ne le trouve plus si joli.
Après l'étrange voyage, escortée par le Sieur Guilhem, un rustre qui s'était permis de la contraindre à bien des caprices, sous prétexte de relier la Bretagne en toute sécurité, la voilà livrée à elle-même dans cette non-moins étrange contrée. Peu d'argent, pas de mobilier, aucune servante, quelques livres et potions ... à peine de quoi se soigner. Pauvreté. Humilité. Et depuis quelques temps, un profond découragement.
Etait-ce donc une épreuve envoyée par le Très Haut ? ou une punition Divine ? C'en était grandement cruel. Elle ignorait de beaucoup comment survivre sans le sou et sans personnes à son service.
Il lui fallait aller au marché elle même, cuisiner ... Dieu que c'était compliqué, et elle finirait par adopter le conseil donné tantôt par Finn, manger en taverne. Se rendre au puit, et devoir tirer de l'eau, le porter jusqu'à la maisonnée, ne pas renverser ...
Il fallait aussi entretenir la maison, ramener du bois pour réchauffer les lieux, et allumer un feu n'avait rien de si aisé ou évident, quoique les voyageurs puissent en dire.
Il fallait aussi nettoyer le linge au lavoir, et ses mains autrefois si douces et blanches, devenaient rugueuses. Ensuite, il devait sécher ; et s'habiller seule était toute une épreuve également. C'était sans parler de la coiffure.
Bref ...
Voilà ce qui faisait de Hyacinthe une jeune érudite désemparée. Aussi, après avoir entendu cent fois en taverne :
" Puis-je vous aider ?" ... Se transformer en : "je ne peux rien pour vous",
Elle avait décidé de saisir la main tendue, la seule qui ne lui soit pas inconnue. Messire Finn ... ce lointain voyageur, râleur oui mais au grand coeur. Enfin, il lui semblait s'en souvenir de cette façon. Un homme qui n'aimait guère ceux de son espèce, mais qui lui avait rendu service à un moment inespéré. Peut être le miracle allait il se réitérer.
Voilà ce qui la motiva à quitter sa peau de bête, à s'apprêter comme si rien n'avait changé dans sa condition, et à s'acharner pour se peigner et se coiffer. Il ne fallait pas inspirer pitié, plutôt choisir d'inspirer confiance et dégager un peu d'assurance. Elle quitta la maisonnée avec une petite brioche aux fruits confits, achetée la veille au marché. Elle n'en oubliait pas les bonnes manières et de l'invitation elle comptait le remercier. Elle resta un moment à observer l'Eglise, en face de laquelle elle avait choisi d'établir demeure, pour garder la Foi quoiqu'il arrive, et demanda à un villageois de lui indiquer le chemin de la lice. L'Irlandais lui avait dit entre l'Eglise et la Lice, ça ne devait pas être très éloigné de chez elle, et devant la brise levante, elle resserra sa houppelande turquoise sur elle, remerciant le ciel d'avoir de chaudes bottes pour la protéger des immondices des ruelles et de leur humidité.
Et c'est en peu de temps qu'elle trouva la fameuse demeure, l'homme imposant travaillant à son atelier de boucherie, dont la porte entrouverte laissait passer des effluves et des coulées de ... sang. Par Dieu ... de tous les métiers, il avait fallu qu'il soit boucher. N'osant s'approcher, la scène s'avérant tout de même des plus menaçantes et des moins confortables, Hyacinthe haussa un peu la voix avant de s'exprimer d'un :
- Messsire Finn ? Excusez-moi de passer à l'improviste. Je voulais répondre à votre invitation, mais peut-être préféreriez vous que je passe à un autre moment, non ?
L'acharnement avec lequel travaillait l'homme avec les couteaux et le hachoir eut vite fait de la mettre mal à l'aise. L'ami imaginaire dont elle s'était élaborée une précieuse image, maniait évidemment la plume ... non pas le hachoir, le couperet ou la scie de ménage ! Voilà ce qu'il en coûte de rêver sa vie.
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