Finn
- [... De botte.]
Avachi sur un siège, l'Irlandais contemple la foule de badauds que l'hiver a sorti de leurs misérables chaumières. En cette matinée de décembre, la quiétude de la grande salle est troublée par un attroupement de plaignants venus réclamer audience au château. Peu à peu, l'ennui gagne le Chevalier, et le coude posé, son menton aux poils hirsutes s'écrase avec une grande lassitude dans sa paume. Il n'entend que jérémiades sur jérémiades. Quand c'est pas le climat qui met le feu aux fourches, c'est une vieille bonne femme venu s'inquiéter que ses poules lui pondent des ufs carrés... Sorcellerie ! Il l'aurait bien fait flamber celle-là. L'Altesse trônant à ses côtés et présidant l'interminable séance de doléances s'attire toute son admiration. Elle n'a même pas l'air de vouloir flancher quand lui menace à tout instant de rejoindre le pays des songes. Des années de pratique, sans doute. Si ça ne tenait qu'à lui, la mortalité de la presqu'île chuterait après chaque session du genre.
Au bout d'un moment qui fut long, n'y tenant plus, il se penche à l'oreille de sa suzeraine :
- « Excusez-moi, je reviens. »
Et de s'éclipser sans demander son reste.
- [Plus tard, dans la file d'attente.]
Ça bouscule, ça chahute. L'envers du décor n'est pas bien reluisant. Mais l'idée lui est apparue en allant pisser dans la cour : pourquoi pas lui ? Le Gaélique a eu tout le temps d'étudier le système : il suffit d'attendre son tour pour se faire exaucer. Alors pourquoi pas lui, hein ?
Jouant des coudes dans la mêlée, l'Irlandais patiente presque sagement.
- « Rah mais poussez pas, bon Dieu, on va tous y passer ! »
- « C'est derrière, y a une femme enceinte qu'essaie d'doubler ! »
- « Chacun son TOUR ! », grogne le Frisé avant de menacer ladite resquilleuse en imitant le tracé d'une dague sur sa gorge avec le doigt.
Tournant comme un lion en cage au milieu de la gueusaille, il commence à se demander s'il n'aurait pas mieux fait de faire valoir son statut de vassal, pour une fois. Mais arrivant au terme de son attente, l'Irlandais se précipite dans la salle et s'avance, l'épée quiberonnaise au flanc, pour aller s'incliner avec déférence devant la maîtresse des lieues.
- « Bien l'bonjour, Prinsez. Comment se porte Son Altesse, en cette fraîche journée ? », répète le Gaélique après avoir entendu tous les autres lui servir la même soupe.
Il se racle la gorge.
- « Alors moi, j'aurais trois requêtes. » Rien que ça. « La première, pour ma jeune sur. La pauvre petite loge chez moi depuis des jours et se languit de trouver un gagne-pain honnête. J'lui ai promis de vous en toucher deux mots. Deuxièmement, j'aimerais faire pendre lui.. là. » Imprimant un quart de tour, l'Irlandais pointe du doigt le fermier derrière lui. « Il m'a marché sur l'pied. »
Et le meilleur pour la fin.
- « Troisièmement... »
Le Chevalier pose un genou à terre et ouvre sa main sur un petit anneau d'or fin, damasquiné d'entrelacs celtiques sur l'extérieur, et frappé à l'intérieur des mots suivants : « Deux bottes valent mieux qu'une. » Et d'une voix prenant à témoin tous les présents :
- « Marzina eus Montforzh-Penteür, Prinsez Breizh ha Baronez Kiberen... Consentiriez-vous à vous unir à moi, d'âme et de corps , sous le regard bienfaisant de Dieu notre Tout Puissant Seigneur ?... Voudriez-vous m'épouser, quoi ? »
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