--Mathilda.
C'est qu'elle sourirait presque, la discrète Mathilda.
"C'est Mathilda, Chevalier", le reprend-elle, "et vous ne pouvez me renvoyer, je travaille pour l'Altesse, elle seule est à même de me retirer mon travail. Vous êtes Chevalier, vous êtes son vassal, vous n'avez pas pouvoir de relever qui que ce soit de ses fonctions. Les seuls pouvoirs que vous ayez, sont ceux délégués par l'Altesse."
Une petite pause pour reprendre sa respiration. Rien qui soit en mesure de perturber le calme olympien de la jeune demoiselle, elle est au service quotidien de l'Altesse, elle a vu bien pire.
"Ainsi, le seul pouvoir qui vous est donné à ce jour, est celui de décider aux doléances de ce jour. Doléances qui dureront soit jusqu'au dernier quiberonnais, soit jusqu'au repas du soir. Ainsi l'a décidé Son Altesse."
Elle se leva et s'avança vers les portes, avant de sonner une petite cloche, et de retourner se rasseoir à son écritoire, prête à prendre les notes.
--Morvan
Il est le premier à venir. Pas parce qu'il était levé le premier, non. Il a plutôt l'habitude d'aller roupiller dans le foin après avoir picolé la nuit entière chez qui voulait bien lui remplir son godet gratis, alors n'allez pas imaginer qu'il serait levé alors que le soleil n'a pas encore paru! Non, il est arrivé le dernier, et il a défoncé quelques tronches et poussé sans ménagement quelques femmes pour arriver le premier dans la salle. Parce que sa demande était urgentissime. D'ailleurs, il ne manquerait pas de le faire remarquer.
Remontant ses braies pour couvrir un ventre qui certes, mettait plus de temps à s'arrondir que celui de l'Altesse, mais avait de l'avance sur le sien, il s'avance jusque devant le trône. Puis cligne de ses yeux vitreux. Non seulement le trône n'est plus au milieu, mais y'a pas de blonde dessus.
Il darde un regard stupéfait sur l'Irlandais.
"Elle est où l'Altesse?!"
Vous repasserez pour les convenances et autres politesses. Il ne faisait pas partie de ceux que la blonde avait décidé de faire passer devant l'Irlandais, mais fait plutôt partie de ceux qui s'invitent sans y être attendus.
"Burp."
Agitant sa main devant sa bouche en fronçant le museau, il explique:
"C'est l'lambig d'hier. Ça se mélange mal avec la bière."
Puis il se redresse.
"Dites, l'Altesse est pas là, mais vous pourriez peut-être faire quelque chose pour moi."
Tournant le visage sur la gauche, parce qu'il voit mieux de l'oeil droit, il plisse ce dernier sur l'Irlandais.
"Ah ca y est, je vous remets! Z'êtes le ch'valier, pas vrai?!"
Un grand sourire parsemé de trous vient ponctuer la déduction. C'est qu'il est fier de lui d'avoir trouvé malgré son grammage. Et si son grammage justement, se rapporte à son plumage, et bien on n'est pas dans la merde. L'Irlandais surtout. L'animal Morvan s'est souvenu avoir picolé avec lui et les gardes la dernière fois. C'est le genre de choses qu'il n'oublie pas.
Coup d'oeil à gauche. Coup d'oeil à droite.
"Y'a toujours rien à boire ni à grailler ici?!"
Le regard se remet sur le chevalier.
"Z'auriez pas une chaise comme la vôtre pour moi?"
Puisqu'on est entre copains.
--Morvan
Chancelant d'un pied sur l'autre, Morvan se prend le front d'une main. C'est que, vous voyez, il a un peu mal au crâne. Il le trouve franchement moins drôle, le loustic en face de lui.
"Yaaa...Je VOIS! Monsieur il a un trône, alors bon, les copains on les oublie!"
Retenant l'alcool qui cherchait à s'échapper avec un "humpfeuh", il se redresse.
"Bon, c'pas grave, je venais pas pour ça de toute façon."
Bien que ca lui aurait pas déplu, quand même, de se taper la causette autour d'un godet. Il se gratte la tête avec un air benêt.
"Hmm...je crois que j'ai oublié. Attend un peu copain...ca va me revenir!"
Nouvelle remontée acide contrôlée.
"Enfin ca serait mieux revenu avec un p'tit pichet de vin quand même!"
Mais voilà que ca y est, l'illumination fuse.
"Ah ouaaaaaais! Non mais ca y est. Je SAIS."
Et avec un grand sourire, il annonce sans détour:
"Vous voyez, le frère de l'Altesse? Le grand baraqué là, qui cherche toujours à faire tomber vot'tête quand il est contrarié? Et bien LUI, il a une belle volière. Avec de délicieux volailles. Nous, on en a pas. Et je trouve que ca craint du boudin. Parce que v'voyez, on a l'air de minus. On mange quoi, de la poule? Vous, peut-être un bout de faisan. Du canard même! J'avoue, le canard rôti, ca a la classe. MAIS, les volailles de Rézé, y'a rien de mieux."
Grand mouvement du bras pour annoncer qu'il conclut, manquant de s'étaler à terre, se retenant avec de grands moulinets des bras.
"Alors voilà, j'en ai marre de devoir aller jusqu'à Rézé pour manger de la volaille digne de ce nom. Je dis qu'il nous faut une volière au moins aussi bien que celle de l'Altesse-frère."
Et de se redresser, sûr de sa requête.
--Matilin
Alors qu'un garde lui fait signe de s'avancer, Matilin observe la reconduite musclée du précédent "client" par deux gardes. Pas franchement engageant.
"IMPOSTEUR! Qu'avez-vous fait de l'Altesse?! Je veux un avocaaaaaat!"
Non, plutôt étrange en vrai. Matilin aurait bien voulu y réfléchir encore un peu avant de présenter sa requête, ca ne semblait pas être un bon jour pour venir réclamer...Mais c'était trop tard maintenant qu'il avait un pied dans la pièce; il sentait déjà les regards des deux présents là bas plus loin. Il s'avança humblement, son couvre-chef à la main, adressa un signe de tête respectueux au chevalier "Chevalier", puis à la demoiselle de compagnie. Légèrement recroquevillé sur lui-même, il annonça d'une voix intimidée:
"Chevalier...Je viens vous voir au sujet de la répartition du varech. Je suis Matilin, humble cueilleur de plantes."
Il prit une grande inspiration avant de continuer, ayant peine à lever les yeux vers l'Irlandais.
"Voyez, il se trouve qu'à chaque ramassage, ceux qui possèdent le plus viennent avec charrettes et juments, ainsi que leurs gens. Ainsi ils récoltent grande partie du varech, et nous autres, n'ayant que nos bras et enfants pour récolter, ne revenons qu'avec une très petite quantité, bien peu pour tenir l'hiver durant, surtout les grands froids."
--Olier
Il était resté parmi les autres, écoutant ce qui se disait, et quelle ne fût pas sa surprise! Ce moins que rien, ce déchet, ce bon à rien de loqueteux qui venait contester le système du varech, appliqué de tous temps! S'énervant, Olier fit signe aux gardes de le laisser passer, et il s'avança à travers la pièce pour venir se placer devant Matilin. Le contraste entre les deux hommes était saisissant: Olier était aussi propre sur lui et bien habillé que Matilin était pauvre et humble sur lui. Le visage d'Olier devint bientôt aussi rouge que le reste de ses vêtements.
"Seigneur!", tonna-t-il vers Finn, "Olier Le Guilly, boulanger. Je ne vois pas où ce bon à rien vient remettre en cause le ramassage du varech! Comment nous, artisans quiberonnais, serions-nous en mesure de fabriquer le pain sans le varech pour faire chauffer nos fours à pain?! Le pain que nous achète régulièrement le château, le pain que vous-même mangez -et que je puis vous agrémenter d'une bouteille de vin gouleyante à souhait à la prochaine livraison-, et bien pour vous fabriquer ce pain, nous autres avons besoin du varech! Les bons à rien n'ont qu'à s'activer un peu plus s'ils veulent se chauffer les miches!"
--Matilin
L'intervention d'Olier l'avait scandalisé. Rien d'étonnant à cela: monsieur protégeait une fois de plus son petit profit en écrasant les petites gens! Matilin lui lança un regard franchement haineux au bourgeois, puis se tourna à nouveau vers Finn, étonné de sa question sur son métier.
"Et bien messire...je les vends sur le marché, à qui en a besoin."
Que dire d'autre? Matilin n'est pas adepte des grands discours. Il ose à peine répondre à l'autre question de Finn, parce que s'il est venu aux doléances, c'est bien parce qu'il trouve justement la situation très injuste. Alors il bégaie maladroitement, tripotant de rebord de son chapeau en parlant.
"Messire Chevalier je...c'est que j'ai une femme, et des enfants. Ils ont froid, l'hiver. La petite dernière a attrapé le mal dernièrement. Mais je m'en remets à votre décision, bien entendu."
--Aodren
"On ne me verra jamais récolter pour le bénéfice de ces bons à rien! Jamais!"
Le bourgeois était passé à côté de lui, le bousculant. Il n'avait jamais accepté ce genre de comportement. Se redressant de toute la hauteur de ses 2m, exhibant sa musculature développée, il barra le passage d'Olier. Ce petit gras du bide se mit à grogner.
"Digarez*, je n'ai pas entendu, qu'est-ce que tu dis?"
Oh pour sûr, il lisait dans ses yeux qu'il avait envie de lui répondre d'une remarque cinglante. Mais il remarquait également son regard vers le corps que sa profession avait sculpté au fil des années.
"Je veux passer."
Un grand sourire hypocrite se dessina sur le visage d'Aodren.
"Je t'en prie Sa Majesté."
Et en ricanant il le laissa passer avant de s'avancer à son tour vers le chevalier.
"Chevalier, je suis Aodren, chef de la guilde des marchands ambulants. Je viens pour me plaindre des charrettes qui sont garées en double file en plein centre-bourg. C'est une plaie Messire! J'arrive avec ma propre charrette pleine, et je dois faire des arrêts fréquents pour livrer mes clients en produits de toute sorte. Je me dois d'être ponctuel, dans ma profession. Sauf que voilà, sans arrêt il y a des embouteillages dans les rues à cause des charrettes de confort qui sont garées devant les logis de leurs propriétaires et empêchent les marchands de passer! Si vous saviez le temps que l'on perd à faire bouger ses charrettes, quand en plus on ne se fait pas agresser par le propriétaire qui refuse de bouger son véhicule malgré la gêne que cela entraine!"
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*digarez = pardon
Mevena
Elle attend son tour et en attendant, arrange un peu son décolleté. Il faut mettre en valeur la marchandise à chaque occasion, parce que n'importe quel homme est un client potentiel. Elle n'écoute qu'à moitié ce qui se dit, retirant une mèche par ici, rajustant une paire de bas par là...Quand soudain dans la salle, un grand vent de huées se fait entendre, bientôt suivi par des protestations. Elle sautille un peu pour voir ce qui se passe, elle n'est pas bien grande. Elle voit passer Aodren qui se prend des coups discrets alors qu'il sort de la salle, tandis que la clameur s'en prend au chevalier ici présent.
Se contrefichant totalement des "c'est injuste!", les "ramenez-nous l'Altesse!" ou encore "c'est avec votre chaise qu'on va se chauffer ya!", elle s'avance en roulant des hanches. Affichant un sourire aguicheur, elle met en avant ses atouts, prenant une pose lascive.
"Demat Seigneuuur...Alors v'là, mon commerce marche plutôt bien en c'moment, et j'ai d'plus en plus d'clients. On n'est pas trop regardante vous savez, une meuleu'd'foin ou même une dune suffisent à faire la p'tite affaire, vous m'suivez? Mais v'là, parfois on se fait surprendre, et l'client l'est point content. S'femme aime pas trop ça ou..."
Elle baisse la voix.
"M'sieur l'curé est embêté quand on l'surprend, ses ouailles trouvent que c'pas trop montrer l'exemple...Il paie mal, mais il m'confesse à la fin."
Et puis plus haut elle demande:
"Alors voilà, j'voudrions un endroit pour faire la chose tranquillement, et qu'mes clients ont plus de problèmes!"
Une acclamation dans la foule suivit son discours et elle en profita pour lui glisser:
"J'pouvions même vous faire un prix, ca nous changera d'avoir du client propret!"