Praseodyme
Cestoit pendant lhorreur dune profonde nuict. Un vent mordant, descendu en hurlant du septentrion, agitait les branches tordues des arbustes dénudés, fouettant la cape brune de la femme. Elle se tenait tapie dans lombre du hallier, insensible au froid qui montait du sol, scrutant le chemin en contrebas, vers un carrefour éclairé par la pâle lueur dune lune en forme de rognure dongle jaunie. Praséodyme (car sestoit elle), nom de code Maman Poule, guettait patiemment larrivée de sa proie. Cestoit une poule sauvage, du genre de celles qui combattent, et de préférence du côté obscur de la basse-cour. La patience estoit une vertu première, dans son secteur dactivité professionnelle, alors Praséodyme attendait patiemment.
Quelques jours auparavant, une petite troupe sestoit mise en branle, mêlant de vieux briscard blanchis sous le harnois à quelques jeunes pousses avides den découdre, et qui représentaient lavenir de la Famille. A poinct nommé, la bande sestoit séparée en deux groupes, daucuns partant en un sens, les autres en autre sens, à fins de labourer au plus juste le champ des possibles. Maman Poule menait dans son sillage une poulette dexpérience, et deux jeunes poulets de lannée, pour faire que ceux-ci se familiarisent avec la pratique. Le brigandage en groupe est un art délicat, et il nécessite une bonne dose de coordination, il repose sur la confiance mutuelle et lintelligence commune, tout le monde vous dira, pour peu quil se fût essayé un jour ou plutôt, une nuict à lexercice, que ça ne simprovise pas. Bref, leur progression les avait menés à lendroit choisi par la coordinatrice en chef. En tout il faut un minimum dorganisation, sinon cest le bazar pire que chez les Maures.
Praséodyme avait disposé ses poulets de combat autour du poinct stratégique. Peu de temps auparavant, ils avaient eu connaissance de la présence dans la contrée de deux aimables voyageurs qui ne se génaient poinct darborer à leurs ceinture, fort ostensiblement, de belles bourses bien gonflées, qui tintaillaient et sonnaillaient allègrement au rythme de leur moindre mouvement. Trop beaux pour être honnêtes ? Un piège ? Fort possible. Mais devant lappât dun gain supposé facile, la prudence satténue, et le groupe, après en avoir discuté, pesé le pour et estimé le contre, avait décidé de tendre une chausse-trappe sur leur supposé passage. Après tout, comme le disent les anglois, lesquels bien quils soient fort fourbes sont plutôt sensés, pas de peine, pas de gain. Alors Praséodyme attendait patiemment que passe la Poule aux ufs d'Or.
Le brigandage, vous ais-je dis, cest beaucoup de patience, et dorganisation, et de coordination. Et aussi de chance. Hors la malchance sen mêla, et voulu quau moment où le bruit des pas claquant sur le chemin gelé annonça la venue des innocents et gras voyageurs bons pour être dépouillés de tout leur avoir, un épais ruban de nuées sen vint se placer dans le rayon de la lune, et jeta une ombre épaisse sur le chemin. Praséodyme eut beau écarquiller ses yeux, elle ny voyait goutte, tout juste une vague silhouette savançant vers le milieu du carrefour. En un instant sa décision fut prise. Elle se dressa dun bond, releva le pan de sa cape, sortit sa bâtarde de son fourreau, et bondit sur le chemin en meuglant à lattention de ses compaingnons de rapine :
A moi, mes beaux poulets ! Taïaut ! Pas de quartier, tranche, pique, tue !
Elle se rua sur la silhouette imprécise, la bouscula, la jeta au sol, lui appliqua sa lame sur la gorge, et lui lança :
Ta bourse, bon bourgeois, donne tes écus, crache ton or, fais-moi riche !
Et elle riait par avance du plaisir quelle aurait à faire couler le métal doré en cascade. Ce fût à ce moment que le vent poussa la nuée, et que la lune sen vint éclairer le chemin, et la mine épouvantée dun pauvre hère, cloué au sol par la terrible lame de Maman Poule, un miséreux vêtu de haillons, la ceinture vide de toute bourse, les poches vides de tout objet. Rien. Pas même une dent en or dans la bouche. Praséodyme retira son épée, se rejeta en arrière, et rugit de façon terrible en direction de la lune.
Aaaahhh ! Sélène, fille de garce ! Tu mas fait manquer mon coup, maudite !
Elle se pencha en avant, releva le pauvre bougre, et le poussa violemment sur le chemin en lui bottant lourdement le fondement de sa botte ferrée.
Dégage, maraud ! Ta pauvreté moffense ! Hors de ma vue, fuis avant que je ne toccisse !
Puis, revenant aux réalités, elle se retourna vers ses compaignons, se demandant soudainement à quel poinct ils en étaient de leur aventure, et où en estoit leur Fortune
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