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saints songes

--La_pucelle


[Périgord vert]

Une fine pluie s’abattait à traits continus sur la carapace immaculée comme autant de flèches ennemies. La cavalière, juchée sur son blanc destrier, bien en selle, franchissait alors la frontière entre ses terres de Saintonge et celles voisines, du Périgord. Ce pays, où elle avait jurée jadis de ne plus remettre une chausse, s’étendait devant elle à perte de vue. Retenant sa monture, elle marqua une pause et, une fois que son écuyer fut à sa hauteur, elle dit de sa voix haute et claire :


Nous entrons en Peyragort, Henri.
Je n'accroyais poinct, il y a quelques semaines encore remettre un jour une chausse en cette province.


Oane reposa la main sur le pommeau de sa selle lors que le dénommé Henri tournait son visage vers sa mestresse.

Note que je n'accroyais pas non plus que le barbare rejoindrait si tôt le Très Haut. Je l’imaginais plutôt se mariant à la Bayle et bientôt père de huit braillards. Toujours beau parleur, toujours à chercher les noises, toujours rustre et un brin stupide, bref en un mot, toujours vivant.


En fait, ca faisait deux mot, certes. Deux jours déjà que la Dame de Fer chevauchait depuis son confortable ostel de Surgères en direction de Sarlat. Ce voyage impromptu venait perturber tous ses plans : la comtesse était sur le point d’emmener sa compagnie rejoindre le prince là bas, plus au sud, en Guyenne. Elle avait songé alors passer en Périgord clore un chapitre resté entrouvert. Jamais elle n’avait imaginé que ce serait dans de telles circonstances. Oane ressentait à nouveau cette boule aussi lourde que du plomb grandir au creux d’elle et éteindre sa gorge. Le souffle vint à lui manquer, la voix d'Henri vint interrompre le fil de cette pendaison intérieure.

Olé qui c’te barbare pour qui vous m'faites galoper d’pis deux jours à fond d’train ? Devait être rud’ment important pour vous, comtesse !?

Oane resta immobile, sa jument piaffa. Elle plissa les yeux.


Il a choisi de ne poinct l’estre.

Pourquoi tant d’empressement à retrouver son cadavre alors ? Nos bestes ont b’soin d’repos et pis nous aussi.

La Pucelle haussa un sourcil au mot cadavre, elle pausa son regard bleu sur le gamin, elle savait qu’il avait raison.


Sa dépouille serait plus approprié Henri. Sa dépouille...

Oane clot ses paupières un instant et la voilà assasillie par l'image de ce grand corps de barbare allongé et immobile, pris dans cette gangue que la rude combattante ne connaissait que trop bien ; elle sentit à nouvau le pércipice s'ouvrir sous ses pieds et rouvrit les yeux inspirant à plein poumon ; son visage redevenu de marbre, elle ajouta :

Je ne saurai dire, Henri. Puisqu’il est mort rien ne presse.
Et pourtant... au fond de moe, je ressens... je ne sais... comme un "sentiment d’urgence".


Oane talonna sa monture et, sans mot dire, descendit de la colline. Ils avancèrent ainsi des heures, sous la pluie qui se raréfiait et un ciel toujours plus bas et sombre ; ils passèrent entre les grands chênes qui formaient comme un océan désormais brun. La pluie avait cessé. Devant leur bouche étaient suspendus des nuages.
Henri_potier
Henri se gratta le bout du nez. il avait mal aux fesses et était trempé jusqu'aux os

V'là ti qui neigeotte !

Le gamin tendit la main pour attraper un flocon entre ses doigts. Ben franchement olété une sacrée bonne décision d'pas r'mettre un orteil icelieu ! Dommage qu'la comtesse ait changé d'avis pour ce macchabée. D’t' façon, ces derniers temps... toute la maisonnée dit qu'elle yoyote de la touffe, la Surgères. Il jeta un coup d’oeil à la dérobée sur l'archicomtesse qui avancait d'vant lui. La Gandrélina m'a dit l"aut’ jour d’la surveiller d'près. Surtout la nuit : parait qu'elle s'lève sans crier gare et pof pof, elle part toute débrayée, les pieds nus, sur les routes seulette. La garçon imagine très bien la scène et rougit ; il a déjà vu une fois la comtesse en chemise de nuit, ses longs cheveux noirs lâchés sur ses épaules blanches et nues et ce souvenir lui tourne encore les sens, ça picote en dedans et ca tend ses braies. Il se pince et se reprend. Martin l'aut' fois, il a dit qu'il l'a pêcho avant qu'elle se caparapate. Parait qu'elle était là sans être là, comme si elle dormait d'bout qu'il a dit. Henri se souvient encore du rictus concupiscent du soldat qui avait ajouté : l’était tellement pas là, la comtesse, qu' j’aurai pu en faire c’que j’voulais, t’vois ! E iul avait bmimé la suite avec force gestes. Henri frémissait encore à l’idée. Toutefois, il savait que si les hommes étaient nombreux à évoquer la beauté de la comtesse, et quelques uns à parler en des termes plus crus de parties charnues de son anatomie et de l’envie que cela suscitait en eux ; d’aucun n’avait jamais osé faire face à la Dame de Fer. L’on disait même parmi la garde qu’elle avait un soir en taverne, tranché la langue d’un gueux qui avait, fin saoule, oser l’embrasser sur la bouche . D’un autre, on disait qu’elle l’avait défié en duel, laminé et tailladé un O sur son torse ; marqué comme sa propriété à vie et fait juré de rester vierge jusqu’aux épousailles. Le gus était toujours puceau à c’jour ! Comme Elle. Certains disaient que ces récentes crises venaient de là. Une étrange fièvre prenait parfois disait-on les jeunes femmes encore vierges. Leur corps réclamaient leur du. Il fallait les marier au plus vite. D’autres disaient que la comtesse avait failli mourir lors de son naufrage en Breizh et que depuis l’esprit des Morts l’habitait. Dans tous les cas, personne ne savait quoi y faire, d’autant que la De Surgères s’obstinait à faire comme si de rien n’était, seule mestrese après Déos en ses terres.. Et v’là qu’elle avait décidé de fausser compagnie à sa compagnie pardi, pour cette lubie d’enterrer un illustre inconnu et qu’en plus c’était retomber sur lui, Henri Potier, écuyer en titre de sa Grandeur, de veiller sur les miches de la donzelle... Autant parler de Mission Impossible vu la donzelle. Henri se souvenait encore des paroles de Jehanne Quatrebarbe l‘intendante du domaine :

« Cette mission que je vous conseille vivement d’accepter sera de nous la ramener aussi INTACTE qu’au jour de son départ. Bien sur, si vous ou un de vos compagnons étaient pris ou tués, la maison De Surgères nierait avoir eu connaissance de vos agissements. Bonne chance Henri ».


Dans quel bourbier me suis-je encore fourré ?
--La_pucelle


[Périgord Vert]

Oane avance contre vent et neige. Droit devant. Il faut avancer. Vite.
Pourquoi se presser ? Fichtre : il est mort ! Pis : il a eu le culot de mourir !
Le cuistre.
Juste ce jour là.
Le Jour où Elle s'était enfin décidée.
Le Jour où Elle avait rendu les armes.
Voilà qu'il était mort empoisonné
Et ne lui laissait que regrets et larmes
Ah l'Infame !
Ah lOdieux, le Rustre !
Il était égal à lui-même dans la vie comme dans la mort !
La seule bonne nouvelle c'est que les visions allaient enfin la laisser en Paix.

La Dame de Fer serra plus fort les rênes dans un geste de colère et ralentit l'allure, les chênes centenaires de cette forêt interminable tendaient leurs branches comme autant de doigts griffus voulant se saisir d'elle. Tout lui paraissait menacant, oppressant ce jour d'hui.


Dans quel bourbier me suis-je encore fourré ?

Vous parlez tout seul Henri ? Allez ce ne sont pas quelque arbres qui vont vous effrayer parbleu !

Dites olé qu'nous pourrions monter l'camp, dormir un brin, la nuit olé tombée d'puis une cloche, bentôt on y verra pas plus qu'dans l'fond d 'un puits dans c'te sous bois.

Et depuis quand vous décidez d'où et quand on monte le camp ?


L'opale de porcelaine se rembrunit et la comtesse chevalière talonna sa monture pour accélerer l'allure. Bien sur, au fond, l'écuyer avait raison. Et en temps normal, la De Surgères aurait refusé de prendre des risques en avancant dans cette pénombre. Pourquoi diantre se pressait-elle ? Elle ne faisait pas revenir les morts d'outretombe et sa venue ne changerait rien à la fin tragique de l'Imbécile. Alors pourquoi risquer les ennuis ? La Dame de Fer dissimulait en fait sous son armure une trouille nouvelle.

Tout avait commencé lors du naufrage en terre de Breizh.
Ou plutôt en mer de Breizh.
Cette nuit là, après avoir réchappé à la mort par noyade, la sirène avait également faillit mourir de froid et d'épuisement. Etonnament, elle devait son Salut à un Grain de Sel. Toujours est-il que cette nuit là fut la première d'une longue série.

Au début, elle avait mit cela sur le compte de la fièvre qu'elle avait eu durant les trois jours suivants le naufrage. Mais même en ayant parfaitement recouvré la santé, cela continua et pis même : cela s'amplifia ! En effet, au lieu de se cantonner à ses rêves, elle se mit à l'entendre même éveillée, debout, en plein jour.

Ce fut tout d'abord un bruit de fond, un peu diffus, comme le ressac sur la grève, ou des murmures au fond d'un couloir, et une vague de lumière toujours plus vive, éblouissante. Quand celle-ci atteignait son paroxysme ; un doigts blanc jaillissait et se tendait dans la direction du sud. Tout au bout du doigt, une tâche dorée flottait un instant. Un sentiment terrible s'emparait alors d'elle, comme un cratère qui s'ouvrirait au fond de ses entrailles puis, une force immence brute, brulante s'écoulait hors d'elle ; elle sentait sans l'ombre d'un doute planer une sourde menace, violemment dans ses tripes et se réveillait en hurlant, le ventre noué, ses lourdes boucles d'un noir de jais emmelées, la poitrine soulevée par une apnée digne du nouveau né. Elle avait tout d'abord pensé que cela partirait bien vite, sans doute un effet de la proximité de la mort.
Au bout d'une dizaine de jour, lors même que le même scénario se répétait inlassablement, lui rendant ses nuits de pîètre qualité et du reste l'humeur massacrante, la voix se fit plus forte et la tache dorée plus précise.
"Oane, Oane..." était les mots prononcés en boucle au creux de son oreille par cette Voix. Et la silhouette du blond s'était faite plus précise ; elle l'aurait reconnu entre mille, meme si on lui avait présenté une seule partie de son anatomie, même la seule cheville : Soren.
La comtesse avait même eu l'impression de voir une silhouette de femme nimbée d'une aura de lumière parfois. Vision furtive.
Et cette voix, cette voix ! C'en était insupportable !
INSUPPORTABLE.
La comtesse avait finit par avoir peur de dormir.
Après une discussion avec Gandrélina, elle fut convaincue que ces étranges rêves ne pouvaient etre que cela, une sorte de message de son propre coeur à elle, réveillant à la veille de son mariage une ancienne blessure, un amour impossible.
Elle ne dormait plus guère que quelques heures par nuit depuis maintenant près d'un mois. Ses traits étaient tirés, son teint de cire.
Au fond d'elle, elle avait l'intime conviction que cela ne pouvait pas être cela, de simples délires d'amoureuse éconduite. Ces visions étaient si différentes, si réelles.... Mais qu'est-ce que cela pourrait bien être d'autres ?
Et pourtant quoi d'autre ?
A moins que...
Quel nouveau tour le MacFad lui jouait-il ?
Après tout avec lui, tout était possible. Le barbare était très ingénieux quand il s'agissait de lui rendre la vie impossible ! Elle l'avait vu à l'oeuvre, savait de quoi il était capable et ne serait même pas éttonée d'apprendre qu'il la faisait empoisonnée régulièrement par quelque substance propre à lui créer ces délires ou encore qu'il ait embauché quelques actrices habiles à lui faire accroire à la folie. Après tout, ne serait il pas capable de tout pour l'empêcher de s'unir à un autre ? Elle se souvenait de ses mots couchés sur le vélin...

Elle avait perdu pied.
Elle avait enfin répondu à ce courrier.
Ouvert la porte à tant de sentiments réfoulés, aussi vains qu'indignes.

Et maintenant, comme pour courroner le Tout, il était mort.
Les affres de la culpabilité s'ajoutait à la une Peine, immense et secrète dans sa démesure.
De plus, cette Solveig savait probablement tout, ayant eu accès à minima à leur échange épistolaire, qui sait ce qu'elle pourrait vouloir en faire ?.
Seule lueur dans cette tourmente : la Voix se tairait enfin, n'ayant plus de raison d'être.
Mais, cet espoir fut de courte durée.


Oane avait démonté, sous le regard satisfait de son écuyer, elle se tenait le long des flancs de sa monture, les rênes dans une main gantée, elle fixait un point précis.
Cette ... "appartition" était là,
Juste là,
Plus réelle que jamais.
Les océans étaient rivés sur la silhouette dans la pénombre des sous bois ;
Oane, le souffle coupé, bouche bée, les membres gourds était comme statufiée.
Une statut de métal au visage de porcelaine.
Bienheureuse_wilgeforte


    Récemment appelée à intervenir en faveur de l’archevêque Arnault d’Azayes, la bienheureuse avait effectué un détour par la Bourgogne où le schisme faisait rage. Elle s’apprêtait à retourner mener une vie contemplative depuis les plus hauts des cieux quand elle fut attirée par une intuition dont elle était inexplicablement certaine : elle avait une dernière personne à aider, et cette personne était vierge. Wilgeforte ne pouvait pas manquer de venir en aide à une vierge.

    Fille puînée de nobles siciliens, Wilgeforte n’était pas l’héritière de ses vicomtes de parents et avant résolu d’embrasser une carrière religieuse. Ce désir était tellement fort qu’elle s’était imposé depuis toujours la plus stricte chasteté : bien que de nombreux prétendants avaient demandé sa main, elle avait toujours réussi à obtenir de mon père qu’il les évince et, en parallèle de ce célibat fort tardif pour une fille de haute noblesse, elle ne s’autorisait strictement aucun écart de vertu. L’ordination n’aurait donc pas dû être un trop grand changement pour elle.
    Or, juste comme j’avais obtenu de ses parents qu’ils la laissent aller étudier à un séminaire sitôt la fin du mois, une effroyable nouvelle vint entacher ce bonheur tout simple : son frère et toute son escorte disparurent alors qu’ils étaient en voyage chez un seigneur voisin. Il y eut pleurs, enquête, prières, recherches ; rien n’y fit : Fabrizio ne fut jamais retrouvé. Cette disparition aussi soudaine qu’imprévisible, au-delà de l’immense chagrin qu’elle causa à ses parents et à elle-même, eut des conséquences sur toute l’organisation de la maison : Fabrizio était l’héritier de toutes les terres des parents de Wilgeforte. Mais la disparition de Fabrizio changea toute la donne : la pieuse jeune fille se retrouva catapultée seule héritière de toutes les terres de ses parents.

    Cet héritage soudain allait non seulement lui donner des responsabilités tellement chronophages qu’il était à présent inutile de songer à s’inscrire à un séminaire, mais il y avait un autre problème, infiniment plus grave à ses yeux : un grand seigneur se doit d’assurer sa descendance afin de transmettre ses terres à ses enfants et permettre que le domaine familial reste entre les mains de la famille. Les parents de la bienheureuse, malgré ses protestations, firent fi de mon vœu de chasteté et projetèrent de la marier avec un grand seigneur portugais issu d’une famille alliée depuis toujours avec la mienne.
    La veille du jour où on allait la présenter mon futur mari, Wilgeforte fit une prière à Dieu : elle lui demanda de me rendre la plus laide possible. Au matin, son visage était recouvert d’une épaisse barbe qui découragea totalement mon prétendant. Elle avait sauvé sa vertu mais avait plongé sa famille dans le malheur : la barbe disparut au bout de quelques heures, mais la famille portugaise ne voulait plus entendre parler de la sienne et le mariage était annulé. Le père de la Sicilienne fut tellement furieux contre sa fille qu’il décida de l’envoyer sur l’heure en voyage dans un pays lointain. Ainsi Wilgeforte était arrivée à Vienne.
    Personne n’avait jamais été mis dans la confidence de cet épisode honteux que la famille de la bienheureuse parvint à dissimuler à coups de pots de vin au seigneur portugais. Wilgeforte elle-même n’en parla qu’une seule fois : à feu Son Éminence Jehan Meleagant, qui l’entendit en confession et qui mourut en l'ordonnant dans la cathédrale de Vienne. Le cardinal emporta son secret dans sa tombe.

    Or donc ce jour de novembre 1461, la bienheureuse arriva en Périgord en un temps record. Toujours quand elle descendait sur Terre se posait à elle le même problème : ses apparitions n’étaient jamais planifiées et elle devait improviser la forme sous laquelle elle se présenterait aux mortels. Jusqu’ici, elle s’en était toujours bien sortie sans rien planifier, il n’y a pas de raison que cela change. Elle attendit donc de trouver la comtesse immobilisée — visiblement elle arrivait au moment parfait — pour choisir de lui apparaître sous forme d’un spectre. Ce fut donc une Wilgeforte de lumière qui se détacha de manière irréelle sur le ciel.


    Paix, mon enfant, paix. Je me nomme Wilgeforte. Je suis une bienheureuse. Lâche donc les rennes de ton cheval, il ne s’enfuira pas. J’ai perçu en toi une grande souffrance, une souffrance qui ne date pas d’hier. Rien ne fait plus souffrir qu’une âme qui ne connaît pas la paix. Je sens pourtant que tu as la foi. Que la foi ne t’apporte pas la paix me fait souffrir à mon tour. Je souffre d’autant plus que je sens en toi une pureté indicible. Oane, m’entends-tu ?



    Inspiré de la légende de Wilgeforte http://fr.wikipedia.org/wiki/Sainte_Wilgeforte


_________________
--.oane


[Nous sommes deux sœurs jumelles
Nées dans la foy du Crédo
Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do
Toutes deux Pucelles
N'ayant eu pour mari que le Très Haut
Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do*]

Paix, mon enfant, paix. Je me nomme Wilgeforte. Je suis une bienheureuse.
Lâche donc les rênes de ton cheval, il ne s’enfuira pas. J’ai perçu en toi une grande souffrance, une souffrance qui ne date pas d’hier. Rien ne fait plus souffrir qu’une âme qui ne connaît pas la paix. Je sens pourtant que tu as la foi. Que la foi ne t’apporte pas la paix me fait souffrir à mon tour. Je souffre d’autant plus que je sens en toi une pureté indicible. Oane, m’entends-tu ?



Un instant une petite voix nasillarde aux accents de Grand'Ma Surgères raisonne sous la calebasse en surtension de la comtesse Oane y es-tu ? Oane m'entends-tu ? Non, je mets mes braies pour sur !

Oane chassa son insupportable aïeule de son esprit et lâcha les rênes. Sa jument aussi blanche que la neige souffla par ses naseaux, trotta sur quelques pas puis se mit à brouter. Plus rien n'existait plus dans l'esprit d'Oane que la Sainte Apparition.

La Vierge de Fer contemplait cette Luciole Géante prendre forme progressivement, s'alourdir, s'étendre, se préciser, prendre Corps et La Vox qu'elle entendait depuis des semaines et l'ayant attirer en ce Lieu s'incarner ; et bientôt, ce fut là un bien étrange spectacle. Oane, son opale de porcelaine ornée de lèvres rouge cerise et encadré par une longue chevelure aussi noir qu'une nuit sans lune contempla enfin l'ombre brillante d'une femme, une autre Pucelle Forte, celle d'un autre temps au visage blanc de porcelaine, aux lèvres rouge cerise et longue chevelure aussi noir d'une nuit sans Lune.
« Je » de miroir surréaliste ; un Saint Songe,
Rencontre au delà du réel entre une Pucelle et une Sainte.
Deux visages si semblables, comme par un fait exprès,
Plongés l'Une en l'Autre,
Dans un silencieux dialogue d'une intensité palpable.

Dans le « Je » de miroir, il y a
Un soleil de glace
Deux poings serrés
Et des lèvres closes
Sur un cri silencieux

Dans le « Je » de miroir, il y a
Sous le clair de lune,
Un mouvement furtif
Une perle vermeille
Et un serment de feu

Dans le « Je » de miroir, il y a
Une femme trop pâle
Comme désertée
Deux yeux bleu pluie
Et cette flamme …

Dans le « Je » de miroir, il y a
Un souvenir têtu
Une oppression
Un voile déchiré
Une pensée pugnace

Cette Autre ?
Moi ?
Non. Wilgeforte.

Dans le « Je » de miroir, il y a
Cette Pucelle Forte en aveu
Sa souffrance debout
Un je, de moi à moi
Sans jeu de vous à moi

A genoux, en prière, Oane se (dé)livre à la Sainte :


Ô Sainte WilgeForte, La Bienheureuse
Oui, je souffre.
Car Il est mort, elle me l'a escrit
Celui que J'aime
Celui que je n'ai pas le Droy d'aimer
Parce qu'il n'est poinct bien né
Parce qu'il l'a aimé en Premier
Ne pas pouvoir faire partie de sa Vie
Est une Vive Douleur mais c'est aussi
Un Choix que j'ai faict
Pour ne poinct trahir nos Serments
En présence, nous aurions péché
Notre attirance même en l'absence
est Puissante, aussi Inéluctable que l'Aube
Jamais ne se détisse ni ne rapetisse
Et les plumes crissent de cet Ardent Désir
Le savoer Mort est une Douleur plus atroce encore.
Mais qu'y puis-je ?
Je n'ai jamais été que le jouet de mon cuer capricicieux
Tombé en pâmoison pour ce barbare ténébreux
Et Maintenant il a été assassiné ! Empoisonné !
Sainte WilgeForte,
Pourquoi par Monts et par Vaux Courir ?
Pourquoi tout ce Chemin parcourir ?
Pour contempler son cadavre ?


Oane avait tendu ses mains blanches et nues paumes vers le ciel, des rivières de cristal parcouraient ses joues. Cela faisait des semaines qu'elle chevauchait, à marche forcée, sans répit, en vain. Cette Voix qui, depuis son naufrage, la tirait du sommeil, la poussait toujours plus avant ; elle souffrait et alors ? Elle était loin d’être la seule en ce cas et la Mort des êtres aimés était le lot quotidien des humains sur cette Terre ; tout cela n'avait pas de sens. Pas de sens. Et le Gouffre s'en agrandissait davantage encore menaçant de l'engloutir tout entière : Tout ceux qu'elle aimait avaient rejoint le Très Haut. Seul Soren attendait sa Sépulture pour se faire.


*arrangement de la chanson des sœurs jumelles


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