Gypsi
Artiste : Boulevard des Airs
Titre : Paris-Corbeil
Album : Paris-Buenos Aires
"Si on allait moins bien ensemble / On irait mieux où bon nous semble / Si j'avais oublié ton visage / Je me pavanerai davantage / Si y'avait moins de si dans l'histoire / J'aurai perdu le goût de boire / Et si, et si, et hier aussi / J'ai laissé une bouteille dans Paris
J'aurai pu faire le joli coeur / Me mettre en scène pour ses dames Au bas des marches du Sacré-Coeur / En bord de Seine, près de Notre-Dame / J'aurai pu parler de nous deux / En enlaçant une autre au pieu /Mais je ne t'oublies pas ma vieille / J'ai quitté Paris pour Corbeil
Et il faudra se lever tôt / Pour retrouver le goût de la cerise / Derrière chaque col de chaque manteau / S'entendre comme cul et chemise / J'en boufferai des parts de gâteau / Jusqu'à l'overdose ma promise / Si toi ma fève, joue sur les mots / C'est le gâteau sur la cerise
La bouche en coeur, se promener / Sur le quai des Grands Augustins / L'alcool en bouche pres du Grand Palais / Qui me fait perdre le goût du pain / Le goût du vin au goût du jour / Depuis que t'es où mon amour / Que t'es partie sans crier gare / J'traine dans le quartier Saint Lazare
Et il y aura d'autres métros / Qui suivront les lits anonymes / Celles de plus, celles de trop / Qu'on voyait bien rue des Favorites Mais sur moi ta marque triomphe ma vieille / Allez ma belle donne moi la main / Je parie mon dernier verre de vin
Je prendrai plus Paris pour Corbeil"
Si chaque vie est une histoire, il est l'histoire de ma vie. A la fois le conte de fée et le pire cauchemar de mon existence. Mon premier amour. Le seul véritable, pendant plus de 10 ans. Ils allaient si bien ensemble. Tellement semblables. Tellement heureux ensemble. Même les disputes étaient heureuses. Il était l'homme de sa vie. Son Androgyne devenu Andro-génie. Ce beau marchand brun, prénommé Raphaël avait embellit ses jours... Et ses nuits. Il était son plus beau souvenir. Son tout, son repère. Il était une partie d'elle. Ancré en elle à jamais. Il était ses plus beaux souvenirs et sa plus grande malédiction.
Sa disparition avait sonné le glas en elle. L'incertitude était pire encore que la fatale réalité. Elle se raccrochait sans cesse à l'espoir de le revoir. Si vain était-il. Il avait emporté une partie d'elle. Sans lui, elle n'était plus tout à fait elle. Elle avait tout oublié, quand il avait disparu. Sa sociabilité sans borne, son sens de l'humour, sa grande gueule, et sa franchise insoutenable. Tout. Les flots avaient emporté sa moitié illégale autant que son caractère si remarquable, agaçant et vivant. Elle avait tout oublié, sauf son visage, sauf son image. Sauf Lui. Elle s'était mise à boire. Un vide, un manque, un deuil impossible, un espoir horrible. S'il n'était pas mort alors... S'ils se retrouvaient alors... S'ils n'étaient pas partis en Irlande rien de tout ça ne serait arrivé. Si... Mais il y avait trop de "si" dans cette triste histoire, et Gypsi déambulait en semant derrière elle des cadavres de bouteilles.
Le temps passant, elle avait rencontré un drôle de duo brun. Thomus et Sulfura étaient entrés dans sa vie pour la sortir de sa torpeur. Avec succès. Et un drôle d'échec. La bohémienne italienne les avait suivi dans leur voyage. De Valence à Dijon. Des bords de la Seine aux marches de la Cour des Miracles. Elle avait retrouvé un sourire faux, et une énergie salvatrice mais hypocrite. Au fond d'elle, tout n'était que néant, rancoeur et injustice. Pourquoi eux ? Pourquoi Lui ? Pour combler le manque, elle s'était mise à enchaîner les conquêtes. Un homme après l'autre. Cherchant toujours en eux une part de lui. Rubein avait sa douceur et son foutu caractère. Fan avait ses talents au lit. Exaël avait son goût du voyage. Untel avait le même métier, untel le même regard, ... Mais aucun n'était Lui. Aucun ne convenait. Aucun ne put la retenir. Elle aurait pu craquer et parler de Lui, d'eux deux, en enlaçant un autre au pieu. Mais, c'était là sanctuaire sacré. Jamais il ne fut mentionner. Jamais son nom ne franchit ses lèvres. Elle ne l'oubliait pas pour autant. Elle avait quitté sa torpeur pour incarner un personnage étrange. Don Juan au féminin. Sans coeur. Sans rêve. Sans avenir.
Elle le savait, qu'elle ne retrouverait pas si tôt cette sensation qu'elle éprouvait à ses côtés. Ce mélange de fierté, de sécurité, de plaisir, de désir, ... De bonheur. Il savait la combler. Il savait l'agacer autant que la consoler, ou la calmer. Il savait s'arrêter au bon moment. Il était son Homme Parfait. Comment retrouver cela ? Ils plaisantaient et s'entendaient comme deux amis de longue date. Ils étaient proches comme deux amants éperdus. Et fier comme deux orgueilleux. Charmeur et séducteur tant l'un que l'autre, et pourtant fidèle. Ils étaient fait l'un pour l'autre. Le sort en avait décidé autrement.
Et puis, ils s'étaient retrouvés. Nouveau coup du sort. Beau coup du sort. Le plus beau jour de sa vie. Mais aussi un des pires. Lui, si beau, si... Ce baiser si délicieux, tant attendu, tant espéré. Tout était allé trop vite, jusqu'à Elle. Raphaël n'était plus seul. Eldearde était le gâteau sur la cerise. Le gâteau qui écrase, engloutit et cache complètement la cerise qu'était Raphaël. Si la belle aurait mangé de la cerise jusqu'à overdose, le gâteau lui laissait un étrange goût dans la bouche. L'envie de vomir à défaut de pleurer. Jusqu'à l'annonce de ce mariage inenvisageable. SON marchand épouserait cette jeune brune, douce, discrète, et d'apparence fragile ? Ce gâteau si différent d'elle qui méritait selon Sulfura des tartes....
Elle avait pris la fuite. Altière, et la bouche en coeur, pour effacer tout ce qu'elle venait de vivre. Elle n'avait pas pu faire le deuil. Elle ne pouvait accepter de le partager. De le perdre à nouveau. Et pourtant... Par respect pour lui, par amour, elle ne se battit point. Elle prit ses distances d'elle-même. Pour Lui. Pour eux. Elle reprit ses bouteilles, s'empatant la bouche d'un goût d'amertume. Elle n'avait plus le goût de manger. Plus le goût de séduire. Elle s'enfermait de nouveau dans un passé si beau, si heureux, qu'il semblait avoir oublié. Elle était partie sans crier gare quand il l'avait quitté pour une autre. Ravalant ses larmes, sa déception, sa colère, et ses souvenirs. Et elle suivait Sulfura dans ses périples, déambulant tel un corps sans âme.
Il y aurait d'autres hommes, assurément. Il y avait déjà un autre homme dans sa vie. Qu'elle aimait. Différement du marchand, mais qu'elle aimait tendrement. Après les lits anonymes, après l'accumulation des conquêtes d'un soir, ou de 20 soirs, elle avait trouvé un repère stable en Steph. Pourtant, l'emprunte de Raphaël restait. Indélébile. Elle était marquée au fer rouge, et la belle savait que jamais elle ne s'en séparerait. Elle aurait tant voulu jeter ces souvenirs, et ce foutu conte de fée râté à la "corbeil' ". Il ne lui restait plus qu'à apprendre à aimer autrement, et à se contenter de cet autrement. Comme il s'en contentait avec la douce Eldearde. Elle ne prendrait plus l'amour pour Raphaël. Et si l'occasion lui était donné de recroiser ce couple si terrible à ses yeux, et pourtant si touchant aux yeux des autres, elle s'efforcerait de demander pardon, d'accepter. Elle avait un deuil à faire. Le deuil d'une histoire d'amour si belle, mais achevé. Car l'amour n'est qu'un petit être fragile. Elle n'avait plus qu'à se blottir contre son barbu, le seul ayant réussi à persister pendant plus d'un an. Elle n'avait plus qu'à se laisser emporter vers la vie calme, et tendre qu'il lui offrait... Si semblables en soi, et pourtant si différentes...