Anaon
Les rues se sont pavées d'une mélasse brunâtre qui fait un mortier spécieux aux fondrières des ruelles. Cet hiver ne sera pas le plus beau que le Royaume aura connu, ni-même le plus rude. Le froid est là, mais trop timide pour créer une dentelle de stalactite le long des corniches, dont l'art ferait craquer de jalousie les visages-mêmes des statues de la cathédrale. Les tuiles se cachent à peine sous le givre et les rues se nappent bien rarement de verglas. Pas assez de neige pour geler Paris dans une beauté immuable, mais suffisamment pour créer une gadasse qui ne manque pas de saloper les bottes et de cradosser les manteaux. Juste ce qu'il faut pour emmerder le monde, en somme.
C'est dans ce brouet infâme qu'elle traîne ses bottes, sous un ciel sale de fin de journée qui ne tardera pas à virer à l'ardoise. Cuir et semelles macérant dans cette bouillie de neige fondue et d'immondices dont elle ne cherche même pas à connaître la teneur, on croirait marcher dans le glaviot-même de la ruelle. Le briquet de fer ripe plusieurs fois contre le silex, jusqu'à embraser l'amadou d'une paillette ignée. Ouai... Les pas s'arrêtent, le temps de faire flamber l'allumette qui ne tarde pas à venir lécher l'herbe entassées dans le fourneau de la pipe. C'est bien cela, la rue de la Mortellerie. Ce n'est pas une artère, mais une gorge glaireuse qui crache chaque matin à la face de Paris son lot de miasmes à deux pattes et de parasites en tout genre. L'incurie environnante et ses fragrances de pestilences n'empêcheront cependant pas la visiteuse de fumer dignement sa pipe .
La femme a traîné son cuir élimé dans bien des bas-fonds et des ramassis de misère, Miracles a par ailleurs souvent eu sa préférence, mais la Mortellerie n'a jamais fait partie des habituées de son itinéraire. Elle a frôlé le coupe-gorge du regard bien des fois et sans doute l'a-t-elle parcouru à une ou deux reprises sans s'y trop attarder, avec l'esprit à l'envers et l'estomac en poirier, mais jamais elle n'avait pris la peine d'oser s'y enfoncer. C'est chose faite. Les prunelles cobaltes parcourent brièvement les masures qui tirent la tronche et les trombines sous leurs porches qui ne font pas mieux. Elle connait parfaitement le double tranchant de la médiocrité. Déjà peu prompte à la compassion, elle ne montre aucune pitié pour ces visages pitoyables et ces hères estropiés. Par ailleurs, à cette heure du jour, la ruelle commence doucement à glisser vers le côté face de sa pièce.
Une main gantée s'immisce sous son manteau, pour sortir d'une poche intérieure, un vieux paquet de carte à moitié bouffé. L'autre main saisit sa pipe pour tirer enfin une bouffée convenable, avant de rejoindre sa consur pour brasser son jeu en tentant de lui donner quelques effets. Consciencieusement.
Oui. Là, est bien le spectacle étrange qu'elle laisse voir dans l'un des quartiers les plus mal-famés de Paris. Une nonchalance suicidaire ou l'insouciance la plus stupide qui soit. Nippée en homme, le visage ébréché d'une estafilade qui la scie d'un sourire, la femme continue pour autant d'un bon pas, sa pipe coincée au bec et les yeux rivés sur la danse de ses cartes. L'oreille est attentive à ce qui l'entoure, prête à couper la chique au premier qui aurait l'idée de lui couper la gorge, ou bien la main qui prendrait le risque de se faire trop voleuse. Si les sens sont braqués ailleurs, l'attention ne se déloge pas des épais bouts de papier qui valsent entre ses doigts.
Le nez se crispe sous la montée méphitique d'un relent qui se mêle à la volute âcre de sa pipe. Damned ! C'est à croire que la Mortellerie refoule encore plus que les Miracles. Heureusement que l'hiver est relativement présent. Le froid lui fait au moins grâce de lui geler les narines et de boucher un peu son odorat de cabot. Mais Diable, tout de même ! Elle n'aurait pas pensé qu'une mare à canard puisse rivaliser de puanteur avec un nid à gitans. Ça doit être la fiente çà, oui ! Les volatiles ne savent pas se tenir et puis...
Et puis Shlouuuuuuuf. Une envolée de carte s'évadent brusquement des doigts encore maladroits pour retomber mollement dans une flaque fangeuse, stagnant devant les bottes coupées nettes dans leur élan.
...
La mercenaire reste figée sous la connerie du geste. Un certain... temps...
Et... Merde...
Avant d'oser se baisser sans trop savoir par quel bout récupérer ses cartes.
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