La_montagne
Je la regarde et je l'entends. Étrangement, la première chose qui me vient en tête c'est qu'elle s'est rendue compte que j'étais une fille. J'aurais aimé me demander comment, mais il y a tout un tas de possibilités, et la question n'a aucun sens. En plus, déjà, d'autres choses me viennent en tête. D'abord, qu'elle est moche. Mais vraiment. Je sais que je devrais pas dire ça, moi, mais quand même. Elle sent la vielle, en plus d'un manque dhygiène plutôt évident. Puis, ensuite, ses mots finissent pas entrer dans mon crâne, connecter les neurones. Je dois avoir l'air un peu imbécile, quand même. Je m'en rends compte et la repose par terre, je lâche son col. Je fais un geste pour m'en aller, pour faire demi-tour. Puis non, je me remets dans ma position originale, face à elle. J'ai l'impression qu'il faut que j'ajoute quelque chose. J'aime pas cette sensation. Pas du tout. Ça serait plus simple si on avait pas à parler, jamais. Enfin, si, seulement quand l'envie nous prends. Mais la plupart du temps on parle pas par envie, je crois. La plupart du temps, la plupart des gens, parlent parce qu'il faut parler. Et je viens de soulever une vielle par le col, dans un mariage. Une invitée, dans le mariage de Gaia Corleone. Alors, je suppose qu'il faut que je parle, avant de partir.
Va pisser ailleurs.
Ça suffit, non? Je pense, oui. Elle doit comprendre. Elle semble pas débile, en tout cas. Enfin, j'ai surement l'air beaucoup plus débile qu'elle, là. Bordel. Je me demande pourquoi tout semble devoir être calculé, ici. Je sais pas si c'est plus à cause de Notre-Dame, à cause du mariage, ou à cause des Corleone. J'aime pas vraiment l'idées de mariages. Enfin, bien sûr, quand je voulais être tavernière, je voulais aussi me marier. Vous savez, l'histoire du prince charmant qui tombe amoureux de la petite tavernière du village. Je me suis racontée cette histoire, plusieurs fois. J'avoue. Mais c'est passé, ce temps-là. Depuis, je me demande sincèrement pourquoi une femme voudrait devenir la propriété d'un homme. J'aime pas les hommes. Pas du tout, même. Ils sont cruels, et cons, permettez-moi l'expression. C'est des salauds, surtout. Je sais pas si tous les hommes, mais la plupart. J'aime juste les hommes quand ils ont des armes en main, ils ont pas le temps dêtre salauds, et souvent, ils savent faire leur boulot. C'est bien, ça. J'aime bien les gens qui savent faire le boulot. Je suis quelqu'un de professionnel.
Je regarde la vielle.
Et... pardon.
Oui, pardon si je t'ai brusqué. C'était pas mon intention. Mais t'avais qu'à pas pisser dans un bénitier, pendant le mariage de Gaia Corleone. Mais bon, tu es une invitée, sienne ou de son futur époux, et moi, j'ai surtout pas envie qu'à la fin de cette histoire on vienne se plaindre parce que l'armure géante, là, elle a brusqué quelqu'un. Maintenant je fais vraiment demi-tour. Avant qu'on puisse me dire quoique ce soit. Avant que je doive continuer à causer, ou à m'excuser. Normalement je ne m'excuse pas, mais là c'est votre mariage, Gaia Corleone, et tout doit être impeccable. Même moi. Surtout moi, d'ailleurs. Les invités peuvent faire ce qu'ils veulent, ça sera toujours leur responsabilité à eux. Moi non. Moi si je foire, c'est la Fée qui devra en subir les conséquences. Surtout les conséquences dans l'ordre de la réputation, bien sûr. Parce que les autres, je vais pas m'en sauver. Mais je ne veux pas que l'Ortie ait à avoir honte de m'avoir embauché. Non, surtout pas.
Je marche, je fais regagner mon poste. Et là. Paf. Un coup dans le bas-ventre. Je retiens l'exclamation, plus de surprise que de douleur. J'ai appris à retenir les exclamations. Je regarde autour de moi. Bah y'a rien. Mais j'ai quand même pas rêvé, non? Et puis je la vois. Une tâche blonde qui sautille partout. Fichus mômes, ils regardent jamais ou ils marchent. Ça métonnerais pas de savoir que le pourcentage de mortalités dans des enfants de moins de dix ans pour cause d'accident de route (alias, se faire renverser par un cheval ou une carrosse) sont énormes. Mais je souris quand même, un peu. J'aime bien les enfants.
Une chausse est laissée en plein milieu de la cathédrale. Dans sa course endiablée l'enfant l'a perdue. Je crois que je lui ai fait peur. Mais enfin, je ne peux pas laisser une gamine aller pieds-nus dans une cathédrale au sol froid de pierre, et encore moins lors du mariage de Gaia. J'essaye dêtre le plus discrète possible, et je suis ses pas lentement. Je me penche pour ramasser l'objet perdu, et rejoins l'enfant. Elle se tient accrochée à un homme. Le blond qui est arrivé aux bras d'une autre femme, et qui à fait sensation. Tout prêt, il y a Umbra. Enfin, j'imagine que c'est Ombeline. Elle à tout l'air d'une Corleone, et elle est manchote. Je dois pas me tromper, elle doit pas être difficile à reconnaître, celle-là. Je tends la chausse, autant vers l'homme que vers la petite.
Tu as perdu ça.
Et j'attends qu'on reprenne l'objet. Déjà je suis trop prêt du banquet, trop prêt du regard des gens. Je veux juste qu'on reprenne la chausse pour pouvoir repartir. Dans l'attente, je regarde encore autour de moi. Et là, y'a un truc qui va pas. Je sais pas trop quoi. Mais j'ai cette sensation. Y'a quelque chose qui n'est pas à sa place. Y'a quelque chose qui ne devrait pas être là, mais j'arrive pas à savoir ce que c'est. Je regarde autour de moi. Cette sensation est oppressante. J'ai l'impression de rater un truc fondamental. Et pourtant, je l'ai sur le bout de la langue. Enfin, pas vraiment de la langue, car c'est pas pour en parler que je veux m'en souvenir. Mais au bout de la pensée. Je sais qu'un truc cloche. Mais quoi?
Ah, oui... il y a une tâche de sang sur une colonne, Gaia Corleone...