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[RP fermé] Ne demande la vérité qu'à tes ennemis.*

--Adryan
*Mocharrafoddin Saadi.


Le bal de noël était fini et les dernières lanternes s’étaient évaporées dans le ciel noir de la capitale. Le rituel aurait voulu que les pas du Castillon s’empressent à retrouver le chemin de son appartement pour se lover à sa solitude farouchement préservée. Isolement qui ne permettait que l’intrusion du vin arabe, sucré et enivrant, tournoyant dans une coupe ciselée et la dérive vers les étendues de l’Afrique battue par les sabots de sa monture.

Pourtant, c’était l’ombre d’un pilier du bordel qui accueillait encore son dos. En guise de Sirocco, c’était les rires épars des courtisans encore présents qui gonflaient ses tympans de bien être, et le chant du muezzin n’était que vaisselles s’entrechoquant sous l’ardeur des domestiques à remettre le salon en ordre. Parfois, furtivement, devant une situation rare où l’un des membres de l’Aphrodite se trouvait en difficulté, le Castillon ressentait une déferlante aussi violente que brève d’attachement à ce lieu qui ne revêtait la plupart du temps que la grimace de sa déchéance et de son emprisonnement. Prison à laquelle pourtant il offrait paradoxalement toute son application. Mais ce soir, la déferlante se faisait houle tranquille mais persistante au gout salé de chez soi. Certainement aurait-il pu passer des heures encore ainsi, observateur des valses feutrées des pantoufles des femmes de chambre si la soif n’avait piquée sa gorge. Résolu à ne prendre qu’un verre et de s’en retourner aussi rapidement à sa silencieuse observation, des cornes, oubliées sur le coin du bar, entravèrent ses projets sans pourtant qu’il n’en prenne ombrage. Serviable sans y penser, il se saisit de la coiffe piquante et avec un naturel stupéfiant, quand le nobliau se trouvait simplement être de bonne humeur, pour la rendre à son propriétaire, Faune d’un soir, Comptable irritant le reste du temps.

Sans précipitation, sans ce nœud au ventre qui le pliait quand il empruntait ce chemin pourtant quotidien pour se rendre au bureau d’Alphonse, il gravissait l’escalier, automate rodé et insouciant quand il se heurta à une ombre haute. Le Castillon n’aurait définitivement pas à se rendre au bureau cette nuit quand dans la pénombre du colimaçon se découpait la silhouette déliée et toujours à moitié nue de cet homme qui le répugnait autant qu’il l’attirait. Lentement, les anthracites glissèrent sur le torse glabre offert à sa vue, roulèrent sur l’arrondi des épaules pour se perdre au visage. Beau. Terriblement beau. Trop certainement pour ne pas se tenir sur ses gardes comme il avait coutume de le faire habituellement. Pourtant sur le visage d’Adryan, nulle trace de dédain ou de méfiance, mais juste sa main qui se tendit, porteuse des cornes délaissées.
Vous avez oublié cela. La voix était profonde, grave mais douce. C’était une belle soirée, une merveilleuse soirée. Vous avez fourni un travail admirable avoua t-il sans l’ombre d’un sarcasme. Son regard dévia, pensif sur le mur de pierre avant de s’inviter à nouveau dans les onyx du Faune. Tant réussie que je ne peux me résoudre à la voir s’achever. Un rire s’échappa de sa bouche, moqueur de sa propre trêve. Je sais vous être redevable de deux vœux encore jusqu’à la naissance du jour, mais… une moue joyeusement taquine se peignit sur son visage, ...ayant pris les devants de vous rapporter vos cornes, il n’en reste plus qu’un, et l’amabilité donne soif. Les satyres n’accompagnent-ils pas Dionysos?
Alphonse_tabouret
Noël le laissait épuisé mais rassasié, et dans le brouhaha étouffé des mains rangeant, triant, nettoyant, il avait laissé le temps s’engouffrer de nouveau dans le salon sans pourtant choisir d’en modifier la courbe prise quatre heures plus tôt, s’attardant, aviné mais point saoul, gai sans être ivre, à contempler la réalité lentement reprendre ses droits. Après avoir réglé chacun des divers intervenants, il avait défait les cornes de son front pour les poser sur le comptoir de marbre, la tête presque déséquilibrée d’être soudainement aussi légère, vacillante de se retrouver ainsi nue et humaine, point final à la parenthèse offerte. Dans un étirement de chat, il avait mené ses pas vers la maison basse, résolu sans amertume à devoir dès minuit passé, se rattacher aux chiffres de ce ventre fardé, les dernières factures en main.
A mi-chemin de sa course, il s’arrêta sur le point de franchir une nouvelle marche, portant la main à sa tête pour se rendre compte de l’absence ivoirine et se retournant pour rebrousser chemin, découvrit la silhouette d’Adryan , cornes en main. Un instant le silence perdura, laissant le comptable suspendu à l’humeur de son parasite, trop éthéré par le flot du vin pour effacer l’air repu de ses lèvres, se remettant à la possible bonne humeur frôlée entre eux durant la soirée. S’il sentit les perles d’Adryan s’attarder sur lui, il ne s’en embarrassa pas, choisissant, cadeau rare en réponse à l’absence du mépris dans la façon qu’il avait ce soir de le regarder, d’absoudre le Castillon de ses vices, de ne pas éventrer son calme de cette insolence volontairement lascive qu’il aimait à lui jeter au visage quand cet orgueilleux luttait si fort pour ne pas céder à la tentation.


Vous avez oublié cela
Le ton le surprit, autant que le geste. Jamais le barman n’avait eu pour lui la moindre attention en dehors des heures qu’ils partageaient dans cette cage dorée et Alphonse avait tu chacune des siennes, répugné que le jeune homme puisse lui prêter de la noblesse d’âme, agacé qu’il puisse se sentir redevable quand chacun de ses gestes n’était guidé que par son propre égoïsme. Racheter la chevalière d’Adryan l’avait apaisé plus que le nobliau lui-même certainement, incapable de voir un symbole disparaitre entre les doigts d’un autre, lui dont le médaillon anglais dispensait habituellement son poids chaque jour autour du cou. Instinctivement, il effleura sa gorge nue, ayant relégué l’objet de son seul et unique vol sur son bureau tandis qu’Adryan poursuivait
C’était une belle soirée, une merveilleuse soirée. Vous avez fourni un travail admirable
Tant réussie que je ne peux me résoudre à la voir s’achever.

Serviable et aimable, deux adjectifs que jamais Alphonse n’aurait cru donné en distinction au Castillon, la surprise s’attardant un instant dans l’opacité de ses yeux à l’écho du rire, ne gardant d’une gaité partagée que les noirceurs diffuses et insondables d’une soirée qui lui avait laissé le gout du bien être et de la honte.
Je sais vous être redevable de deux vœux encore jusqu’à la naissance du jour, mais...ayant pris les devants de vous rapporter vos cornes, il n’en reste plus qu’un, et l’amabilité donne soif. Les satyres n’accompagnent-ils pas Dionysos?

La trêve était donc livrée à même les cornes qu’il attrapa pour en délester le Castillon, attardant un sourire amusé à ses lèvres, épice légère qui invitait l’autre à la flânerie dans cette parenthèse proposée à leurs habitudes.

La soirée était en effet fort réussie et je n’imagine pas en récolter les lauriers sans les distribuer… Vous y êtes vous-même pour beaucoup. Exaucer les vœux est sans nul doute l’attraction qui aura le plus séduit ces dames ce soir. Pivotant, il finit de descendre les marches tout en poursuivant, invitant par là le Castillon à le suivre : Quant au souhait qu’il me reste… Vous connaissez mon gout pour la curiosité, Génie… fit il en ouvrant la porte du bureau pour le laisser passer, appuyant ses propos d’un sourire à ce point moelleux qu’on aurait pu jurer qu’il portait encore ses cornes. Ainsi je vous l’offre ce vœu... à la condition que vous m’en fassiez part… rajouta-t-il dans une malice presque tendre. L’ivoire et les feuillets furent posés sur le bureau et les doigts se resserrèrent, presque soulagés, sur le discret filin d’argent, la pulpe s’attardant brièvement à la gravure léonine tandis qu’il le passait autour de son cou, retrouvant enfin le poids de son passé, ses résolutions, ce qu’il était convaincu d’être la partie la plus importante de lui.
Chez Alphonse non plus, ce soir, le dédain et les sous-entendus volontairement aigus n’étaient pas de mise, répondant au badinage par la conversation, ses onyx glissèrent sur le flacon de Fée verte dont le niveau n’avait jamais changé depuis la mort de Quentin et l’envie fut si subite qu’il choisit de se laisser porter, orphelin de noël, par la célébration du passé plutôt que son apitoiement.

Aimez-vous l’absinthe ? lui demanda-t-il en saisissant la bouteille pour la déboucher à la manière d’une invitation, sachant que le choix du breuvage n’échapperait pas à Adryan, pas plus que cette bouteille précisément qu’il avait certainement lui-même choisi pour l’ancien propriétaire.
Elle était la paix proposée du comptable à son parasite, au-delà des mots, de la gaité menée par l’alcool, elle tiendrait dans un verre au parfum anglais, la seule chose que les deux hommes aient un jour partagé, et si le félin ignorait tout du plaisir qui avait lié Adryan à son Lion, il savait l’attachement qui avait survécu à sa mort chez le nobliau.

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--Adryan
« Après le premier verre, vous voyez les choses comme vous voulez qu'elles soient. Après le deuxième, vous voyez les choses comme elles ne sont pas. Enfin, vous voyez les choses telles qu'elles sont réellement, et c'est la chose la plus horrible au monde ! »

Oscar Wilde.


Légèrement grisé, bien plus par la paix qui courait dans son sang que par les légères vapeurs d’alcool qui pouvaient bien s’y perdre, le Castillon ne craignait pas que ses paroles et la trêve proposée puissent être rejetées. En aurait-il douté que jamais il ne s’y serait risqué, connaissait bien trop les griffes du Chat quand celui-ci sifflait d’arrogance et de provocation. Evidence que le nobliau avait admise au moment même où leurs pas s’étaient enchainés au rythme égrainé des notes de musique. Aucun calcul pourtant ne fourmillait entre les tempes brunes ce soir. Rien d’autre n’enflait qu’un naturel tranquille et posé, entaché par trop de principes, de luttes et de dénégations pour pouvoir s’afficher sans ombrages d’ordinaire.


« La soirée était en effet fort réussie et je n’imagine pas en récolter les lauriers sans les distribuer… Vous y êtes vous-même pour beaucoup. Exaucer les vœux est sans nul doute l’attraction qui aura le plus séduit ces dames ce soir. » Un sourire amusé se faufila à sa bouche. En guise de vœux, le Génie n’avait finalement que poursuivit son travail quotidien, distribuant quelques verres de ci de là et fait tourner quelques têtes dans la danse. Mais bien conscient de son charme ambigu et ténébreux, sans pourtant en être imbu, il reconnaissait sans l’ombre d’une modestie feinte que le succès de son rôle tenait bien davantage à ce gilet baillant à son torse ciselé qu’à une quelconque originalité.

« Quant au souhait qu’il me reste… Vous connaissez mon gout pour la curiosité, Génie… » Avec un spontané déconcertant pour un quelconque témoin qui aurait croisé les pas de ces infatigables ennemis - ennemis au point de se comprendre parfois d’un seul regard lorsque l’Aphrodite, maitresse intransigeante, l’imposait - les pas du Génie, malgré le piège que semblait tendre le sourire faune, se firent dociles et accords en passant la porte du bureau pourtant si détesté. « Ainsi je vous l’offre ce vœu... à la condition que vous m’en fassiez part… » Le Castillon pénétrait l’antre du Fauve, parfaitement conscient de chacun de ses actes sans pourtant les renier un instant, hochant simplement la tête à la proposition dans un sourire de convenance qui, s’il n’en acceptait pas encore les termes ouvertement, ne la rejetait pas non plus. Génie jusqu’aux bout de la nuit, il laisserait les vœux se démultiplier dans l’arrangement subtil que proposait le Flamand. Equilibre tacite où chacun d’eux serait exhaussé quand pourtant d’un simple filin d’argent le Faune redevenait Comptable, emprisonné volontaire d’un Lion anglais dont le symbole, depuis qu’Adryan l’avait découvert se balançant doucement sur le torse délié, avait perdu son mystère. Alphonse aussi avait sa prison, mais ce ne fut finalement qu’à cet instant que le Castillon en prit pleinement conscience. Geôle douce d’un souvenir tenace, sans pourtant savoir si les liens étaient imposés ou désirés malgré le gouffre de la mort.

« Aimez-vous l’absinthe ? »


Un instant, plongé dans l’odeur de la cire laissant reluire les meubles d’une patine travailleuse, Adryan se figea de surprise, suivant avec une attention stupéfaite chaque geste d’Alphonse. Cette bouteille, il la connaissait, et lui mieux que quiconque hors le Comptable savait que pas une seule goutte depuis l’assassinat de l’Anglais n’avait été versée. L’Anglais… Si Adryan s’était lié à lui le temps d’une nuit affolante où ses sens avaient été ébranlés au point d’éveiller sa nature profonde, c’était un sentiment profond de respect qui continuait, malgré les semaines et les mois passant, à s’imposer entre ses tempes. A conduire, chaque soir, ses pas vers le lieu de débauche pour y faire, avec une application sans faille, son devoir. Refusant de trahir une mémoire qui, bien que de façon distincte, liait les deux hommes se tenant face à face.

Oui.

Répondit-il simplement quand, non, l’absinthe n’était pas une liqueur qu’il appréciait particulièrement. Ce oui là, et peut-être Alphonse le comprendrait-il, était un oui tout autre. Ce oui sonnait dans la bouche castillonne comme l’acceptation pleine et entière d’une nuit égarée, d’un plaisir et d’une attirance qui ne voulait ou ne pouvait plus se renier. Acquiescement devant un lien obscur, confus, mais pourtant si clair qui le dépassait mais dont à cet instant, il refusait d’en dénouer les méandres. Et si Adryan ne posa pas sa main sur la bouteille, laissant au Chat le soin de diluer lentement la fée verte, ce ne fut que par respect pour ce geste dont il mesura toute la portée et le privilège. Ce ne fut qu’une fois le verre doucement troublé posé devant lui, qu’avec une attention pointilleuse sa dextre s’en saisit. Le nobliau y abima longuement son regard avant de le poser sur Alphonse, plus troublé qu’il ne l’aurait voulu et cependant sans vraiment chercher à s’en cacher.


Le sortilège de la fée est trop complexe pour que j’ose m’aventurer à en parler comme j’aime à le faire d’ordinaire. Mais cette liqueur là s’absout de l’ordinaire,
un sourire curieusement complice s’invita à sa bouche quand il ajouta, la voix plus basse sans portant murmurer. Surtout devant vous. Je me contenterai donc de me laisser choir à ses filets en votre compagnie.

Il attendit que le flamand porte le verre à ses lèvres avant de vider le sien cul sec. S’il était sacrilège de ne point en savourer longuement chaque saveur, il l’aurait été encore davantage d’en diluer le pouvoir dans une langueur indigne. Les anthracites se fermèrent un instant, savourant la brulure à la gorge qui se déploya sans honte.


Merci. Assurément sincère, si Adryan ne s’était pas refusé le confort du fauteuil, il aurait prolongé l’entracte.

hrp: édit pour mise en forme.
Alphonse_tabouret
La bouteille pesait, poids inébranlable, fardeau à bout de poignet qui s’était appesanti des mois durant sur ces épaules depuis le printemps empoisonné qui l’avait amené jusqu’ici et qu’il allégeait incompréhensiblement en remplissant les godets devant lui.
La mort de Quentin restait encore le point de départ et le point final de tout, paradoxe de l’amour qui n’a jamais eu le temps de se consommer jusqu’au vide, narguant le présent de temps qui n’existeraient jamais plus, et pour la première fois depuis longtemps, cela n’eut pas le gout de l’amertume mais celui de l’inéluctabilité. Fétu de paille dans une tempête dont il n’était qu’une ombre, il percevait aux premières heures de Noël, une vérité qu’il avait contournée à chaque fois qu’il l’avait entraperçue.
Il était libre.


Le sortilège de la fée est trop complexe pour que j’ose m’aventurer à en parler comme j’aime à le faire d’ordinaire. Mais cette liqueur-là s’absout de l’ordinaire. Surtout devant vous. Je me contenterai donc de me laisser choir à ses filets en votre compagnie.

Étrangement il ne fut pas étonné de la délicatesse du Castillon, l’accepta sans se heurter lui qui ne supportait l’évocation de Quentin qu’au travers de quelques rares bouches qui s’étaient désormais tues dans la distance imposée par le chat, délaissant la colère habituelle pour répondre au sourire adressé par un des siens.
Cette certitude irascible d’avoir été le seul à le connaitre suffisamment pour avoir le droit d’en parler avait été choyée dans le silence le plus têtu, car Alphonse, depuis le premier jour de son deuil n’avait accepté qu’une seule fois d’en parler, ânonnant la réalité dans un discours sans queue ni tête sur les toits de Notre Dame, laissant à une gitane ébranlée le soin de démêler les propos décousus qu’il avait tissé. Depuis, l’omerta s’était appropriée le sujet et n’avait laissé à personne le soin de comprendre le gouffre laissé, le gouffre qu’il découvrait ce soir apaisé par la fatalité contre laquelle il avait tant lutté.
Quentin était un souvenir et cela ne l’aliénait plus.

Brièvement il laissa couler son regard sur le Génie, l’épaisseur de son regard, le dessin de ses lèvres, la ligne de l’épaule apparaissant sous le gilet brodé, à la façon des jolies choses que l’on regarde par soucis de l’agréable, et chassa d’un soupir amusé les errances que ne manquaient jamais de provoquer les courbes jumelles quand elles se paraient de l’exquis de la grâce. Portant son verre à ses lèvres, il imita Adryan en le vidant d’une traite, savourant le parfum dilué, la verdure exhalant ses parfums les plus anciens, et en frémit doucement, balançant sa tête en arrière dans un réflexe de la chair, comme frileux.


Par Dieu, j’ai horreur de l’Absinthe, finit-il enfin par avouer dans un sourire qui aurait pu laisser dévaler un rire s’il en avait eu le courage, une lueur de complicité égarée dans les volutes de l’ivresse qui avait gagné les nerfs avec la légèreté de la gaité depuis quelques heures quand le verre choquait le bois du bureau dans un tintement clair. Devoir sucrer et flamber une boisson m’a toujours semblé improbable au plus haut point, et la boire juste diluée est encore plus hérétique… Promettez moi de me dire non la prochaine fois , Adryan, le taquina-t-il en délaissant le bureau auquel il s’était appuyé pour se redresser, tendant le bras vers le Castillon pour le délester du contenant clarifié, paisible, plus aimable et naturel qu’il ne l’avait encore jamais été avec son parasite à l’exception de cette douloureuse soirée que le factice des espiègleries de l’herboriste avait semé de mots doux, de baisers spontanés et de confidences que l’un et l’autre auraient souhaiter vomir plutôt que de se souvenir.

Le verre prit place près du second, côte à côte sur le bureau propre, rangé, stigmate des chaines qu’il s’était imposé lui-même et que le fauve découvrait inutiles, tandis qu’Alphonse glissait une main à sa nuque, empoignant brièvement ses cheveux dans un mouvement visant la délasser.

Allons, venez, nous ne compterons rien ce soir… Même lui ignorait si le sous-entendu était volontaire, habitué à porter devant le nobliau les masques que lui imposaient la fonction et le mépris de cet autre inachevé dont les désirs ne pouvaient se dénouer de son éducation quand lui, prônait l’acceptation de ses envies comme la plus grande des délivrances… Considérez ça comme mes étrennes, fit-il avec une insolence joyeuse rehaussant ses lèvres d’un parfum lascif en l’invitant à le suivre dans le couloir, à quitter ce lieu où la paix n’était qu’éphémère, terrain privilégié de leurs joutes les plus odieuses. Vous avez quartier libre mon cher, conclut il en lui désignant le couloir menant à la sortie de la Maison Basse
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--Adryan
« Par Dieu, j’ai horreur de l’Absinthe. Devoir sucrer et flamber une boisson m’a toujours semblé improbable au plus haut point, et la boire juste diluée est encore plus hérétique… Promettez-moi de me dire non la prochaine fois, Adryan. »

Si le Comptable ne fit que sourire malgré l’amusement louvoyant dans ses prunelles, le Castillon, lui, crût manquer s’étrangler en étouffant le rire qui gravitait dans sa gorge. Le Génie restait toujours dans l’expectative des réactions du brun, mais celle-ci était de loin la plus stupéfiante de toutes, gorgée d’une sincérité légère et bon enfant quand il supputait un malaise nébuleux. Baissant la tête pour cacher des commissures bien trop retroussées pour contenir encore une once de cette distance que tous deux s’appliquaient à garder dans leurs duels, le Castillon secoua doucement la tête en se massant l’arrête du nez du bout des doigts, cachant plus ou moins efficacement l’hilarité que la saillie pour le moins cocasse avait déclenchée dans son gosier, sans pourtant réussir à taire le sifflement caractéristique de ceux qui tant bien que mal ravale l’éclat sincère d’un fou rire. Remontant finalement ses perles grises bien trop brillantes sur Alphonse, il acquiesça à la demande en retirant d’un geste léger le turban qui lui ceignait encore la tête.
Je vous en fais la promesse lâcha-t-il d’une voix étranglée d'amusement, bien trop content lui-même de se voir épargner de la saveur du fenouil à l’avenir.

« Allons, venez, nous ne compterons rien ce soir… Considérez ça comme mes étrennes. Vous avez quartier libre mon cher. »


La soirée, décidément avait été plaisante, et suivant l’invitation du Comptable, le Castillon s’apprêtait à regagner ses quartiers avec une insouciance rare, engoncé dans une bonne humeur cotonneuse et revigorante comme rien, lui qui ne quittait le lupanar que la tête basse, englué dans un charivari de pensées aussi désordonnées que dérangeantes. Pourtant, ce soir là comme les autres, c’était bien face à Alphonse qu’il achevait sa journée. Le nobliau ouvrit la bouche, prêt à prendre congé et se fendre d’une rétorque malicieuse mais sans aigreur quand un domestique de la maison, vaguement reconnu sans pourtant ne connaître ni son nom ni sa fonction exacte, déboula entre les deux hommes. Surpris de l’intrusion, Adryan fit un pas en arrière quand l’homme dans l’éclat d’un « Joyeux Noël » écrasa sa bouche contre celle du Comptable dans un baiser aussi incongru que déstabilisant pour le nobliau qui, toujours, tentait de maitriser chacun de ses actes dans un maintien policé. La bouche entrouverte de stupéfaction, Adryan suivit du regard l’homme qui, à peine son méfait commis, s’enfonçait déjà dans l’obscurité du couloir. Sauf que cette fois, malgré le flux de railleries et de moqueries qu’il aurait été si facile de déverser sur les épaules flamandes, ses lèvres se refermèrent et le regard d’anthracite se voila.

L’inconnu par sa désinvolture pittoresque venait de briser l’éternelle distance et retenue d’Adryan sans qu’aucun sortilège Fleuri n’en soit fautif. Délaissant l’horizon opaque que le domestique laissait dans son sillage, les perles brillantes à présent d’un feu bien autre que de celui du rire, se posèrent sur la fourrure caprine brune, dévalant le bombé factice pour s’échouer sur le ventre doucement secoué des souffles surpris. Pourtant le Castillon lutta encore et referma les yeux alors que sa mâchoire se crispait sous l’assaut violent d’envies que lui renvoyaient ses tempes rebelles à encore s’aliéner à la droiture de son éducation. Laissant choir le turban au sol, comme pour reprendre un équilibre pourtant déjà terrassé, sa dextre vint s’écraser sur le mur, si proche de l’épaule nue du flamand que malgré le large bracelet d’esclave luisant doucement dans la pénombre, le poignet du génie s’y brulait. Et il rouvrit les yeux, sans encore les poser sur le visage du brun, le souffle court quand les lambeaux de sa pudeur, de sa volonté s’effilochaient entre ses doigts sans qu’il ne puisse les retenir. La lutte avait été féroce, acharnée, mais ce soir, la raison vaincue rendait les armes, épuisée de trop de frustrations, de trop de pulsions souveraines.

Un dernier vœu… En échange de ma sincérité à vous en faire part… lentement, glissant sur le torse presque glabre, le Castillon remontait ses prunelles vers ces traits qui sonneraient le glas de son déni. Et quand enfin, ses yeux se posèrent sur ce visage, d’une beauté qu’il avait pris l’habitude de haïr, son bras faiblit et fléchit, réduisant la distance entre les lèvres des deux hommes à une brume fragile et fuyante. Si sa bouche tremblait, encore défensive de mots qu’il allait prononcer, le regard qui s’ancra à celui d’Alphonse était limpide et dénué de doute. Alors je souhaite vous embraser... et d'un souffle rauque ...Vous embrasser et bien plus encore. Sa mâchoire s’aiguisa à ces mots que jamais il n’avait prononcé, ni à une femme, les rares qu’il avait convoitées s’étant offertes sans qu’il n’ait jamais rien eu à demander, et encore moins à un homme. Retenant sa main de s’enfouir dans cette masse de mèches brunes et de prendre ce qu’il désirait, il frémissait de sentir le fardeau sur ses épaules s’étioler. Mais ce soir, malgré la brulure ronflant dans son ventre, il ne prendrait rien qui ne soit voulu et partagé…

Exauce-moi Alphonse, et brise sans l’ombre d’un scrupule ces bracelets qui entravent encore mes poignets.
Alphonse_tabouret

Aux lèvres écrasées contre les siennes par le jeune domestique, Alphonse répondit par ce genre de stupeur spontanée, inattendue, sans avoir ni l’esprit, ni l’idée de s’offusquer, presqu’au contraire enclin à ce genre d’audacieux défis qui épiçaient l’esprit comme le quotidien, l’empreinte laissée sur ses lèvres à peine saisie qu’elle disparaissait en même temps que son donateur , et ce ne fut que lorsqu’il porta sur Adryan un regard amusé par la situation qu’il perçut dans les prunelles jumelles un changement évident jusqu’à l’incandescence de la prunelle.
Aux tempes félines se répercutèrent immédiatement le froid des logiques auxquelles l’avait habitué le nobliau et il s’étonna de cette sensation de regret qui le traversa lorsqu’il sut, qu’irrémédiablement, l’heure de la paix était passée, sans comprendre encore pourtant, la nouvelle trêve que proposait Adryan. Au mépris de son parasite s’ajoutait fréquemment le dédain de son attirance pour le corps délié du chat aux détours de regards qui n’échappaient en rien au comptable, proie volontaire laissée sous le nez du prédateur pour amour d’entendre le son de sa mâchoire briser l’air de colère, et la rage explosive de De Ligny dans l’épanchement de ses travers l’avait quant à elle familiarisé aux accès de fureur qui survenaient dans la proximité de la chair consommée de son amant. La dextre s’écrasant au mur ne fit pas broncher le félin dont tous les sens se tendaient vers la suite des évènements, l’enchainement de mains qui pouvaient suivre jusqu’aux coups qu’il était acceptable d’encaisser pour éviter que le tout ne tourne au pugilat.
A son épaule se répercuta la chaleur de celle d’Adryan, noircissant les prunelles d’une attention pleine quand celles du nobliau tardaient à se dévoiler, soumises à un contrôle de lui-même qui soulignait la lutte en lui à défaut de la nommer clairement, n’accordant toujours pas leurs perspectives à leurs jumelles même lorsqu’elles embrassèrent à nouveau le monde clôt de ce couloir.

Un dernier vœu… En échange de ma sincérité à vous en faire part… demanda-t-il enfin, crevant ce silence dont même le chat souhaitait la fin, soucieux de savoir à quelle danse se mouvoir pour garder le dessus, amenant une curiosité dans les onyx tant le ton dispensé ne s’apparentait à rien de ce qu’il attendait. L’air se raréfia, se remplissant de l’odeur du Castillon dont l’imminence s’était affranchie de la distance raisonnable qu’ils s’imposaient en temps normal, narguant ses lèvres des siennes à portée d’un geste malencontreux dont il savait Alphonse capable, effaçant le malentendu qui avait germé à la seconde même où les perles trouvèrent le velours brun des yeux félins. Alors je souhaite vous embraser...Vous embrasser et bien plus encore

La confidence figea un instant Alphonse dans une tempête aussi saugrenue que cacophonique, rattachant aux queues de ces comètes de mots, le sens qu’il devinait, balayant d’un geste des soleils d’acquis pour laisser éclore des nébuleuses d’inconnu. Jamais il n’aurait imaginé le Castillon suffisamment exalté pour oser demander ce qu’il avait choisi une fois d’approcher par la violence et s’en trouva aussi démuni que rassasié quand il se savait stigmatiser à lui seul bien des colères qui traversaient le nobliau. Le prix payé par Adryan était si lourd qu’il en avait crispé sa mâchoire au fil de l’aveu, tendu son corps tout entier d’une envie qui se devinait si aisément que le comptable se trouva naïf de n’avoir rien compris, de s’être fait surprendre aussi facilement. Qu’il aurait été aisé de définitivement rompre Adryan à cet instant ci, de fracturer à tout jamais cette âme orgueilleuse que ses désirs trahissaient si violemment à cet instant qu’il n’en n’était que plus beau dans son abandon… Mais au creux de ce Noel, la solitude du Castillon musela ses envies de revanche, jetant dans l’horizon qui s’ouvrait devant eux les vérités qu’il avait noyé tout du long de la soirée dans le parfum des autres, dans l’alcool qu’on lui avait servi, dans la factice de ces joies programmées pour ne plus exister aux carillons des cloches: Etienne aux prises des cuisses d’un rouge chaperon quelques part dans Paris, Axelle, envolée aux première neiges d’octobre et lui, libre, seul.

Ses épaules trouvèrent à quelques centimètres derrière lui le mur ou s’était figée la main d’Adryan, appuyant son poids contre la tapisserie claire quand sa senestre, lente, gagnait la hanche du nobliau, découvrant le velouté de cette peau brune, l’invitant d’une pression à se rapprocher plus encore. Les ventres dénudés finirent par se frôler, amenant à la gorge comptable les premiers frissons d’une inspiration qu’il entrava pour la faire disparaitre avant qu’elle ne vienne aux oreilles de son parasite, suspendant ses lèvres à une dernière impulsion, se nourrissant de ce désir qui piétinait enfin les devoirs imbéciles auxquels s’était entravé le Castillon, savourant à ses doigts qui glissaient toujours jusqu’à s’approprier la hanche, les réactions épidermiques qui traversaient cette peau vierge d’attentions désirées, trahissant dans cette nouveauté, les moindres remparts que le barman avait construit autour de lui.


Exaucé, chuchota-t-il en venant quérir les lèvres des siennes, d’un première caresse, lente, salvatrice, n’existant que pour permettre aux souffles de s’enfler et de se mêler avec plus d’abondance, et la dextre, se faufilant à la nuque du nobliau, s’y attachant en se mêlant aux longs cheveux noirs, l’amena à appuyer son poids contre le sien, corps dont le mur derrière eux accusait l’étreinte avec un romantisme définitivement hors sujet et pourtant encore salutaire.
Aux respirations qui se trouvèrent, il répondit par une emphase saine, débarrassé des liens perpétuels de la lutte pour ne gouter qu’au réconfort de cette présence , de cette offrande dont il avait lui-même un besoin plus cruel que jamais, et, brisant l’un des derniers tabous qui subsistait faiblement entre eux, embrassa son parasite à pleine bouche, avec la ferveur nouvelle de la faim, de l’envie, du désir qui s’insinuait à ses veines et courait le long de ses nerfs, liant les silhouettes dont une danse où les corps se meuvent et s’éveillent d’eux même, avide de ses premières courbes qui ne manqueraient pas de les précipiter plus loin encore, chacun dans un oubli où le besoin était plus fort que la raison, tous les deux à leur façon, au firmament d’une première fois.

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--Adryan
Qui pourrait m'empêcher
De tout entendre
Quand la raison s'effondre*


« Exaucé »

Le Castillon aurait-il souhaité un refus ? Une moquerie acerbe ? Une hésitation qui aurait sonnée comme une dernière chance de reprendre le fil de ses valeurs qu’il pensait juste de s’infliger pour garder la tête haute, s’engluant dans la frustration volontairement imposée pour sauvegarder, un peu, ce qu’il était censé être ? Un noble au nom ronflant, aguerri à la lame, aux principes, à la droiture de l’âme et du corps, régnant d’une main de fer sur ses terres quand il n’était déjà plus qu’un préposé au bar dans un lupanar de la capitale et dont le titre résonnait d’une béance ridicule. Peut-être. Mais le Génie était déjà bien trop loin de ces préoccupations pour s’en soucier ne serait-ce qu’une fraction de seconde quand les lèvres du Flamand caressaient déjà les siennes. Quand les mains comptables s’enroulaient, serpentines à sa nuque, à sa hanche, refermant un piège dont il avait lui-même tissé tous les liens pour mieux tomber. S’échouer avec emphase, sans ne rien regretter que peut-être ne plus pouvoir tomber, encore. C’est tout ce qu’il souhaitait.

Si je dois tomber de haut
Que ma chute soit lente*


Et c’est ce qu’il fit. Sans trébucher. Il chuta aux lèvres qui l’embrassaient, le gout d’Alphonse claquant à sa bouche dans un vacarme assourdissant muant sa hargne coutumière en un désir fulgurant, nourri avec précaution des années durant d’inassouvi, embrasant ses sens avec furie, volcan dévastant tout sur son passage d’une lave affolante d’oubli et de lâcher prise. Les langues se mêlaient sans plus de retenue et, à chaque inspiration qui aurait pu l’arracher à cette bouche enviée comme il n’avait désiré aucune autre, le Castillon venait la rechercher dès qu’elle menaçait de s’échapper pour reprendre souffle. Sa poigne s’enfouit dans les mèches brunes et sa senestre, désentravée de conscience, se ficha au creux des reins flamands, confrontant, dans une bataille d’envie, leurs membres embrasés d’une roideur contre nature.

Tout est chaos
A côté
Tous mes idéaux : des mots Abimés...*


Amen. Emporté dans le cri de son sang, le nobliau entraina le faune loin de ce mur, le faisant tourner dans une danse qui n’avait plus rien de comparable avec l’affabilité de celle qu’ils avaient partagée quelques heures auparavant. Presque brutale quand les épaules d’un ou de l’autre se heurtaient aux murs de pierre du couloir trop étroit. Plus aucune cadence savamment orchestrée ne temporisait les tempes castillonnes hors celle d’une avidité sans fond, tout juste battue par son envie débridée.

Certainement, trop évaporé dans sa concupiscence effrénée, Adryan aurait pu lui faire l’amour là, dans ce couloir, quand la pudeur n’avait plus droit de parole. Mais quand à nouveau son dos heurta le confinement du couloir, une porte céda sous le poids de son emportement pour s’ouvrir, invitant d’un grincement sournois à la libération la plus fracassante. Valsant dans la chambre, lèvres essoufflées soudées à celle du comptable, la porte pourtant affable d’offrir d’elle-même un refuge aux deux hommes, ne se vit gratifier d’un coup de talon enivré pour la refermer sèchement sur eux.

Désinhibé, refoulant cette fois non plus ses désirs mais cette éducation le pourrissant, Adryan de gestes brusques se défit de ce gilet qui encore par trop le privait de cette peau dont il brulait de sentir la chaleur de chaque courbe contre la sienne. Mordant les lèvres pourtant si douces sous les siennes, incapable de se soustraire à leur saveur délictueuse, ses mains se firent plus avides encore de la nuque, des flancs, du ventre félins. Bestial, animal affamé de trop de privations, Alphonse serait la victime de son injustice insolente. Pas de douceur, pas de caresses légères pour apprivoiser la proie comme il se perdait à le faire contres les courbes graciles d’une femme, désirée ou non. Le Comptable serait gratifié de la vérité pure, de son désir intrinsèque, sans plus de masque ou de faux semblants. Pourtant, après l’avoir renversé sur le lit, ses gestes se délièrent, se firent plus attentionnés et respectueux quand sa main se logea contre ce membre jumeau s’offrant à la paume de sa dextre. Et enfin il accepta de libérer cette bouche dont le gout malgré lui était ancré à la sienne, occupant ses doigts habiles à dénouer le cordon des braies fauves pour libérer l’objet de toute sa convoitise. Son regard s’appesantit au visage d’Alphonse, marquant la pose nécessaire à reprendre son souffle avant de l’égarer définitivement.


Un baiser curieusement léger et emprunt d’une tendresse incongrue effleura la bouche choyée avant que le Castillon ne glisse contre le flanc du Chat. Il laissa trainer la pulpe de ses lèvres au cou, au torse, mordillant un téton félon entravant sa lente progression quand sa main déjà caressait le fruit qu’il s’était défendu, bridant encore ses pulsions pour mieux savourer la palpitation enfin sienne. Et quand ses lèvres enfin l’effleurent, un soupir rauque enfla entre les murs de la chambre hasardeuse et son regard revint se loger dans celui du Chat avant de disparaître sous les paupières pudiques du feu des prunelles.


Alors je prends…


Alors, d’une langue pleine, soyeuse mais lourde du poids de la culpabilité s’évanouissant, il le lécha, longuement, sans gêne aucune de sa ferveur presque enfantine. Attention de prédateur avant le festin. Et enfin, abandonnant un râle confiné, le prit à pleine bouche, vibrant et chancelant à ce gout mâle éclatant avec fracas à ses papilles, quand son propre membre s’étirait et s’arquait avec démence à chacun de ses assauts déliés au creux de la soie du sarouel.


*Myléne Farmer, Désenchantée
Alphonse_tabouret

De l’incongruité à céder, il ne resta rien dans les secondes qui suivirent, emporté par l’ardeur neuve et irrationnelle du Castillon, le gangrenant sans tempérance, achevant d’enterrer en lui les bribes de regret pour ne laisser à vif, que ce puits d’envies qui semblait vouloir l’avaler pour se sentir enfin repu, symbiose de deux manques qui se défiaient au quotidien et qui, à la faveur d’un vœu, s’abandonnaient dans la délivrance expiée
Syndrome Grenouille(*), le comptable se sentit essence et, fiévreux, désemparé par ce besoin d’éprouver l’unicité jusqu’à la brulure, laissa Adryan se nourrir à ses lèvres jusqu’à lui entraver le souffle, jusqu’à l’étouffement, vacillant au hasard de pas qui n’existaient que pour se sentir l’un contre l’autre, corps à corps, décuplant la ferveur de ce plaisir au creux de braies enflées qui pourtant persistaient à se fourbir à leurs bassins vissés, exaspérés de leurs entraves.

Dans le feu des interdits transgressés plus rien n’existait, et c’était à ce chaos parfait que le chat se régénérait, animal malformé dont les nerfs s’enrobaient si savamment de la chair pour ne devenir que ressentis à l’état brut, lui, filtre perpetuel, ne s’autorisant la spontanéité de la réaction qu’à l’éclatement de ses désirs. Si Adryan avait choisi de s’agenouiller à même le parquet du couloir, il l’aurait laissé faire, sans demi-mesure, perdu déjà dans les vagues enflant à son ventre, et dans le souffle brulant qui s’échappait de sa gorge. De la chambre, il ne perçut même pas la porte ouverte à la faveur de l’étreinte, ni les murs autour d’eux dénivelant l’espace du bordel d’une nouvelle aire, tout juste perçut-il l’obscurité trahie par la mince luminosité qui irradiait du couloir et jaunissait l’ombre de reflets fauves, perdu aux mains voraces du Castillon qui semblait incapable de contenir plus longtemps la faim de ses années d’abstinence.
Choyé, adoré, sanctifié par les doigts longilignes du nobliau, Alphonse était gagné d’une folie tout aussi impulsive, libérant la rancœur de ces mois partagés dans le concert rarissime de leurs respirations entravées, tantôt jointes, tantôt proches, se cherchant avec la démesure de l’envie trop longtemps contrariée, trouvant autant de délice à voir le Castillon se défaire de son gilet avec brusquerie pour le rejoindre sur le lit qu’à le voir distiller son riche dédain au sein de leurs échanges. Étrange alchimie que celle des ennemis d’hier qui le seront demain, portant comme nouveau fardeau le poids d’une jouissance extatique, béate, née d’une trêve hasardeuse, consumée dans la pureté la plus iridescente, soupape inattendue d’une lutte virulente qui s’autorisaient tous les coups, dans le respect de règles archaïques et pourtant belles et bien là. La sincérité, seule et unique arme devant laquelle l’un comme l’autre acceptait de passer le chemin, imbécile cadeau qu’ils ne savaient pas piétiner, ni l’un ni l’autre, si faibles dans la force de leurs convictions, avait usé de son pouvoir au hasard d’une seconde d’inadvertance et le prix se payait là, dans cette bouche nobiliaire qui se l’appropriait, descendant de la gorge au ventre, jusqu’aux soupirs qu’il exhalait, livré en pâture au plaisir qui le submergeait.

Aux mots d’Adryan, répondit la poigne d’Alphonse s’enfonçant dans les cheveux bruns et prenant la rondeur du crane en otage dans sa paume, délivrant au travers de pressions et de mouvements, la chorale de ses gémissements rauques. La langue brune parchemina, soigneuse, la raideur affirmée d’une soie mouillée, appliquée, consciencieuse tout autant que fervente, soulignant l’innommable sans plus le rejeter au fil des minutes s’égrenant dans la ouate de leur cocon, tendant le ventre du chat d’un désir si brulant qu’il lutta pour ne point le déverser à la bouche jumelle, supplicié volontaire porté le long de la divine torture, abimé par une extase aussi charnelle que spirituelle, trouvant dans la dévotion de l’ennemi la substance même à sa propre folie. Les reins se cadencèrent lentement, inconsciemment, quand la poigne se resserrait dans des vagues de plus en plus proches jusqu’à ce que d’un geste, il ne l’arrache à sa friandise, haletant, engourdi, brièvement tétanisé par l’effort à soumettre pour ne point jouir de suite, âme dédoublée, cherchant en remontant la tête du génie vers les hauteurs de sa bouche, la lueur du regard Castillon pour se raccrocher à un semblant d’irréalité.
Dans la pénombre de la chambre, les prunelles se trouvèrent, voilées, déterminées, et mue par une sauvagerie animale, ce fut la bouche d’Alphonse qui vint mordre celle du nobliau quand sa senestre le libérait de ses braies, plongeant le tissu à peine défait pour saisir le membre incandescent dont l’empreinte s’affolait sous la soie de son déguisement, avalant chaque soupir avec une faim de fauve quand il délayait les caresses les plus affolantes. La chair, guidée par ses seules envies de brulure chercha le corps jumeau et s’y pressa longuement, indécemment, outrancier, emporté par une danse naturelle, joignant les bassins d’à-coups tour à tour sinueux et brusques quand les bras s’enroulaient aux épaules, aux hanches, aux rondeurs des reins. Basculant sur le côté, le chat entraina son parasite à échouer sur le dos, dominant brièvement le visage splendide, les lèvres dessinées au plus moelleux de l’éther et ce corps magnifique dont les frissons accusaient l’envie de plus en plus incandescente qui l’animait, réveillant les instincts les plus carnassiers du félin. Le sourire du chat s’étira tandis qu’il s’agenouillait, fluide, déliant le corps jusqu’alors interdit pour l’offrir aux perles grises, joyau de concupiscence, ravageur de bonnes mœurs, insolent jusque dans les courbes qu’il offrait à saisir sans pudeur, délestant définitivement le Castillon de la moindre parcelle de tissu pour trouver l’harmonie des corps males, nus, vibrant d’une excitation lumineuse quand ils erraient d’habitude, ombres, entre les murs de l’Aphrodite.
La dextre se fit caresse le long du ventre quand la senestre louvoyait à la chair tendre de l’aine et que la boucle plongeait sans plus de retenue, sertir d’un écrin épicurien l’aveu nobiliaire de ses attentions esthètes, d’une langue perfide s’attardant sur chaque faiblesse qu’elle ressentait à sa gangue, suspendu aux râles, aux soupirs, aux gémissements qui balayaient le silence et qui lui livraient Adryan plus clairement qu’il ne le verrait jamais, poussant le Génie dans ses derniers retranchements jusqu’au basculement.



(*Allusion à Jean Baptiste Grenouille, Le parfum, Süskind)
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--Adryan
La déchirure, le fracas ruinant toutes les certitudes méticuleusement forgées aux cours d’une vie, la logique aurait dictée que ce tonnerre d’anéantissement soit assourdissant, effrayant, douloureux quand les gémissements d’Alphonse n’étaient que soie aux oreilles du Castillon. Sans la moindre vindicte de le sentir là, vulnérable à ses crocs qui auraient pu mordre cruellement, le Castillon, toute insurrection décimée sous l’empoignade à son crane, aurait sans remord pu cracher sur son nom, sur ses titres de paille, juste pour se pervertir encore aux ondoiements dévoyés de plaisir de son amant d’un soir oublié au milieu de leur lutte quotidienne. Rien ne subsistait plus entre eux que le désir décharné de tout, jusqu’à la conscience même. Tant assujetti déjà au sel qu’une plainte douloureuse s’échappa de sa bouche esseulée en réponse à la dérobade, alarmé un instant d’être si vite privé de cet état de grâce sans pouvoir s’y abreuver de tout son soul.

Mais le Chat se montra clément, abimé lui aussi dans la douce démence les enveloppant. Et si un instant le Félin pu percevoir dans ce regard qu’il venait cueillir le vacillement d’une supplication, celui-ci s’embruma dans la morsure piquante à sa bouche, consolatrice sans le savoir d’une possible mise à mort, quand le coup d’estoc tenait juste dans une main virtuose à orchestrer le souffle enfiévré du Castillon.
Unique et multiple, le corps d’Alphonse se démultipliait à l’infini sous ses assauts vertigineux, terrassant l’Enivreur enivré plus surement que le plus habile les coups d’épée. Mains. Caresses. Morsures. Baisers. Bassins exaltés s’appelant dans les désordres infernaux de deux hommes baissant leur garde avec la même détermination qu’ils mettaient à s’arracher de mots acerbes. Certainement, l’étreinte n’aurait pas suintée de ce gout d’absolu sans l’amertume consacrée. Mais de cela, le Castillon n’en avait aucune conscience, pas même tenté un instant d’ordonner ses pensées dévastées de toute réflexion quand dans la chaude lueur, le corps nu d’Alphonse s’offrait. Bien qu’à moitié nu toute la soirée, la courbe déliée de ses épaules, le creux tentateur de son ventre, la ligne irraisonnable de ses flancs débordaient du gout ensorcelant de la découverte. Les mots étaient chassés sans ménagement, s’inclinant devant les soupirs avides où trainait, infime, le timbre de leurs voix. Leurs regards n’avaient plus le pouvoir confus de se comprendre, mais juste d’admirer et de se repaitre de l’autre, délestés des remparts érigés par la morgue. Plus de comptable, plus de barman, plus de noblesse, plus de roture, juste deux hommes dévots à étancher leur soif lancinante. Poignardé par ce sourire tapi dans l’ombre, la menace se précisa, sans heurt, s’annonçant de caresses à son ventre, de provocations à son haine, contaminant son désir qui dardait férocement, impatient de s’échouer à la tourmente promise.

Et le Castillon ne fut plus que feu, jouet possédé sous les canines d’un fauve dénichant les failles de son plaisir avec une méticulosité entêtante. S’il avait pu articuler une parole dans le concert effréné de soupirs graves s’entrechoquant les uns aux autres avec frénésie, il n’aurait su choisir entre « encore » ou « pas encore » à moins que dans un effort suprême, il n’ait pu hurler que jamais il n’avait ressenti pareil délice. Et les draps payaient le prix le prix fort, tiraillés, froissés, malmenés par sa poigne se refusant d’imposer son emprise à cette tête brune déjà bien trop habile. Pourtant avec un emportement soudain, il s’arracha à sa geôle infernale, empoignant les mèches du brun de sa dextre pour relever sa tête et lui offrir en pâture l’extase qu’il avait lui-même tissée. La ligne de son ventre sursauta, sa tête où sa sénestre empoignait avec rage ses propres cheveux, s’enfonça dans l’oreiller laissant saillir la ligne privée de souffle de sa gorge où enflait un râle profond.

Et le Castillon avoua, tout, d’une gerbe nacrée et insoumise maculant son ventre. Suspendu à sa jouissance, dérouté de sa fulgurance, les secondes s’agrainèrent haletantes dans la touffeur de la chambre. Mais s’éveillant de sa torpeur, loin d’être repu, la faim dévorant son ventre ne s’affirmait que plus aiguisée encore. Sous la manne de désir s’alanguissait un gouffre insondable d’avidité. Engrenage infernal et monstrueux. Conséquences diaboliques de sa privation imposée.

D’un geste irréfléchi et mécanique le drap à nouveau esclave de l’abandon d’Adryan, s’échoua au ventre criant de sincérité pour effacer les traces visibles de la jouissance éclatant pourtant toujours au fond des prunelles anthracite, pour se voir rejeté dédaigneusement quand toute l’attention du Castillon pesait sur les épaules comptables. A son tour félin, il fit volte face pour mieux perdre son regard au visage extatique d’Alphonse, s’y brulant de si près que son souffle ricochait pour revenir à lui. L’avertissement plana, fantomatique de dérober son propre gout à cette bouche dessinée pour corrompre, mais se noya au cou jumeau, y déversant le souffre de son appétit démoniaque. Souplement, les musques fins roulant paresseusement sous sa peau luisante, il se glissa dans le dos faune, mordant l’épaule, brisant la nuque de salves de baisers faussement asservis, quand, intoxiqué, sa dextre enserra le ventre félin. Etourdi au rythme des expirations d’Alphonse, sa senestre félonne se perdit à la moiteur de son dos, le dévalant de caresses sournoises jusqu’à trébucher à ses fesses dédiées à la débauche la plus licencieuse. Furtivement effarouché, son souffle gronda dans l’orgie de baisers pour mieux s’insinuer, perfide, jusqu’à l’interdit, terrassant les bonnes mœurs en l’agaçant de la pulpe de son pouce. L’appétit exacerbé, sa main s’ancra avec fermeté au ventre volé, assujettissant le Chat à ses lubies les plus obscures et secrètes. Mais si la facétie se voulait joueuse de sa proie enferrée, le Castillon s’y échoua de concert et fou, si tel le voulait Alphonse, arrima son bassin au sien narguant le délit de sa déraison. Si son sang se faisait lave dévastatrice, rien ne s’éborgna pourtant de précipitation. La senestre délaissa les rondeurs convoitées et contourna la hanche pour s’égarer de caresses veloutées au membre roide du Chat. Et il le prit, avec une lenteur tout dévote à ne rien perdre de cette gangue serrée et intime, le souffle suspendu avant de le laisser éclater à l’oreille du Chat, béat, vibrant à ce point transporté qu’il doutait d’être éveillé quand pourtant déjà résonnait crescendo les claquements impies de leur bassins délictueux dans une litanie de gémissements incontrôlables.
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Il l’aurait cru gauche, empoté, découvrant dans les bras jumeau un plaisir qui aurait gardé, lointain, le gout de la honte et retranché le Castillon derrière une certaine pudeur mais il n’en était rien, comme si le nobliau s’était défait de la moindre de ses entraves pour assumer jusqu’à la dernière étincelle de ce feu grégeois, laissant courir une imagination concupiscente le long de ses tempes étriquées et s’offrait tout dans un appétit proche du gouffre. Accusant la silhouette dans son dos, Alphonse en épousa chaque forme, la nuque brisée sous la bouche vorace, frémissant à ces mains étrangères qui s’appropriaient sans plus de détour tout ce qu’il avait à offrir, sa respiration se hachant de plus en plus lourdement, s’entravant d’un râle rauque où se mêlaient le plaisir de l’attardement et l’impatience à s’assouvir quand, déluré, perdu, vaincu, le membre d’Adryan dessina à ses reins l’horizon des plaisirs les plus délictueux, attardant le fer de son empreinte avec l’insolence du péché capital et, venant ferrer le chat d’une main, s’enfonça lentement à ses reins, arrachant un gémissement grave de plaisir à la bouche comptable quand son dos ployait, naturel, ses mains quittant la chair Castillonne où elles s’attardaient en caresses animales pour venir empoigner les draps, jugulant un instant le feu de sa gorge à se déverser plus fort avant de le laisser s’envoler au concert de leurs corps entrechoqués. Si c’était la lenteur de la possession qui avait rythmé les premiers instants de leur union, ce fut ensuite le salut de la déraison, magma d’envies, de solitude et de frustration se mêlant au creux du bassin d’Adryan pour échouer à la source de sa culpabilité, offerte, sans retenue, se joignant à la danse folle qui les précipitaient tous les deux dans un besoin plus fort encore que leur perpétuel dédain. Au creux de senestre nobiliaire, la raideur d’Alphonse choyée par une cadence de plus en plus ferme se gorgeait au rythme du corps s’abattant à son dos avec de plus en plus de verve, dément dans l’approche d’une extase qui se profilait, mutuelle, perdant la cadence rythmée jusqu’alors béate pour la rompre d’à-coups plus brusques, plus vibrants, possédant le faune jusqu’à la garde jusqu’à ravager ses tempes d’une montée incontrôlable de plaisir, déversant la voyelle à la gorge comptable quand la nacre poissait les doigts du Castillon. Surplombant sa victime, le ventre du barman s’enhardit dans la seconde et s’arcboutant d’un dernier geste, s’immergea à son tour dans la délivrance extatique de la jouissance, figé dans ce salut sélénite, les deux coupables attardant la mort des pulsations de leur plaisirs dans le silence qui retrouvait lentement ses droits.

Le souffle court, le chat échappa à son divin bourreau pour retrouver l’assise dans les draps, doucement sonné, la chair mordue par l’éther du bienêtre, un rire nerveux lui échappant, offrant au regard Castillon l’apaisement d’un visage sur lequel se dessinait un sourire sans entrave, signe indubitable de l’apaisement des nerfs, les prunelles luisant d’une énergie neuve. Une poignée de secondes leur échappa dans l’observation commune de leurs corps luisants d’effort, tendus encore par cet effluve corrupteur d’immédiat, de maintenant, de plus jamais jusqu’à ce que le Fauve éveillé, s’agenouille face à cette autre bête qui s’était permis la salaison jusqu’à sentir son souffle et amène avec lenteur les courbes indécentes de son bassin se joindre à celles toujours vives de son parasite, saisissant insolent, la main qui l’avait perdu pour la ramener à hauteur de leurs visages. Lentement, quand son bassin sinueux provoquait son jumeau d’infimes mouvements incandescents, il amena index et majeur jusqu’à la langue d’Adryan et attendit, suspendu, prophétique référant de cette folie, qu’il accepte enfin d’y gouter, frissonnant, extasié, en regardant cette langue glisser à la pulpe de ses propres doigts pour gouter au nectar dispensé dans l'extase, esclave de ses propres envies, de ses possibles vices, amenant le comptable à exulter de cet apprentissage dispensé sans plus le moindre mépris, dans la saine déraison de l’initiation.


Satisfait, contaminé, il saisit le visage nobiliaire entre ses mains, enfouissant ses doigts dans ses cheveux longs, et le couvrit de baisers épicés, mordant le lobe des oreilles, plantant les crocs dans sa gorge quand son corps se pressait, avide, laissant naitre une silhouette d’enchevêtrement dans la douce pénombre de la chambre à la faveur d’une semi verticale lascive. Au temps passé à se dévoyer ainsi dans la simple fièvre de leurs corps rapprochés, ils s’attardèrent sans s’en soucier une seconde des minutes s’effilochant, grignotant la nuit, ravagés par la réaction viscérale de leurs corps à se répondre, s’embrasant de nouveau dans les caresses sans fard, incorrectes, délicieuses, qui se dispersaient à la chair et que seul un murmure vint troubler.


Et bien plus encore, rappela la voix du comptable à l’oreille nobiliaire, chuchotement franchissant ses lèvres souriantes sur lesquelles se dessinait l’esthétisme du jeu dans ce qu’il avait de plus terrible avant de pousser le nobliau pour le faire basculer dos au lit, la tête frôlant le bord du sommier qui les accueillait. La senestre enroba le genou qu’il écarta en se redressant, dardant au regard du brun qui ne prêtait à aucune confusion, chat voulant faire consumer chaque grain de culpabilité Castillonne dans la rédemption de son assouvissement, enflammé à l’idée s’approprier ce corps qui refusait tout, de s’enfouir en lui jusqu’à l’astreindre à une jouissance plus nette encore que celle à laquelle il s’était déjà déversé. Souple, le corps du Castillon fut ajusté aux mouvements d’Alphonse qui ne lâchait plus l’incandescence des perles grises, s’arrimant encore chastement aux rondeurs chavirées à hauteur de son ventre épanoui, attardant la fatalité dans de brulantes caresses jusqu’à discerner chez son amant d’une nuit, l’envie se mêler à l’impensable.
La langue féline vint humidifier la courbe de son sourire tandis qu’il embrassait le corps splendide d’Adryan d’un regard fiévreux et, gagnant la gangue de ses reins, partit à sa conquête dans l’abandon d’une inspiration bruyante, savourée, béate de la chaleur qui inondait son ventre dans sa progression, venant cueillir dans les prunelles jumelles l’éclatement de chaque ressentis, crispant sa mâchoire en butant enfin contre la chair détestée-désirée, la dextre venant saisir la joue d’une caresse pleine quand le pouce glissait à la bouche mâle, lui donnant à mordre en guise de vengeance, à contenir le cri de cette invasion, à suçoter avec avidité quand le plaisir décimerait la douleur de la première fois et que la bouche du chat serait trop loin pour l’exaucer.

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--Adryan
Le plaisir l’échoua, assommé d’un trop dont pourtant le Castillon refusait de s’arracher. Incrédule quand pourtant le Chat aurait pu oser l’inconcevable qu’il s’y serait plié tant, singulièrement, la confiance s’imposait. Confiance de pacotille ? Confiance puisée à la source de la jouissance ? Non. Quand le jour naitrait, l’Enivreur n’aurait pas même cette allégation à se mettre sous la dent. Au-delà du mépris, du dédain et de l’agacement coutumier, en son for intérieur, Adryan savait que cette vérité, tapie là, au creux de son ventre jusqu’à dégorger à son âme, à nul autre qu’au Comptable il n’aurait pu la demander. Certain que le silence serait respecté tant l’amertume du Chat serait à la hauteur de la sienne. Assuré d’un instinct nébuleux que le brun saurait l’engourdir de plaisir. Ennemi intime que la lutte parait d’un respect visqueux. Mais de cela, quand la saveur d’Alphonse répandu à ses doigts contaminait sa langue, il ne restait plus rien. Rien ne vibrait plus entre les tempes nobiliaires que la lézarde du rire faune. Que le tison du regard d’ombrageux. Que le sortilège du visage un instant repu. Que la déchirure du sourire le mordant d’une convoitise à ce point béante qu’elle en était effrayante. Que la torture de ce corps félin ravivant les braises castillonnes quand l’épuisement aurait du les disperser. Mais rien ne semblait pouvoir rassasier le ventre des deux hommes, animaux débridés d’une luxure déchaînée. Acharnée, la bouche comptable s’égara à nouveau à la peau enivrée, l’hérissant des frissons incontrôlables d’une sensualité exacerbée. Deux corps inextricablement enlacés, profitant sournoisement de la débâcle de la raison pour enfin prendre le pouvoir, sans que rien ne puisse les retenir tant qu’ils ne seraient pas rassasiés de leurs caprices. Chairs malignes, augurant dans leur conscience reptilienne que là siégeait l’unique opportunité de railler, dans leur toute puissance dévergondée, les fiertés et griefs futiles scalpés par l’osmose charnelle mise à nue.

« Et bien plus encore »


Le chuchotement s’enflait de démence. Apogée d’indécence vertigineuse que ce « bien plus encore » quand les murs erraient encore, abasourdis par le chaos des râles rocailleux entremêlés. Mais monstrueuse de péchés, la peau moirée de sueur du Castillon frissonna d’une lave extravagante d’inquiétude et d’impatience quand le Chat, illustrant ses mots d’invitations lascives sonnait le glas de ses dernières hésitations. Amarré aux prunelles noires, seul point d’ancrage tangible dans le limon de l’aliénation, Adryan obéissait, asservissant son corps à l’embuscade comptable, prisonnier se sachant condamné et qui implore le bucher quand déjà les flammes du brasier léchaient son ventre sous les caresses impitoyables. Envoutante, la langue délicieusement rose du fauve se régalait déjà du festin à venir, hypnotisant les anthracites pour mieux ployer la proie d’une expiration tyrannique. Au plus profond du gris, la crainte se délayait, incapable pourtant de juguler l’envie du corps nobiliaire à se délier pour s’offrir dans l’impudeur la plus immodérée, éperonnant encore l’indécence de la parure de son désir. Jamais, de toute son existence, le Castillon ne s’était sentit aussi nu, aussi exposé, aussi vulnérable. A son tour, il offrait tout ce qu’il avait à donner, son torse, son ventre, son intimité la plus préservée, son membre raidi d’une arrogance imprudente quand il se savait au bord du gouffre et que la terre se dérodait sous ses pieds à chaque regard sulfureux d’Alphonse. Mais surtout, lui, le duelliste, l'escrimeur, offrait ses craintes.

Et l’estocade fut portée, douloureuse, déchirante, pénible malgré la caresse d’une tendresse inconcevable à sa joue. Etait-ce donc là le châtiment des excès orgiaques ? Les crocs castillons trépignaient de déchirer la peau tendre du pouce offert en sacrifice à la pulpe de ses lèvres haletantes, mais sursaut de fierté ou de clémence, il n’en fit rien, préférant serrer les dents à s’en briser la mâchoire tant le cri ronflant dans sa gorge l’écorchait, s’amusait de sa pomme d’Adam sous le regard scrutateur de son tourmenteur qui le transperçait malgré le voile de ses paupières. Le poignet félin ne fut pas chanceux, et toutes les représailles du Castillon s’abattirent sur lui avec fureur, l’étouffant dans la tenaille de sa poigne jusqu’à le marquer de l’empreinte blanche de ses doigts.

Traitre, le Chat était-il vraiment traitre de le meurtrir après les promesses de ses baisers ? Non. Si l’accablement du premier assaut avait été plus brulant que les feux des enfers, les salves suivantes effilochaient le mal, fil après fil, pour les tisser de délices nouveaux, apprivoisant la poigne jusqu’à la dépouiller de force. Et à la dévastation des prunelles grises, ce fut l’invitation d’une jouissance neuve qui l’accueillit d’une lueur pleine de désir dans le regard du Chat. Regard magnétique, le happant tout entier quand les corps s’enhardissaient jusqu’à danser sur les notes de leurs soupirs rugueux. Pourtant, ceux du Castillon s’entravaient contre ce pouce qui après avoir échappé au pire des ses crocs, subissait le déchainement de sa langue sous la bénédiction du sourire ourlé d’Alphonse. Si l’Enivreur avait cru l’imagination du Maitre de cérémonie tarie, il n’en était rien. Se décrochant de la hanche oui elle était arrimée, la dextre féline vint chercher sa jumelle fichée au parquet pour la déposer, stupéfaite, à l’embrasement de son propre ventre. L’intention était claire. L’invitation renversante. L’hésitation éphémère. Déchirant les derniers lambeaux de pudeur de gémissements disloqués et de caresses égoïstes, Adryan, outrageux, dépravé, accorda au regard duplice du Chat de se repaitre de sa victoire en toute impunité. Sous les regards des Dieux païens, la danse tribale se saccadait aux battements sauvages des tambours de leurs ventres moites, rituel invoquant le sacrifice de suppliques gutturales et ésotériques jusqu'à la transe spasmodique des possédés. Et la délivrance expia, rugissante, barbare, à la gorge de l’Initié, quand de saccades compulsives, Alphonse le rejoignait dans l’offrande la plus absolue.

Les souffles lentement s’apaisaient, sans pourtant délivrer les murs de leurs échos primitifs, pétrifiant les deux fautifs d’une folie sans nom dont ils ne sortiraient pas indemnes. Ni l’un. Ni l’autre. Adryan glissa au sol, se découvrant épuisé mais béat comme certainement jamais il ne l’avait été. Repu, un sourire flotta à sa bouche, indifférent de la nacre maculant son ventre, poisseuse à ses doigts, délesté de toute honte, de toute culpabilité, juste avide d’un présent qui s’étirait dans une faiblarde lueur matinale, prémices d’une aurore que le Castillon refusait pourtant, tout comme les mots. Alors simplement, d’une main sans plus d’exigences, vide de vœux à exaucer, il vint cueillir le menton félin pour le guider, sans heurt, sans plus d’emportement, vers son visage. Et quand la chaleur du souffle du chat le réchauffa, il déposa ses lèvres sur les siennes, enveloppant la mort de l’étreinte d’un baiser lent et doux.
Alphonse_tabouret


Dans l’épice moelleuse de la chambre, les souffles s’éparpillèrent jusque dans le rugueux de leurs teintes, redessinant l’aube pointant timidement des contours neufs, inattendus… insupportables.
Le baiser d’Adryan aurait du avoir le gout du miel, tant dans la tendresse de sa courbe que dans son dessein encore engourdi par la satisfaction de la chair, novice désormais éclairé, et ce fut pourtant la lave qui inonda Alphonse, bien loin de la folie concupiscente qui les avait engloutis, un magma de gel, de profondeur et de vertige. La réalité au suave enivrant de cette bouche l’écorcha vif en l’espace d’une seconde, et hagard, il contempla le Castillon dont les prunelles luisaient encore dans cette pénombre devenue trop claire, brutalement écœuré de la beauté de son visage, de la délicatesse de ses traits lissés par l’extase, par la sueur qui, d’une dernière goutte, roulait le long du torse qui avait accueilli sa bouche, ses mains, et ses audaces le plus crues .
Fauché en plein vol de ce qui aurait pu être, descendu en flèche par son instinct le plus fauve qui lui déchira les tempes, extirpé de cette nuit à laquelle l’obscénité s’était mêlée à la grâce de la fusion et jeté, nu, sur le pavé froid d’un matin précoce de Noël...
Adryan était tout ce qu’il détestait : brillant, beau, errant, cette osmose si rare gâchée par un esprit ridiculement étriqué qui corrompait tout, un caractère acerbe dont chaque aspérité était exaspérante, et Alphonse avait la nausée de le voir évoluer dans la chaleur de son mépris car si le nobliau avait connu le moelleux du bien être avant la chute, il n’en gardait aucune douceur, aucune leçon, juste une amertume qui contaminait les liens de ceux qui l’entouraient au quotidien.

La fatigue s’abattit aussi brusquement que ce nouvel horizon sur les épaules comptables, qui se redressant dans le silence modelé par leurs respirations encore doucement sifflantes, vacilla, les jambes engourdies, et s’appuya au mur de la senestre pour retrouver l’équilibre.

Monstre.

Les onyx coururent avec précipitation dans les ombres plus ou moins nettes de la chambre jusqu’à trouver ses braies qu’il enfila en se concentrant sur les gestes les plus simples, se forçant à une lenteur qu’il jugeait insupportable quand il étouffait littéralement, s’offrant à la manière du joug, une première fois dans cette orgie nocturne, le luxe du paraitre.

Lamentable.

Aucun verbe ne fendait l’atmosphère qui, insidieusement s’ourlait de vérités reniées le temps de l’étreinte, que ni l’un, ni l’autre n’avait envie d’assumer, fous un instant, raisonnable désormais, souillés par cette perversion qui poussait l’ennemi à prendre les accents de l’envie la plus animale, la plus honteuse, et méticuleux, le chat s’attacha à ne surtout pas croiser les anthracites du Castillon que l’horreur de la nuit n’allait pas tarder à rattraper si ce n’était déjà fait, incapable de la lutte maintenant quand son corps, traitre, attardait les volutes d’une flamme repue à la source même de son désir, il se saisit de sa chemise et de ses bottes

Malade.

Les mots qui se formulaient dans le caveau félin se plantaient à sa chair, témoignages des nœuds que les heures avaient tissés à ses pensées, et de ce qu’il percevait de lui dans l’odeur et les marques laissées à sa peau par le Castillon. Ouvrant la porte, il retrouva la lueur diffuse du couloir qui avait filtré jusqu’à dessiner la concupiscence à leurs peaux vibrantes, et s’il s’arrêta quelques instants sur le pas de la porte, prêt à dire quelque chose sans y parvenir, au prise avec sa volonté, silhouette à contre jour, amant sur le départ, il ne put décrisper sa mâchoire, et en franchit le pas, laissant en guise d’au revoir, le son léger de ses pieds nus sur le parquet.

_________________
--Adryan
Le baiser avait été offert, sincère, sans la moindre trace de fiel, et qu’importait que les lèvres d’Alphonse se fassent soudain glace et que ses yeux s’ouvrent de lucidité quand Adryan, sous le poids d’une fatigue monstrueuse fermait les siens, s’accordant encore le répit de renier le jour qui s’annonçait insidieusement. Le Castillon avait certains principes, remercier en était un. Que le Chat comprenne ou non que l’ultime baiser avait ce gout là n’avait pas la moindre importance.

D’un bras languide, alors que le Chat couvrait son corps traitre, Adryan tirait sur lui les draps souillés de leur orgie, s’y enveloppant quand la force et la volonté lui étaient refusées de seulement se relever.

Il restait les yeux clos, sans ne plus rien vouloir voir que le noir et le calme d’un sommeil qui s’annonçait profond, dénué de rêves ou de cauchemars. Juste le sommeil d’un homme comblé refusant encore de s’avouer le crime commis. Et quand l’ombre du comptable passa la porte, sa respiration paisible trahissait déjà l’endormissement. Non, pour rien au monde malgré ses refus, malgré sa hargne, il n’aurait voulu entacher cette libération d’un mépris trop tôt revenu. Car si l’après midi suivante, le Castillon se réveillerait glacé jusqu’aux os d’un sentiment poisseux de dégout, grimaçant aux relents de sa propre jouissance sur les draps, s’il endosserait avec plus de ferveur encore la nausée dès que le silhouette féline croiserait ses prunelles ou que ses oreilles percevraient le son de sa voix, ce ne serait plus par honte de ce qu’il était, lui-même, mais uniquement que ce soit à ces bras là qu’il ait cédé. Même si aucun autres n’auraient pu en avoir le pouvoir.

Alphonse pouvait bien le haïr tant qu’il voulait, et lui détester le jusqu'à s’en étouffer, jamais plus il ne pourrait renier que le Chat l’avait arraché à ses chaines. Et c’était certainement bien là le pire.
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