Anaon
- - D'un lendemain de taverne -
"Faut croire que les muses de la merde se sont penchées sur nous"
- - RRRrrrr-
Sur elle et son existence. Et la nuit dernière est survenue comme une piqure de rappel. La porte de son auberge claque sur un déroulé d'enjambées rageuses, qui fendent sans vergogne la brume matinale qui lui lèche les bottes. La terre est à peine sortie de son sommeil que la place frissonne déjà de vie, les marchands mettent en place les étalages de leur marché, les matrones lève-tôt se racontent quelques ragots, bassines de linge sur la hanche ou cageot de légumes contre la taille. Elle, c'est une trogne blafarde de fatigue qu'elle approche de ces petits groupes disparates qui emplissent doucement les rues. Une insomnie totale comme elle n'en avait pas souffert depuis un bon bout de temps. Et pour cause.
Hier, lors d'un détour en taverne, elle a rencontré consécutivement Rosalinde et Judas. La Rousse, l'Anaon la connaissait sans vraiment la connaître. il de Petit Bolchen croisé plus qu'autre chose dans un temps passé, elles avaient eu l'occasion de faire un peu plus ample connaissance lors de leurs "retrouvailles". Et elle aurait sans aucun doute dû s'en abstenir.
Ouai... Les poings se plantent avec autorité dans ses deux poches, tandis que tête rentrée dans les épaules et prunelle rivées devant ses pieds, la balafrée avance tout droit comme un buf énucléé. La Rousse n'était pas désagréable, non, ou du moins, du peu qu'elle a pu en constater, elle semblait être même relativement sympathique. Et puis, après le service qu'elle lui avait rendu, en lui faisant confectionner un portrait miniature de son fils, l'Anaon ne pouvait lui être que reconnaissante jusqu'au restant de ses jours. Mais une part enfoui d'elle-même la méprisait...
Oui. Elle la méprisait. Elle ne la jalousait pas, non, bien qu'entre mépris et jalousie, il n'y ait qu'un pas. Un pas qui ne peut être franchi que par Humilité. Une humilité dont l'Anaon ne voulait pas faire preuve. Mais Rosalinde avait tout ce que l'Anaon n'avait jamais pu avoir. C'était dégueulasse et parfaitement injuste. La rousse, Elle a eu deux mariages alors que son unique union à elle a avorté avant l'accomplissement, Elle a un fils, alors qu'elle n'a jamais pu en garder aucun et de plus ! Elle est même à nouveau enceinte ! Et puis Elle est rousse, non pas que la balafrée aurait aimé l'être, mais Elle est rousse, rousse comme sa mère, rousse comme la femme qui a brûlé la moitié de sa baraque, rousse comme toutes ces rousses que Judas aime tant, rousse comme la rousse qu'il a collé tavernière de sa taverne et qui depuis l'Anjou déjà, lui colle au train comme la mouche au cul du cheval...
La botte percute soudain un petit caillou qui gicle d'un bond. Les pas décident alors de suivre sa trajectoire et de le marteler d'un coup de pied à chaque enjambée. Ça lui apprendra à se trouver sur son chemin ! Gredin ! Oui et puis ce n'est pas tout ! Car le pire de l'affaire, c'est que la donzelle ne s'est pas mariée secrètement avec n'importe qui, noooooooon ! Mais avec le Roy lui-même ! Et le PIRE encore, c'est que le Roy lui-même a épousé d'affection une fille de rien ! Et c'est çà qui lui a retourné l'estomac toute la nuit, à la mercenaire, et c'est çà qui n'a pas cessé de lui bouffer le sommeil. Parce qu'un Roy épouse une Rien et parce qu'elle, un petit seigneur de pacotille ne cesse de lui sortir qu'il n'aurait jamais pu l'épouser parce qu'elle n'avait pas assez de sang noble. Ah ah ! La bonne blague ! La Foutaise ! Injustice ! Ils auraient pu trouver mille et une manières de contourner le "problème" ou ils auraient pu simplement ne rien en avoir à faire de ces soi-disant convenances ! Ce n'est pas juste ! Oui mon petit Calimero, c'est vraiment trop pas juste ! Parce qu'en admettant l'inadmettable, elle lui aurait bien dit oui à son Judas... enfin... avec plus de sincérité, elle aurait dit non mais... enfin oui, bah si ! Bien sûr que oui, qu'elle aurait dit oui ! Ouai.... ouai, mais non.
La dextre se claque violemment le front en pleine fusion avant d'appuyer, entre deux doigts, ses tempes qui ne vont pas tarder à entrer en éruption. De toute manière, ce qui compte c'est le principe ! Et principe il n'y a pas eu ! Voilà ! La mercenaire reprend sa marche furibonde qui empeste la mauvaise humeur. Un regard cerclé de magnifiques cernes se lève sur le soleil, peu pressé de faire briller ses atours. Et en plus il ne neige pas. La botte envoie valdinguer bien trop loin son petit martyre. Elle ne tarde pourtant à trouver une autre victime légèrement plus grosse.
Et puis la mercenaire n'en peut plus de cet Alençon qui lui ressort par les yeux depuis plusieurs semaines ! Ses quelques aller-retours parisiens ne font qu'accentuer son agacement. Que fait-elle encore ici d'ailleurs ? Ah oui... Moooooonseigneur Fitz. Bah alors pourquoi reste-t-elle fichée dans ses soutanes ? Pour Yolanda, oui c'est vrai.... Et pour l'argent, accessoirement. Mais l'Alençon l'ennuie. Et si l'ennui continue de lui ronger la moelle, on va finir par la retrouver clamser dans son lit à coup sûr ! L'Alençon est trop sage... Trop honorable ! Pas de tripot miteux où parier sur quelques coqs, pas de bouiboui craignos où provoquer quelques esclandres. Même ses "bas-fonds" sont trop calmes. Ah ! Où est la Paris-Vermine, où est l'Anjou nécrosée ! Elle a bien tenté de chasser, mais faut croire que toutes les forêts sont la propriété de nobliaux ! Par contre, pas un pour se bouger l'oignon pour courir après le gibier ! Bah non voyons, c'est fatiguant... Et puis par ailleurs revenons-en a nos moutons elle pourrait bien tendre une perche digne d'un baobab à Judas, qu'il ne l'inviterait même pas à une partie chasse, hein ! Elle en est sûr ! C'est que çà doit être trop "noble" pour elle. Pignouf ! Il ne sait pas même ce qu'elle aime. Il n'a jamais cherché à savoir ! Elle, elle sait bien qu'il aime la chasse, qu'il aime ces lévriers qu'elle a toujours trouvés fort laid, qu'il aime les femmes ! Sait-il, lui, qu'elle aime aussi la chasse ? Et qu'elle aime les cheveux ? Et qu'elle aime la couture ? Et qu'elle aime l'Anatomie ? Bien sur que non, çà ne l'intéresse pas.
Voilà donc pourquoi, en ce fort... beau ? Froid ?... banal petit matin de Janvier, l'Anaon à décidé d'être de forte mauvaise humeur, d'en vouloir à la terre entière et d'accuser plus particulièrement Judas d'être l'auteur de tous ses maux, parce que tout est de sa faute, elle l'a décrété. Elle lui en veut, parce que Nyam dormait si bien cette nuit tandis qu'elle se torturait le cerveau dans l'obscurité, parce que son ingrat de chien n'a même pas daigné se lever pour l'accompagner dans sa ballade matinale et parce qu'à l'aube, son cheval ne lui a même pas dit "bonjour" lors de son détour dans l'écurie...
Parce que l'Alençon l'ennui et que tout le monde semble si heureux, parce que l'humidité lui fait friser les cheveux, parce qu'un vers de terre vient de s'écraser sous sa botte, parce que son cuir est tout cradossé de gadoue, parce qu'elle vient encore de perdre sa caillasse.... Et...
Et la mercenaire gâtée s'immobilise devant un cailloux gros comme un poing. A moins que ce ne soit un agglomérat séché de choses organiquement indescriptibles, dans la lueur malade de l'après-l'aube, elle ne voit pas très bien. Rajoutez-y un voile humide de fatigue et elle vient d'inventer le "sfumato" avant De Vinci. Toujours est-il qu'elle décrète haïr cette petite boulasse, presque trop parfaitement ronde et bien trop culottée de se tenir si orgueilleusement immobile sur son itinéraire. Vengeance ! Le pied s'en vient violemment à sa rencontre dans un coup qui l'envoie défier les lois de la gravité et qui aurait crevé à coup sûr les cages de Lord Lev Yachine, et que si ce pauvre gardien avait eu le malheur d'y interposer sa tête, l'Anaon lui aurait fait un trou dans la citrouille où l'on aurait pu voir passer le jour. Et un brin défoulée, la meilleure buteuse du mois de Janvier 1462 ne se questionne pas de savoir si son projectile est allé s'éclater contre d'autres trognes.
Ouvert à toutes les folies, au plus sérieux et au plus perchés. Dans le seul but de s'amuser et de vaincre l'ennui. Sinon c'est la JD qui va crever sur son clavier ! Tsé !
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Images originales: Victoria Francès, Concept Art Diablo 3 - Anaon dit Anaonne[Clik]