Fleur_des_pois
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Quand ma peine est immense
Je change l'or en toc
Trois p'tits tours de passe passe
Moi j'en ai des stocks...
Si ma baguette casse
Que le grand crick me croque
Le soleil baignait les alentours, réchauffant la Fée somnolente. Le trésor que la mairie pouvait abriter ne l'intéressait pas. Elle était assez riche. Seule comptait la vengeance. L'argent, Gaia n'en avait cure. Ses coffres en débordaient déjà.
Le Lutin battit des paupières, tirée de sa torpeur par les rayons de l'astre du jour. Les siens vidaient déjà la mairie, ou semblaient tous occupés à diverses tâches. Et où était son bâtard de mari, au fait ?
Quittant le banc où elle s'était installée, Fleur s'étira, ramassa son panier à crapauds, et commença ses recherches. Sans doute devait-il être en train de visiter la couche d'une donzelle.
Fort peu inquiète, assurée de le trouver en bonne compagnie, Gaia déambulait dans le village. Une oie solitaire attira son regard. Une oie blanche ? Seule ? Ni une, ni deux, la Fée lui passa la corde au cou, l'embrassant sur le sommet du crâne.
J'vais t'appeler Terrine. On va être copines, toi et moi. Allez, viens, faut qu'on trouve mon idiot de mari, ça f'ra une dette de plus pour lui.
A pas lents, calant sa vitesse sur celle de l'oie, Fleur visitait Poligny, cherchant sans grande attention celui qu'elle avait fait l'honneur d'épouser.
Et enfin, au détour d'une ruelle, la Fée l'aperçut. Allongé par terre, et couvert de sang. Le sien ou celui d'un autre ? Fronçant les sourcils, Terrine à sa suite, Gaia s'approcha lentement. Donnant un petit coup de pied dans l'épaule de Niallan, force lui fut de constater qu'il était évanoui.
Et merde. P'tain. L'andouillette de Vire.
S'agenouillant à ses côtés, Fleur effleura du bout des doigts le visage de son mari. Cela serait si facile d'en finir... Un coup de poignard en plein cur... On ne la soupçonnerait jamais. L'idée était si tentante que la main de l'Ortie s'égara du côté de sa ceinture. Rapide, efficace, discret.
Elle posa son regard brun sur les paupières closes du blond. Etrange comme il semblait apaisé, alors qu'il était en train de mourir. Délicatement, le Lutin ôta de sur son front une mèche dorée. Il paraissait presque beau comme ça.
Fais chier. Tu fais vraiment chier, tu sais, ça, espèce d'idiot ? Furieuse, l'Ortie le gifla à toute volée. Réveille-toi, j'suis toute seule et j'peux pas t'porter.
Hissant malgré tout le corps de son presque-défunt époux, Gaia plia sous le poids, grimaça et pesta tout haut, mais commença malgré tout à marcher, Terrine toujours au bout de sa corde. Elle ne pourrait pas le porter bien loin, aussi une maison abandonnée serait parfaite pour les accueillir. La porte fut ouverte d'un coup de pied rageur, et Niallan trainé jusqu'à une paillasse encore en bon état.
Alors, voyons voir...
La chemise fut arrachée sans cérémonie. Le torse était couvert de sang, et le dos n'était pas en meilleur état. De plus, une estafilade lui barrait l'épaule. Sur quel monstre avait-il bien pu tomber, s'étonna l'Empoisonneuse. Mais déjà, le peu d'intérêt qu'elle portait d'ordinaire à son époux disparaissait. Il était mourant, et elle pouvait le sauver.
Les produits de base furent sortis sans attendre. Teinture d'ail, huile au laurier, pommade réunissant le géranium, la bergamote et le romarin, aiguilles, fils, et bandes de tissu propre.
Tout d'abord, la Fée désinfecta à l'aide de la teinture, nettoyant l'intérieure et les pourtours des plaies, essuyant le sang. Ensuite, quelque gouttes d'huile au laurier furent répandues sur la blessure, puis ses doigts agiles étalèrent la pommade. L'aiguille vola, refermant sans serrer. Enfin, la bande fut enroulée autour du torse comme elle le put. S'essuyant le front d'un revers de main, Gaia contemplait en silence celui qui jouait le rôle de son mari. Les blessures étaient profondes, et il faudrait surveiller l'évolution attentivement. Pour l'heure, le sommeil la rattrapait. Se lovant aux côtés de Niallan, sans prendre la peine de laver ses mains rougies par le sang, elle ferma les yeux, sombrant rapidement dans les bras de Morphée, pendant que Terrine l'Oie Blanche cancanait dans la maison.
L'Histoire d'une Fée c'est... - Mylène Farmer
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