Matouminou
Elle ne voulait rien manquer et avait demandé à son époux de la réveiller dès qu'ils auraient franchi les remparts de Villefranche.
Elle avait hâte d'arriver et n'avait cessé de passer et repasser dans son esprit ce moment où elle la reverrait, devant elle, recroquevillée dans son écrin de verdure, avec ça et là quelques touches colorées que feraient les roses et les parterres de fleurs folâtres.
Elle sentait son coeur battre un peu plus fort dans sa poitrine, au fur et à mesure qu'elle reconnaissait les ruelles de cette ville qu'elle avait immédiatement aimée lorsque, un an et demi auparavant, elle en avait franchi la porte, au bras de celui qui allait devenir son mari. Elle admettait volontiers qu'une partie du charme de cette ville était due au simple fait que c'était la ville de naissance de l'homme de sa vie, mais il y avait autre chose, elle s'y sentait bien, loin de la Normandie, où la vie était devenue si pesante. Les mots pour décrire ce qu'elle ressentait lui manquaient, tout bêtement peut-être parce qu'il n'y avait pas besoin de faire de longs palabres. Parfois, on ne sait pas pourquoi l'on se sent si bien, c'est un tout sans doute, alors, il faut juste se laisser aller et apprécier cette plénitude.
Matou faisait partie de ces personnes à qui la vie a tout donné pour mieux reprendre. Elle avait du affronter des moments si difficiles qu'il lui avait semblé que seule la mort saurait apaiser ses souffrances. La mort n'avait point voulu d'elle, bien au contraire, c'est une renaissance qui s'était présentée sous la forme d'un volcan, son volcan, celui qui occupait tout son esprit, celui qui lui avait redonné gout à la vie, qui, aimait-elle à dire, l'avait fait renaitre et pour lequel elle aurait donné sa vie.
Aujourd'hui, elle portait avec fierté son nom, la vie avait fleuri en son sein, et elle avait mis au monde un solide garçon répondant au nom d'Antoine, mélange d'elle et de lui, et qui du haut de ses un an leur rappelait à tous deux combien la vie est précieuse.
C'est le ralentissement de la carriole qui la fit sortir de ses pensées. Enfin on arrivait, et elle ouvrit grands ses yeux, posant sa main sur celle de Stromb, la serrant un peu plus fort qu'il n'aurait fallu, tellement elle était émue de se retrouver chez eux.
La Grande Dame lui apparut soudain, et si elle n'avait point revêtu sa robe de verdure et ses touches de couleurs comme dans les pensées de Matou, c'est parce qu'on était en hiver et qu'arbres et fleurs, en cette saison, sont en berne. Toutefois, elle n'en gardait pas moins toute sa majesté et toute sa beauté.
Matou ne put s'empêcher de s'exclamer:
- Qu'elle est belle!!
Et elle était sincère. Elle aimait cette maison qui l'avait acceptée dès la première fois où elle y était entrée. Les mêmes sentiments animaient Matou quand elle voyait apparaitre de loin son phare en Normandie.
La jeune femme était absolument persuadée qu'on fait une maison à son image, qu'on la façonne à son caractère et que chaque détail et chaque imperfection en faisaient son charme...un parquet qui grince, un volet un peu de travers, une marche bancale...sans parler de la touche finale: les meubles.
Elle n'attendit pas que la carriole fut complètement arrétée pour sauter à terre, et sans attendre elle courut jusqu'au portail, notant, au passage, qu'il avait souffert des affres du froid et de la pluie, mais tout ceci n'était guère important, cela se réparait.
Elle l'ouvrit, forçant un peu, parcourut l'allée jonchée de branchages et de feuilles. Le vent avait du souffler fort, mais rien de dramatique. Très vite, ils s'attelleraient à nettoyer le jardin.
Arrivée devant la porte, elle posa sa main dessus, comme si elle avait cherché à sentir la respiration de la maison, puis, elle posa son front sur le bois et murmura:
- Nous sommes de retour, tu as su nous attendre...merci...
Les larmes lui étaient montées aux yeux, tant l'émotion était forte. Mais elle se ressaisit bien vite, réfrénant sa sensibilité, oubliant aussi qu'un jour, il faudrait repartir.
Elle se retourna, et sautillant d'un pied sur l'autre, elle appela son mari:
- Chéri!!!! dépêche-toi!! Je t'attends!!
C'était maintenant l'excitation qui l'avait gagnée, car, combien de fois, avait-elle rêvé de ce moment, où elle franchirait le seuil de la maison dans les bras de son époux, comme le voulait la coutûme du mariage.
Elle avait envisagé à un moment de s'habiller de sa houppelande de mariée, et avait sussuré, l'air de rien, à son volcan qu'il aurait pu aussi revêtir son costume, mais il avait secoué la tête: "Matou, nos tenues de mariage sont au fond d'une malle, elle même au fond de la carriole...nous ferons ça au naturel!"
Elle avait fait la moue, son côté fleur bleue profondément insatisfait, mais ne s'était pas avouée vaincue.
De sa besace, elle sortit sa couronne de fleurs, légèrement séchées et dont les couleurs étaient quelque peu défraichies, mais qu'importe.
Elle la mit sur sa tête, en déployant le voile autour d'elle.
Pour un peu, elle aurait pris l'air d'une jeune vierge effarouchée. Matou ne craignait jamais d'en faire trop, bien au contraire. Mais là, quand même ce serait vraiment trop, déjà que Stromb ne s'attendait pas à cette mise en scène...
Elle l'attendit donc, un sourire flottait sur ses lèvres.
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