Marzina
Un poison violent, c'est ça l'amour.
Serge Gainsbourg
La discussion au sortir de la taverne l'avait laissée paumée et avait ravivé de vieilles blessures. Le besoin de rentrer chez elle s'était fait ressentir. Recluse dans sa chambre de sa propriété de Vannes, elle s'était réfugiée par terre dans un coin de la pièce, avec un verre plein, une bouteille et une coupelle de biscuits. Mélangeant donc sucre et alcool, enroulée dans une couverture en peau de loup, elle avait décidé de s'enivrer pour essayer de dormir. La situation n'était pas sans lui rappeler cette nuit où elle avait parcouru la lande sous la pluie, pour venir se réfugier trempée jusqu'aux os à Dol. Le lendemain, elle avait demandé par lettre à Ailvin de repousser le mariage. Et il était mort peu de temps après, ayant demandé à aller au front. Le plus dur avait été de vivre avec ce goût amer qui ne la quittait pas, celui de la culpabilité et des regrets. Et pourtant, elle savait que ça devait finir comme ça, il n'avait jamais su tenir les promesses auxquelles elle tenait tant, elle ne l'aurait jamais supporté malgré la passion qui les transportait chaque fois que leurs regards se croisaient.
Mais à cette époque-là, elle était seule. Ils étaient seuls. La décision n'engageait qu'eux. Aujourd'hui, elle avait la responsabilité de deux âmes en plus de la sienne, et c'était bien ce qui la tiraillait en tous sens. La blessure la plus profonde, celle qui la guidait depuis toujours, c'était l'abandon. Alors bien sûr, elle n'aimait pas les enfants, mais quand Alix Ann s'était retrouvée avec une mère décédée et un père qui l'abandonnait, c'était plus fort qu'elle, elle avait été prise d'une envie irrépressible de la protéger. Qui seulement pouvait comprendre ça? Pas Finn apparemment...
A croire que tous ses ennuis ou presque dernièrement venaient de là. L'amour, c'est une torture de tous les instants, elle l'avait appris à ses dépends. Ça avait failli la tuer à plusieurs reprises, elle avait même envisagé d'en finir une fois, mais elle avait changé maintenant, elle avait compris: ce n'était pas à elle d'en finir parce que les autres sont trop bêtes pour comprendre qu'elle les aime.
Elle jeta un il sur le verre vide, le remplit à nouveau. Ça faisait combien de verres déjà, qu'elle avait bu ce soir? Elle avait arrêté de tenir le compte. Elle s'était enfilé les biscuits un à un, jusqu'à la nausée, se forçant à manger malgré la maladie, parce que cet enfant-là elle le protégerait de tout, même d'elle-même, même des autres.
Elle ne savait plus quoi faire après sa conversation avec Finn. La découverte de la présence de la graine en son ventre, la préparation du mariage, le retour d'Alix Ann...Il semblait qu'elle aurait pu avoir tout ce dont elle rêvait, que la vie devenait douce, elle qui n'avait fait que traverser les tempêtes depuis son plus jeune âge. Mais non, il fallait qu'ils gâchent tout, tous! Alix Ann qui détestait Finn. Finn qui avait décidé de faire la gueule à Alix Ann. Et puis la présence de cette horrible fille qu'il aurait voulu qu'elle appelle belle-sur.
Il peut bien toujours rêver s'il croit que parce qu'elle allait l'épouser, elle allait accepter comme étant de sa famille tout ce qui allait porter son nom!
Elle avait réfléchi, aidée par le chouchen, comme toujours dans les moments difficiles.
Sa première pensée avait été la fuite. Remballer toutes ses affaires, partir sur les routes seule, tout plaquer, recommencer à zéro sans prévenir personne. C'était sa solution préférée, celle de la médecine: tout ce qui fait mal, tout ce qui pourrit il faut l'amputer pour repartir sur des bases saines.
Sa deuxième pensée avait été pour son enfant à naître. Elle voudrait qu'il ait un père. Et puis elle l'avait promis à Finn que cet enfant, ce serait aussi le sien. Elle s'était remémoré la joie qu'elle avait lu dans ses yeux à l'idée qu'il allait pouvoir jouer son rôle de père auprès de son sang, de cette graine, de ce projet qu'ils avaient conçu, cet avenir qui croissait en elle.
La pensée suivante fût pour Alix Ann. Elle ne savait que trop ce que c'était d'être l'élément rapporté dans une famille, d'être celle qui ne porte pas le même nom, qui n'a pas le même sang, celle qui se sent exclue, à part. Elle ne voulait pas de ça pour elle, ça fait trop mal.
Comme son ventre, son ventre lui fait mal, le dilemme lui donne mal à en crever. Se précipitant vers une bassine, elle rend finalement son maigre repas. Elle finissait par en avoir l'habitude, cette nausée perpétuelle. Quand ce n'était pas la grossesse, c'était la maladie. Reprenant son souffle et ses esprits, aussi pâle que la mort, elle pose une main tremblante sur son ventre, caresse ce qui a le plus besoin de sa protection en ce moment, la chose la plus chétive dont elle a la responsabilité, cette graine qui malgré ses supplications, arrondit son ventre jour après jour au risque de trahir sa présence aux regards curieux.
Finalement sa décision est prise: elle ne mourra pas pour ces deux égoïstes qui la poussent vers le précipice béant de la folie. Elle ne peut pas choisir entre sa filleule, son enfant, et son aimé. Attrapant deux parchemins et sa plume, elle réfléchit un instant à ce qu'elle va écrire. Elle aurait tant de choses à leur dire, à leur reprocher même, à chacun des deux. Finalement la main s'agite nerveusement sur le papier, et le message est d'une concision extrême.
A Alix-Ann,
A Finn,
Vous me tuez. Réconciliez-vous.
Je ne veux plus entendre parler de vous deux en attendant.
M.
Elle fait simplement partir les deux lettres, et puis reprend son suicide à l'alcool, jusqu'à ce que ce dernier lui rende le sommeil. Enfin.
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Serge Gainsbourg
La discussion au sortir de la taverne l'avait laissée paumée et avait ravivé de vieilles blessures. Le besoin de rentrer chez elle s'était fait ressentir. Recluse dans sa chambre de sa propriété de Vannes, elle s'était réfugiée par terre dans un coin de la pièce, avec un verre plein, une bouteille et une coupelle de biscuits. Mélangeant donc sucre et alcool, enroulée dans une couverture en peau de loup, elle avait décidé de s'enivrer pour essayer de dormir. La situation n'était pas sans lui rappeler cette nuit où elle avait parcouru la lande sous la pluie, pour venir se réfugier trempée jusqu'aux os à Dol. Le lendemain, elle avait demandé par lettre à Ailvin de repousser le mariage. Et il était mort peu de temps après, ayant demandé à aller au front. Le plus dur avait été de vivre avec ce goût amer qui ne la quittait pas, celui de la culpabilité et des regrets. Et pourtant, elle savait que ça devait finir comme ça, il n'avait jamais su tenir les promesses auxquelles elle tenait tant, elle ne l'aurait jamais supporté malgré la passion qui les transportait chaque fois que leurs regards se croisaient.
Mais à cette époque-là, elle était seule. Ils étaient seuls. La décision n'engageait qu'eux. Aujourd'hui, elle avait la responsabilité de deux âmes en plus de la sienne, et c'était bien ce qui la tiraillait en tous sens. La blessure la plus profonde, celle qui la guidait depuis toujours, c'était l'abandon. Alors bien sûr, elle n'aimait pas les enfants, mais quand Alix Ann s'était retrouvée avec une mère décédée et un père qui l'abandonnait, c'était plus fort qu'elle, elle avait été prise d'une envie irrépressible de la protéger. Qui seulement pouvait comprendre ça? Pas Finn apparemment...
A croire que tous ses ennuis ou presque dernièrement venaient de là. L'amour, c'est une torture de tous les instants, elle l'avait appris à ses dépends. Ça avait failli la tuer à plusieurs reprises, elle avait même envisagé d'en finir une fois, mais elle avait changé maintenant, elle avait compris: ce n'était pas à elle d'en finir parce que les autres sont trop bêtes pour comprendre qu'elle les aime.
Elle jeta un il sur le verre vide, le remplit à nouveau. Ça faisait combien de verres déjà, qu'elle avait bu ce soir? Elle avait arrêté de tenir le compte. Elle s'était enfilé les biscuits un à un, jusqu'à la nausée, se forçant à manger malgré la maladie, parce que cet enfant-là elle le protégerait de tout, même d'elle-même, même des autres.
Elle ne savait plus quoi faire après sa conversation avec Finn. La découverte de la présence de la graine en son ventre, la préparation du mariage, le retour d'Alix Ann...Il semblait qu'elle aurait pu avoir tout ce dont elle rêvait, que la vie devenait douce, elle qui n'avait fait que traverser les tempêtes depuis son plus jeune âge. Mais non, il fallait qu'ils gâchent tout, tous! Alix Ann qui détestait Finn. Finn qui avait décidé de faire la gueule à Alix Ann. Et puis la présence de cette horrible fille qu'il aurait voulu qu'elle appelle belle-sur.
Il peut bien toujours rêver s'il croit que parce qu'elle allait l'épouser, elle allait accepter comme étant de sa famille tout ce qui allait porter son nom!
Elle avait réfléchi, aidée par le chouchen, comme toujours dans les moments difficiles.
Sa première pensée avait été la fuite. Remballer toutes ses affaires, partir sur les routes seule, tout plaquer, recommencer à zéro sans prévenir personne. C'était sa solution préférée, celle de la médecine: tout ce qui fait mal, tout ce qui pourrit il faut l'amputer pour repartir sur des bases saines.
Sa deuxième pensée avait été pour son enfant à naître. Elle voudrait qu'il ait un père. Et puis elle l'avait promis à Finn que cet enfant, ce serait aussi le sien. Elle s'était remémoré la joie qu'elle avait lu dans ses yeux à l'idée qu'il allait pouvoir jouer son rôle de père auprès de son sang, de cette graine, de ce projet qu'ils avaient conçu, cet avenir qui croissait en elle.
La pensée suivante fût pour Alix Ann. Elle ne savait que trop ce que c'était d'être l'élément rapporté dans une famille, d'être celle qui ne porte pas le même nom, qui n'a pas le même sang, celle qui se sent exclue, à part. Elle ne voulait pas de ça pour elle, ça fait trop mal.
Comme son ventre, son ventre lui fait mal, le dilemme lui donne mal à en crever. Se précipitant vers une bassine, elle rend finalement son maigre repas. Elle finissait par en avoir l'habitude, cette nausée perpétuelle. Quand ce n'était pas la grossesse, c'était la maladie. Reprenant son souffle et ses esprits, aussi pâle que la mort, elle pose une main tremblante sur son ventre, caresse ce qui a le plus besoin de sa protection en ce moment, la chose la plus chétive dont elle a la responsabilité, cette graine qui malgré ses supplications, arrondit son ventre jour après jour au risque de trahir sa présence aux regards curieux.
Finalement sa décision est prise: elle ne mourra pas pour ces deux égoïstes qui la poussent vers le précipice béant de la folie. Elle ne peut pas choisir entre sa filleule, son enfant, et son aimé. Attrapant deux parchemins et sa plume, elle réfléchit un instant à ce qu'elle va écrire. Elle aurait tant de choses à leur dire, à leur reprocher même, à chacun des deux. Finalement la main s'agite nerveusement sur le papier, et le message est d'une concision extrême.
A Alix-Ann,
A Finn,
Vous me tuez. Réconciliez-vous.
Je ne veux plus entendre parler de vous deux en attendant.
M.
Elle fait simplement partir les deux lettres, et puis reprend son suicide à l'alcool, jusqu'à ce que ce dernier lui rende le sommeil. Enfin.
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