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[RP] Nous aurons le destin que nous aurons mérité*

Umbra
Paris s’assombrissait, Paris s’endormait. C’était le quotidien, c’était inévitable…

Ce que certains appellent même le Destin.




A Toi,


Sous l’éclat blafard d’une demi-lune ascendant, une Ombre avançait. Cette nuit là, elle n’errait pas. Missive au poing, les mots inscrits sur le parchemin la menaient. Ce soir, Umbra avait rendez-vous…



Il est temps de payer ta dette à la société.


Soi-disant que chaque destinée rencontrée n’est pas anodine. Que la Vie n’est qu’une immense toile où s’enchevêtre sorts et rédemptions. A ce compte, Notre Père n’est pas un Dieu, il n’est qu’un fileur derrière son rouet.

La démarche claudicante quitta les pavés miraculeux pour entamer le même cheminement que beaucoup de cette cour ont eu frôlés. Peut-être croisera-t-elle des visages familiers ? Des lascars qu’elle pensait mort à l’heure qu’il est.




On te demande de te rendre en prison.


Il était dur à croire que le simple pli d’un inconnu puisse la guider à sa fatalité. Mais, à une bonne poignée de jours de sa dix-septième année, la Noiraude était déjà bouffée de remords. Elle ne passait pas une nuit sans ruminer ces méfaits : agression, vol, pillage, meurtre… Quelque temps au mitard aiderait surement Ombeline à y voir clair et pourquoi pas se repentir.

Il fallait avouer que les arguments noircissant la lettre étaient de taille. Il était probable que ce ne soit les regrets et l’envie de protéger les siens qui la poussait cette nuit. Commettre ces actes immoraux ne la dérangeait pas tant que ça ne maculait pas son entourage. Malheureusement, aujourd’hui, l’écho de ses sombres dessins se propageait et venait heurter le destin de ses proches.




Si tu ne suis pas les instructions à la lettre, un être cher perdra la vie.


Pour une fois, la Bâtarde n’avait pas réfléchi. Elle n’avait pas cherché à prendre le dessus. Intimement, elle était convaincue que vouloir surprendre le hasard était une cause perdue. Piper un dé, marquer des cartes mais tromper la mort…



Le premier à terre s'avouera vaincu.


La Manchote avait suffisamment œuvré pour mériter sa sentence. En foulant la traversée obscure des mercenaires, elle savait qu’elle s’achèverait soit à l’ombre soit dans un long tunnel blanc. Ce soir là, ses pas la portèrent jusque dans une artère de la Capitale. Au pied d’une lugubre bâtisse se tenaient quelques âmes en peine venues pleurer leurs disparus. Des épouses fidèles, des amantes délaissées, des proches aimants, le tout suppliant qu’on libère les leurs, ceux que leurs cœurs clamaient innocent malgré leurs mains ensanglantées.



Ta mission est de te rendre à la Prison de Saint Lazare, tu attendras devant les portes.


Cette vision, bien qu’atroce en soi, réconforta l’Ombre dans son choix. Elle s’interrogea alors sur la réaction des condamnés de l’autre côté des murs ? Entendaient-ils ces complaintes nocturnes? Pire encore, les supportaient-ils ? Comme des loups hurlant à la pleine lune, le spectacle résonnait d’effroi. Umbra ne voulait pas que ses proches viennent se lamenter du sort commun qu’elle leur aurait infligé par mégarde et confessons-le, par égoïsme.



L'Ange passera à ta hauteur et tu lui demanderas de ne pas oublier l'essentiel.


Les iris de jais guettèrent l’arrivée de ce dernier sans savoir à quoi s’attendre. Un garde ? Un justicier masqué ? Azraël **? Qu’importe dans le fond se persuada-t-elle, tant que ce dernier ne l’oubliait pas. Il serait embarrassant s’il venait à lui poser un lapin à l’heure où sonne le glas.

Ses pensées dérivèrent alors vers « l’essentiel » et la Noiraude n’eut qu’une question existentielle au bout des lèvres, que tous se posa, se posait et se posera un jour venu :


Vais-je mourir ?



Suite à sa réponse, tu le défieras dans un combat au bâton.


Rangeant le courrier dans sa botte, la Noiraude ne garda que son arme au poing. Celle-ci qui avait de servir à attaquer ou à se défendre, la soutenait lors de longues et pénibles marches.



Faut croire que ma mère me battait bien trop fort et mon père encore plus.


Et moi, je prendrais soin de te saigner.



On te regarde


Le regard charbonneux se redressa pour lorgner les pans de l’imposant bâtiment, se demandant qui osait-il se jouer d’elle de la sorte ?

Qui fait passer la vie de mes proches avant la mienne ?

Quoi qu’il en soit, on n’échappe pas à sa destinée…

*Einstein
** Ange de la Mort
Courrier complet:
Citation:
A Toi,

On te demande de te rendre en prison. Il est temps de payer ta dette à la société. Faut croire que ma mère me battait bien trop fort et mon père encore plus.

Ta mission est de te rendre à la Prison de Saint Lazare, tu attendras devant les portes. L'Ange passera à ta hauteur et tu lui demanderas de ne pas oublier l'essentiel. Suite à sa réponse, tu le défieras dans un combat au bâton. Le premier à terre s'avouera vaincu.

Si tu ne suis pas les instructions à la lettre, un être cher perdra la vie.

On te regarde

_________________
Anaon

    Elle, ce n'est pas la fatalité qui l'a traîné en ces lieux. Pourtant portée par les mêmes lignes, des courbes et des points d'encre, chargés d'une semblable arrogance et d'une prétention frôlant la déraison. La Placide avait choppé la mouche comme elle ne le faisait jamais, et le messager chargé de lui donner le pli s'était sans doute bouffer les doigts d'être tombé sur pareil destinataire. Il s'était obstiné à ne rien savoir, elle s'était acharnée à vouloir connaitre le nom du rigolo qui croyait pourvoir jouer avec sa vie.

    Citation:
    A l'Ange,

    Mon enfoiré de père me battait sans qu'on sache pourquoi. Et mon ivrogne de mère se faisait culbuter jusqu'à plus soif. On grandit dans un monde inquiétant, ne trouves-tu pas mon Ange ? Toi et ton magnifique sourire. Ta réputation n'est plus à faire. Alors laisse-toi tenter par un léger divertissement. Quelque chose qui te plaira à coup sûr. Mais tu devras t'en donner la peine.

    On va jouer !

    La règle est simple : Ta vie contre la Sienne. Si tu échoues, tu pourras surveiller tes arrières jusqu'à la fin de tes jours. Si tu réussies, tu auras la vie sauve et de la monnaie sonnante et trébuchante. Suffisamment pour te nourrir durant un bon mois.

    Interdiction de refuser. On ne te demande point ton avis pour respirer. Tuer sera ton souffle ou alors tu iras rejoindre la fosse commune.

    Pour y parvenir, tu devras d'abord te soumettre à mon bon vouloir.

    N'oublie pas l'essentiel : Les égocentriques et les indésirables.

    On te regarde,


    Il n'avait rien dit. Après une branlée pareille, si l'on a rien à cracher c'est qu'on a rien a cacher, à moins qu'on ne soit le meilleur comédien du monde. Et elle l'avait laissé partir. Elle aurait pu remonter la source et chopper le mariole qui prétendait jouer les omniscients... mais son regard s'était posé sur la jeune Nyam, endormie dans son lit. C'est dingue... comme on réfléchit différemment quand on est pas seul à pouvoir en pâtir. Alors la mercenaire s'était pliée, prudemment, le temps de mettre Nyam sous la protection de l'Archevêque Fitz, de leur laisser son chien, de les faire changer d'auberge.

    L'esprit tranquille, sa seule vie dans la balance, tout prend un autre sens maintenant.

    Citation:
    Mon Ange,

    On se permet de te nommer ainsi car tu es le fruit de notre déraison. La pomme gorgée de sucre qu'on croque à pleines dents. On sait que la passion parcourt ton corps frissonnant. Parce que tu es comme nous sommes. On s'abreuve des râles des autres. On sait et on t'observe.

    Mon Ange, les nuits sont bien humides pour la saison. Ta cicatrice ne te fait point trop souffrir ? Le fléau de ton faciès, c'est en perdre la face. On s'interroge sur comment une personne telle que toi arrive à survivre encore dans ce monde de fou. On a trouvé la réponse : le talent. La discrétion est un volatil, surtout dans ton cas, tu laisses ton empreinte dans les bas-fonds. Alors on te retrouve, on t'épie, on te jauge, on te consume pour qu'il n'en reste plus rien.

    Ta mission sera de te rendre à la Prison Saint Lazare. L'heure n'a guère d'importance, la patience est une vertu. Une ombre fera le planton aux portes, passe à sa hauteur. Là, elle te demandera de ne pas oublier l'essentiel.

    Mon Ange as-tu oublié l'essentiel ?

    Pour le reste quand on se retrouve à terre, à cracher son sang. C'est que la scène est finie, l'acte suivant arrive.
    Tu ne tueras point, celle-ci n'est pas ta cible.

    On te regarde,


    Paris se révèle dans sa nuit en demi-teinte. Nid à intrigue qu'elle avait délaissé à la faveur de l'Alençon. La balafrée ne prend même pas le temps de se reposer de son voyage, elle ne se garde qu'une heure, assez pour poser quelques sacoches et nourrir son cheval dans une auberge où elle n'a pas ses habitudes. Puis la botte repasse à l'étrier et l'Anaon reprend le chemin de ses obligations.

    Sous les mèches brunes, aucune barre ne plisse son front. La nervosité ne crispe pas ses doigts. Rien ne passe sur l'immuable de son visage. Elle s'est murée dans un calme trop calme. Silence mortel. Comme un mutisme en suspension, celui précédant l'instant du couperet qui s'abat sur les gorges. Il y a dans cette ville un mariole qui croit pouvoir manipuler la mercenaire comme on se jouerait d'une vulgaire poupée. Il a fait là une fatale erreur.

    La masure de Saint-Lazare se dévoile à sa vue. Ramassis de lépreux au temps de ses jours naissants, prison connue à l'époque de ses trafiques de cadavres, pour ses explorations personnelles des arcanes de la science. L'ibérique continue son approche, sous l'ordre muet de sa cavalière.

    Qui ? C'est une question qui demeure en suspendant. Une question presque sans importance. Elle se fout de connaître son nom, sa situation. Aveuglée, elle ne veut que son visage et ce sourire dont elle délogera les dents une à une d'avoir osé ainsi la provoquer. Elle fera redescendre l'insolent de son piédestal et la chute ne sera pas douce.

    Mon Ange, mon Ange...

    Qui ? Ça ne pouvait être le Hibou. Elle l'aurait senti. Elle l'aurait su. A trop chercher à vouloir rentrer dans son esprit malade, l'Anaon savait qu'il n'aurait pas hésité à user de son meilleur argument. De quelques mots, il l'aurait mise à la torture. Il aurait été plus vicieux, il aurait été... bien plus que cela. Elle n'a jamais lu une seule de ses lettres, mais elle avait trop ses plumes dans peau pour savoir ce qui pouvait émaner de lui ou non. Par conséquent, si ce n'était le Hibou, çà ne pouvait être qu'un être d'une parfaite insignifiance. Si l'Anaon avait été seule, elle aurait attendu, par revers de provocation, dans le fond de sa chambre, que le prétentieux mette sa menace a exécution. Mais elle ne pouvait tolérer une épée de Damoclès, si le moindre risque existait qu'elle ne tombe pas que sur sa tête.

    Une ombre devant la prison. Elle la dépasse pour se planter au plus près de la lourde porte cochère. Les azurites balayent la battisse qui la surplombe. Saint-Lazare. Lieu sans doute peu anodin. Latence. L'air gelé et vicié de la ville lui glace les poumons. Pression des jambes, mouvement du buste. L'étalon fait demi-tour et les quatre sabots se plantent à côté de la silhouette drapé de sombre.

    Sa main gantée se plante sur sa cuisse gauche et la mercenaire se penche dans un grincement de cuir. Sourire de l'ange qui se veut au plus près de la hauteur humaine.

    _ C'est toi, la petite conne qui croit pouvoir jouer avec moi ?

    Les azurites se plantent sur le crâne de l'Ombre.

    Saches que je n'aime pas les menteurs...

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" -




























Umbra
L’Ombre fixait St Lazare l’Impartiale, là où l’innocence n’a pas sa place. Toute la concentration se portait alors vers l’imposante porte en bois qu’elle franchirait tôt ou tard, lorsque des bruits de sabots résonnèrent dans son dos. Umbra rivait son attention vers l’huis songeant que l’Ange apparaitrait dans l’encadrement de ce dernier. Paradoxalement, comme extrait des limbes, le Séraphin surgit de l’obscurité parisienne. La Noiraude ne cilla pas lorsque la monture s’arrêta à sa hauteur ni ne prit la peine de se tourner vers le destrier.

_ C'est toi, la petite conne qui croit pouvoir jouer avec moi ?

Un étrange rictus déforma la bouche de la Condamnée dans l’ombre de sa capuche. La voix lui était inconnue mais les propos en disaient tant sur cette dernière. Le regard toujours planté dans le vague face à elle. Ombeline imaginait la personne à ses côtés aussi démunie devant son sort, si ce n’était moins résignée à le subir. Sans doute plus entravée dans le fil de sa destinée, petit insecte prisonnier de la toile arachnéenne de la Vie n’avait pas envie de se faire dévorer tout cru ou peut-être, pas tout de suite. Tel fut le raisonnement d’où naquit ce sourire sarcastique.

Le candide aurait sûrement supplié que son heure n’était pas venue s’il avait sa place dans ce mystère. Le couard ne se serait même pas déplacé et aurait tenté de fuir l’inévitable. L’hargneux, quant à lui, aurait traqué l’énigme sans relâche. La Bâtarde ne reflétait aucun de ces trois cas alors que faisait-elle là ?

Penchée comme l’était la cavalière, la Manchote n’aurait pas eu de mal à l’empoigner par le col de son crochet et à la faire basculer de son destrier. Elle aurait usé d’un brin d’agilité et de beaucoup de fourberie mais ça non plus, ce n’était pas elle. Ce fut pour cela que l’Ombre ne releva pas l’injure et même qu’elle la pardonna.

Dans un moment de détresse où personne ne sait ce qu’on attend de nous…C’est là qu’on tente le tout pour le tout, non ?


Je pense que si vous posez la question, c’est que vous connaissez déjà la réponse…

Non, pauvre folle, ce n’est pas moi qui me joue de toi mais quelqu’un qui se joue de nous !

Le ton était monotone, dénué de quelconques sentiments. Creux, les mots ne portaient rien de plus que l’information qu’ils devaient transmettre. L’Ombre n’avait pas envie de déblatérer dans le vent ni se choquer aux vulgarités d’une désespérée. Elle tentait de comprendre à son tour, ce qui la menait ici. Au plus profond de son âme, Umbra s’intimait d’enfermer ses pulsions : Ne pas réagir sous la peur ni la colère. Ne pas agir avec envie mais avec raison. Ne pas fuir, ne pas se laisser aller.

Les remords nous poussent à commettre ce que nous nommerons plus tard des regrets. Les doutes en sont le premier pas.

La Noiraude inspirait profondément pour ne pas se laisser submerger par ses pensées. Il ne fallait pas qu’elle perde l’emprise sur elle-même : Respirer, se maitriser, respirer, se maitriser… Quand son esprit fut calme, Ombeline reprit :


Dans toute cette mascarade, n’auriez-vous pas oublié l’essentiel ?

Nous ne sommes pas les maitres ici, de simples pions à la merci de n’importe qui…Alors joue qu’on en finisse.
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Anaon

    Je pense que si vous posez la question, c’est que vous connaissez déjà la réponse…

    Quelques mèches de cheveux qui tanguent au grès du vent. L'unique mouvement qui vient briser l'immobilisme de l'instant. Deux statues aussi pierre que les murs qui étendent leur roc sur un pan d'horizon enténébrée. L'évocation, déjà, d'une trempe égale. La narine de la mercenaire exprime un bref soubresaut.

    Non... Je ne sais pas. Mais puisque qu'il s'avère que c'est toi je vais t'apprendre qu'on ne se joue pas de moi comme çà.

    Non... On ne se joue pas de l'Anaon comme çà. Si elle se fait pantin, c'est qu'elle a décidé de porter les liens. On ne trompe pas si aisément quelqu'un qui a passé sa vie à démêler le vrai du faux, à faire jaillir la vérité de la pointe de son couteau. Les menteurs ont des masques fissurés. Les manipulateurs, des ficelles larges comme des cordages. Même Judas, qui se croit Dieu à vouloir modeler sa volonté de femme à sa guise seigneurial, se coud de fils blancs à ses yeux. Lucide de tout. Entière. Elle sait reconnaître le spécieux et ne tolère pas que l'on puisse chercher à diriger sa vie. Seul l'Emplumé jouit d'une manipulation totale sur son existence. Et elle refuse qu'un autre tente de s'octroyer ce détestable... privilège.

    Dans toute cette mascarade, n’auriez-vous pas oublié l’essentiel ?


    Elle ne perd aucun aplomb. Il n'y a que de l'assurance dans cette voix si jeune. Ça lui percherait presque un sourcil sur le front, tant une indifférence pareille semble improbable... pourtant, ça aurait pu être la sienne... Les lèvres ne se descellent pas. Puis le mouvement vient briser le repos. La balafrée se redresse sans mot dire et d'un coup de rein elle remet la monture au pas. Elle aurait pu, oui, aussi... déloger son pied de l'étrier pour faucher le menton de l'impertinente. Entendre l'os répliqué dans un craquement et espérer voir le corps chuter pour se rompre la nuque comme une ampoule de verre. La botte reste pourtant fichée dans l'arceau sans esquisser le moindre geste. La cavalière s'éloigne, délaissant l'encapuchonnée à la faveur de quelque foulée. Alors la mercenaire met pied-à-terre.

    Les rênes sont passées par principe dans un anneau d'attache, mais le cheval rôdé par les années sait bien qu'il n'a pas à bouger. Un regard balaye à nouveau la façade austère qui étire ses hauteurs dans la nuit. Pourquoi Saint-Lazare ? Par symbolique peut-être. Par dissuasion, sans doute... L'Anaon osera-elle déclencher le pugilat juste sous les yeux d'une prison ? Se retrouver derrière les barreaux ne l'enchante pas beaucoup. Soit le Corbeau est un imaginatif, soit il a pensé à tout. Une claque amicale vient flatter le poitrail de l'étalon. La balafrée fait demi-tour.

    La sicaire a sorti ses habits des grands soirs. Ceux des ombres et des exactions. Aussi noirs que l'Ombre flanquée de sa capuche. Ses doigts bruissant dans le cuir, phalanges cuirassées par le fer planqué sous la peau tannée. Et sous le manteau aux pans ouverts, le gilet précieux, vestige de cette époque révolue où on lui aurait versé l'or à même la bouche pour peu qu'elle ouvre le bec. Deux épaisseurs de cuir pour prendre en étau une légère cotte de maille, dissimulée, qui ne trahit aucun cliquetis, aucune brillance. On ne manque pas d'imagination quand il s'agit d'assurer sa protection... Ne rien laisser paraitre. Jusqu'aux manches des poignards enrubannés pour ne pas provoquer d'éclat.

    La balafrée s'arrête derrière l'Ombre, à bonne distance, s'assurant ainsi de ne pas être à portée de ses coups. Sa voix ne lui dit rien, ou lui en rappelle vaguement d'autre. Même sous la cape élimée, la silhouette ne lui rappelle personne. A ses yeux, ce n'est qu'une parfaite inconnue.

    L'essentiel ? Les azurites se relèvent mollement sur la prison.

    _ Les égocentriques et les indésirables.

    Elle a décidé de jouer parce qu'elle n'avait pas d'autre moyen de remonter à la source. Désormais persuadée d'avoir son Corbeau sous les yeux, il en ira bien vite autrement.

    L'Anaon est une bien mauvaise joueuse quand ce n'est pas elle qui fixe les règles.

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" -
Umbra
L’Ombre n’avait pas encore décroché un regard à son adversaire ou plutôt à cette inconnue qu’un importun lui désignait en tant que tel. Elle ne lui voulait pas de mal, cette personne lui était totalement indifférente, à vrai dire. Pourtant innocente ou non, Umbra était prête à la tuer sur le champ s’il en coutait la sécurité de ses proches. Cette réflexion hérissa le cuir blafard de l’Encapuchonnée.

Maculant son jeune esprit de contrats douteux, elle s’évertuait tout de même à garder les mains propres. Sûrement la plus diplomate des psychopathes, Ombeline évitait toujours la mort à ses ennemis quand Opaline ne prenait pas le dessus sur sa conscience. Une simple question de principe, Corneille n’était pas cruelle de nature. Une mercenaire que la soif de sang ne rassasiait pas, que les écus ne comblaient pas et que le pouvoir n’intéressait pas. Dans le fond, la Noiraude a peut-être mal choisi sa vocation. Ses valeurs chaotiques, elle aurait sûrement pu les exprimer autour d’un verre en côtoyant des utopistes de son degré ou dans les rangs d’une liste comtale. Au final, la Bâtarde avait choisi d’œuvrer dans les bas-fonds. Une rêveuse chez les désespérés, un agneau avec des crocs dans la meute.

Ce soir, un trouble-fête lui demandait inconsciemment de choisir son camp. De se laisser briser les os par une convaincue ou de prendre les armes et de se battre pour ses convictions. Un bain de sang au nom des siens. Tout ce que la Manchote réalisait à cette heure, c’était que l’attachement était la pire entrave dans ce bas monde. Ses rares alliés la conduisaient au pilori sans le savoir. Son cœur qui avait souvent manqué de sentiments allait se crever pour sauver les quelques uns qu’il portait en son sein. Les lèvres échappèrent un soupir d’affliction aussitôt étouffé par l’écho des sabots. La cavalière la contourna sans mot dire et les iris de jais se redressèrent dans son dos. Le profil ne l’interpella pas. La Boiteuse chancela de quelques pas dans sa direction avant de reporter son attention sur la palissade. Le regard éteint détaillait les pierres usées par le temps à la recherche d’un maigre indice. Qui pouvait bien se jouer d’elle de la sorte ? Et l’Inconnue dans son ombre, c’était un pion ou un complice dans tout ça?


_ Les égocentriques et les indésirables.

La réponse flotta dans le calme ambiant un court instant avant de venir se choquer brutalement à l’orgueil d’Umbra. Les phalanges de son unique poing craquèrent et blanchirent par réflexe tandis que la carcasse drapée de sombre soubresauta d’irritation. Les propos blessèrent à être entendu, ils écorchèrent ostensiblement leur cible qui rumina.

Les égocentriques…

L’Encapuchonnée ne comptait plus le nombre de personnes qui la traitait d’égoïste. Elle assumait pleinement de "vivre que pour sa gueule" mais peut-être n’était-ce pas assez pour ne pas se sentir rabrouer par cet adjectif. Instinctivement, ses pensées voguèrent vers sa chère Enjoy. Sa relation avec sa sœur s’était dégradée à cause de ça, en partie. La Noiraude avait choisi de ne pas suivre la Famiglia Corleone, de ne pas défendre les couleurs de sa famille maternelle, d’exister toute seule sans l’aide des siens dont elle venait à peine de faire la connaissance. Aujourd’hui encore, Ombeline regrettait intimement l’absence de la Lionne à ses côtés. Cependant, qui pouvait être en mesure de le savoir s’il n’avait pas lu leur récente correspondance?

Les indésirables…

La soudaine mélancolie s’estompa pour ne laisser place qu’à une profonde haine. L’aversion qu’éprouvait la Bâtarde pour les Lisreux n’avait aucune limite. Eux, sa généalogie paternelle l’avait renié sans vergogne. Ils l’avaient abandonné à milles lieues de leurs terres dans un couvent pour y étouffer son existence. Ils l’avaient voué au silence, exclue. Jugée rejeton indésirable… Mais qui ?! Qui pouvait connaitre aussi bien son lamentable parcours ? Manquerait plus que la messagère l’appelle par son véritable nom pour couronner le tout.

Une colère noire embrasa Corneille. En deux misérables mots se déterraient tous les secrets de sa subsistance. Quelques minutes plus tôt, la Manchote pesait encore le pour et le contre de cette mascarade mais là, la balance avait flanché. Si quelqu’un savait autant sur elle, il n’hésiterait pas à retrouver ses proches et à les tailler en pièce au besoin. La Boiteuse se sentit prise au piège et une abime s’ouvrit au tréfonds de son âme. Impuissante face à son destin, l’Ombre frémit rageusement avant de s’époumoner :


Sors de ta cachette, fourbe ! Assume tes propos ! Montre-toi, raclure !

Sa voix éraillée se brisa sur les pans de St Lazare et comme les cris de innocents condamnés à tord, son appel resta sans réponse. Umbra fit volte-face vers la silhouette derrière elle quand un second choc la percuta de plein fouet. Le visage de celle qu’elle fusilla, un instant, de ses iris de jais, cette balafre cinglant la commissure de ses lèvres. Ce sourire aux lippes plates… L’intonation se mua alors en un murmure effaré quasi inaudible :

Le sourire de l’Ange.

Toute l’attention se riva sur la cicatrice, détachant, une fraction de seconde, la marque du visage qui la supportait. La Noiraude chancela d’un pas en retrait se souvenant des conseils de son Mentor. Le Hibou lui avait vaguement parlé de la Balafrée et il avait l’air de la craindre. Du moins, c’était ce que l’élève avait ressenti dans son discours. Le germain n’avait pas assez épanchée sa curiosité à son sujet mais il lui avait fait promettre de ne pas l’approcher et si auquel cas, ce malheur arrivait…

Ombeline déglutit difficilement et ferma hermétique sa bouche afin de ne pas rompre le vœu de silence faite à son Maitre. Corneille fut totalement désarmée qu’elle en oublia de se mettre en garde. Trop de découvertes en si peu de temps, elle était déjà sonnée avant de rentrer sur le ring.

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Anaon
    Les azurites se sont braquées sur la silhouette. Prêtes a commander l'attaque au moindre geste de l'adversaire. Mais l'Ombre reste murée dans un silence bien étrange, avant d'éclater de fureur contre les murs de Saint-Lazard.

    Les sourcils se froncent. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! A qui parle-elle ? Les prunelles parcourent brièvement les hauteurs de la prison, cherchant la moindre esquisse de vie derrière les vitres. Puis un mouvement dans les ruelles et à nouveau un geste physique de l'encapuchonnée. Qu'a-t-elle voulu brailler, dans cette révolte désespérée ? Ébranlée dans ses moindres certitudes, les rouages de l'Anaon caracolent... Ce ne serait pas son corbeau ? Elle se joue d'elle ? Ce ne serait que malice de sa part ? Stratégie, tromperie huilée pour l'embrouillée ? Ou bien n'a-t-elle à faire qu'à un esprit malade et dérangé ? Trop de possibilité... Trop de peut-être et d'incertitude pour un esprit qui ne tolère pas le hasard.

    Si l'Anaon avait été impulsive... Si l'Anaon avait été violente, elle n'aurait pas attendu que l'inconnue lui montre la face pour lui sauter dessus. Frapper, avant de comprendre. Punir, avant de confesser. Prendre le choc de la chair contre la chair comme ivresse exutoire. Mais il y a un point commun non négligeable qui unit les mercenaires qui pourtant se dédaignent : ce ne sont pas des sanguinaires.

    On lui brode des manteaux de tendresse. On la dit armée de nerf et d'insolence. On la fait douce et inconstante. On la sculpte du marbre des insensibles et du clinquant des arrogants. Anaon. Un être que l'on s'invente plus qu'une femme que l'on connait. On la croit assoiffée. On la croit refoulée. Animée de délires pathologiques, d'un excessif goût de la folie, qui la nourrit au macabre et la shoote au morbide. Une machine qui ne marche qu'à l'adrénaline. Née pour tuer...
    Mais non... En cela, le Corbeau lui-même se trompe.

    Elle n'a jamais éprouvé le moindre plaisir dans la souffrance d'un autre. Elle ne trouve aucun attrait dans les râles d'agonie. Le sang ruisselant sur ses lames ne lui cause aucun émoi. C'est en cela, sans doute, qu'elle est impitoyable. Dans son professionnalisme presque effrayant. Couper de la chair est comme couper du pain. Elle n'en éprouve ni dégout ni jouissance. Ce qui l'a poussée au mercenariat, ce n'est pas le gout de l'interdis ou de la transgression. Ce n'est pas le sentiment de puissance ressenti à l'instant ou l'homme se fait Dieu de décider de la vie ou de la mort tenue à bout de lame. "C'est le besoin d'argent" dira-t-elle, mais c'est surtout la résultante de desseins plus profonds, connus de la sicaire seule. Une raison. Une unique comme chemin de croix. Son sacerdoce.

    Le Hibou.

    La balafrée est une convaincue. Convaincue que pour débusquer la vermine, il faut se faire vermine à son tour. Comprendre la vermine. Côtoyer la vermine. Rentrer dans leurs mœurs, leurs habitudes, jusqu'à exhumer des noms. Rien de plus. Tuer, torturer, humilier n'est pas une vocation. C'est un simple un gagne-pain. Un gage d'information.

    Elle aurait pu passer mille fois devant cette femme s'en éprouver le moindre mépris. Puisqu'elle ne lui aurait suscité aucun intérêt. Pas un brin d'envie meurtrière. Pourtant aujourd'hui, celle qui s'évertue à éviter les effusions d'hémoglobine si elles ne sont pas nécessaire, est prête à s'embarquer dans une expédition punitive contre ce Corbeau. Du moins... Elle l'était. Pour ajouter au trouble qui la tenaille déjà, l'Ombre se retourne pour se figer à nouveau.

    Le volte-face la surprend. Une main se pose dans un réflexe sur le manche de sa dague. Quelques torchères disparates tavellent les murs de Saint-Lazard, comme de chétifs garde-fous dressés contre les menaces de la nuit. La lune malade ne prête pas bien plus de lumière, suffisamment seulement pour deviner sous la capuche quelques reliefs rehaussés d'une lueur cireuse. Elle a capté le murmure, mais pour la désignée ce n'est rien d'autre qu'une constation. Fruit peut-être d'une réputation qui lui glisse sur les ailes comme l'eau de pluie sur le hyalin du verre. La morveuse qui lui fait face ne paraît pas bien vieille. Pas comparé à elle en tout cas. La surprise qu'elle entraperçoit sur sa face et une surprise pour elle aussi. Elle est où la verve qu'elle lui crachait de quelque lettre bien roulées sur le papier ? Où sont les provocations et les menaces ? Il n'y a rien... Rien sous le plumage qu'une gosse stupéfaite qui n'a rien d'un Corbeau.

    La balafrée ne comprend pas... Elle ne comprend plus. Les nerfs claquent, agacés de ne rien biter à la situation. L'Anaon à l'inébranlable sang-froid a aujourd'hui quelques cordes de sciées à son violon. Et c'est la maitrise de soi, et non l'indifférence habituelle, qui lui maintient encore les idées en place. Patience élimée. Désir paumé. La lame est tirée, pointant l'air, désignant plus qu'elle ne menace.

    _ Maintenant tu vas m'expliquer ce que c'est que ce bordel. Ou j'te garantis que je vais me faire haruspice pour lire directement ce que je veux savoir dans tes tripailles. C'est quoi ce délire ! Parles !

    La détermination est là. Il suffit pourtant de la connaître pour comprendre la frustration qui la ronge en cet instant. La situation lui échappe. Ça lui est détestable. Elle parle, là où elle se serait tue. Elle menace là où elle n'aurait pas bougé. Le timbre gronde.

    Dans quel merdier lui a-t-on foutu les pieds...

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" -
Umbra
L’Ombre était encore sous le choc. Etait-ce vraiment Elle ? Celle que même son Mentor semblait craindre. Intimement, elle aurait souhaité que ce soit véritablement un ange. Un silence, un non-dit ou un miraculé, un saint. Même une apparition mystique, qu’importe tout sauf cet Ange.

Maitre Hibou ? Est-ce votre jeu ? Pourquoi me piégez-vous de la sorte…

La gorge nouée, Umbra n’avait pas le temps de ruminer davantage ni même de se morfondre sur son sort. Le ton montait, l’incriminait et bientôt, l’acier pointa le bout de son nez tel un doigt accusateur, menaçant verdict. L’interlocutrice se faisait juge et bourreau alors qu’elle n’était rien de plus qu’une victime siégeant au banc des accusés.

La Noiraude sourcilla. La colère paraissait profonde et à aucun moment, elle ne remit en cause la détermination de son adversaire. Cependant, il était troublant de la voir s’acharner de la sorte. Etait-elle à ce point aveuglée par sa motivation pour ne pas comprendre le piège ? A agir ainsi, la toile se refermait petit à petit sans qu’elle n’en ait conscience.

Ombeline fut déçue et effrayée par cette réaction absurde. Depuis le temps où le Hibou lui avait parlé du « Sourire de l’Ange », elle avait eu le temps de l’imaginer. La Bâtarde avait songé à une personne douée d’une réflexion proche de l’omniscience. Un être aux aptitudes surdéveloppées, un omnipotent au moins, pour que celui qu’elle jugeait le meilleur puisse faillir en prononçant son nom.*

Mais face à elle ne se trouvait qu’une Balafrée déboussolée, prête à tout pour que le jeu s’arrête. La Manchote était dans le même cas, la fureur en moins. Alors que la lame aiguisée la désignait toujours, elle lâcha son bâton pour ne garder qu’une arme équivalente à la sienne : son crochet. Le moignon cuirassé exhibait un fin métal courbé et pointue. Outil pour agripper, suspendre ou blesser. Les iris de jais se posèrent de nouveau sur la cicatrice barrant la joue de sa concurrente à la limite du dédain puis glissèrent jusqu’aux azurites.


Seule l’une de nous peut aller plus loin et tu le sais…

Puis d’un filet de voix glacial, la pensée prit de l’ampleur :

Parler? Et pour dire quoi? J'ai tenté de vous raisonner mais vous êtes trop bornée pour m'entendre. Vous niez l'évidence même, nous sommes au même point, les mêmes pions.. alors maintenant n’attendez pas que je vous cède le passage !

Accompagnant ses propos d’un pas en avant, la Boiteuse bloqua sa garde bancale avant de lancer un premier coup de poing armé. Le crochet fendit l’air horizontalement et siffla dangereusement près du visage de la mercenaire...

*Je tiens à préciser que tous les jugements de valeur sur les personnages ne sont que des ressentis d’Umbra.

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Anaon
    *

    Stupide Anaon. Réflexe à la con. L'aînée se rabrouera elle-même un court instant de la réaction qu'elle aura provoquée. Face à la riposte verbale, cependant, elle ne bronche pas, attendant l'explication, avant de commettre peut-être l'irrémédiable.

    "Vous niez l'évidence même, nous sommes au même point, les mêmes pions... "

    Les sourcils se froncent encore et les narines tiquent de ces brèves crispations qui lui sont caractéristiques. Exaspérée de recevoir des réponses à mots voilés qui lui tordent encore plus les neurones au lieu de les lui calmer. Le mercenaire n'a pourtant pas le temps de statufier sur ses... révélations ? Le soudain éclat du métal. Une comète de fer qui lui passe sous le nez et qu'elle n'évite que par la grâce des automatismes. Le buste qui se recule et la surprise qui lui claque dans l'âme quand elle braque ses prunelles sur l'arme portée au point. Pas le temps de réfléchir pourtant. L'adrénaline gicle dans ses veines, la botte se lève pour aller chasser l'encapuchonnée à la hanche. Fini de faire la mariole, la dague nonchalamment tirée est empoignée d'une main solide. Ainsi nous en sommes là. L'aînée n'amorce aucune attaque, mais se prépare à la riposte. Bienvenue dans le combat des sourdes.

    Lorsque l'ainée fait la sourde oreille, inutile que la cadette ne s'époumone davantage. La diplomacie ne marche pas avec la Balafrée alors à contre coeur, l'Ombre serre le poing. Cette dernière a conscience de l'infime espoir de gagner cette lutte et encore plus d'en sortir saine et sauve. L'Ange a des années d'avance en la matière tandis que l'apprentie se tue à la tâche pour esquiver ce qu'elle ne maitrise pas. Tout cela se ressent dans sa gestuelle, dans sa posture. Le coup de botte de la Roide s'imprime douloureusement dans le déhanché d'Umbra. La garde était mauvaise, trop superficielle, c'est pourquoi l'Eclopée flanche, rattrapant de justesse son déséquilibre. L'expérience tape fort et fait mal. Alors que la Noiraude se redresse, elle mesure leur écart de force. Cette abime dans laquelle elle s'est jeté à l'aveugle, Ombeline comprend maintenant que la chute ne sera pas sans impacte. Tant pis, les premiers coups sont déjà tombés, maintenant tout est permis. Les iris de jais toisent la lame qui la menace. Le métal luisant au clair de lune la nargue ouvertement, son prochain crochet sera pour cet insolent.

    Et le métal ripe contre le métal dans un grincement détestable. L'Anaon a tout juste le temps de protéger son tranchant du frottement, laissant l'attaque glisser sur le plat, mais le choc dans son poignet la met en garde contre trop de raideur. Elle comprend bien vite, l'aînée, que si le crochet passe sous sa garde, s'en est foutu. Voilà par ailleurs une arme avec laquelle elle n'avait jamais eu à composer. Et il ne faut qu'un geste des rétines pour réaliser à la clarté de la nuit qu'elle n'est pas qu'une esse de boucher tenue entre cinq doigts. C'est une partie même de son adversaire. Pas le temps pourtant de s'attarder en contemplations, presque de concert avec sa parade, l'Anaon s'attaque encore au bas du corps. Le pied droit s'en va en courbe pour tenter de balayer la cheville voisine, prêt à remonter à nouveau en chassé pour définitivement faire chuter la gamine ou à défaut la faire reculer pour de bon. La dague, gardée comme simple rempart, l'Anaon ne veut pas encore des coups irréparables. Pas tant qu'elle sera dans autant d'expectatives. Pas tant que l'Ombre ne l'y forcera pas.

    Apparemment, la Balafrée a bien saisi le point faible de son adversaire car elle réitère son attaque. L'Ombre sent venir la botte dans ses jambes et agit en conséquence. Bloquant sa garde au niveau de la ceinture, elle pare de suite l'éventualité d'un coup de semelle dans les airs pour tenter de la faire reculer. C'est alors que tibia contre tibia, Umbra encaisse le choc qu'elle espère aussi douloureux pour l'Ange. L'épaisseur du cuir de ces bottes procure une bonne protection mais elle doute de l'hématome violacé qui recouvrira sa peau quand elle se déchaussera. Un grognement d'affliction s'étouffe entre ses mâchoires crispées. Heureusement pour elle, c'est la patte folle qui subit de nouveau. Chacune son objectif, si celui de la Roide est de la désésquilibrer à tout prix, la Noiraude en veut à sa dague. Putain de lame, ça l'inquiète ces choses contendantes surtout quand elles sont usées à bon escient. Pour autant, Ombeline ne s'avoue pas vaincue: où le métal ripe, la main agrippe. Un crochet du droit pour lancer la dextre à l'assaut mais au lieu de blanchir ses jointures, elle ouvre bien grand sa paume estafilée du pouce au poignet pour se saisir de l'objet de ses futures tortures. L'élan est bon, assez pour que si elle esquive le geste de son bras, la frappe atteigne surement le visage.

    Elle a bloqué le coup tibia. C'est comme un choc électrique qui la secoue depuis la jambe. Une châtaigne monumentale. Ça lui remonte dans le corps en un frisson gelé et pendant un instant le visage de la mercenaire se crispe de douleur. Le cuir amortit, mais ne désensibilise pas et ceux qui auront connu témoignerons comme c'est loin d'être agréable de se prendre un œuf sur le tibia. Dents scellées, la balafrée peste intérieurement. Elle avance, et quand elle voit la main de l'Ombre fuser sur elle, elle envoie dans un réflexe son poing armé dans l'optique d'envoyer gicler l'attaque. Alors que son pied gauche se pose en avant pour la coller de profil à la gamine, presque épaule contre épaule, elle voit avec surprise la paume ouverte empoigner sa lame. Choc violent. Les muscles se bandent pour ne pas lâcher. Les prunelles rondes contemplent sa propre arme lui passer à un poil de la tête. Et sans attendre, le pied droit part en revers pour crocheter à nouveau de dos cette cheville qui ne veut pas céder.

    La dextre se saisit enfin de la lame miroitante et la renverse vers la Roide. Un danger en moins, pensait-elle déjà en effleurant à peine la dague. "Garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus près"* Dans leur posture,cet adage prend tout son sens: les mercenaires n'étaient plus face à face mais côte à côte. Les hématites de la Corneille pouvait dévisager sans gêne l'ainée, un rictus mauvais au coin des lèvres. Malheureusement, le faciès angélique parut s'éloigner bien rapidement. Le poing se crispa sur l'arme par réflexe mais en vain, Umbra ne put retenir sa chute. Avant que son dos ne touche le sol, elle lança tout de même un coup de coude de son bras amputé au creux de l'articulation pour faire fléchir le genou de son adversaire. C'est alors que les pavés de St Lazare furent très malaccueillants, froids et durs, pour la tête brune et sa carcasse. Sonnée mais pas abbattue, elle papillonna des cils une fraction de seconde, assez pour que la balance flanche et que le décor tourne vite.


    La main aînée ne lâche pas l'arme, jusqu'à réussir à l'extraire de la poigne de son adversaire en chute, et la balafrée n'attend pas son reste pour reculer de quelques pas. Pas suffisamment vite cependant pour éviter le poing véloce qui lui crochète la botte. L'accroc lui cause un sursaut qui lui donne plus d'élan pour prendre ses distances. Et à quatre bons mètres du corps de la gamine, l'Anaon s'arrête pour lorgner le trou dans le cuir. Et merde... Dans l'obscurité les détails s'effacent, mais heureusement ce n'est que la peau de sa botte qui a morflé et pas la sienne... Elle l'aurait senti...

    La balafrée redresse le nez, s'octroyant quelques secondes d'accalmie. Non, elle ne cherche pas à définitivement clouer son adversaire, prenant le risque de la voir se relever et l'attaquer à nouveau. Tout ce bordel est allé trop-vite et il serait peut-être temps de se mettre les idées au clair. Alerte, elle reste prête à essuyer une nouvelle offensive, mais les prunelles se relèvent brièvement sur la bâtisse de Saint-Lazare, guettant le moindre mouvement derrière les fenêtres qui pourrait trahir l'arrivée imminente d'un bataillon de gardien. L'Anaon ne s'enrobe pas de ces images de faux-paladins ou de raclures bouffies d'arrogance qui prétendent n'avoir peur de rien ni personne. Ce sont toujours ces cons-là qui crèvent les premiers. Elle, si elle doit courir pour sauver sa peau, elle le fera. Le regard revient à l'Ombre quand son esprit s'emplit des mots couchés par le Corbeau et leurs soudaines incohérences. "Ta vie contre la sienne... Tuer sera ton souffle". La sicaire pensait tomber directement sur ce père ou cette ivrogne de mère. "Tu ne tueras point, celle-ci n'est pas ta cible.","quand on se retrouve à terre, à cracher son sang, c'est que la scène est finie." Il faut croire que c'était surestimer le Corbeau que de le croire assez tordu pour chercher à lui embrouiller les méninges, en se cachant lui-même sous le masque de cette Ombre. Il faut croire que tous ne sont pas Hibou. Mais tuer ou ne pas tuer dans l'absolu, faudrait savoir. Et qu'en saura-t-il, le Corbeau de ce qu'elle fera de l'Ombre ? A moins qu'il ne soit lui-même spectateur de ce combat....


Musique : "Outro " Alice Madness Returns, composée par Chris Vrenna, Jason Tai & Marshall Crutcher

*Citation d'Al Pacino.
Post à quatre mains.

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" -
Umbra
Sous l’éclat d’une demi-lune timide, le premier round s'achevait. Verdict? Une ombre s’étirait sur les pavés jonchant St Lazare. La carcasse drapée de noirs soubresautait à l’assaut d’un rire nerveux. La voix éraillée, à gorge déployée, se choquait sur les pans délabrés de la rue parisienne. Il n’y avait rien de comique dans cette tragédie et tous le savait pertinemment. Umbra, s’exprimant à demi-mot habituellement, soudainement, s’esclaffait bruyamment.

Perdre du temps, ne pas perdre la face…

Vaine technique pour désarçonner l’ennemie se retranchant déjà à l’opposé de son corps agité. Cette dernière ne semblait pas encline à porter le dernier coup. Pourtant, ce n’était pas l’occasion qui manquait, couchée au sol, la Noiraude était offerte à un ultime coup de lame. C’était peut-être cette situation aussi dangereuse qui tiraillait ses nerfs autant que ses zygomatiques. Sous ses traits tordus d’anxiété, quelques larmes roulaient le long de ses tempes.

A tâtons, la dextre cheminait sous le linceul sombre, profitant des tremblements frénétiques pour voiler le geste. Le poing réapparut de manière anodine et l’être s’apaisa en une profonde inspiration, encore loin du dernier soupir. Sans bouger la tête, les hématites cherchèrent l’ainée puis le ton redevint monocorde.


Vous ne semblez pas décidé à passer de l’autre côté du mur, n’est-ce pas ?

Un sourire narquois fendit les lippes juvéniles avant que la carcasse ne se redressa douloureusement. Peut-être la Roide avait conscience que tuer la Corneille sous les regards de la prison n’était pas très judicieux pour sa liberté. Le poing droit resta crispé alors que nonchalamment le revers du crochet vint lisser le devant de sa cape sombre.

Il ne suffisait que d’un ultime coup pour envoyer l’apprentie dans les limbes mais l’Ange paraissait préférer lui sauver la vie. Ce n’était pas pour autant qu’Ombeline la louerait. Les iris de jais jaugèrent la Balafrée en attendant sa réponse. Sans aucune garde, la Bâtarde restait toujours promise aux coups fatals. Cependant, quelque chose intimait la Manchote que son heure n’était pas venue, qu’il perdurait un brin de clémence chez l’Anaon. Une lueur qu’elle se fera un plaisir de souffler comme une flamme dans l’obscurité…

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Anaon

    La nuit se crève d'un rire soudain, secouant les quelques secondes de calme retrouvées après ce brusque moment d'agitation. L'Anaon reste attentive à la tâche noire qui se détache de la grisaille des pavés. Une ombre qui convulse sous le blafard d'un astre malade. Ça en serait presque macabre. Ce rire-là, elle le connait. Du moins il lui en rappelle d'autres. Ce sont ceux qu'on lâche dans les moments les plus malvenus. Dans les douleurs intenses, les peines inqualifiables. Quand y'a quelque chose qui flanche, là, sous la caboche. Un fusible qui claque. Qui court-circuite parfois le peu de raison qu'il nous reste. Elle n'a jamais trop su si c'était de la simple folie, une espèce d'orgueil, ou une résignation désespérée, mais bordel, ce qu'elle a pu rire à chaque fois qu'elle a cru la mort arrivée. On ne se cassera pas la tête, on dira que c'est nerveux. Mais pour elle, çà reste un mystère, cette propension à se marrer à chaque fois qu'elle pète son câble, où qu'elle sent la Camarde prête à lui trancher celui qu'elle a dans la gorge. Ça pourrait passer pour anodin, mais c'est pourtant pour çà que l'éclat de voix qui secoue la carcasse mise-à-terre la marque. La sicaire ne bronche pas, mais elle ne se prépare à rien de bon.

    Vous ne semblez pas décidé à passer de l’autre côté du mur, n’est-ce pas ?

    Un regard se porte à nouveau sur les pans de rocs. Puis sur la porte. Avant que les azurites ne suivent la lente ascension du corps. Elles observent le mouvement au semblant anodin du crochet lissant la cape.

    _ J'ai déjà tout ce qu'il me faut pour avoir ma place de l'autre côté.

    Et ce n'est donc pas cela qui me retient de t'achever... Dans l'absolu, si on les voyait, si le guet venait à passer, ils auraient tout autant de raisons de les mettre aux fer, pour leur simple esclandre. " Trouble à l'ordre public" qu'ils diraient. Une vie de vidée sur les pavés ne les feraient pas arriver plus vite. Elle aurait juste une chance de plus de se retrouver avec belle corde à l'encolure sans même s'encombrer d'un curé pour la lui passer. Non...Ce serait juste immensément stupide de gâcher l'unique lien qui la retient au Corbeau. L'Anaon ne se soumet pas à ces impulsivité-là. Clémente ? Peut-être. Peut-être pas...

    Mais oui. Faire durer le combat, c'est prendre le risque de tomber sur la prochaine ronde de nuit. Et là, ce sera pas joli joli. Maintenant il faut choisir. Se faire expéditive ou tirer les vers de cette saleté de nez ? Un bout de cerveau qui cogite, l'autre qui reste obstinément concentré sur l'Amputée. Et l'aînée provoque. Teste à vrai dire. Les mains s'écartent, lame et paume vide, dans un signe de questionnement, laissant libre ce torse bien plus protégé qu'on ne pourrait le croire.

    _ Disposée à se faire plus loquace maintenant ?

    L'iris d'un bleu déjà sombre passerait pour noir dans cette lumière absente. Pourtant les pupilles se font plus que vives et incisives. La mécanique de l'aînée est bien huilée. Dans ses moindres réflexes et jusque dans ses prises de conscience. Si la rivale est estropiée, dépourvue de sa propre expérience, elle n'en reste pas moins plus jeune et elle n'en reste pas moins un risque. Et un risque ne se minimise pas. Mais si elle attaque à nouveau... Elle s'y cassera les dents.

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" -
Umbra
_ Disposée à se faire plus loquace maintenant ?

Les lippes juvéniles s'étirèrent en un sourire moqueur, digne de la Corneille. L'Ombre, bavarde? Un pouffement croassant s'arracha du rictus sardonique. Umbra ne parlait jamais et avant d'être une qualité de mercenaire, c'était un défaut de personnalité. La preuve, cette nuitée, personne ne savait où elle avait encore disparu. A ce rythme, ses proches la retrouveraient charcutée aux abords de la prison, à moins que la milice de nuit ne la déterre avant.

Pauvre folle...Si tu crois que me passer à tabac, me fera passer aux aveux, tu te trompes sur toute la ligne.

Les prunelles obsidiennes fixèrent leurs singulières azurées avec insolence. Son faciès se referma brutalement, laissant de marbre son masque d'albâtre pour emporter avec lui toute invitation à la discussion: pure provocation. La Noiraude n'était pas prête à parler juste parce qu'elle n'avait rien à dire. Quand bien même, elle savait des choses, l'attitude de l'ainée la confortait dans son mutisme. Elle voulait jouer à la sourde? Ombeline se ferait muette jusqu'à la tombe, parait-il que les secrets ne sont jamais mieux garder que là-bas. Dans cet acharnement, les deux semblaient aveugles. Aveugles d'un autre qui les épiait sans vergogne. Deux orbites béants aussi noir que le ciel les observaient, se régalaient du spectacle de leurs vies...De leurs morts? Il jouissait de leur décadence aussi futil qu'un clignement de cils. Les iris de jais glissèrent le long de la palissade de St Lazare à la recherche de ses billes perverses. A cet instant, elle les sentait posées sur sa carcasse. L'oeillade était malsaine, tout comme ce jeu interminable. Les nerfs s'irritaient au simple songe qu'Il était là! Les hématites lorgnaient à droite, à gauche, retournait le décor sans se soucier de la Balafrée. Il y avait plus important qu'elle, il y avait quelque part, planqué dans cette rue déserte, un véritable ennemi autre que la Roide qu'on lui avait imposé. Mais en vain, le regard sombre de la Manchote disséquèrent les pavés sans la moindre trace d'un voyeur. L'attention se reposa donc sur la mercenaire par dépit. Elle était le seul danger palpable à la ronde. Elles auraient pu se regarder un long moment en chien de faïence mais l'Ombre brisa vite cette inertie.

La Corneille avait choisi son moment pour décoller du sol. Vicieusement, elle avait calculé son envol. Lorsque sa léthargie paraissait avoir atteint son adversaire, sans bloquer sa garde, elle prit de l'élan. Bien que seules quelques emjambées les séparaient, Umbra se servit de cette soudaine vitesse pour surprendre l'Ange. Tout se passa ensuite très rapidement. La Noiraude usa d'une furtivité proche de la fourberie. Elle ne pensait pas en arriver là avant de penser à utiliser sa botte secrète. Un coup qu'elle jugeait imparable si la cadence était assez soutenue. En décortiquant l'action qui se produisit, on put constater qu'Ombeline prit une grande inspiration tout en posant son dernier pas si proche des pieds de l'ainée. La dextre tantôt crispée déserra ses jointures devant le visage balafré et les paupières de la Bâtarde se scellèrent. L'air accumulé dans les poumons se vidèrent comme une tornade pour expluser la poignée de cendres nichée au creux de la paume entaillée. Un épais nuage noir se souleva alors à la hauteur du visage anonesque pour l'embrumer. Si tôt, la poitrine vidée, la Manchote fit volte-face pour s'extirper de l'amas poussiéreux. Légèrement en retrait, la garde haute, prête à reprendre du service une fois le piège dissipé, les yeux plissées et la bouche voilé dans le haut col de sa cape, elle jaugea l'étendu des dégâts.


Tu es la seule aveugle ici, Ange. Moi, j'ai toujours été lucide quant à notre sort...

Obstinée. C'est le premier mot qui lui vient à l'esprit quand elle voit l'Ombre décortiquer les alentours sans même la calculer. Obstiner à se draper dans sa culpabilité. Et comment l'Anaon pourrait la considérer comme un simple pion ? Pour une innocente, elle se défend bien peu, et refuse de s'expliquer pour les tirer toutes deux de ce bourbier. L'Anaon ne sait pas qu'Umbra aussi a reçu sa convocation. Et à la laisser ainsi dans l'ignorance, l'aînée ne peut que la croire coupable, complice... Ou décidément sacrément stupide de préférer le casse pipe. Siphonnée. Dérangée. Difficile de lui trouver une case.
La silhouette s'élance à nouveau sur elle. C'est sans surprise et sans broncher qu'elle la voit avaler les quelques mètres qui les séparent. Demeurée en Jésus en croix, l'Anaon attend le dernier instant pour parer l'offensive, esquiver, riposter. Et quand la main armée se lève en garde-fou, sa vision se fait soudainement noire. Les ténèbres s'ouvrent en un nuage, les azurites, de réflexes, s'écarquillent de surprise. Elle n'a rien le temps de gérer, d'une inspiration précipitée elle avale une gorgée fuligineuse. Les yeux se ferment. La main gifle rageusement l'air alors qu'elle recule pour s'extirper du piège cendreux. La putain. Oh la putain ! Sournoise ! Les paupières se gonflent de larmes. La gorge s'arrache d'une toux qui essaie de cracher la poussière qui lui tapisse tout l'intérieur. Le nez plein de cendre, elle a l'impression d'en avoir jusque dans l'estomac. Une main furibonde passe sur son visage. Les yeux mouillés s'ouvrent sur la fourbe. Coupable ou victime ? La question ne fait plus débat. Elle aussi la prend pour un pigeon, et çà, çà ne lui plait pas.
La vision flouée par les larmes, l'aînée se lance dans un bond, la dextre en avant, senestre se faisant vive pour attraper dans son dos l'un des stylets lovés dans le gilet. La pointe est dressée entre l'index et le majeur. La dague s'en va siffler contre le visage de l'impertinente alors que l'autre part en uppercut dans l'envie de perforer l'aisselle juvénile.

L'Ombre détestait les rixes, elle avait une sainte horreur de les déclencher mais fallait-il se rendre à l'évidence qu'il ne restait plus que le combat dans cette situation. L'ainée ne voulant rien entendre, l'apprentie se devait de lui rentrer tout ça dans le crâne de gré ou de force. Non, Umbra n'aimait pas dégainer ni même menacer, elle n'avait réellement pas choisi la bonne voie pour sa diplomatie. En faite, si la mercenaire haissait tant les coups, c'était simplement qu'elle en recevait plus qu'elle n'en donnait. A pied d'égalité, ce serait peut-être avec un certain sadisme non dissimulé qu'elle attaquerait la Roide mais à son piètre niveau, c'était se jeter dans la gueule du loup toute crue. Vivement que la Corneille retourne sous l'aile de son Mentor afin de peaufiner ses parades enfin si l'Ange ne la tuait pas ce soir... En voyant, la facilité de rétablissement de la Balafrée, les chances de survivance s'amenuisaient de minute en seconde.Une sévère quinte de toux et quelques larmes soufflèrent la botte la plus mesquine qu'Ombeline maitrisait alors.

De surcroit, l'Anaon furibare rechargeait. Poings sertis d'acier, l'impulsion fut-elle que la Noiraude ne pouvait esquiver totalement l'assaut. Il fallait choisir à la hâte entre le tranchant d'une dague et le piquant d'un stylet aiguisé à souhait. Les gestes devinrent soudainement mécaniques comme si le corps réagissait avant d'agir. Les nerfs s'irritaient de plus en plus au fur et mesure des ruades et bientôt le reglèment de compte finirait à l'instinct de survie. La dernière fois que la Bâtarde entra dans ce genre de transe, ce fut la carotide arraché d'un gardien qu'elle recracha de sa bouche*. Cette nuit, les mâchoires étaient hermétiquement crispées et les lippes pincées pour opprimer le moindre cri pouvant trahir sa peur ou l'infime supplique réduisant à néant sa crédibilité d'assassin en herbe. La garde fermement tenue près du visage, les iris jaugeaient amèrement les lames fendant l'air à toute vitesse pour venir la cisailler de part et d'autre. Furtivement, l'oeillade dériva dans les jambes de l'ainée et l'automatisme se déclencha par réflexe. La carcasse se tassa sur place tandis que la patte folle s'étirait en un violent chassé dans les cuissardes ennemies. Ne pouvant définitivement pas contrecarrer l'offensive de la Roide, la Manchote, dans un élan de corps et d'esprit, espéra dans son balayage retourner la force de l'adversaire contre cette dernière. Le simple fait de dévier de quelques millimètres sa charge serait encore une lueur d'espoir pour l'apprentie.


Regarde mes yeux ! C'est ce que l'Anaon aurait hurlé si elle s'était mise en position de maître aujourd'hui. Le flou devant ses prunelles et la nuit qui s'opacifie ne lui font pas voir le geste des rétines, mais l'infime mouvement de tête qui accompagne la baisse du regard de la benjamine. Modique seconde pour capter l'information. Des signaux pour l'aguerrie comme des phares dans la nuit. Les mains qui ne toucheront rien se croisent brutalement comme un plastron contre sa poitrine. La balafrée ne fuit pas le coup qui fuse de la botte. Elle encaisse le chassé de la jambe droite, sentant le quadriceps frémir de la douleur qu'elle lui impose. Cuisse fragile qui ne s'est jamais vraiment remise de la nuit qui l'a vue se faire percer de part en part. Fort à parier qu'elle boitera pour le reste de l'assaut, mais l'Anaon n'en fait pas une inquiétude. A peine a-t-elle amorti le choc qu'elle décoche son autre pied pour aller faucher la tempe voisine. Vive, elle se fait Vélocité pour ne pas laisser le temps à l'Amputée d'attaquer son unique appui au sol.
Des parades et des ripostes. Ce ne sont que quelques coups, mais quelques coups qui sont déjà de trop pour l'Expéditive. Prôner l'attaque unique et définitive, voilà sa doctrine et la seule qu'il lui reste. Endurante elle l'est, mais plus les années passent et plus l'on accumule des marques qui érodent peu à peu la résistance de la jeunesse. Le trait du souvenir fuse brièvement dans son esprit, elle se revoit tenir tête à cette montagne d'Eikorc, et sa folie hargneuse qui n'avait pas déméritée. Chat qui a écorché le mastiff et qui aujourd'hui n'arrive pas à se défaire de la souris.
Les larmes tracent des rigoles dans les fraisils collés à sa peau. Et à chaque respiration sa gorge s'embourbe de ce mélange de cendres et de salive mêlées. La sicaire s'agace de ce deuxième front de combat, de cligner des paupières toutes les secondes pour en virer les esquilles. Et cette gène qui lui brûle le palais et les narines. Expéditive... Il faut se faire Expéditive. La balafrée dans son handicape ne fera plus de cadeaux, mettant à mal les articulations et les points faibles du corps adverse. Que çà finisse, et qu'elle puisse enfin aller vomir de ce trop plein de poussière.

La carcasse encaissait les coups plus violent les uns que les autres. Le bruit sourd des chocs contre la carapace de vêtements renforcés et le son mat du cuir tanné s'étouffaient dans des hoquets de souffle coupé, des râles de douleur ainsi que des grincements de métal et de dents. L'amélioration de la garde de l'Ombre était visible, sans contre-attaquer, les assauts étaient déjà mieux parés. L'apprentie esquivait tant bien que mal la fureur de l'ainée. Elle comprenait petit à petit que sa parade sournoise avait tout de même eut raison de l'adversaire. Les charges étaient vagues et le visage balafré souillé de larmes et de cendres. La rage dictait son impulsivité, surêment que la Corneille l'avait atteint à l'orgueil. Les membres endoloris tenaient le rythme bien que sonnés. Faire bloc, ne pas faillir, Umbra l'aurait peut-être à l'usure. L'Anaon semblait se débattre autant que se battre et dans le fond, la Bâtarde prenait ça comme une victoire de bataille dans la guerre.

La Noiraude ne sut dire combien de temps s'écoula lors du second round... Cependant, elle se rappelera toujours des quelques gouttes de sang qu'elle put extirper à l'Ange. Un énième raid de la Roide permit à Ombeline de l'altérer. Alors que la furie se rapprochait dangereusement, l'Ombre provoqua le destin en tournant le dos à son ennemi. Pile ou face, de quel côté retomberont les séquelles? Ce n'était pas une question de hasard mais une maitrise de timming, ce que l'apprenti ne gérait pas encore. Pour elle, ce sera donc de la chance tout simplement, celle du débutant. Les corps se croisèrent, s'éffleurèrent et s'esquivèrent. Les deux femmes échangèrent de place et la valse reprit son cours. Dans l'élan, le bras armé s'étira de tout son long pour venir souligner le zigomatique déjà vif sur la joue pâle. Le geste fut lancé semblable au déployement d'ailes. La Corneille s'affirma et ses gestes prirent de l'ampleur. L'élève apprennait sur le tas, entre deux défenses, une offensive se profila et la Bâtarde se saisit de cette occasion. Quand elle reprit son équilibre, face à l'Anaon écorchée, les hématites lorgnèrent la pointe du crochet teinté. Un sourire victorieux se grava dans ses traits, l'orgueil tranche aussi bien que le métal apparement...


Post à quatre mains

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Anaon

    Nuit persistante qui étouffe la vision et oppresse la précision. Brûlure sous les paupières qui lui érafle la cornée à chaques battements d'aile. Les coups et les à-coups, un corps qui se tourne et l'envie d'y répondre et soudain...

    Le choc.

    Une corde qui lui claque dans le crâne. Un ultrason qui lui grille la raison. Les sens s'enflamment sans savoir ce qui les assaillent, les neurones, un troupeau de rats paniqués qui s'entrechoquent et s'écrasent pour fuir l'invisible brutale. L'incompréhension.

    La douleur soudaine.

    Réflexe, la main lâche le stylet et se porte à sa joue gauche. Titubante, la mercenaire recule, la dague maladroitement levée dans un dernier soupçon de défense. Rien n'atteint le cerveau mort de réflexion qu'une nappe brulante qui inonde toute la peau de son visage. Pulsation moribonde. Le cœur glacial dans les tempes qui hurle à chaque battement. Le crochet est entré dans sa bouche. Comme un hameçon il a percé sa joue. Arraché l'épaisse chair à l'exacte endroit de la première fois. Les fibres se sont déchirées. La plaie vomit son sang sur le cuir de ses gants.

    Douleur.

    C'est un pic à glace qu'elle lui a enfoncé dans l'œil jusqu'au cerveau court-circuité. Imbécile terrifié qui vocifère ses appels à l'aide et qui fout le tumulte dans tout son organisme. Respiration saccade, mal de crâne incommensurable. Acide gelé dans les veines qui s'affolent comme si elles voulaient fuir ces muscles paralysés. Elle a hurlé, quand le crochet lui a crevé la joue. Maintenant, elle a les dents serrées à se les briser. Elle comprend. Elle accuse. Mais plus que la douleur elle-même, ce sont les souvenirs qui lui crament l'âme.

    Le crochet a ouvert la brèche à son enfer. Sa géhenne. Tout remonte comme des cadavres dans un bourbier. Relents méphitiques. Le froid de l'hiver. L'odeur de la chair brûlée. L'écœurante odeur de cheveux calcinés. Le sang. Le sucre et la rouille. Le goût de l'alcool pour faire passer la douleur. Les points sutures qui sautent. Folie et ses cheveux blancs. Les cris. Les cris. Les cris. Les cris. Les cris. Les cris. Réminiscence. Convalescence, que par auto-défense son cerveau traumatisé avant pris soin de dissimuler sous une épaisse couche de déni. Les mois de cicatrisation plus violents encore que le jour de la torture. Oubli sans oublier les faits de son apocalypse. Rappel cuisant de la douleur.

    J'ai souffert. Mais plus jamais je ne voulais me souvenir de son ampleur.

    Quelques secondes qui se distillent... quelques minutes peut-être qui s'écoulent où yeux fermés, la mercenaire perd totalement pied avec la réalité. Indescriptible implosion. Et les doigts crispés sur la blessure se détachent faiblement pour étaler sous le regard qui s'ouvre le carmin qui luit bien faiblement sous la lune malade. Une expiration sifflante passe les lèvres, comme le râle d'un poumon crevé.

    J'ai mal...

    Un pied bouge, pour tourner ce corps qui a l'impression d'avoir une tête en plomb. Et se mettre face à la décapuchonnée qu'elle contemple comme si elle la découvrait.

    J'ai mal...

    Les yeux clignent. Hallucinés. Les doigts gantés se frottent l'un à l'autre, glissant sans accrocs sur la substance cardinale qui les empoisse. La tête se baisse, regarde ses pieds. Des petites gouttes rouges fusent dans l'air pour éclater sur ses bottes.

    J'ai envie de vomir...

    Latence... Latence avant la déferlante. Avant que la sicaire ne brise le carcan douloureux qui la garde immobile. Avant de rompre la distance une dernière fois dans une salve qui ne tolèrera aucun échec. Ultime coup de sang. Fuser pour se foutre de la lame qui pourrait accrocher son torse protégé. Fuser pour agripper sans vergogne cette tête détestée et envoyer dans l'élan un genou douloureux percuter le pubis et ces points névralgiques. Buter du front le nez fragile en se crispant sous sa propre douleur.

    Ne me sous-estime pas !


    Et quand elle sent l'Ombre ployer sous ses mains elle la lâche à sa chute avant de tomber avec elle. Bruit mat d'un corps qui s'effondre. Débout, son adrénaline qui retombe, elle sent un frisson violent lui remonter les membres. Vertige d'un instant. Elle oscille. Elle se reprend. Le regard hagard se pose sur la mise à terre. Sa botte vient chercher le crochet entaché de son propre vermeil et l'écrase, contre les pavés grossiers. La sicaire se penche, du bout de sa dague elle dénude le bras et vient arracher les lanières qui retiennent le crochet. Et d'un coup de pied, l'arme-membre est dégagée et virée à quelques mètres de la cadette. L'aînée n'a pas un seul regard pour le moignon dénudé. Elle se relève.... tout doucement... Cette douleur lancinante. La corde d'une arbalète qui ne se cesse de claquer dans sa tête... Elle a la joue en fusion.

    Relevée, elle contourne le corps de la gamine, puis la senestre gantée plonge dans la masse de cheveux sombres pour l'agripper sans aucune douceur. Et de tirer pour redresser l'Ombre et l'asseoir devant ses pieds. La dague change à son poing, une volte, et le pouce se presse sur la garde pour laisser la pointe titiller la tempe gracile de la gamine. Voilà. Maintenant on ne joue plus. L'Anaon a pleinement le dessus. Mais au prix d'une douleur indescriptible. Les yeux se ferment... Garder la tête froide... Encore un peu... Parler...

    _ "Mon enfoiré de père me battait... sans qu'on sache pourquoi... Et mon ivrogne de mère.... se faisait culbuter jusqu'à plus soif "…

    Elle avait lu. Elle avait lu les lettres jusqu'à l'indigestion, jusqu'à s'assurer qu'elle ne pourrait rien oublier de ses détails quand elle en aura le besoin.

    _ "Ta vie... contre la Sienne "...

    Syllabes bouffées par la bouche éventrée qui n'arrive plus à formuler convenablement. Ce goût de rouille et de sucre qui inonde sa bouche... et qui dévale le long de son menton. Oh... J'avais oublié, comme çà faisait mal. Et pourtant, ce n'est tellement rien face à avant.

    _" Tu ne tueras... point.... celle-ci n'est pas ta cible... On te regarde "...

    Les doigts se réaffirment dans la tignasse. Les azurites embrassent la nuit devant elle. Sa main armée tremble un instant. Diable... La cendre sur sa peau est devenue tellement secondaire.

    _ Alors...dis-moi... maintenant. Qui est-ce... Si tu n'es rien... Pourquoi prendrait-il le soin de spécifier... qu'il ne faut absolument pas que je ne te tue... hein ?

    La dague tourne contre la tempe comme une petite toupie. Alors... Est-ce que tu nous regardes ? Où es-tu... Montre-toi, si tu es là !

    _ Il te connait... sinon... Qu'est-ce que... çà pourrait bien lui faire... que je t'achève... là... et maintenant...

    Métal qui s'incline et qui n'aurait pas de peine à se planter dans la gorge.

    Je l'ai dit. Je n'aime pas jouer.

Musique : Titre et provenance inconnu au bataillon, si quelqu’un connait...
"Scar " Full Metal Alchemist. Merci à JD Umbra pour la découverte.

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" -
Umbra
Les muscles bandés à en avoir des crampes. Peu à peu, l’adrénaline se dissipe de la carcasse altérée. La douleur auparavant étouffée par le sang chaud s’éveille insidieusement et endolorie tout son être. Les jointures de son unique main sont aussi blanches que le crochet est pourpre de sang. Du sang de l’Ange. Le faciès devenu carmin n’est qu’une pâle image pour appuyer le fait qu’elle voit rouge à l’heure qu’il est. L’apprentie n’a pas le temps de se réjouir de cet ultime coup. Les sons mats se choquent sur les couches de vêtements sombres. A ce rythme, surement deviendront-ils son linceul.

L’Ombre n’a plus le temps de réagir, de se défendre. Le cuir tanné doit déjà bleuir sous les phalanges de la mercenaire. La Corneille se replie sur elle-même en vain. Elle rabat ses brindilles d’ailes contre son poitrail mais rien y fait, l’élan est pris.

Crac.

Les hématites se gonflent de larmes, par instinct plus que par émotion. Des points lumineux emplissent les contours vagues de son champ de vision. Un long filet de sang éclabousse son visage à son tour et la Noiraude suffoque. Un épaix liquide âcre se vide dans sa bouche entrouverte et bientôt, l’air vient à manquer. Le palpitant s’accélère et les oreilles bourdonnent. Pas le temps de s'inquiéter, juste survivre.

Tout devient flou, tout devient loin, tout devient sourd...

Boum.

Sous les faisceaux lunaires, Umbra s’écrase au sol. Les iris de jais trempés à demi-clos luttent pour rester ouverts. Ils greffent leur attention sur la silhouette qui la domine. Dans cette position, les gerbes de sang s’enfoncent dans sa gorge. Une quinte de toux recrachent le fluide ferreux. Les paupières se plissent quand le bruit du métal grince sur les pavés mais la tête est trop lourde pour voir ce qu’il se passe. La senestre est plus légère, de nouveau inexistante. Sous la main de l’Ainée, la Bâtarde se redresse. Tout son être hurle de douleur que même son râle brisé n’arrive à égaler.

Maintenue par le ramage brun, la tête d’Ombeline ne choie pas. Les sillons de sang colorent grossièrement ses traits et les hématites éteintes jaugent l’adversaire. La lame scintille contre sa peau rougie, trop de couleurs à assimiler pour son esprit embrumé. La voix de l’Anaon résonne là où il n’y a plus personne. Faut-il donner un nom ?

Les lippes sèches à force d’haleter l’air froid demeurent toujours bées. La respiration est bruyante car gênée. Le sang se tarie sur le cuir et en tiraille les tissus nerveux.


‘sains pains...qui c’aint...Toujours aussin sou’de et ainveugle...

Le nez enfoncé sur lui même crée un étrange accent à l’Ombre qui expulse autant de mots que d’éclaboussures de sang. Elle postillonne des gouttelettes carmines au visage de l’Ange et ravale le plus gros au fond de sa gorge d'où elle sent la pointe métallique s’enfoncer dans sa chair au dégluti.

J’ain suis sure... qu’il se glausse de not’e étaint... Nous ne sommes paint les boins ennemins...
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Anaon

    Un souffle passe ses dents, pareil à un soupire empâté qui chercherait à s'extirper d'un marécage spongieux. Une expiration ténue, tenant plus du râle, se démêle comme elle le peut du sirop carmin qui lui empoisse la bouche. La sicaire n'a pas le courage de cracher ce trop plein de sang, ni même de l'avaler. Elle penche simplement la tête, le laisse se vider sur le sol dans un mince filet saccadé. Dieux... Combien de gallon de cet ichor peut combler un corps ? Anatomiste de l'ombre, elle n'avait jamais songé à le calculer. Ses paupières se ferment sans qu'elle ne les commande réellement. Toutes ses pensées convergent un bref instant vers cette pulsation corrosive qui lui ronge la joue. Elle ne saurait dire, si la plaie est glacée ou bien brûlante. Ses perceptions sont à la fois terriblement vives et démesurément confuses. Que fait-elle cette adrénaline... n'est-elle pas censée amoindrir son mal tant qu'elle demeure dans ses veines ? Elle sent une douleur fantôme s'étirer jusqu'à son autre joue. Sensation, à nouveau, de la pointe du bistouris qui découpe sa peau...

    Et c'est l'Ombre qui la tire de son absence momentanée, dans un accent grinçant et pincé. Les azurites contemplent à nouveau le vide des ruelles tendant pourtant l'oreille au non-aveu de l'amputée. Elle s'imagine soudainement sourire, d'un rictus nerveux et sadique. Mais sur son visage, rien d'autre n'apparaît que cette expression à demi-comateuse causée par sa douleur. C'est incroyable, cette obstination à ne pas vouloir réfléchir ni s'expliquer, même pour sauver sa peau. Des coriaces, elle en a connu, mais la sicaire sait aussi qu'on est souvent bien plus loquace sanglé sur une table avec quelques promesses de fer pour lécher ses entrailles. Ça vous ferait parler un muet et se parjurer le plus dévot des cul-bénis. Faudra-il en arriver là ? Elle tient serré dans le cuir de ses gants son seul lien avec le mariole qui croit se payer leur tête. La gamine sait quelque chose, c'est forcé, ou sans savoir consciemment, elle a au moins un indice en sa possession. Elle n'est pas venue ici par hasard, on le lui a forcément demandé. Elles auraient pu se lier pour résoudre à deux ce mystère. Mais bornées, elles n'en auront rien fait.

    L'Anaon n'en démordra pas, ce Corbeau connait le moineau qu'elle tient entre ses mains. A nouveau, les prunelles fouillent les ténèbres sales de la ville à la recherche de la moindre forme humaine. Elle ne voit pas grand-chose, avec ses grands yeux bleus floués. Et voilà que de loin, comme une crevée de perception en plein songe, elle distingue un bruit argentin. De frêles cliquetis amplifiés par l'écho des ruelles voisines. D'agacement, les doigts se resserrent dans l'entrelacs de crins sombres. La mercenaire fait abstraction.

    Où est donc cette Enflure ? Il doit bien être là quelque part... A moins qu'il n'ait même pas pris soin de s'assurer du bon déroulement de son plan ? Non... Peut-on être à la fois si retors et si peu consciencieux ? Les cliquètements s'intensifient. Elle sait, c'est la ronde qui arrive et son détachement de maréchaux. Que faire ? Elle ne peut pas rester là. Et sur cette place vide qui sert de parvis à Saint-Lazare, rien ne semble vivre d'autre que leur deux carcasses et son cheval. Rien non plus ne grouille derrière les hauts murs, à l'affut de leur grand final ou du moindre coup fatal. Bientôt elle entendra la voix des gardes l'alpaguer. Réflexion qui se heurte à l'esprit atrophié par la douleur causée.

    Si elle avait eu les idées claires, la sicaire n'aurait pas tergiversé. Elle aurait baisé la tempe fragile d'un coup bien placé, pour emporter avec elle et tranquillement, le corps assommé dont elle aurait cherché à tirer des éclaircissements, à la discrétion d'une auberge mal-famée. Mais à l'instant, l'idée effleure ses pensées confuses sans se concrétiser. Maintenant, il n'y a plus le temps de réfléchir. Le regard se baisse enfin sur le visage ensanglanté qu'elle tient par la tignasse comme une vulgaire tête coupée. Le corps est soudainement lâché, poussé au sol comme on chasserait la peste. Se figeant à nouveau, la balafrée braque son regard sur la chair à ses pieds, durant un court moment. Alors brusquement, comme une flèche du Parthe, un ultime accrocs de sang-froid, mesquine, la botte heurte violemment le menton sanguinolent de la gamine.

    Saleté.

    Du coin de la vision, elle voit les flambeaux de la ronde tapisser la nuit d'un fragile point de lumière. La sicaire ne demande plus son reste. Ramassant le stylet abandonné plus tôt, elle fait demi-tour pour rejoindre son cheval. Le pied passe à l'étrier, la senestre couvre la joue qui se vide toujours de son sang et qui l'amenuise, à chaque crachat de carmin. Coup de talon et l'Anaon s'enfonce dans la nuit, sans se retourner sur l'Ombre abandonnée, sans se soucier de ce qui pourrait lui arriver. Elle a bien plus urgent à songer... Ce cauchemars à nouveau réouvert qu'il lui faut refermer. Ensuite, seulement, elle re-songera à ce combat, à cette Ombre, à ce fumier qui l'a plongé dans cette belle merde.

    Oh oui, la nuit s'annonce blanche malgré ses idées noires.

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- Anaon à dire et à lire "Anaonne" -
Umbra
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L’Ombre suffoque, son faciès ensanglanté pendu au poing de la Roide. Tous les sens sont annihilés par la douleur qui lui ravage le visage, elle n’entends pas la cavalerie poindre. Cependant, Umbra pressent quelque chose, l’hésitation de l’Ainée n’est pas normale. Il y a peu dans sa fureur, elle lui avait défoncer le cartilage nasale sans autre forme de procès. Soudainement, l'Anaon se calme. Suspens à son comble comme les dernières fractions de secondes avant que la hâche du bourreau ne tranche le col du condamné. A-t-elle retrouvé son sang froid afin de l’épargner ? La Noiraude a beau être demi-comateuse, elle reste tout de même consciente que l'Ange ne fait plus dans la clémence. Quelque chose arrive, c’est certain. Que vient troubler son jugement?

Finalement, sa carcasse est expédiée au sol aussi violemment que les fois précédentes mais à ce stade, Ombeline n’a plus la force de se redresser ni de se protéger. Son corps est à bout de force. ses nerfs tant à vifs ne décèlent plus les supplices qu'ils endurent. L'adréaline s'en est aller, ne laissant que l'engourdissement quasi léthargique. Un poison qui la cloue à terre: la peur.

Elle halète fébrilement alors que son sang continue de se répandre sur les pavés. En coup de grâce, la Bâtarde se mange un impérieux coup de pied dans la mâchoire. Sa bouche entrouverte se ramasse sur elle-même en un craquement terrifiant. Le tourment est tel que la Corneille perd connaissance sur le coup.

Viennent alors des ombres hautes perchées danser autour du corps brisé. Dans des cliquetis métalliques, elles s’emparent de la carcasse défoncée. Sans plus de précaution, les armures se maculent à la tâche pour traîner l'Ombre à peine plus loin d’où elle gît. Est-ce l'Ankou qui la porte à ses essieux grinçants? A quelques enjambées de sa chute, ses bottes raclent le travers de la rue. Le sang s’égoutte à son passage, quelques bris de dents s’égrainent sur le chemin alors que la lourde porte massif de St Lazare s’ouvre sur l’apprentie.

Au fond d’une geôle finiront ses tortures nocturnes car sa gueule cassé n’est pas innocente. Le pied entravé de liens de fer, qu'elle le puisse ou non, demain elle devrait forcément parler, s'expliquer de son état. Les dents en miettes craquent dans la bouche pâteuse. Comment pourra-t-elle se justifier de cet hasard? Avait-elle réellement mérité cette destinée fortuite?


Je te retrouverai, Ange. Ton sourire, je l'étirerai encore jusqu'à ce que tu me parles... Nos destins sont liés maintenant.
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