Anaon
Les mains posées sur les frêles épaules d'Elendra, elle ne dit rien. L'ancien chaperon s'est exécutée quand la jeune mariée est venue la chercher. Elle n'a pipé mot quand elle l'a vu se déshabiller. Et lorsque que la jeune fille a lâché ses mots, l'Anaon a compris, ou a pressenti plutôt, le grave de l'instant. Elendra a été déparé de son velours selon ses vux, délestée de perles et passements pour afficher le brocart sombre du deuil. Les macarons ont cédé pour une plus large crépine.
A nouveau, elles empruntent le chemin menant à la collégiale.
Les doigts incitent à avancer autant qu'ils se veulent doux, gantés et enfouis dans l'épaisse pelisse qu'elle a jeté temporairement sur les épaules dénudée d'Elendra. Les azurites se posent à côté d'elle. Nyam a été retrouvée, Fenrir en bon chien de garde reste collé aux jambes fluettes, un pan de robe de la jeune fille pommée coincé entre ses dents, en singerie de laisse. Elfry, de l'autre côté d'Elendra... La procession ne moufte pas d'un mot et ce silence en escorte leur donne des allures de cortège funèbre. L'Anaon se sent mal. Elendra en noir. Elle, rigoureuse dans ses habits d'homme pas plus colorés, a l'impression de ressembler à un bourreau conduisant l'épousée à la mort. Si les gorges sont intactes, c'est pourtant bel et bien un couperet qui est tombé sur l'humeur.
Que dire... Il n'y a rien à dire pour tenter d'apaiser la peine muette d'Elendra. Et l'Anaon ne dit rien, pour avoir trop vécu ces moments-là, pour savoir qu'aucune formule de circonstance ne pourra apaiser le cuisant de la perte. La compassion devient injure. Les condoléances sont des insultes. Les mots sont outrages, parce qu'ils prétendent pouvoir combler la plaie si fraichement ouverte. La vie continue, elle n'aurait pas aimé vous voir si triste, ni pensez pas, çà ira vous verrez, le temps fera son office, elle sera toujours dans votre cur.... Qui a déjà vécu, a déjà su, qu'une fois passé l'enfance et ses candides incompréhensions, il n'y a rien de plus con à entendre et à dire pour tenter de réconforter une endeuillée. Et Elendra n'est sans doute plus une enfant...
D'une douce pression de main, l'Anaon arrête la d'Acoma et la troupe du même fait, devant la porte qui les mènera dehors, au devant la collégiale. La mercenaire fait face à la jeune fille, cherchant un instant à lover ses yeux dans les siens. Et les mains remontent, prenant en coupe les joues de lys, et les lèvres se posent avec une affection sincère sur le front de la jeune fille. Un baiser tendre qu'elle laisse durer... avant de se détacher et parler d'une voix de velours.
_ Attendez ici, je vais aller chercher votre fiancé et votre père.
Les mains restent arrimées au visage attristé de sa Mirabelle, le cur véritablement crevé de la voir dans cet état. Puis un sourire qui se voudrait réconfort vient étendre doucement ses lèvres ébréchées.
_ Restez bien avec elle...
Le regard se pose sur Elfry puis sur Nyam.
_ Tu restes avec les filles, ma aelig, d'accord ? Je reviens vite. Ne bouges pas. Fenrir, assis !
Et le canin gros comme un veau se pose, oreille pointées et guilleret, robe de Nyam toujours gardée dans la gueule. Alors l'Anaon s'éloigne, puis passe la porte pour se prendre de plein fouet la claque de l'hiver. Et alors... Et alors l'Anaon se met à courir.
C'est un bien drôle de mariage que voilà. Pas de cérémonie sur le parvis, faut-il croire, à cause du froid qui ne manquerait pas de geler l'assemblée, pas d'arrivée traditionnelle en cheval carillonnant de grelots parce que... bah parce qu'on est à côté, déjà, et parce qu'il aurait été impossible sans doute de faire monter Elendra sur un canasson. On a perdu un témoin. Anaon va apprendre qu'on a pommé le prêtre aussi... Un bien étrange mariage, oui et bien que personne ne lui ait donné les rênes pour éviter la débâcle, la balafrée a jugé tout naturel d'en attraper le mors. Puisqu'il y a toujours quelqu'un qui courre après tout le monde pour tenter de faire tenir l'organisation et bien... C'est elle qui se charge de courir.
La balafrée s'arrête brièvement devant le parvis de la collégiale, analysant d'un tour de rétine les visages présents sans trouver le désiré. Et de repartir au milieu des velours et des fourrures sans prendre le temps de relever qu'elle dénote dans l'ambiance, donnant plus une allure d'écuyer, ainsi en garçonne, qu'à une réelle invitée. Mais d'une, la mercenaire est bel et bien invitée et de deux, c'est même elle qui a préparé la mariée.
Prête à débouler dans le saint lieu, sa volonté se fracasse sur son aversion viscérale vouée à la foy d'Aristote et toutes ses manifestations. Mais prenant son hésitation à contre-pied, la mercenaire fonce de plus bel par les portes de l'église. C'est au petit trot qu'elle remonte la nef, peu soucieuse de la bienséance exigée dans pareil lieu. D'une à nouveau -, elle est païenne, de deux, elle est pressée.
Les prunelles accrochent soudainement la cible délogée. Elle se presse. Sa main attrape presque brusquement sans le vouloir, le bras du mari.
_ Il faut que vous veniez voir votre fiancée maintenant... Elle n'a plus de témoin. Et puis on va quand même opter pour l'entrée en bonne et due forme...
Bonjour Anthoyne, je suis ravie de vous revoir. Vous vous souvenez de moi, n'est-ce pas ? Ça avait été rapide, certe, mais j'avais eu le temps de planter la graine pour un mariage, sans même m'en rendre compte. C'est qu'il s'en est passé des choses depuis l'Anjou ! Ah Ah !... Oui. Mais pour les retrouvailles, on avait pas vraiment le temps.
_ Il me faut son père... où est son père ? J'sais même pas à quoi il ressemble son père ! Mais il nous le fait MAINTENANT.
Chuchotis insistants. Déjà que ce mariage ne se passait pas spécialement à la traditionnelle.. une mariée en deuil, un témoin décédé, la moité des protagonistes pommés... En parlant protagoniste, la tête de la balafrée se tourne dans tous les sens.
_ Votre témoin à vous est là ? Le curaillon est prêt ? Il est où ? Il a dit quoi ? C'est le parvis ou j'fais rentrer tout le monde dedans ?