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[RP] Sic transit gloria mundi.

Keridil
Je ne meurs même pas chez moi.

Pourtant, ses derniers mois, Keridil d'Amahir les avait vécus à Seignelay, dans les terres bourguignonnes de son épouse. Sa tête, calée dans un épais traversin, était suffisamment dressée pour qu'il puisse apercevoir au loin l'une des tours des remparts de la cité, pour peu que les hommes et femmes qui le veillaient décident d'ouvrir la porte qui donnait sur le dehors, sur ce balcon d'où il avait vu un roi de France assiéger sa femme pour prendre son amie pour maîtresse. Mais du sol, il ne voyait plus rien. Cela devait faire quinze jours qu'il était là, songeant à une fièvre qui ne passait pas. Il avait eu la folie de retourner sur les routes avec son père. Cette folie, il venait de se la faire reprocher dans une lettre de son épouse, une fois de plus délaissée.
Les errances des Lames d'Amahir avaient fini par avoir raison de Keridil, trimbalé d'ici à là sans action, sans savoir pourquoi. Trop peu curieux de l'avenir et des actions militaires, complètement détaché des questions politiques, il avait fini par suivre. Le duc de Chartres n'était rien de plus qu'un morceau de chair qui marche jusqu'à un combat qui ne vient pas. Mais il vint. Il avait dû s'immiscer à la faveur d'un souffle de vent plus frais que les autres. La jeune fouine tremblait, suait, soufflait et souffrait. C'était un mal incessant qui semblait le brûler de l'intérieur. Sa tête était compressée aux tempes, ses jambes semblaient ne plus exister, ses mains peinaient à se lever. Il oscillait entre des instants de frénésie, et d'autres de pure absence. De temps en temps, les rares personnes qui se souciaient encore de leur maître voyaient dans ses yeux un peu de lucidité, qu'il n'offrait qu'à la prière, quoiqu'il eût oublié tout le Credo, à l'exception de son premier vers.
Ce jour-ci,il avait vomi. On l'avait déjà saigné, et les chirurgiens devaient se lasser de le saigner. Pourtant, quinze jours, c'est bien peu. Sauf que le jeune homme qui avait jadis eut les joues roses, les avait désormais vertes. Pâles et suintantes. Son front était tout perlé. Sa peau, au bout de ses doigts, avait étrangement perdu en vigueur : elle était grise comme le brouillard sait l'être à l'orée de l'hiver.
Il n'avait plus marché depuis que son lit l'avait enchaîné. On avait tenté de le lever, mais sa jambe boiteuse ne le soutenait plus, manquant de force. La canne de Keridil avait été abandonnée, comme tant d'autres choses. Qu'on lui fasse la lecture l'agaçait profondément. On avait cessé, donc. Qu'on le fasse manger, et tout ce qui était entré ressortait, d'une manière ou d'une autre. Qu'on cherche à l'endormir, et son corps se secouait de spasmes. Ses mots n'étaient plus que les cris d'une douleur interne qu'il ne comprenait pas. Jamais il ne parvenait à oublier tout à fait son corps, et toujours il devait en gratter un endroit. Ce n'était plus une fièvre. Ce n'était plus un rhume. Ce n'était pas non plus la vieillesse.
Alors, Keridil avait commencé à songer à sa mort. En réalité, on l'avait fait pour lui. Un page qui avait, prévenant comme tout, demandé au duc de Chartres si l'usage d'un prêtre ne serait pas plus approprié que celui des hommes de science. On avait congédié ce pauvre gosse pour son impudence qui n'était rien d'autre que de la sagesse.
De loin en loin, on avait réduit le personnel autour de sa Grâce. Certains craignant une contagion quelconque, d'autres affirmant que le mal du corps est un mal de l'âme, et qu'après tout, si Dieu affligeait cet être de pareilles souffrances, c'était qu'il devait avoir bien des raisons de se trouver puni.
Il en avait quelques unes, sans doute. L'orgueil, l'oubli, la gourmandise, et l'infâme désir de se retirer du monde qui était sa plus grande démesure. Il était devenu ermite malgré lui, sans jamais se rendre compte de son isolement, car jamais il n'avait prisé la solitude. Seules les visites de Clément, son aîné, parvenaient à le hisser assis sur son lit. Clément pouvait bien lire quelques mots à son père. Clément pouvait bien lui raconter ses apprentissages. Le père, lui, restait à écouter, calme, et le regard plein d'une tendresse un peu mélancolique. L'on ne se touchait pas, ou peu. C'était parfois une petite main dans une grande, et rien de plus.

Ainsi, Keridil d'Amahir agonisait, entre paix de l'âme et horreur du corps. Décidé, alors qu'il regrettait de n'être pas sur ses terres, il fit chercher un notaire auquel il dicta quelques lettres.
Il y en avait une pour Della, son épouse, qui partirait en direction du sud. Une autre irait aux entours de l'Orléanais, chercher Lexhor, son père et pour chacun des frères et soeur du mourant. Puis une troisième qui, à Paris, trouverait le Grand Prévôt et le Roi d'Armes. Enfin, quelques lettres officielles partirent pour Chartres, Montpipeau et Bréméan, où l'on ferait baisser les oriflammes et où l'on ne vivrait plus qu'au rythme des messes célébrées pour le salut du seigneur, et le roi ainsi que la Pairie eurent droit aux derniers adieux du fils de dieu, rendu à son créateur.
Quand tout fut dicté et écrit, après plusieurs heures qui avaient été interrompues par deux crises de douleur et de convulsions, l'on commanda un prêtre.


Le Primat de France, car j'en suis un Pair. Allez chercher le Primat, je veux qu'il me confesse.

Il faudrait peut-être des semaines pour que la baronne de Seignelay revienne du Sud ; des jours pour que le prince de Montlhéry quitte le front et s'en vienne. Dieu, lui, n'attendrait peut-être pas ce temps. Néanmoins, dans un dernier sursaut de dignité, devant sa condition pitoyable, la Fouine de Bréméan voulait une sorte de luxe.
_________________
Endymion
La Bourgogne. S'il en avait entendu parler bien souvent cette année-là la Primat ne s'y était jamais arrêté, il y était passé plus ou moins rapidement pour aller de Vienne à Paris parfois, mais il n'y avait jamais passé plus de temps que celui nécessaire à la traverser. Il ne connaissait pas non plus les nobles terres qui la composaient, si ce n'est de nom pour certaines, et allait donc découvrir la baronnie de Seignelay pour la première fois. Car c'est là qu'il se rendait, depuis Paris, escorté de quelques gardes épiscopaux et d'un page, dans une voiture aux couleurs de la primatie de France qu'il utilisait lorsqu'il se rendait à la capitale accomplir certaines tâches inhérentes à sa charge spirituelle. C'était quelque peu surpris qu'il avait lu la lettre lui demandant de se rendre en ces terres, car c'était bien la première fois qu'un pair lui demandait les derniers sacrements, il n'aurait jamais pensé une année plus tôt, alors qu'il n'était que curé de campagne qu'une telle chose se produirait. Il n'aurait jamais pensé non plus discuter avec le Roy, le Camerlingue ou se trouver en présence du Pape, comme quoi les choses avaient beaucoup évolué en cette année 1461 pour le gascon trentenaire. Mais assez parlé de son passé, Endymion était donc arrivé au domaine de Seignelay, à l'entrée duquel il fit mander un garde qui le conduisit avec son jeune page/clerc jusqu'au maître des lieux, le pair mourant.
On l'introduisit dans la chambre et le prélat s'approcha doucement de Keridil, Pair de France qui n'allait surement pas tarder à rencontrer le Créateur. Le page de l'ecclésiastique s'était mis dans un coin, avec les affaires de l'archevêque qui lui, une fois à côté du lit, s'adressa d'une voix calme au duc,

Mon fils, vous m'avez fait demander. Et comme il n'avait jamais rencontré son hôte, il ajouta, je suis Monseigneur Endymion d'Abbade, le Primat de France.
_________________
Archevêque de Vienne - Primat de France
Della
      En Guyenne, au Prieuré Sainte Illinda.


La veille, Dorante, Béatrice et Della avaient écrit une belle lettre pour Kéridil. Les enfants racontaient la vie au Prieuré, assuraient leur père de leur amour et lui disaient combien il leur manquait. Della avait écrit à peu près la même chose, en des termes plus pratiques, parlant de marché, d'études qu'elle pouvait suivre, de fabrication de la bière et des offices.
La lettre était toujours là, sur la table, prête à être envoyée.

Le hasard fit que la missive de Kéridil arriva avant que celle de sa famille ne puisse même quitter le Prieuré.

Della cassa le sceau, impatiente d'avoir des nouvelles de son époux qui répondait rarement à ses courriers...elle déplia le parchemin et...son coeur marqua un arrêt avant de battre à tout rompre jusqu'à ses tempes, ses mains tremblèrent et ses jambes vacillèrent...

Citation:
Mon épouse,
Mon fils,
Ma fille,

Mes aimés, mes adorés. Vous êtes ma vie, mais voilà qu'elle me quitte. Je vous conjure de revenir à Seignelay. Je serais damné de ne pas voir l'amour en mon coeur une ultime fois, au regard de vos yeux. Et j'ai tant de choses à vous dire avant que Dieu ne me prenne. Il me brûle déjà le corps.
Hâtez-vous. Ce sera un beau repas de famille, et il y aura bien du monde en nos terres.

Je vous aime, et le ferai toujours.

Keri. Père et époux.

Oh, bien sûr, elle connaissait bien Kéridil, elle savait qu'il avait l'habitude de faire tout un plat d'une écharde dans son index et que le moindre éternuement devenait à coup sûr une méchante grippe mais...cette fois, elle sentait qu'il n'exagérait pas, que le temps pressait. Ah si seulement il n'avait pas encore une fois suivi son père et les Lames d'Amahir et qu'il était venu avec elle, comme il le lui avait promis ! Mais non...Lexhor avait toujours eu la priorité sur elle ! Elle enrageait cette fois ! Comment pouvait-on obliger un handicapé à suivre une armée ? Et voilà le résultat, la jambe malade avait du encore s'infecter...Des larmes roulèrent sur les joues soudain si pâles.

Après le repas, elle fit venir Dorante et Béatrice près d'elle, comme la veille quand ils avaient écrit la lettre. Ils s'installèrent encore tous les trois dans le lit, serrés l'un contre l'autre et Della Maman annonça aux enfants que leur père avait envoyé une courte missive dans laquelle il leur demandait de venir le rejoindre, pour la Saint Noël. Elle ajouta aussi que Kéridil était malade et qu'il serait sans doute dans son lit mais qu'il les aimait très fort. Elle ne leur en dit pas plus...Il serait toujours temps, plus tard.

Les enfants semblèrent heureux de rentrer en Bourgogne, pour Noël. Pour eux, ce serait un voyage de plus. Il ferait froid sur les routes, il faudrait s'arrêter souvent car il ne serait pas question de dormir dans un chariot. Arriveraient-ils à temps ?

Plus tard dans l'après-midi, la Renarde s'en alla à la touraille où travaillait Séverin.
A lui, elle ne cacha rien, elle lui montra la lettre et parla de son départ prochain, pour Seignelay. Lorsqu'elle parla de passer quelques jours en Bourgogne, son Cousin fut plus réaliste.

- Il est plus avisé d’envisager un peu plus que quelques jours. Ton époux a besoin de vous savoir auprès de lui, là pour lui, pleinement, toi ainsi que ses enfants.

Elle sourit, d'un air triste. Séverin avait raison.


- Tu es forte, tu l’as toujours été. Aie confiance en toi. N’anticipe rien, prend chaque jour tel qu’il est et pour ce qu’il est. Tu sauras faire face. Je serai avec toi. Nous prierons pour Kéridil, pour Clarinha, et pour les nôtres.

Séverin la serra dans ses bras et elle se laissa aller à cette étreinte toute fraternelle.

- Nous demanderons au Frère Bardieu , une messe, pour Kéridil…

Elle acquiesça, le regard plein de chagrin. Après le décès Uriel et la maladie de Clarinha, était-ce le temps maintenant de devenir veuve, pour elle ?
Si les époux d'Amahir-Euphor avaient eu des moments difficiles, ils en avaient vécu de merveilleux également et jamais jusqu'à ce jour, la Renarde n'avait envisagé un futur sans son époux...


Je dois avertir Frère Bardieu et préparer nos affaires.

Elle abandonna le doux refuge des bras de son Cousin et s'en alla...elle se retourna vers lui : Je t'aime énormément, Séverin. Jamais elle ne le lui avait dit encore, avec des mots, même s'ils s'aimaient tant que personne ne pouvait douter des sentiments qui les unissaient. Il était temps de dire à ceux qu'elle aimait, l'amour qu'elle leur portait. Elle s'en alla.

Le soir, elle hésita à envoyer la lettre des enfants.
Elle la lirait à Kéridil, lorsqu'ils seraient arrivés.

Une autre, plus succincte partit.


Citation:

    Mon Tendre Epoux.

    Que racontez-vous donc ?
    La mort ne vous prendra pas ! Je le lui interdirai !

    Nous partons demain.

    Que le Très Haut vous garde.

    Je vous aime.

    Tendrement.

    Della.

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Clement.lexhor
Mon père était revenu à Seignelay et j'en avais été tellement heureux que je n'avais pas vu tout de suite comme ses traits avaient changés, comme il semblait vieux et fatigué. Il faut dire qu'à dix ans ce n'est pas vraiment le genre de détails qu'on remarque. Ce n'est que les jours suivants, quand je vis que mon père ne quittait pas sa chambre que je compris qu'il était très malade. Je savais qu'il avait été blessé pendant une guerre et qu'il en gardait une blessure qui lui faisait très mal mais j'étais loin de savoir de quel mal il souffrait maintenant.
J'allais près de lui quand mon précepteur me laissait quitter la bibliothèque et quand Wilfred me renvoyait après une leçon d'épée, je m'asseyais sur le lit, à côté de lui et je lui racontais tout ce que j'avais fait. Il m'écoutait et j'étais content. Mère me manquait, elle aurait su soigner mon père, elle savait toujours quoi faire quand père allait mal ou quand j'étais malade. Un jour, je vis mon père écrire et comme je lui posais la question, il me dit qu'il écrivait à mère et qu'elle allait peut-être revenir bientôt. Je me souviens avoir souri parce que avoir mes deux parents ici, à Seignelay, c'était merveilleux.

Quelques jours plus tard, un carrosse arriva avec de belles armes, je m'en voulus de ne pas encore connaître tous les blasons, j'aurais pu savoir qui c'était ! Je me cachai dans l'escalier pour en savoir plus et là, le ciel me tomba sur la tête, c'était le Primat de France qui venait voir père !
Je filai aussitôt et me faufilai sur la pointe des pieds dans le couloir menant à la chambre de mon père, derrière une tenture, pour écouter ce qui allait se passer.
Lorsque le Primat fut entré, je vins coller mon oreille à la porte, espérant entendre quelques morceaux de la conversation.

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Keridil
Les courriers avaient eu le temps de faire leur route à travers la France, et leurs destinataires avaient du commencer leur pèlerinage. On venait donc veiller un mort, alors que se préparaient les festivités de la Saint Noël. A la Nativité se substituerait l'agonie. Il serait beau, de mourir un jour de Noël. De quoi vous dégoûter femme et enfants d'une fête qu'ils avaient eu l'habitude de fêter à la germanique, faisant venir les sapins qui ornaient leurs demeures de la forêt noire. Quand il reçut le courrier de son épouse, qui lui rappelait la période de l'année, Keridil d'Amahir avait demandé que le château se pare pour les fêtes qui verraient se terminer 1461, et le baron avec.
Quelques jours encore s'écoulèrent avant que l'on annonce le Primat de France, et que celui-ci s'en vint réveiller le trépassé en puissance, qui délirait dans un sommeil où il se trouvait entre vêpres et complies, entre chaud et froid, entre jour et nuit. Il claquait des dents : c'était qu'on avait du lui ouvrir les portes de la Lune, et pas du Soleil. Pourtant, et il le jurerait devant le prélat, il n'avait pas l'âme impure. Pas tant que ça. Les anges exagèrent bien souvent la souillure des hommes. Les vils, c'est qu'ils n'y connaissent rien. Le jeune duc de Chartres était un petit joueur dans la cour des grands pécheurs. De menus égarements, dont il comptait bien faire le rapport.
Une tenture trembla. Il le mit sur le compte de son état : il hallucinait. Mais il ne put s'empêcher de la regarder en tempêtant, un peu démesuré dans sa colère :


Sors de là, fantôme !

Colère qui s'adoucit immédiatement, alors que ses yeux tout en azur tombaient sur le visage du saint homme, qu'il regarda avec bienveillance et chaleur. Il tenta d'articuler quelques mots, en vain, voyant sa langue s'entortiller sur elle-même jusqu'à former un noeud qui se défit soudain dans un haut-le-coeur qu'il parvint à réprimer. Il ferma les yeux, inspira profondément et put enfin observer la première règle de l'hospitalité.

Monseigneur d'Abbade... Soyez le bienvenu, et... pardonnez, je vous prie, ma triste position... Je ne puis vous saluer selon nos rangs...

Et ça lui fendait le coeur. Il tenta bien de se lever, se balançant sur son lit, mais en vain. Il n'en avait pas la force, et l'eut-il eue que son estomac se serait donné pour mission de se vider de ses sucs. Il se décomposait gravement, et soupira à s'imaginer ainsi larvaire.

Merci d'être venu... Vous êtes notre hôte, mon invité... Ce ne sera pas long, Monseigneur, avant que je vous mande pour... la fin.
Je vous prie... cher homme de Dieu... d'entendre pour lui ma confession... Je ne pourrai plus pécher, après celle-là.


La tenture bougea encore. Il fut tenter de la faire exorciser, mais c'eut été passer pour un fou, sans doute, et qu'il était déjà.
Incantatoire, il récita son acte de contrition.

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Actarius
[Quelques jours après la venue du Primat, sur la route de Seignelay]


La nouvelle était tombée comme un couperet alors que le couple marquisal rejoignait la Bourgogne par la voie fluviale. Une missive. Une simple missive devenue corbeau de par la sombre réalité et le funeste avenir qu'elle dévoilait. Un Euphor, encore un, allait tomber sous les coups insidieux de ce qui s'apparentait de plus en plus à une forme de malédiction. Profondément affecté, Actarius n'avait pu dissimuler sa peine, d'autant qu'elle suivait de près une véritable tragédie. Il avait pris sur lui, mais son attitude avait sensiblement varié. Ses lèvres restaient le plus souvent closes, ce qui tranchait abruptement avec sa loquacité coutumière. Elles se refusaient également au sourire si fréquemment gravé sur son faciès buriné et mat. Ainsi, durant le trajet qui les mena du lieu de rencontre avec la Duchesse de Bourgogne à Seignelay, il resta taiseux, engoncé dans sa pelisse, le regard porté au-dehors. Ses yeux vagabondaient sur le paysage qui défilait depuis la fenêtre du carrosse. Il risquait parfois une oeillade sur son épouse, mais il n'osait lui infligeait trop longuement toute la tristesse qui s'échappait de ses iris.

La cité auxerroise, qui se trouvait sur leur route, se dessina bientôt à l'horizon. Il y plongea comme on s'engouffrait dans un refuge après des moments difficiles. Il songea à leur retour au quotidien après les épreuves terribles qu'ils avaient dû traverser. Il imagina leurs petites habitudes reprendre leurs droits sur leur vie et cela, sans qu'il ne sut pourquoi, le rassurait avant de devoir affronter la vision du Duc de Chartres agonisant. Ses bras se croisèrent machinalement et il laissa aller sa tête de côté, jusqu'à ce qu'elle rencontrât la paroi du carrosse. Ses paupières s'abattirent alors. Puis, il s'abandonna tout entier aux scénettes bienheureuses qui se tissaient dans son esprit. Elles seraient son salut, elles lui redonneraient la joie, dont cette fin d'année le privait cruellement, elles lui permettraient de se reconstruire, de sourire à nouveau et d'apprendre à vivre avec les drames récents comme il l'avait déjà fait avec les plus anciens. Sa nature bonhomme, sa confiance reprendraient le dessus. Comme toujours, le temps ferait son office. Puis, elle était à ses côtés et cette présence seule suffirait au Phoenix pour qu'il pût renaître de ses cendres.

Il rouvrit les yeux lorsque leur voiture s'arrêta. Il n'eut guère de peine, car s'il s'était offert à la rêverie, il ne s'était pas endormi pour autant, la tête trop souvent bousculée par de petits chocs avec la paroi provoqués par les chaos de la route. Il sortit, avisa un garde et lui demande d'annoncer l'arrivée de Leurs Altesses Ingeburge et Actarius d'Euphor, puis revint au carrosse où il tendit la main en direction de son aimée pour l'aider à descendre. Son regard croisa alors le sien. Il y subsistait encore de ces parcelles d'ombre engendrées par le deuil passé et celui à venir, mais il s'y lisait surtout une profonde et sincère reconnaissance. Elle connaissait son cousin bien sûr, cependant le Languedocien se plaisait à croire qu'elle était venue, malgré son état toujours faible, pour l'épauler dans ces instants pénibles. Et cela lui arracha un imperceptible et éphémère sourire, de ceux qui ne s'exprimaient que dans les yeux. Aussi impitoyable qu'étaient ces derniers jours de 1461, ils n'effaçaient pas ceux qui les avaient précédés et qui avaient notamment accompagné son mariage. D'un murmure, il brisa enfin le silence conjugal.


Merci.
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Ingeburge
[Même endroit, même moment, même tout...]


La nouvelle de l'agonie de Keridil n'étonna nullement Ingeburge. Ce fut certes un choc qu'elle tâcha de contenir du mieux qu'elle put quand elle eut fini de prendre connaissance du billet annonciateur et qu'elle contint en tournant toutes ses pensées et attentions vers son é-p-o-u-x. Elle l'avait ainsi attiré à elle sur l'étroite couche de la petite cabine qui était la sienne sur la caraque de guerre de l'Euphor et l'avait serré dans ses bras, murmurant contre ses lèvres quelques paroles apaisantes. Non, elle ne fut pas surprise car elle avait vu petit à petit, puis carrément, même, disparaître le duc de Chartres de la vie active. Il ne s'était pas agi d'un retrait du monde, d'une pause loin de l'agitation mais de ce qu'elle pouvait qualifier, du haut de ses certitudes d'ancien clerc, d'un basculement dans l'acédie. Dès lors, sans savoir de quel mal l'Amahir-Euphor souffrait, elle s'était persuadée que c'était cette oisiveté débilitante et quasi blasphématoire qui avait précipité la Fouine sur le chemin du trépas. De cela, elle ne dit rien à Actarius, trop occupée à se répéter le vers de Juvénal « orandum est ut sit mens sana in corpore sano » et à tout faire pour tâcher de distraire sa moitié et l'empêcher à son tour de glisser vers la pente périlleuse de la perte de sanité d'esprit. Le comte du Tournel côtoyait trop la mort ces temps-ci, et pas la belle, l'honorable, celle que l'on sème ou que l'on récolte sur un champ de bataille – l'ironie voulait d'ailleurs qu'ils en revinssent, de la guerre, et qu'ils n'avaient jamais en cette occasion sorti l'épée de son fourreau.

Il lui fut difficile cependant de s'occuper comme elle l'aurait voulu de son compagnon, elle-même était engluée dans son propre hébétement et se sentait bien faible après les événements survenus à Dourdan. Elle n'était d'ailleurs pas de nature démonstrative d'ordinaire et elle ne fut guère plus capable que de dispenser de longs regards ou des pressions sur une main dont elle s'emparait parfois. Comme à l'instant quand, prévenant, le Languedocien l'aida à descendre de voiture. Ses doigts gainés de cuir se resserrèrent sur la paume offerte et s'y attardèrent plus que les convenances ne l'autorisaient. Elle le regarda sans rien dire, ne répondant pas à ces remerciements qu'elle estimait ne pas mériter, ignorant où ils se trouvaient. Ils étaient à Seignelay, elle le savait, elle connaissait un peu l'endroit et savait de toute façon où ils se rendaient, mais elle ne voyait rien. Quelque temps plus tôt, ils avaient laissé Mette, ses gens et une partie de leur propre suite à Auxerre car Ingeburge avait décidé que l'enfant n'avait rien à faire en un lieu où la mort était en train d'étendre ses rets. Elle ouvrit la bouche, un petit et léger nuage blanc s'en échappa, et elle souffla finalement :

— Ne dites pas cela.
Aurait-elle pu être ailleurs? Sa main serra celle de son é-p-o-u-x plus fortement et elle se rapprocha de lui sans en dire davantage.
Endymion
Il avait donc réveillé le Pair, et fut tout de même surpris par sa première réaction. Il fit un demi pas en arrière aux premières paroles du Duc et se rapprocha ensuite un peu plus du mourant quand ce dernier lui souhaita la bienvenue. Il répondit d'abord avec un doux sourire,
S'il y a bien quelque chose que je puis pardonner sans attendre de confession c'est la faiblesse d'un homme, je ne saurais vous blâmer d'un manque de protocole, au contraire...

Le voyant tenter de se relever et abandonner cette idée, le prélat lui mit une main sur l'épaule en ajoutant,
Ne bougez pas, je ne voudrais pas aggraver vos souffrances.

Puis son page lui approcha un petit fauteuil et c'est assis près du lit, légèrement penché sur le Pair, que le Primat continua d'un simple mais clair,
Je vous écoute mon fils.
_________________
Archevêque de Vienne - Primat de France
Lexhor
[16 décembre 1461, avant l'arrivée du Primat]

Non, le pater familias, comme aimait à le nommer la fouine dans sa jeunesse, ne mettrait pas des jours pour se rendre auprès de son fils lorsque celui-ci lorsque celui-ci lui annonçait, à sa grande surprise et à son grand désarroi, que sa dernière heure était venue. Malgré le chemin qu'il lui fallait emprunter et le lieu qu"il fallait rallier. L'heure n'était pas à de telles considérations bien qu'il aurait préféré que Keridil s'éteigne en terres d'Amahir dont il était un des membres éminents.
Après avoir encaissé le choc de la nouvelle, tombant sur lui comme une tuile aurait pu lui tomber sur la tête de manière impromptue.

Oui, il savait son fils en retrait, las des mondanités et de la politique, en proie à des doutes, des chimères qu'ils avaient évoqués parfois.
S'il n'avait pas sous-estimé la dépression dans laquelle le duc de Chartres était plongé depuis quelques temps, il n'aurait pu imaginer que les ténèbres qui tiraillaient son âme rongeraient ses chairs aussi. Le prince n'avait pu aider son fils à se défaire de ses maux mais espérait toujours qu'il y parvienne. La cause des soucis rencontré par Keridil, du moins une grande partie de ceux-ci, ne faisait aucun doute pour le père qui n'avait jamais pu l'admettre. Comprendre ce jour que c'était également ce qui tuerait ce fils dont il était si fier et qu'il aimait tant lui glaçait le sang.

En quelques jours à peine il venait de gagner un fils et allait sûrement en perdre un. Grande ironie.
La douleur qu'il ressentait sur l'instant était annonciatrice d'un deuil dont il ne sortirait jamais vraiment. Il avait affronté de nombreuses épreuves, triomphé de la plupart, laissé derrière lui certaines, mais ne se remettrait jamais de quelques unes.

Comme le lui avait demandé Keridil, Lexhor avait emmené avec lui toute la fraterie malgré le fait que la situation n'était pas aux réjouissances et que ce n'était pas la dernière image que chacun voudrait conserver de l'homme qu'ils avaient connu.
Mais tous voulaient être là au cas où la dernière heure de celui qui restera à jamais la fouine de Bréméan serait bel et bien venue afin de lui dire adieu et de lui rendre un dernier hommage. Ne manquait qu'Ellesya, qui devait tenir le lit du fait de sa convalescence après son récent accouchement. Ne pouvant prendre la route si longtemps, elle priait chaque jour pour Keridil.

La route de la Bourgogne fut rapidement avalée et l'entrée sur les terres de Seignelay se fit rapidement compte tenu des circonstances.
Au plus vite le prince se fit porter, avec ses autres enfants, au chevet du malade où il exigea qu'on le laisse seul avec son fils, avant de faire entrer dans un second temps Gabriel, Arthur, Aemilia et Eisangélia.
Lexhor tenait à s'entretenir avant tout avec Keridil ainsi qu'à se rendre compte de son état physique.
Lentement, il s'approcha de lui. Ses yeux devinrent plus humides à chaque nouveau pas. L'absence de témoins lui permettrait également de s'épargner l'obligation de conserver une certaine contenance qu'il n'était pas certain de pouvoir tenir. Une nouvelle part de lui allait bientôt mourir.


Mon fils...
_________________
Aemilia
Quoi? Rendre visite à Keridil? Oh non. Et la paume de la main qui vient frapper le front. Ce dut être la première réaction de la jeune femme, avant que le père n'enchaîne avec le fait qu'il était mourant et ne stoppe avant l'heure ce geste habituel de désarroi. Car certains le savaient, Aemilia ne portait plus beaucoup d'intérêt à cet aîné qu'elle avait tant admiré à travers les paroles de son père à son arrivée chez les Amahir, et ce depuis qu'il l'avait traité de "fille" et "d'incapable à jouer aux osselets avec les garçons", et encore plus après qu'il ait fait exprès de ne pas la mentionner dans la fratrie lors du mariage d'Ellesya et Lexhor. Tout ça, exprès pour l'embêter. En gros, il ne l'aimait pas, donc elle ne l'aimerait pas non plus.

Mais ce jour, elle ne soupira pas, ne se tapa pas la main contre le front, mais posa délicatement cette dernière sur la main de son père, compatissante. Elle savait que le "chouchou" allait manquer à son père, lui qui avait tant marché dans ses pas. Et la blondinette n'aimait pas voir son père triste. Aemilia ravala sa fierté, et sans scène, sans traînage de pied, elle alla préparer sa malle et faire préparer celles des trois autres enfants et de son père, car pour sûr qu'aucun n'allait savoir gérer cette situation, eux qui avaient été bien plus proches de la fouine qu'elle. Autant qu'elle se rende utile, dans l'ombre, afin que le départ soit rapidement bouclé, et que le père retrouve son fils avant son dernier souffle.

La route fut longue, très longue à ses yeux. Le paternel ne parlait pas, Gabriel hibernait comme à son habitude, Eisangélia, qu'elle n'avait que très peu vue en réalité la dévisageait, et Arthur, son frère adoré d'un an son aîné, travaillait. Encore. L'agneau gratouillait cette autre tête blonde, tentant de le faire lâcher ses parchemins pour se détendre un peu, tout en regardant le paysage qui défilait sous ses yeux.

L'arrivée en Bourgogne fut empreinte de nostalgie pour celle qui l'avait quittée enfant, et retrouvée adulte. Elle se souvenait de sa fugue de l'orphelinat, des traces de brûlure qu'il lui restait dans le dos et la faisait frissonner quand elle repensait à ces douleurs enfantines, de l'accueil des habitants de Chalon, de son acceptation au manoir, de sa rencontre avec ce mécène qui allait chambouler le cours de son existence. Sept années emplies de bonheur, qu'elle avait croqué à pleines dents.

Déjà, le véhicule passait les grilles de Seignelay. Domaine de Della, la mal-aimée, la malmenée. Aemilia n'avait jamais compris les griefs de son père envers elle. Elle se souvenait d'elle comme une femme avenante, souriante, et surtout courageuse de supporter le Keri Keri Keriiiiiii. Mais ça, c'était son point de vue. Elle n'était pas au courant de toutes les affaires familiales. A peine descendus que Lexhor les laissait là, ordonnant à un serviteur de passage de le conduire de suite auprès de son fils, et de faire conduire le reste de la fratrie un peu après. Non étonnée de sa réaction, la blondinette fit donc le reste. Elle avait encore la tête sur les épaules, étant moins touchée par les évènements. Elle salua comme il se doit les serviteurs, se présentant, et demandant poliment où faire conduire les chevaux pour qu'ils se reposent, et où faire monter les malles. Elle ne savait pas si des chambres avaient été préparées, ou s'il serait plus simple de descendre à l'auberge du village.

Une dernière camériste fut rattrapée, afin qu'elle prévienne la maistresse des lieux de leur présence. Un peu de politesse dans la vie, tout de même.

En attendant, elle suivit ses frères et soeurs qui, déjà, étaient conduits dans les couloirs près de la chambre de l'agonisant. Et en bonne fashionista, l'Amahir d'adoption retira sa cape, afin de remettre en place les plis de sa robe, griffée Suzan, à la dernière mode angloyse.

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Manoir des Artistes
Ambroise.
Peu avant les fêtes de fin d’années, en plein préparatifs pour fêter la Saint-Noël, Ambroise reçu une lettre de son amie Della. Sa douce le lui avait apporté lors de son retour de Cheny. Sa bien-aimée passer beaucoup de temps à Cheny pour y assurer l’intendance pendant que son tendre s’occupait de ses charges à Autun.

Citation:

    Prieuré Sainte Illinda
    16 décembre 1461

    Mon cher Ambroise,


    Le bonjour vous va !

    Puis-je vous demander de vous rendre au plus tôt à Seignelay, mon époux s'y trouve et il semblerait qu'il soit très malade.
    Je vais venir aussi maître Bisac, il est bon médecin.

    Les enfants et moi nous prenons la route bientôt parce qu'il nous réclame auprès de lui.

    Que le Très Haut vous bénisse.

    Della.



Cette lettre annonçait une triste nouvelle. Après avoir tenté de soigner Clarinha, Della le convie à rejoindre Seignelay pour y soigner son mari Keridil. Le fait qu’elle demande à Bisac de venir également supposait que cela était grave.

Après avoir embrassé chastement sur la joue sa douce, il quitta Autun pour Cheny en ayant prévenu son amie de son arrivée.


Citation:

    Très chère Della,

    C’est avec tristesse et compassion que j’ai pris connaissance de votre missive. Vous avez bien fait de demander au Docteur Bisac de venir également. Son expérience sera importante afin de formuler au plus vite le bon diagnostic et trouver un remède efficace pour guérir votre époux.

    J’aurais aimé vous revoir en d’autres circonstances mais sachez que vous pourrez compter sur mon soutien en cette terrible épreuve que traverse votre famille.

    Je vous rejoins au plus vite.

    Milles bénédictions,

    Votre ami,
    Ambroise.




Le voyage se passe sans encombre jusqu’à Seignelay. Après avoir salué chaleureusement la soldatesque de garde, Ambroise se rendit au plus vite au chevet du patient. Il resta donc à la porte d’entrée attendant qu’on le laisse entrer pour ausculter le patient et connaitre les symptômes. Il semblait y avoir du monde au château de Seignelay.
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Keridil
[Quelque part dans l'imbroglio temporel : avant la confession.]

Lexhor était arrivé ainsi que la fratrie. Gabriel, frangin à demi-moine, que Keridil affectionnait, et avec lequel il avait vu un fakir accrocher des choses étranges à sa chose étrange. Eisangelia, perce-neige discret, souvenir de maman, albinos et un peu muette et que l'on oubliait parfois, pauvre enfant. Arthur, merveille du monde, fierté de son père et de son frère, adorable blond que Keri-Keri chérissait comme s'il avait été de son sang, ou parce qu'il l'était, car dans son délire, il ne savait plus. Aemilia, qu'il n'avait jamais trop estimée, ce qu'il regrettait peut-être sur ce lit de mort d'où il aurait aimé s'envoler sans aigreur, mais il en avait plein le corps. Lexhor enfin.
Il lui prit la main quand il l'entendit. Il entendit les autres partir. il leur aurait dit beaucoup de choses, s'ils étaient restés et s'il avait pu parler sans que son palais ne le brûle. Parfois il ne le brûlait pas, mais parfois si. Des illusions. Il serra les doigts de Lexhor, et resta silencieux le temps de déglutir trois fois, le temps d'éviter les yeux du pater familias qui devaient transpirer le deuil avant l'heure, l'heure qui viendrait bientôt, trop tôt. Des soupirs quittèrent les lèvres de la Fouine, douloureux, puis il parvint à articuler des mots, le front blême et moite, un souffle strident résonnant entre chaque expiration dans le fond de sa gorge.


Papa... Je vais parler. Puis ça sera toi.
Tout le monde sera là bientôt. Je veux... J'ai des volontés de fin. Je t'en prie, papa. Aime mes enfants et leur mère. Elle est bonne. Elle a été bien bonne, et moi bien triste. Mais elle fut mon choix et le serait encore. Je t'en prie, veille la bien pour moi. C'est ta fille, hein. S'il te plait, papa. Et Clément, et Dorante et Béatrice qu'on a adoptée, ce sont tes petits-enfants. Clément, tu iras le voir après. Il a grandi. Et il est si beau, comme sa maman. Papa... Tu es mon papa. Le mien. Oui je sais, même là, je suis un peu jaloux des autres. J'étais fait pour être fils unique, moi, je crois. Mais Aemilia est bien gentille. Et je les aime tous.
Je veux... je veux que tu donnes ceci à Arthur, quand j'en aurais fini de mes affaires. Tu me l'enlèveras du cou, mon collier de baptême. Oh, et Bréméan. Pardon papa. J'y ai bien vécu. C'est un bel endroit. Conserve le, sinon à mon épouse, à l'un de mes enfants. Clément, peut-être. J'ai un peu honte, mon petit papa, mais je crois que c'est mon préféré. J'étais ton préféré, hein ? Dis-le que je l'étais, ou alors je crois bien que je vais mourir. Ah mais. Je vais mourir.
Et tu sais... Il ne faut pas être un homme, des fois. Tu peux pleurer, papa. Moi, je l'ai beaucoup fait, parce que j'ai raté trop de choses pour que tout ait un sens. Oh mais c'est bien ma faute. J'ai été trop haut trop vite, et je n'avais plus où monter. Et je ne veux pas être roi. Je serai bien mieux là haut. Juré, je serai là. Et puis maman sera avec moi jusqu'à ce que vous montiez me rejoindre. Mais papa, remets-toi bien. Tu les garderas, hein, les miens ? Toi, je te donne ma canne pour tes vieux jours. Mais tu es fort. J'ai entendu que j'ai un petit frère tout neuf. Qu'il tienne l'hiver, ce sera mieux que moi. Au Soleil, il y aura mon Qantor. Tu te souviens ? Il était joli, Qantor. J'aurais bien appelé un fils du nom de ce cheval. C'est idiot. Je n'ai qu'un papa, papa. Vois comme je te serre ta main. Je veux la tenir. Laisse-moi tenir ta main. Ecoute, attends.


Mais il n'y avait rien à entendre. Et il resta là, à lui tenir la main.

[Ailleurs dans l'imbroglio temporel : pendant la confession.]

Tout le monde était parti pour un temps, depuis le temps que le prélat était entré. Ailleurs, on devait s'agiter, ouvrir des malles, pleurer, chanter, s'indifférer. L'Amahir-junior était entre les bras de dieux, et ne se savait pas observé par son fils adoré et chéri qui, là, derrière le rideau, allait entendre les sentences expiatoires de son père. Triste enfant que celui qui doit écouter la fin de vie de celui qui fut le début de la sienne.
Le duc de Chartres remercia le Primat de France d'un regard pour sa présence et son indulgence, et puisqu'il l'écoutait, il parla. Impatient de se laisser aller vers le Soleil, le mourant décida de s'en tenir aux fautes graves, celles avec lesquelles les saints ne s'arrangeraient pas, ou pas facilement. Du reste, s'il avait sombré dans l'acédie, il n'avait jamais trop dérapé, ni nui au moindre de ses prochains. Presque, mais pour ces nuisances là, il avait déjà été pénitent.


Monseigneur, j'ai fauté. Nous avons tous fauté, n'est-ce pas ? Mais je suis quand même déçu de ne pas être celui qui, parmi tous les hommes, aura été le seul innocent. J'aimerais être parfait. J'ai cet orgueil, vous voyez, et je m'en repens.
J'ai trahi mon aimée, mon épouse. Et je m'en repens. Je ne l'ai pas trahie de corps, ou si. Par son absence, et par la mienne. J'ai cessé de l'honorer, sans jamais cesser de la chérir. Je l'ai offerte à la solitude en m'offrant au désarroi. Je suis seul, Monseigneur, depuis longtemps. J'ai prié et je n'ai fait que cela. Mais je crois que l'ermitage est un crime. J'ai délaissé les miens. J'ai quitté le monde auquel j'ai appartenu. Oh, vous savez, j'étais un homme bien vu. J'avais des richesses et des fastes, et puis jeune et déjà si bien monté. Vraiment, Monseigneur, j'ai cette fierté. Et puis ce fut vain. Vanité, tout ça. Bah voilà, maintenant. Je crois que l'on me punit de l'acédie. J'ai parfois perdu la foi, pour la retrouver. J'ai soutenu des idéaux qui ne doivent pas être les vôtres, mais Monseigneur... Permettez-moi de ne pas m'en repentir. Le Très Haut jugera ce que je pense n'être pas pécher. N'est-ce pas ? Et puis, si on ne sait pas... l'erreur est moindre ? Je ne puis vous détailler ma vie entière sans craindre de mourir avant de l'avoir redite. Et puis, parfois oui, on ne sait pas qu'on est criminel. Mais je sais que j'ai fauté, ça oui, je le sais. J'ai fauté le jour où j'ai cru au désamour de ma femme. Elle m'aime tant, et moi je l'aime. Nous avons deux beaux enfants.
Monseigneur, quand le Très Haut me dira : Keridil, veux-tu retourner sur terre ? Je dirai non. Est-ce lâche ? Est-ce criminel de les abandonner ? Mais je n'en puis plus, et puis... L'espoir ne fait pas vivre. Il fait des artifices. Au moins, on ne m'attendra plus. Au moins, je veillerai sur les miens de loin. D'ici, je suis loin, mais je ne peux veiller. Alors, quitte à être loin, vous voyez. Ce mal, ô j'ai si mal, est une purge, je crois. Je suis entre Lune et Soleil. Je me katharsise de l'intérieur, Monseigneur.
J'ai fait nommer les pièces de mon château de Montpipeau par les noms de divinités païennes. J'ai fauté. Mais c'est de l'apparat. Ils n'ont pas de temples en ma demeure. Monseigneur, j'aime beaucoup. J'aime Clément, mon petit trésor, ma lumière du jour. Qu'il reste blond, comme sa mère. Il est moi en blond. Et c'est ma fierté. J'ai donné au monde deux divinités, deux futurs saints ou bienheureux. Je puis en partir, maintenant. Mon petit Dorante est petit, mais il est tout aussi bon. Oh, mais voilà que je ne me confesse plus mais me confie. Mon père. J'ai cessé de vivre il semble y avoir des années. Le voilà mon capital. J'ai froid, quand même. Ah si ! J'ai beaucoup dilapidé. Mais pas assez dans la Charité. C'est mal. Mais je ne suis pas pingre, pourtant. Juste égoïste. Dieu me pardonne. Monseigneur, vous resterez, s'il vous plait ? Ce ne sera pas long. L'affaire de jours. Et puis, vous me bénirez. Je veux partir avec Lui. Donc avec vous, qui êtes un bout de lui sur terre, je crois. Monseigneur, je ne me souviens plus du Credo. Je crois en Dieu, tout puissant et très haut. Il y a aussi Maria et Josep, je crois. Et puis, je me souviens du vieux père Casim qui me parlait de Neajdalf. J'étais un pauvre gueux. Pauvre et gueux. Et me voilà. Vanité. Je meurs quand même. J'ai froid.


Il trembla, et ses yeux se révulsèrent un instant avant qu'il sombre dans un profond mutisme. Cela dura. Puis il dit au prélat qu'il se sentait confessé. Il n'avait rien confessé. Ou presque. C'était qu'il n'avait rien vécu. Ou presque.

[Somewhere dans l'imbroglio temporel : après la confession.]

On lui disait qu'il y avait du monde, et il ne savait pas trop qui, alors, dans son délire non feint, il dit qu'il voulait voir ceux qui étaient là, tous ceux qui étaient là, en même temps. Qu'ils viennent. Il ne les verrait bientôt plus, alors il pouvait bien supporter une cérémonie, pour finir. Il crut voir la Reine Béatrice, dans son agonie. C'était un peu étrange, et il ne put que se dire qu'il mentirait, en dictant son testament, "sain d'esprit et de corps".

C'est idiot, de tester à la dernière heure, mais c'est somme toute pratique. Cela évite des codicilles. Mon cousin Acta est-il là ? Je veux lui tenir la main.

Il voulait tenir toutes les mains du monde et les emmener tous avec lui. Ca éviterait qu'ils pleurent de le voir partir. C'est grand, un cimetière. Au serviteur qui devait être là à veiller, ou alors aux personnes amassées autour de ce lit de mort, il dit d'un ton badin.

Nous devrions faire construire un mausolée pour notre grande famille. Je serai à la fois le cousin et le voisin, et il me serait aisé d'aller jouer aux osselets avec ma bonne mère ou ma petite soeur. N'est-ce pas ?
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Della
    Veille de la Saint Noël.


* Quelques lieues avant Seignelay*


- Filez devant et ordonnez que l'on prépare des repas pour tous, qu'un bain soit prêt pour les enfants et que nos chambres soient chauffées.

- Bien, votre Grâce.


Ainsi s'en alla un des hommes de l'escorte de la Renarde qui revenait chez elle.

La route avait été longue et difficile, comme elle l'avait prévu. Le froid, la pluie et le vent, rien ne leur avait été épargné sur les routes de France. Chaque soir, une auberge différente plus ou moins confortable avec des ragoûts plus ou moins digestes et des compagnies plus ou moins recommandables. Della enrageait chaque jour d'avantage de la lenteur avec laquelle la voiture avalait les lieues, ralentie une fois par des roues embourbées, une autre fois par un arbre couché sur le chemin et une autre encore quand un essieu céda. Ce retour sentait comme ce qui les attendait à Seignelay, comme un avant goût du noir, un gris épais dont on ne pense plus jamais pouvoir sortir.

Dorante et Béatrice dormaient sur les genoux de leur mère, ils avaient été eux, tellement sages...aucune dispute dans l'étroitesse du carrosse, aucun reproche, aucune plainte, des enfants modèles. Doucement, Della caressait leur chevelure, laissait filer leur fins cheveux entre ses doigts, cherchant dans la présence de ses petits, une raison de ne pas pleurer...Pleurer ne sert à rien, elle l'avait si souvent dit et répété autour d'elle ! Pourtant, là, à quelques lieues de Seignelay, elle crevait d'envie de sangloter.


*A la vue des dix-sept tours du château.*

L'heure était venue de réveiller les enfants. Della le fit avec tendresse, en embrassant les joues pâles.

- Il faut vous réveiller, mes anges. Nous arrivons.

- On va voir père ?
Demanda Béatrice, les yeux plein de sommeil.

- Non, chérie, pas ce soir. Il dormira déjà. Vous irez prendre votre repas et vous irez vous coucher. Demain, vous verrez votre père.

Aucun des deux ne protesta, ils étaient tellement fatigués que l'idée de dormir dans leur lit devait être comme une récompense.


* Au château*

Della laissa les gens de la maison prendre les enfants hors du carrosse avant d'en sortir elle-même comme un diable hors d'une boîte et de grimper quatre à quatre les escaliers qui menaient à l'entrée du château, de pousser la porte et de s'élancer vers la chambre de Kéridil.
Là, elle n'enfonça pas l'huis, elle l'ouvrit tout doucement et ce qui la frappa d'un coup, ce fut l'odeur...la même odeur que celle qui régnait dans la chambre d'agonie de son frère Eldwin, une odeur doucereuse et écoeurante qui vous enveloppait tout entier pour ne plus se décoller de votre peau. Elle frissonna malgré la chaleur de la pièce. Ses yeux se firent à la semi-obscurité soutenue par deux chandelles posées sur la cheminée et elle vit au milieu du lit, perdu sous un amas de couvertures, un visage décharné dont la couleur était proche de celle des eaux troubles d'hiver...On veillait le malade. Qui ? Elle n'en savait rien et elle s'en fichait pas mal, elle vint là, juste à côté de la couche et elle s'agenouilla, prenant la main glacée de Kéridil dans la sienne.


Mon Ange. Je suis là. Tout ira bien, je vais rester près de vous...


    Janvier.
    Une nuit.


La Saint Noël avait été fêtée sans grande joie. Il était bien loin le temps des grandes réjouissances à Beaumont où toute la famille était là, réunie, à festoyer, à rire et à danser. Dorante et Béatrice avaient vu leur père, Clément avait fêté le retour de sa mère avec dans le regard un éclat étrange, Della trouva son fils vieilli, il avait grandi oui mais il y avait autre chose qu'elle n'arrivait pas à s'expliquer et dont l'enfant ne parla pas. Si seulement elle avait su que son fils aîné avait entendu la confession de son père et qu'il portait ce secret au fond de son coeur.

Il y avait du monde, à Seignelay.
Lexhor, les frères et soeur de Kéridil, les Cousins Euphor, ils étaient tous là, attendant d'entendre résonner le glas, même le Primat de France... Et Della allait et venait parmi ces gens, à la façon d'un spectre, silencieuse, ravalant ses larmes devant la famille, devant son époux, devant ses enfants, perdant appétit, sourire et même tout ce qu'elle avait pu accumuler comme colère contre Lexhor, ne le regardant plus que comme un père qui voit s'éteindre son fils. On ne la voyait pas, on la voyait plus, elle restait au chevet de Kéridil, elle lui parlait, elle le soignait, elle le nourrissait quand son estomac voulait bien garder un peu de bouillon, elle s'entretenait avec les médecins, surtout avec Ambroise qui était venu aussitôt qu'elle l'avait appelé, elle refusait de quitter la chambre.


Mon Ange...sais-tu à quoi je pensais ? A notre mariage. Te souviens-tu quand tu m'as demandé ma main ? J'étais tellement émue, et toi, la bague que tu avais perdue. Notre premier baiser aussi. Et nos conversations sur le mariage, nous étions d'accord sur le fait que l'amour n'était pas une raison pour se marier ! Mais nous étions amoureux et contre cela, nous ne pouvions rien. Notre nuit de noces, j'avais tellement peur ! Et Lexhor qui était venu bénir notre lit, j'étais gênée, je devais être rouge comme une pivoine. Je ne veux pas que tu me quittes, Kéridil, entends-tu ? Que veux-tu que je fasse sans toi ? Oh oui, je sais gérer des terres, je sais élever des enfants, je sais même vivre en recluse dans un Prieuré mais tout cela, j'ai su le faire parce que je savais que tu étais là, que je n'étais pas toute seule, que tu étais mon époux et que quand je revenais, tu étais là ! Pourquoi n'es-tu pas venu avec moi à Sainte Illinda ? Tu ne serais pas malade si tu étais venu, j'aurais pris soin de toi, tu ne serais pas parti avec les armées, tu ne devais pas partir, tu devais venir avec moi ! Tu m'entends ?! Je ne veux pas que tu partes, je veux qu'on devienne vieux, tous les deux, on ira où tu voudras...ici, ailleurs, ça n'a pas d'importance mais tu seras avec moi parce que je ne veux pas que tu me laisses toute seule...Je vous aime, Kéridil, je vous aime tant...Ne partez pas, pas cette fois, restez, je vous en prie, restez avec nous...

Pendant qu'elle lui parlait, parfois il réagissait, remuait un peu ou serrait sa main et ces réactions lui rendaient espoir, l'espoir qu'il émerge pour de bon de cet état de semi-conscience, qu'il se lève et qu'ils reprennent leur vie là où ils l'avaient laissée, juste avant l'hiver. Ils iraient en Languedoc, dans cette belle demeure que Kéridil avait acquise et dont ils n'avaient jamais quasiment profité, ils se feraient une vie nouvelle là-bas, seraient heureux simplement, sans plus rien vouloir comme honneurs ou gloire, ça, ils avaient déjà eu, finalement sans jamais en avoir vraiment besoin.

Ce soir-là, elle s'endormit, ivre de fatigue, épuisée de chagrin, en tenant sa main, à demi-couchée sur le lit...

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Lexhor
[16 décembre 1461, avant l'arrivée du Primat]

Son cœur de prince se serra lorsque Keridil, mourant, prit la parole d'une voix d'outre-tombe qu'il n'avait jamais entendu dans sa bouche. L'émotion monta instantanément et les larmes firent briller ses yeux bruns et durs. Tout en écoutant son fils énoncer certaines volontés qu'il souhaite voir respectées, Lexhor tentait de contenir son émotion. Il pleurerait, oui, mais pas avant que le fiston ne soit passé à patrès, car tant qu'il n'était pas mort, il ne pourrait se résoudre à la considérer comme tel.
Il hocha la tête dans un premier temps, ne pouvant encore répondre. Puis finalement...


Je prendrai bien soin de tes enfants, mon grand. Tu es mon grand, le premier à suivre mes pas et à faire ma fierté. A porter notre nom en haut. Et tu resteras mon grand. Tu as tout fait comme moi. Mieux que moi.
Je veillerai sur tes fils, et sur cette petite que je ne connais pas. Je ne pense pas que Della ait besoin de moi, ni qu'elle veuille se soumettre à mon autorité comme si elle était ma fille. C'est un point que tu devras aborder avec ton épouse.


Il serra un peu plus la main de son fils.

Je transmettrai à Clément Bréméan. Il suivra les traces de son père avec fierté j'en suis sûr.
Je te pleurerai, mon grand. Mais pas maintenant. Car maintenant tu es là, près de moi, et je suis là, à tes côtés. Rien d'autre n'importe.
Oui, tu as un petit frère. J'aurais aimé l'amener ici, mais il est encore fragile. Ellesya ne pouvait voyager tant, elle a encore besoin de repos. Mais elle prit chaque jour pour toi. Nous prions tous pour toi, mon grand. Nous t'aimons tous.

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Severin_de_volvent
[ Après la confession ]

Le renart mélancolique avait fait le chemin avec sa cousine depuis Sainte Illinda.
Discret et en retrait alors que l'on veillait le mourant, il repensait aux moments qu'il avait partagé avec le Duc de Chartres son cousin par alliance.

Que d'errances se seraient succédé dans son existence s'il n'y avait eu les murs de MontPipeau pour lui offrir une stabilité, car en réalité, c'était le sémillant Amahir qui avait offert au mélancolique l'environnement dans lequel il avait pu se rendre utile, se construire et envisager une existence normale au point de prendre épouse et fonder une famille.

Il devait beaucoup à Kéridil, et aussi discrète que fut leur amitié, le renart tenait à être présent, et espérait pouvoir remercier celui par qui il était devenu un homme parmi les hommes.

Silencieusement, ses prières se joignaient à celles des autres. Lui priait pour que le trop jeune pour mourir Duc ne souffre plus, connaisse la paix, et emporte avec lui les souvenirs d'une vie heureuse et somme toute bien remplie.

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