Actarius
[Dans la chambre]
L'histoire de la famille d'Euphor était chaotique. L'exemple offert par le cousin Keridil était peut-être l'un des plus parlants. La rencontre de ce dernier avec Actarius s'était déroulée sous un bien funeste éclairage. La mort comme une rengaine, comme une malédiction dont le Coeur d'Oc finissait par tenir pour vraie tant il avait perdu de son "sang". Le sort avait voulu que leur chemin se croisa alors que chacun avait sa vie. Il y avait eu cette adoption, ce nom perdu quasiment sacrifié à peine retrouvé. Amahir-Euphor. Amahir simplement dans bien des annonces qu'il avait vu passer avec un pincement au coeur. Pourtant, cet éloignement dans la forme n'avait pas empêché les deux Euphor, car le Duc de Chartres en restait un, de nouer un lien fort et puissant. Ensemble, il avait porté le Phoenix familial plus haut que bien des grandes familles. Au moment de cette agonie, il s'en trouvait trois pour l'arborer au sein de la Pairie, deux pour siéger à la Curia Regis. Mais que pouvait valoir ce prestige qui ressemblait déjà à s'y méprendre à une heure de gloire, un moment de grâce, voués à s'étioler avec le temps, à se muer en souvenir ? Que pouvait-il valoir face aux liens du sang et de l'amitié, face à cette terrible épreuve, face à cette douloureuse agonie ?
Celle-ci prenait d'ailleurs des allures d'une folie, qui ne la rendait que plus difficilement supportable encore. Guidé jusqu'à la chambre avec son épouse, le Colosse se tenait non loin du lit. Il dardait son regard régulièrement jusqu'à la Prinzessin. Il y avait dans ces yeux une profonde tristesse, de l'incrédulité également devant cette tragédie, une de plus, une de trop. Il ne savait que dire, que faire en spectateur impuissant de cette déchéance du corps et de l'esprit. Le fier jeune homme qui avait gravi les échelons n'était plus. Plein de vie, plein d'envie quelques mois encore auparavant, il avait désormais laissé place à un cadavre en sursis, détaché de la réalité. Cela en était trop... trop, le Duc d'Auxerre ne pouvait plus tolérer cette scène. Son cousin lui offrit le déclencheur en demandant s'il était présent. Ses paupières clignèrent, son attitude devint plus farouche et la torpeur s'estompa. La main du mourant fut saisie, elle fut saisie avec vigueur. L'emprise devenait de plus en plus forte au fur et à mesure que la déraison prenait le dessus, elle devait être douloureuse, suffisamment, il l'espérait, pour ramener son cousin à la réalité ou du moins à la conscience de cette réalité. Et si cela ne suffisait pas, il n'aurait aucun remord à le gifler. Il n'avait pas le droit de partir ainsi, pas le droit de lui infliger ce spectacle. C'était trop.
Ressaisissez-vous, Keridil d'Euphor ! Laissez-là la fièvre et la folie et revenez à nous. Les gens de notre race ne meurent pas ainsi ! Ils partent la tête haute, relevez-la, il est trop tôt pour abandonner la lutte, trop tôt pour plier l'échine.
La colère était là puissante et enflammée. Une ire prête à défier le sort, trop excessive pour tolérer l'inéluctable, trop dévastatrice pour faire preuve de compassion. Il ne ferait pas ses adieux à un fou. Il les ferait à son cousin, l'homme qui avait dirigé l'Orléanais, régné sur la diplomatie royale, qui s'était levé contre un Monarque, qui avait revêtu le manteau pairial. Il ne le laisserait pas partir ainsi, pas sans le rappeler à sa fierté, pas sans la malmener jusqu'à la réveiller.
Le temps du repos viendra mon ami, il viendra, mais pour l'heure je vous interdis, vous m'entendez, je vous interdis de vous donner corps et âme à la mort. Vous n'avez jamais été faible, ne le soyez pas maintenant ! Ne vous laissez pas dominer par le mal qui vous ronge. Reprenez le dessus !
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L'histoire de la famille d'Euphor était chaotique. L'exemple offert par le cousin Keridil était peut-être l'un des plus parlants. La rencontre de ce dernier avec Actarius s'était déroulée sous un bien funeste éclairage. La mort comme une rengaine, comme une malédiction dont le Coeur d'Oc finissait par tenir pour vraie tant il avait perdu de son "sang". Le sort avait voulu que leur chemin se croisa alors que chacun avait sa vie. Il y avait eu cette adoption, ce nom perdu quasiment sacrifié à peine retrouvé. Amahir-Euphor. Amahir simplement dans bien des annonces qu'il avait vu passer avec un pincement au coeur. Pourtant, cet éloignement dans la forme n'avait pas empêché les deux Euphor, car le Duc de Chartres en restait un, de nouer un lien fort et puissant. Ensemble, il avait porté le Phoenix familial plus haut que bien des grandes familles. Au moment de cette agonie, il s'en trouvait trois pour l'arborer au sein de la Pairie, deux pour siéger à la Curia Regis. Mais que pouvait valoir ce prestige qui ressemblait déjà à s'y méprendre à une heure de gloire, un moment de grâce, voués à s'étioler avec le temps, à se muer en souvenir ? Que pouvait-il valoir face aux liens du sang et de l'amitié, face à cette terrible épreuve, face à cette douloureuse agonie ?
Celle-ci prenait d'ailleurs des allures d'une folie, qui ne la rendait que plus difficilement supportable encore. Guidé jusqu'à la chambre avec son épouse, le Colosse se tenait non loin du lit. Il dardait son regard régulièrement jusqu'à la Prinzessin. Il y avait dans ces yeux une profonde tristesse, de l'incrédulité également devant cette tragédie, une de plus, une de trop. Il ne savait que dire, que faire en spectateur impuissant de cette déchéance du corps et de l'esprit. Le fier jeune homme qui avait gravi les échelons n'était plus. Plein de vie, plein d'envie quelques mois encore auparavant, il avait désormais laissé place à un cadavre en sursis, détaché de la réalité. Cela en était trop... trop, le Duc d'Auxerre ne pouvait plus tolérer cette scène. Son cousin lui offrit le déclencheur en demandant s'il était présent. Ses paupières clignèrent, son attitude devint plus farouche et la torpeur s'estompa. La main du mourant fut saisie, elle fut saisie avec vigueur. L'emprise devenait de plus en plus forte au fur et à mesure que la déraison prenait le dessus, elle devait être douloureuse, suffisamment, il l'espérait, pour ramener son cousin à la réalité ou du moins à la conscience de cette réalité. Et si cela ne suffisait pas, il n'aurait aucun remord à le gifler. Il n'avait pas le droit de partir ainsi, pas le droit de lui infliger ce spectacle. C'était trop.
Ressaisissez-vous, Keridil d'Euphor ! Laissez-là la fièvre et la folie et revenez à nous. Les gens de notre race ne meurent pas ainsi ! Ils partent la tête haute, relevez-la, il est trop tôt pour abandonner la lutte, trop tôt pour plier l'échine.
La colère était là puissante et enflammée. Une ire prête à défier le sort, trop excessive pour tolérer l'inéluctable, trop dévastatrice pour faire preuve de compassion. Il ne ferait pas ses adieux à un fou. Il les ferait à son cousin, l'homme qui avait dirigé l'Orléanais, régné sur la diplomatie royale, qui s'était levé contre un Monarque, qui avait revêtu le manteau pairial. Il ne le laisserait pas partir ainsi, pas sans le rappeler à sa fierté, pas sans la malmener jusqu'à la réveiller.
Le temps du repos viendra mon ami, il viendra, mais pour l'heure je vous interdis, vous m'entendez, je vous interdis de vous donner corps et âme à la mort. Vous n'avez jamais été faible, ne le soyez pas maintenant ! Ne vous laissez pas dominer par le mal qui vous ronge. Reprenez le dessus !
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