[Chambrée d'Aileen]
« Allez ! Demande-moi ! » Allongée sur l'herbe, les jambes relevées en équerre, Syuzanna gesticule, visiblement impatiente. Une natte enroulée autour d'une main, elle fixe de ses yeux noisettes, le jeune garçon assis devant elle. Celui-ci ne semble pas ravi de la teneur de la conversation, et fixe intensément le sol, et les brins d'herbe ondulant à peine sous une brise si légère qu'elle semble inexistante. « Allez, Dun. Nous sommes là pour ça après tout. » Son compagnon ne répondant toujours pas, Syuzanna pousse un profond soupire. « On se connait depuis quoi, quinze ans ? Alors, de quoi as-tu peur ? » « On se connait depuis que tu es née ! Et je n'ai pas peur. Les Ecossais n'ont peur de rien. » « Raison de plus pour me demander. » Il détourne le regard mais ne répond rien, se contentant de serrer les poings. « Tu sais que Père s'attend à ce que tu me poses la question, Dun. » « Je ne suis pas idiot, Zann ! J'espérais juste... Un peu moins de pression. Que ce soit comme naturel. Pas par obligation paternelle. » Syuzanna esquisse un sourire, et pose une main sur le genou de son ami. Il tourne son regard vers elle, souriant à demi. « Tu ressembles à ton père. Tu es tellement têtue ! » La rousse éclate de rire, et pose la joue dans l'herbe fraiche. Non loin d'eux, les chevaux paissent calmement. Ils sont absolument seuls, dans ce coin-ci, au bord de l'eau. « Mais très bien ! Et de toute façon, j'aurais fini par te le demander un jour, Zann. » Il se redresse et elle l'imite, puis le jeune garçon la regarde dans les yeux, et fait enfin sa demande, le plus sérieusement au monde. « Zann NicDouggal, m'acceptes-tu pour époux, selon les lois ancestrales, qui obligent un brave fils de forgeron à se lier à jamais avec la peste de fille du Chef ? » Elle se retient de rire, et répond aussitôt. « Dun MacAvoy, je t'accepte pour époux, même si je ne doute pas une seconde que tu seras le pire d'entre tous. »
Corde en main, elle se dirige à grands pas vers l'enclos des chevaux, lorsque la voix d'Aonghas, son Oncle, la fait stopper net. Se dirigeant vers lui avec un large sourire, les nattes battant son dos, elle dépose un affectueux baiser sur sa joue. « Alors ma nièce ! Comment as-tu pris la décision de ton père ? Pas trop déçue ? » Elle hausse les épaules. « Je ne sais trop ce qu'il voulait, en me fiançant. Voilà trois ans qu'il nous fait attendre. » « Es-tu heureuse de son choix ? » Elle hausse de nouveau les épaules, tirant sur ses nattes, gênée de devoir répondre. « Son choix fut bon. J'aurais pu être promis à Wallace le Borgne, ou Callum le Boiteux. Et Duncan est un bon ami. » Aonghas sourit, en lui tapant sur l'épaule. « Je suis fier de toi, ma nièce. Je sais que cela te parait fort long et entame le peu de patience que tu possèdes, mais Duncan sera un bon époux. Maintenant, va.» Elle s'exécute, sans pouvoir s'ôter immédiatement la conversation de son esprit. Mais à quoi songe son père, en désirant la marier ? Il l'a élevé comme un homme, étouffant la douceur et la sensibilité qu'elle aurait pu avoir, lui mettant dans les mains des épées au lieu de poupées, lui aprenait à se battre plutôt qu'à tricoter, et maintenant, il veut la marier ? Même si cela fait maintenant bien longtemps qu'ils sont fiancés, le mariage n'aura lieu qu'au cours de l'année à suivre. Et Syuzanna sait parfaitement ce que cela veut dire. Prendre époux signifie enfanter, et renoncer à tout ce qui fait d'elle ce qu'elle est. Frappant du pied une pierre sur son chemin, elle se met à courir, en direction de l'enclos à chevaux. Se positionnant au-dessus de l'abreuvoir, elle s'observe, maudissant les formes, quoi que légères, qui lui rappellaient chaque jour qu'elle n'était pas née garçon. « Non, grogne-t-elle. Je n'aurais jamais d'enfants ! Par les Dieux, jamais de ma vie ! » Elle balance la corde dans un coin, et s'assoit sur le bord de l'abreuvoir. Fixant un Galloway tout à côté d'elle, elle relâche un peu de sa colère. A quoi ressemblerait sa vie, si pour lui plaire, elle oubliait tout ce qu'elle était ?
Quelqu'un lui parle. Mais qui ? On lui ôte une chose des mains. Mais quoi ? On la porte à moitié ailleurs. Mais où ? Peu importe. Elle aperçoit au loin des yeux bleus rieurs, sous une masse de cheveux châtain.