Premier match depuis longtemps, il avait fallu se réhabituer, retrouver quelques réflexes. Et surtout, en changer quelques uns. Il n'avait pas vraiment l'habitude d'être placé de ce côté-ci du terrain. Numéro 10 depuis des lustres, passer numéro 2 était mine de rien un changement d'importance.
Morphey à sa gauche, Traps à sa droite, Arthur avait pris place, suivant les consignes de Khoryan. Il était ravi de noter l'apparition de nombres de nouvelles têtes, mais aussi de voir que l'on pouvait compter sur une poignée d'irréductibles anciens.
Le match lancé, il débuta par un mouvement de recul, de ce genre de mouvement dont il avait l'habitude. A dire vrai, il finissait souvent ses matchs bien à l'abri dans leur en-but. Et il connaissait fort bien celui du stade Cralex, là où, depuis dix rencontres, les Bourrins étaient invaincus. Les derniers à avoir foulé la pelouse moulinoise et à en être sortis vainqueurs étaient les Genèvois, et cela remontait à la 5e coupe royale.
Un bon signe donc, que cette lancée qui leur avait permis d'emmagasiner une bonne dose de confiance. Mais d'un autre côté, ils n'avaient pas joué depuis longtemps, et l'équipe s'était bien renouvelée. Il leur fallait reprendre leurs marques, se caler, et Arthur savait d'expérience qu'un premier match était toujours un danger.
Concentré, avoir d'avoir une bonne occasion de se vider la tête, Arthur se détendit, vida de sa tête pression, historique de matchs, légende des Bourrins, pour se focaliser sur la situation imminente. Traps s'avança au centre du terrain. Les hostilités débutaient, et ça cognait déjà. Koslov et Morgane, appuyé par un de leurs petits nouveaux, Nanyd, accompagnaient Traps dans sa charge. Les autres restaient en retrait, dans cette stratégie de prudence qui avait largement fait ses preuves.
Des cris montèrent des tribunes. Pas seulement des encouragements, en fait. Peu à peu, c'est une épaisse fumée blanche qui s'éleva, noyant les cris et les nuages. L'incident incendie fut vite maîtrisé, et la concentration d'Arthur à peine émoussée. Alors qu'à gauche comme à droite, Morphey et Traps prenaient des gnons, Arthur en profitait pour se faire discret, observant les mouvements. Et les vieux réflexes revinrent, la situation devint moins confuse, plus claire. Claire, même, comme s'il voyait le stade d'en haut, comme s'il était un de ces faucons qui planaient et chatouillaient les nuages.
Oui, là, il y avait une possibilité. Petit coup d'oeil en direction de Khoryan, qui lui répondit d'un hochement de tête. Oui, le fin tacticien, celui qui fut son élève et l'avait largement dépassé depuis, avait déjà vu la faille. D'un commun accord, ils avancèrent tous deux, épaulant Morphey qui avait saisi la soule, et acheva l'action par une jolie passe à Traps, qui enfonçait le coin de l'attaque dans le bois tendre de la défense de Bertincourt.
Les Soiffards allaient finir assoiffés... Nanyd et Morgane, sur la même ligne qu'eux, venaient peaufiner ce soutien à l'attaque de Traps, et multiplier les possibilités de récupération, même si leurs chances diminuèrent soudain, lorsque Morgane fit les frais de la hargne défensive de leurs adversaires. Mais Arthur savait, et Morgane, souleuse d'expérience, le savait aussi, il fallait souvent un sacrifié pour mener à bien une avancée victorieuse.
L'excitation montait dans les rangs des Bourrins, mais aussi dans les tribunes, à mesure que le stade comprenait ce que Khoryan et Arthur avaient déjà compris... La victoire était à leur portée.
Petit regard vers les tribunes, où Arthur fut ravi de découvrir Benoit, ancien Moulinois, ancien Bourrin, et marqueur émérite, qui avait gravé de sa patte l'histoire de leur équipe.
Ne lâchez rien ! On les tient !
Morphey, pour son premier match aux couleurs moulinoises, avait un enthousiasme contagieux. Mais de courte durée, malheureusement... La contre offensive de Bertincourt fut cinglante. Morphey sombra sous les coups, non sans lutter avec courage. Nanyd et Khoryan, qui avaient avancé en même temps que Morphey et lui, en firent les frais eux aussi. Leur capitaine resta debout, mais il fut vite évident qu'il ne tenait que par la force de la conviction.
Conviction qu'ils allaient l'emporter. Traps avait ouvert la voie, ils avaient formé une solide ligne de soutien, et l'avalanche de coups de leurs adversaires ne suffirait pas. Morphey à terre, Morgane évacuée, Khoryan à bout de force, il n'avait pas besoin d'aiguiser énormément son esprit d'analyse pour comprendre que, dans la mesure où il avait évité, nul ne savait par quel hasard, l'averse de gnons arrivée d'en face, il était le mieux positionné pour marquer.
A nouveau, le petit hochement de tête de Khoryan lui confirma qu'il était dans le vrai. C'était exactement ce qu'il lui fallait pour oublier un instant les chiffres, le conseil ducal, le commerce, les finances... Il sentit l'exultation monter en lui, de ce même genre d'exultation qui prenait un veilleur aux remparts lorsque l'ennemi trouait le calme de la nuit de ses cris furibonds. Le même sentiment, la peur en moins. Une émotion puissante qui se déversait en lui comme un torrent qui aurait brisé ses barrages.
Une émotion qu'il transforma en un cri furieux d'encouragement.
Allez les Bourrins! Encore un souffle et on y est! Pour Morphey et Morgane, pour Moulins!