Aelyenor
Asile d'aliénés de..., le 6 février de l'an de grâce 1462,
Je suis dans un hospice d'aliénés. Je ne suis pas folle pourtant. Je le sais bien. J'ai près de moi des individus qui ont évidemment le cerveau malade : l'un d'eux voit partout des gens d'armes qui viennent le saisir ; l'autre entend des voix qui, d'un mot cruel, lui rappellent des malheurs domestiques ; un troisième est poursuivi par des rats ; tel autre se croît persécuté par la Duchesse Untel ; enfin un dernier sait très bien que Déos et lui ne font qu'un, etc...
Tous ces gens sont fous incontestablement. A preuve ils font des grimaces, crient et se lamentent.
Il y a des femmes aussi dans cet hospice, puisqu'elles hurlent, gesticulent et font des choses anormales comme les hommes ; il y en a même qui, paraît-il, sont de bonne famille et qui voyant passer un garde-malade lui crient : "Viens...viens avec moi, je suis bien..." ; "Non dit une autre, viens avec moi ; j'ai beaucoup d'argent..."etc.
Il est évident que toute cette population asilaire est en pleine aliénation mentale, puisque chacun d'eux ou chacune d'elles fait ce qu'on ne voit pas d'ordinaire dans les rues.
L'autre jour, c'était la visite des parents qui me donnait encore occasion de comparer les fous avec les gens sensés.
Un Sieur assez âgé, et qui, si je ne me trompe point devait être une sommité en son village, est venu rendre visite à sa femme. Au premier abord, la pauvre vieille lui a dit : "Tu ne veux pas me rendre ma dot ? Scélérat !" Tous les deux se sont assis côte à côte, le Sieur l'air très ennuyé, la femme l'air rogue et furieux.
Naturellement cette femme est folle. Est-ce qu'on reçoit ainsi son mari qui se dérange pour venir vous voir, abandonnant ses chères affaires, si bien vu dans le quartier ? Est-ce qu'on le traite de scélérat ? Vraiment ce n'est pas raisonnable.
Il y avait aussi un jeune homme d'environ vingt années. Un fils, assis en face de sa maman, serrant ses genoux contre les siens. Il la regardait avec des yeux humides de larmes, les deux mains sur les bras croisés de la vieille. Elle ne voulait pas lui dire un seul mot. Est-ce gentil voyons ? Ce pauvre jeune homme aurait mieux fait d'aller conter fleurette et galanteries à d'autres coquines en leur caressant les cuisses.
Faisant un effort, le jeune homme dégagea les bras crispés de sa vieille maman et tenta bêtement de jouer la main chaude. La vieille, brusquement recroisa ses bras, disant : "C'est ça, traite-moi maintenant comme une gamine ! Cela t'ennuie n'est-ce-pas que je me porte bien ? Il te tarde que..."
Bien sûr cette femme est folle.
Une jeune et fort jolie jeune fille reçoit la visite de sa famille : père, mère, frère, sur. Tout le monde est là. On sent immédiatement que tous, y compris la folle sont nobliaux de sang et de rang.
On cause, on rit, la conversation paraît élégante et sans difficultés. Quand la famille se retire, la jeune fille folle embrasse tout le monde en disant : "Vous reviendrez me voir dimanche n'est-ce-pas ? A moins que je ne sois avec Sainte Maria", puis elle regagne tranquillement son quartier.
Et bien ! Cette jolie fille à l'air fort calme est folle. Elle n'a jamais voulu se marier, parce-qu'elle a, avec Sainte Maria, un traité indissoluble. Je n'insiste pas. Vous comprendrez fort bien que c'est une malade d'esprit, parce-que...Sainte Maria est morte.
Combien d'autres exemples à citer ! On n'a que l'embarras du choix.
Le personnel de l'asile, rend, aux heures de calme un compte-rendu au garde en chef des diverses situations.
Puisque le personnel le fait, que n'imiterais-je leur exemple ?
Ce que j'appellerai ma manie tient à des questions politiques, sociales, ou bien d'esprit ou de cur.
Je suis folle aussi, comme les autres, puisque je compte toujours sur un gouvernement, un Parlement, un Conseil fort, désintéressé, dépourvu de mesquineries ; je pensais qu'il viendrait un jour où les puissants songeraient aux faibles, aux malheureux ; Bernard de Chartres* disant : "Les grands ne sont grands que parce-que nous les portons sur nos épaules", n'avait pas, je le croyais, dit une ânerie, et pourtant, il est permis de constater qu'il y a eu changement d'épaules, et que c'est toujours la même farce ; j'espérais que les questions sociales à nos yeux, à nos oreilles, ne seraient pas toujours repoussées ou niées, selon les besoins des gros bonnets de la vie ; il m'était doux de penser que l'esprit arriverait à vaincre la stupidité, la solidarité terrasser l'arrogance capricieuse de certains pré-pubères boutonneux et non encore sevrés, que l'art triompherait de ses rongeurs.
J'aurais cru aussi que les bons, en se regroupant auraient pu tenir tête aux gens sans cur, tandis que les bons, eux-mêmes, ne cessent de s'entre-dévorer comme ne le font point les loups...
Vous voyez ma folie ?
Et bien, de tous ceux dont je vous ai parlés, de tous ces aliénés, la plus folle c'est évidemment moi !
Et le plus merveilleux dans cette histoire, je m'empresse de rassurer mes derniers amis, et je n'en ai plus beaucoup en Rouergue, c'est que je ne suis à l'Asile des aliénés qu'en qualité de simple visiteuse.
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Ce n'est pas nous qui ne marchons pas droit, c'est le monde qui va de travers.
Je suis dans un hospice d'aliénés. Je ne suis pas folle pourtant. Je le sais bien. J'ai près de moi des individus qui ont évidemment le cerveau malade : l'un d'eux voit partout des gens d'armes qui viennent le saisir ; l'autre entend des voix qui, d'un mot cruel, lui rappellent des malheurs domestiques ; un troisième est poursuivi par des rats ; tel autre se croît persécuté par la Duchesse Untel ; enfin un dernier sait très bien que Déos et lui ne font qu'un, etc...
Tous ces gens sont fous incontestablement. A preuve ils font des grimaces, crient et se lamentent.
Il y a des femmes aussi dans cet hospice, puisqu'elles hurlent, gesticulent et font des choses anormales comme les hommes ; il y en a même qui, paraît-il, sont de bonne famille et qui voyant passer un garde-malade lui crient : "Viens...viens avec moi, je suis bien..." ; "Non dit une autre, viens avec moi ; j'ai beaucoup d'argent..."etc.
Il est évident que toute cette population asilaire est en pleine aliénation mentale, puisque chacun d'eux ou chacune d'elles fait ce qu'on ne voit pas d'ordinaire dans les rues.
L'autre jour, c'était la visite des parents qui me donnait encore occasion de comparer les fous avec les gens sensés.
Un Sieur assez âgé, et qui, si je ne me trompe point devait être une sommité en son village, est venu rendre visite à sa femme. Au premier abord, la pauvre vieille lui a dit : "Tu ne veux pas me rendre ma dot ? Scélérat !" Tous les deux se sont assis côte à côte, le Sieur l'air très ennuyé, la femme l'air rogue et furieux.
Naturellement cette femme est folle. Est-ce qu'on reçoit ainsi son mari qui se dérange pour venir vous voir, abandonnant ses chères affaires, si bien vu dans le quartier ? Est-ce qu'on le traite de scélérat ? Vraiment ce n'est pas raisonnable.
Il y avait aussi un jeune homme d'environ vingt années. Un fils, assis en face de sa maman, serrant ses genoux contre les siens. Il la regardait avec des yeux humides de larmes, les deux mains sur les bras croisés de la vieille. Elle ne voulait pas lui dire un seul mot. Est-ce gentil voyons ? Ce pauvre jeune homme aurait mieux fait d'aller conter fleurette et galanteries à d'autres coquines en leur caressant les cuisses.
Faisant un effort, le jeune homme dégagea les bras crispés de sa vieille maman et tenta bêtement de jouer la main chaude. La vieille, brusquement recroisa ses bras, disant : "C'est ça, traite-moi maintenant comme une gamine ! Cela t'ennuie n'est-ce-pas que je me porte bien ? Il te tarde que..."
Bien sûr cette femme est folle.
Une jeune et fort jolie jeune fille reçoit la visite de sa famille : père, mère, frère, sur. Tout le monde est là. On sent immédiatement que tous, y compris la folle sont nobliaux de sang et de rang.
On cause, on rit, la conversation paraît élégante et sans difficultés. Quand la famille se retire, la jeune fille folle embrasse tout le monde en disant : "Vous reviendrez me voir dimanche n'est-ce-pas ? A moins que je ne sois avec Sainte Maria", puis elle regagne tranquillement son quartier.
Et bien ! Cette jolie fille à l'air fort calme est folle. Elle n'a jamais voulu se marier, parce-qu'elle a, avec Sainte Maria, un traité indissoluble. Je n'insiste pas. Vous comprendrez fort bien que c'est une malade d'esprit, parce-que...Sainte Maria est morte.
Combien d'autres exemples à citer ! On n'a que l'embarras du choix.
Le personnel de l'asile, rend, aux heures de calme un compte-rendu au garde en chef des diverses situations.
Puisque le personnel le fait, que n'imiterais-je leur exemple ?
Ce que j'appellerai ma manie tient à des questions politiques, sociales, ou bien d'esprit ou de cur.
Je suis folle aussi, comme les autres, puisque je compte toujours sur un gouvernement, un Parlement, un Conseil fort, désintéressé, dépourvu de mesquineries ; je pensais qu'il viendrait un jour où les puissants songeraient aux faibles, aux malheureux ; Bernard de Chartres* disant : "Les grands ne sont grands que parce-que nous les portons sur nos épaules", n'avait pas, je le croyais, dit une ânerie, et pourtant, il est permis de constater qu'il y a eu changement d'épaules, et que c'est toujours la même farce ; j'espérais que les questions sociales à nos yeux, à nos oreilles, ne seraient pas toujours repoussées ou niées, selon les besoins des gros bonnets de la vie ; il m'était doux de penser que l'esprit arriverait à vaincre la stupidité, la solidarité terrasser l'arrogance capricieuse de certains pré-pubères boutonneux et non encore sevrés, que l'art triompherait de ses rongeurs.
J'aurais cru aussi que les bons, en se regroupant auraient pu tenir tête aux gens sans cur, tandis que les bons, eux-mêmes, ne cessent de s'entre-dévorer comme ne le font point les loups...
Vous voyez ma folie ?
Et bien, de tous ceux dont je vous ai parlés, de tous ces aliénés, la plus folle c'est évidemment moi !
Et le plus merveilleux dans cette histoire, je m'empresse de rassurer mes derniers amis, et je n'en ai plus beaucoup en Rouergue, c'est que je ne suis à l'Asile des aliénés qu'en qualité de simple visiteuse.
Phrase de Bernard de Chartres. Humaniste et philosophe
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Ce n'est pas nous qui ne marchons pas droit, c'est le monde qui va de travers.