Soren
... les jambes!
Où mène donc cette anfractuosité sur le mur d'en face? Est-elle un simple trou ou l'entrée d'une galerie qu'un rat peut exploiter pour se balader à son gré à l'intérieur du prieuré sans craindre les coups de balai de la soeur tourière? Parfois j'aimerai être un rat. J'ai déjà l'esprit de ce rongeur. En avoir le corps me permettrait d'entrer en silence dans les chambres des dames alors qu'elles sont endormies, de pouvoir partager leur intimité, d'accéder sans difficulté à cette cave dont Mère Ellya m'a strictement interdit l'entrée. Je pourrais trouver l'entrepôt des tonneaux de bières et me lancer dans une débauche sans nom, une saoulerie monumentale qui permettrait à mon esprit d'arrêter de penser enfin. J'étais venu ici expressément pour cela . Jamais, je n'aurais cru que cela pouvait être difficile à vivre. Où mène donc ce trou dans ce mur? Oui, j'aimerais bien le savoir!
- Elle devait avoir votre âge ma soeur...ou peut-être un peu moins.
Quand Ellya n'est pas là, je l'appelle toujours ma Mère. Elle a raison : c'est étrange d'appeler "Ma mère" une personne qui est plus jeune que soi. Depuis qu'elle est entrée dans cette cellule, j'ai à peine posé le regard sur elle. Ce ciment qui a sauté dans le mur me captive. Enfin...disons plutôt que c'est une porte de sortie que mon esprit utilise pour tenter de moins cogiter.
- Elle s'appelait Loh. J'ai appris plus tard que son vrai nom était Audrey de la Huchaudière. Elle a pris soin de moi tout le temps de ma présence au couvent de soeur-sérénité. La bataille avait été terrible. Une vraie boucherie. Aucune finesse de la part des chefs des deux camps. On ne cherchait pas à prendre la position...mais à exterminer l'ennemi. Pas de quartier. Ouais...pas de quartier. Je ne sais pas comment c'est arrivé... ni si la bataille a duré longtemps après que j'eus perdu connaissance. Lorsque j'ai réouvert les yeux, le feu embrasait tout mon corps. Les jambes étaient contusionnées, les bras lacérés et une douleur inhumaine irradiait dans mon abdomen. Ouais... Étrange clin d'oeil du destin. A croire que ce sont toujours des fillettes...
Elle est soeur. Elle pourrait mal prendre ce terme tu sais danois?
- ... Enfin, je veux dire des jeunes filles... qui prennent soin de moi quand je suis au fond du gouffre.
Arrête donc de ressasser ces souvenirs. Ton passé est en miettes. Il ne doit t'alimenter que pour trouver une solution à ton avenir. Rien de plus. Tu ne peux le faire revivre. Tu ne seras plus jamais ce que tu as été. Tu traineras tes craintes, tes appréhensions, tes expériences passées comme un boulet mais c'est tout. Ton avenir est ailleurs. Tu es venue ici pour lever le flou entre toi et lui, pas pour faire écrire ta biographie par une nonne! Tu sais ce qui pourrait t'aider à faire une croix sur le passé? Hum?
- Dites-moi ma soeur? Y'a t-il pas loin un vieux chêne centenaire? J'ai besoin de faire le ménage dans ma tête et cela passe forcément par me débarrasser de certaines choses matérielles.
...Comme mon épée par exemple! Cette épée que je n'ai plus porté depuis mon réveil aux cordeliers. La savoir là, près de moi, me renvoie sans cesse dans mon passé. Elle m'obsède. Elle m'empêche de rompre le lien avec ma vie passée. Elle inhibe ma volonté d'oublier et de reconstruire. Elle doit disparaître.
C'est la première fois depuis qu'elle est entrée dans la cellule que je pose le regard sur elle. Oui, elle est si jeune. Quelque part, cela me gêne de la voir s'astreindre à cette tâche. Depuis Loh, je n'ai pas l'habitude que l'on s'occupe de moi comme je n'ai pas l'habitude de réfléchir. Tout cela est nouveau pour moi. Nouveau et perturbant. Je dois faire une croix sur le Søren qui fonce sans trop réfléchir, sur celui qui plonge en eaux troubles et qui aiment cela, sur celui qui se débat avec vigueur dans les ennuis et qui doit assumer ses choix. La situation présente m'est imposée et elle me dépasse complètement. Être là dans ce monastère, avec des jambes mortes et une tête en ébullition, ça n'est pas moi! Non! Ça n'est pas moi.
- La médecin qui m'a transmis cet onguent m'a dit qu'il fallait faire preuve de souplesse et de fermeté pour réveiller ces chairs mortes ma soeur! Alors, n'hésitez pas à y aller de toutes vos forces! De toute façon, je ne sens plus rien à ce niveau-là. Vous ne pouvez pas me faire de mal...et vous ne pouvez empirer la situation. Ah! Et j'ai appris aussi que l'onguent doit pénétrer les chairs. Il est inutile d'en laisser une couche en surface.
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Où mène donc cette anfractuosité sur le mur d'en face? Est-elle un simple trou ou l'entrée d'une galerie qu'un rat peut exploiter pour se balader à son gré à l'intérieur du prieuré sans craindre les coups de balai de la soeur tourière? Parfois j'aimerai être un rat. J'ai déjà l'esprit de ce rongeur. En avoir le corps me permettrait d'entrer en silence dans les chambres des dames alors qu'elles sont endormies, de pouvoir partager leur intimité, d'accéder sans difficulté à cette cave dont Mère Ellya m'a strictement interdit l'entrée. Je pourrais trouver l'entrepôt des tonneaux de bières et me lancer dans une débauche sans nom, une saoulerie monumentale qui permettrait à mon esprit d'arrêter de penser enfin. J'étais venu ici expressément pour cela . Jamais, je n'aurais cru que cela pouvait être difficile à vivre. Où mène donc ce trou dans ce mur? Oui, j'aimerais bien le savoir!
- Elle devait avoir votre âge ma soeur...ou peut-être un peu moins.
Quand Ellya n'est pas là, je l'appelle toujours ma Mère. Elle a raison : c'est étrange d'appeler "Ma mère" une personne qui est plus jeune que soi. Depuis qu'elle est entrée dans cette cellule, j'ai à peine posé le regard sur elle. Ce ciment qui a sauté dans le mur me captive. Enfin...disons plutôt que c'est une porte de sortie que mon esprit utilise pour tenter de moins cogiter.
- Elle s'appelait Loh. J'ai appris plus tard que son vrai nom était Audrey de la Huchaudière. Elle a pris soin de moi tout le temps de ma présence au couvent de soeur-sérénité. La bataille avait été terrible. Une vraie boucherie. Aucune finesse de la part des chefs des deux camps. On ne cherchait pas à prendre la position...mais à exterminer l'ennemi. Pas de quartier. Ouais...pas de quartier. Je ne sais pas comment c'est arrivé... ni si la bataille a duré longtemps après que j'eus perdu connaissance. Lorsque j'ai réouvert les yeux, le feu embrasait tout mon corps. Les jambes étaient contusionnées, les bras lacérés et une douleur inhumaine irradiait dans mon abdomen. Ouais... Étrange clin d'oeil du destin. A croire que ce sont toujours des fillettes...
Elle est soeur. Elle pourrait mal prendre ce terme tu sais danois?
- ... Enfin, je veux dire des jeunes filles... qui prennent soin de moi quand je suis au fond du gouffre.
Arrête donc de ressasser ces souvenirs. Ton passé est en miettes. Il ne doit t'alimenter que pour trouver une solution à ton avenir. Rien de plus. Tu ne peux le faire revivre. Tu ne seras plus jamais ce que tu as été. Tu traineras tes craintes, tes appréhensions, tes expériences passées comme un boulet mais c'est tout. Ton avenir est ailleurs. Tu es venue ici pour lever le flou entre toi et lui, pas pour faire écrire ta biographie par une nonne! Tu sais ce qui pourrait t'aider à faire une croix sur le passé? Hum?
- Dites-moi ma soeur? Y'a t-il pas loin un vieux chêne centenaire? J'ai besoin de faire le ménage dans ma tête et cela passe forcément par me débarrasser de certaines choses matérielles.
...Comme mon épée par exemple! Cette épée que je n'ai plus porté depuis mon réveil aux cordeliers. La savoir là, près de moi, me renvoie sans cesse dans mon passé. Elle m'obsède. Elle m'empêche de rompre le lien avec ma vie passée. Elle inhibe ma volonté d'oublier et de reconstruire. Elle doit disparaître.
C'est la première fois depuis qu'elle est entrée dans la cellule que je pose le regard sur elle. Oui, elle est si jeune. Quelque part, cela me gêne de la voir s'astreindre à cette tâche. Depuis Loh, je n'ai pas l'habitude que l'on s'occupe de moi comme je n'ai pas l'habitude de réfléchir. Tout cela est nouveau pour moi. Nouveau et perturbant. Je dois faire une croix sur le Søren qui fonce sans trop réfléchir, sur celui qui plonge en eaux troubles et qui aiment cela, sur celui qui se débat avec vigueur dans les ennuis et qui doit assumer ses choix. La situation présente m'est imposée et elle me dépasse complètement. Être là dans ce monastère, avec des jambes mortes et une tête en ébullition, ça n'est pas moi! Non! Ça n'est pas moi.
- La médecin qui m'a transmis cet onguent m'a dit qu'il fallait faire preuve de souplesse et de fermeté pour réveiller ces chairs mortes ma soeur! Alors, n'hésitez pas à y aller de toutes vos forces! De toute façon, je ne sens plus rien à ce niveau-là. Vous ne pouvez pas me faire de mal...et vous ne pouvez empirer la situation. Ah! Et j'ai appris aussi que l'onguent doit pénétrer les chairs. Il est inutile d'en laisser une couche en surface.
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